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jeudi 23 octobre 2014

Nouméa, la prison de la honte

« Il faut que les gens sachent »


A 40 ans, il a déjà fait quelques tours derrière les barreaux. Il a vu le Camp-Est évoluer dans le bon sens. Rencontré à sa sortie de prison, Thierry a accepté de raconter son quotidien dans cet établissement qui défraie souvent la chronique.

L’ancien détenu reste en liberté conditionnelle. Mais il s’est juré de ne jamais remettre les pieds au Camp-Est.
L’ancien détenu reste en liberté conditionnelle. Mais il s’est juré de ne jamais remettre les pieds au Camp-Est.

C’est à l’abribus du Camp-Est qu’on le retrouve. Son frère devait venir le chercher mais un an et demi plus tard, il semble avoir oublié. Thierry* attend patiemment. Les dix-huit derniers mois de sa vie tiennent dans le sac de sport qui pend à son bras droit. Du linge, ses papiers et un peu de liquide. Sur le trajet qui nous ramène vers le centre-ville, il sourit en regardant la mer. « Ça fait trop longtemps que je ne vois que des murs. » A 40 ans, sans être un enfant de « la 400* », les va-et-vient derrière les barreaux, il connaît. Sauf que cette fois, c’est la bonne. « J’en ai profité pour faire quelque chose de bien ! » Une formation suivie dans l’établissement pénitentiaire. Il veut se ranger, trouver vite un travail. Dans l’urgence, il souhaiterait plutôt être un peu seul. Puis se retrouver avec une femme. Idéalement, il s’est fixé un objectif : éviter autant que faire se peut les histoires de cannabis. Qui lui ont volé quelques années de sa vie « pour le plonger en enfer ».

L’enfer ? C’est de « voir tous ses courriers, même les lettres d’amour, épluchés par les gardiens. C’est d’être enfermé, de vivre comme un animal avec un autre animal. C’est de fixer ces murs tous les jours, en attendant. Il faut que les gens sachent tout ça. » Bien sûr, des moyens de passer le temps existent. « En quartier de préparation à la sortie, j’avais une télé. » D’autres échappatoires, aussi. Le cannabis, qui se glisse régulièrement au parloir.
« Le truc, à ce moment, c’est d’attendre le soir pour fumer, une fois enfermé dans ta cellule. Il faut vraiment faire attention, sinon tu risques de te faire attraper par les gardiens. A ce moment-là, ils t’envoient au bloc E. »

Ce compartiment de la prison, c’est la pire des punitions. Pas de télé. Pas de contact avec les autres. Une unique sortie le matin. « Mais ce qui te rend fou, c’est qu’ils ne te donnent à manger qu’une fois par jour. Si tu demandes à un maton d’aller te chercher une cigarette. Il refuse. » Autant que possible, Thierry a évité le bloc E. Sa peine a même été allégée pour bonne conduite. Mais ça n’a pas été de tout repos. Son visage porte encore des traces de coups. Il boite légèrement.

« Ce ne sont pas les matons. Ils sont vraiment corrects. Il y a des enc.. et des normaux. Comme dehors. Les blessures, c’est une bagarre avec un autre détenu. Je lui ai refusé des cigarettes. Au début il t’insulte toi, alors ça monte. Ensuite, il insulte ta mère. Alors tu l’astiques. » Le secret de la tranquillité, c’est d’avoir un bon codétenu. « Moi, j’essayais d’avoir un homme de mon âge. Si tu as un jeune, il faut écrire au directeur, demander à changer de cellule. Ils ne sont plus eux-mêmes une fois qu’on les met en prison. Le soir, ils n’arrivent pas à dormir, alors on leur donne des cachets. Ça les transforme. Tu leur parles et d’un seul coup, ils te regardent de travers et t’insultent. Ils sont dangereux. Certains restent comme ça le reste de leur vie. C’est eux que la prison tue. Ils seront toujours différents. »

Malgré ce quotidien hostile, la vie en prison est plutôt « moins pire » qu’avant. « Quand tu parles avec les anciens, tu te rends bien compte que c’est mieux. Avant, ils étaient cinq ou six en cellule. Maintenant, dans la plupart, on est que deux. Ça change tout. » Davantage d’intimité ? « Non. Comme ça, quand tu te bats, c’est à un contre un, pas à un contre quatre. Tu te souviens du gamin qui s’est fait lyncher à mort ? Ça, c’était dans les cellules où ils sont plus de trois. » (lire ci-contre) Des anecdotes sur la violence carcérale, Thierry en a à profusion. Mais au-delà de la violence et de l’ennui, ce qui l’insupporte, ce sont certaines dispositions du Camp-Est. « Si tu travailles dans les espaces verts, tu es payé 28 000 francs par mois. Mais à ce moment-là, tu es obligé de payer un genre de loyer. Moi c’était 1 200 francs. Si tu ne travailles pas, ils considèrent que tu n’as pas les moyens de payer. C’est injuste. »

PK6. Terminus. Thierry retrouve la vie. Il sort une clé, ouvre la porte d’un appartement entretenu. Un petit balcon offre une vue sur le ciel. Il s’assoit, silencieux. Il inspire puis soupire longuement. Il n’est plus en apnée et ce moment-là, il le savoure, les yeux humides. « J’espère que je t’ai dit ce que tu voulais savoir. Tu peux me rappeler. Mais j’aimerais que tu me laisses. Ça fait un an et demi que je ne suis pas resté seul. »

* Thierry est un prénom d’emprunt.* « La 400 » est le surnom donné par les détenus au Camp-Est.
Repères
Vers un renouveau
Un passé terrible
Le 31 juillet, le tribunal administratif a donné raison à trente détenus qui poursuivaient l’Etat depuis mars 2012 pour des conditions de détention qu’ils estimaient attentatoires à la dignité humaine. L’Etat a été condamné à indemniser les requérants à hauteur de 20 000 francs.
Un drame inédit
Parmi les six détenus de la cellule 15, bloc 2, résidant au Camp-Est le 13 octobre 2011, un a été tabassé à mort, un deuxième s’est suicidé par pendaison et trois viennent d’être condