Nos élus Provinciaux

jeudi 25 septembre 2014

Un bourbier semblable à celui du Vietnam en Irak et en Syrie, autour d’enjeux énergétiques?

Obama EI
La règle du magasin de poterie: « Si vous cassez un morceau, vous en êtes le propriétaire ».
Colin Powell (1937), ministre des affaires étrangères de George W. Bush, (2001-2004) quand il mit en garde le président George W. Bush, à l’été de 2002, des conséquences d’une invasion militaire de l’Irak, (cité dans le livre Plan d’attaque, 2004, du journaliste américain Bob Woodward).

[Le projet secret des États-Unis d'armer les combattants islamistes moudjahidin en Afghanistan] « a été une excellente idée. Cela a eu pour effet d’attirer les Russes en Afghanistan. Le jour où les Soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j’ai écrit au président [Jimmy] Carter: Nous avons maintenant l’occasion de faire en sorte que l’URSS ait sa propre guerre du Vietnam. En effet, pendant près de 10 ans, le gouvernement de Moscou dût mener une guerre insupportable, un conflit qui a entraîné la démoralisation et finalement l’éclatement de l’empire soviétique ».
Zbigniew Brzezinski (1928), conseiller à la sécurité nationale du président Jimmy Carter de 1977 à 1981 et l’un des principaux conseillers du président Barack Obama sur la politique étrangère, (entretien du 15 Janvier 1998, avec Le Nouvel Observateur, Paris).
« Le recours à la force n’est légal [au plan international] seulement quand il s’agit d’un cas de légitime défense [contre une attaque armée] ou avec l’autorisation [formelle]  du Conseil de sécurité de l’ONU. »
Ban Ki-Moon (1944-), Secrétaire général des Nations Unies, 2013.


Si la situation politique et militaire dans un Moyen-Orient riche en pétrole apparaît chaotique, complexe et confuse, c’est parce qu’elle l’est. Comment pourrait-il en être autrement quand il y a une vingtaine de gouvernements étrangers qui jouent d’influence, chacun essayant de mettre la main sur les robinets de pétrole et de gaz, et qu’ils n’ont aucun scrupule à s’impliquer, si nécessaire, dans les affaires des autres pour atteindre leurs fins. En effet, il n’y a aucun endroit au monde où l’intervention étrangère dans les affaires intérieures des autres pays par une toute une panoplie de gouvernements est aussi répandue et est même devenue monnaie courante.
En tête de liste des puissances interventionnistes, nous retrouvons les Etats-Unis d’Amérique et leur arsenal militaire déployé à travers le monde. Rappelons qu’en mars 2003, c’est le gouvernement américain de George W. Bush, avec l’appui du gouvernement britannique de Tony Blair, et aiguillé en cela par le gouvernement israélien, qui partit le bal de l’interventionnisme au Moyen Orient avec une invasion militaire de l’Irak. Ce faisant, il ouvrit une véritable « boîte de Pandore » pleine de malheurs pour cette région. Le but ultime du gouvernement de Bush et de Cheney était de renverser le gouvernement sunnite de Saddam Hussein et de le remplacer par un gouvernement chiite plus malléable. Cette invasion a été le principal élément déclencheur d’instabilité pour l’ensemble du Moyen-Orient, en ravivant les vieux antagonismes entre sunnites et chiites, ce qui s’est traduit par une série de guerres civiles et de guerres par adversaires interposés dans de nombreux pays de la région. Bien sûr, de telles guerres opposent des populations sunnites et des populations chiites dans un conflit politico-religieux, mais elles mettent aussi en cause de nombreuses loyautés ethniques et tribales.
En 2011, l’administration américaine du président Barack Obama croyait que les États-Unis pourraient se retirer en douceur d’un Irak dévasté et se laver les mains de tout le désordre qu’ils laissaient derrière eux. Et bien, cela ne s’est pas passé de cette façon. L’insurrection des musulmans sunnites à la fois en Syrie et en Irak est une retombée directe de l’invasion américaine de l’Irak en 2003.
La guerre civile faisant rage en Syrie a été un terrain fertile pour des Sunnis désenchantés de créer l’organisation djihadiste de l’État Islamique (EI) [aussi connue sous le nom de l’État Islamique en Irak et au Levant (EIIL). Leur but est de se tailler un territoire qui chevauche la Syrie et l’Irak et qu’ils appellent un Califat islamique pour montrer l’imbrication entre la politique et la religion.
Après avoir laissé derrière un pays gouverné par un gouvernement irakien chiite et sectaire en décembre 2011, le gouvernement Obama a très peu d’options pour contrer la montée des milices barbares de l’EI dans cette partie du monde. Cependant, pour des raisons de politique intérieure, M. Obama se doit de montrer qu’il est prêt à relancer la guerre au Moyen-Orient. (Il pourrait y avoir une raison plus logique pour laquelle Obama veut bombarder la Syrie, comme cela est expliqué ci-dessous).
Ainsi donc, le 10 septembre dernier, le président Obama a annoncé que son gouvernement avait décidé de renvoyer des centaines de “conseillers” militaires en Irak et d’intensifier la campagne de frappes aériennes contre les milices de l’État islamique (EI), en Irak mais aussi en Syrie, avec l’aide d’un certain nombre d’autres pays appelés à fournir des troupes au sol pour occuper les territoires « libérés » de l’organisation djihadiste de l’EI.
Une telle stratégie soulève quelques questions fondamentales.
Tout d’abord, il y a la question juridique. Comment le gouvernement des États-Unis peut-il ouvertement dire qu’il a l’intention de violer l’espace aérien de la Syrie pour attaquer les djihadistes de l’EI sans un accord formel avec le gouvernement syrien de Bashar al-Assad et/ou sans une résolution de soutien en bonne et due forme du Conseil de sécurité des Nations Unies ?
Deuxièmement, il y a la question du succès anticipé d’une opération militaire terrestre en Irak et en Syrie lorsque les trois gouvernements les plus directement impliqués dans la région, à savoir le gouvernement syrien de Bashar al-Assad, le gouvernement turc sunnite et le gouvernement iranien chiite ne participent pas à l’opération.
Si on considère que plusieurs pays du Moyen-Orient ont des intérêts contradictoires, leur implication militaire directe en Syrie apparaît discutable, … à moins que le véritable objectif de l’opération Obama de bombarder la Syrie soit de compléter le renversement du régime Assad à Damas. Dans ce cas, l’objectif de combattre l’organisation de l’EI ne serait qu’un prétexte commode pour atteindre un objectif encore plus important, soit le renversement du gouvernement syrien Assad.
Il est vrai que les milices de l’EI (ou tout autre instance manipulatrice qui se cache derrière elles) ont délibérément provoqué les médias américains et la conscience américaine avec la mise en scène de décapitations sauvages de prisonniers. Il ne faut pas oublier qu’en septembre 2013, des groupes rebelles syriens avaient organisé une opération sous fausse bannière et avaient utilisé des armes chimiques contre des civils, dans le but de provoquer une riposte américaine. Cette fois-ci, un an plus tard, ils semblent avoir réussi.
Plus fondamentalement, quels sont au juste les véritables objectifs politiques et militaires en Syrie ? Est-ce que le Département d’État des États-Unis veut toujours renverser le gouvernement Assad ? Si oui, pourquoi? Qu’a fait le gouvernement syrien aux Etats-Unis ? Et, si ce gouvernement était renversé, qui lui succéderait ?
Ce serait une “stratégie” bien curieuse, en effet, si les États-Unis combattaient à la fois les milices de l’État islamique (EI) et le gouvernement syrien laïc de Bachar al-Assad, et finissaient par créer un vide politique comme celui qu’il ont créé en Libye. La politique ne s’accommode guère d’un vide de pouvoir. Dans un pays où 60 pour cent de la population est sunnite, comparativement à seulement 20 pour cent en Irak, le remplaçant probable au gouvernement Assad en Syrie serait un gouvernement islamiste sunnite et sectaire, que son nom soit EI ou qu’il porte tout autre nom . Il s’en suivrait également un désordre complet tel que celui qui prévaut aujourd’hui en Libye, où différentes factions armées se battent entre elles pour s’accaparer une part du pouvoir.
À qui profiterait un tel état de choses ? On peut se faire une idée si on a recours à l’analyse économique. En effet, la toile de fond de tous ces conflits a trait à la géopolitique des différents gazoducs proposés pour écouler le gaz naturel du Moyen-Orient. De tels pipelines serviraient à acheminer le gaz naturel du golfe Persique vers l’Europe afin que cette dernière diversifie et réduise sa dépendance énergétique par rapport au gaz russe.
Il existe deux projets principaux de pipeline pour acheminer le gaz naturel du Moyen Orient vers une Europe affamée d’énergie, laquelle est de surcroit en conflit plus ou moins ouvert avec la Russie et souhaiterait diversifier ses sources d’approvisionnements en gaz naturel et réduire la domination russe sur ses marchés :
- Premièrement, Il y a ce qui a été surnommé le « pipeline islamique », (également appelé ‘Pipeline de l’Amitié’ par les gouvernements concernés), parce qu’il s’agit d’un gazoduc est-ouest de 5570 kilomètres de long allant de l’Iran vers l’Irak, en traversant la Syrie, pour expédier le gaz liquéfié vers l’Europe à partir des ports de la côte méditerranéenne de la Syrie et du Liban.
- Deuxièmement, Il y a un autre projet de pipeline pour acheminer du gaz naturel vers l’Europe et c’est le gazoduc Qatar-Turquie, lequel prendrait plutôt une direction sud-nord et irait du Qatar (premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié), en passant par l’Arabie saoudite via la Syrie pour aboutir en Turquie, où il serait raccordé au gazoduc Nabucco et servirait à approvisionner les clients européens à travers l’Autriche, ainsi qu’une Turquie en manque de sources énergétiques.
Ce dernier projet a reçu l’approbation de nombreux pays européens de même que des Etats-Unis, et d’Israël, ce dernier pouvant bénéficier d’un raccordement au pipeline proposé. Il ne faudrait pas se surprendre si plusieurs pays essaient de s’immiscer dans la guerre civile syrienne à cause de l’intérêt qu’ils portent à ce deuxième tracé de gazoduc.
Cependant, le gouvernement Assad de la Syrie a rejeté ce deuxième tracé, lui préférant le premier tracé. C’est une raison importante pour laquelle la Syrie se retrouve au centre des décisions concernant la construction d’un pipeline pour acheminer le gaz naturel vers l’Europe. C’est aussi une source importante de frictions politiques et de conflits dans cette partie du monde. Cela nous aide à comprendre pourquoi les gouvernements du Qatar, de l’Arabie saoudite, de la Turquie, d’Israël et de l’Union européenne (UE) font tout en leur possible pour renverser le gouvernement syrien de Bachar al-Assad et ont financé divers groupes rebelles, y compris l’organisation djihadiste de l’EI.
Conclusion
La production de pétrole et de gaz, la construction d’un oléoduc et les approvisionnements en gaz vers l’Europe sont des facteurs importants qui peuvent en partie expliquer les frictions politiques et les conflits actuels au Moyen-Orient. Cela nous aide à comprendre pourquoi tant de gouvernements veulent renverser le gouvernement syrien de Bachar al-Assad. Toutes ces intentions, ouvertement déclarées ou camouflées, n’e feront qu’accroître le chaos au Moyen-Orient.
Pour que la paix règne au Moyen-Orient, il faudrait, plutôt que des guerres ruineuses qui s’étendent sur des décennies, un esprit de compromis et de concession, et des négociations politiques sérieuses sur des projets économiques communs. En effet, des solutions politiques seraient de beaucoup préférables à des affrontements militaires permanents, surtout quand on considère le cortège de carnages que ces guerres imposent aux populations.
Le plus tôt on en arrivera à cette conclusion, le mieux ce sera pour tous les peuples du Moyen Orient et pour le monde.
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Rodrigue Tremblay est professeur émérite d’économie à l’Université de Montréal et on peut le contacter à l’adresse suivante :
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Site Internet de l’auteur : http://www.thenewamericanempire.com/
Pour plus d’informations concernant le dernier livre du professeur Tremblay intitulé : “Le Code pour une éthique globale”, voir : http://www.lecodepouruneethiqueglobale.com/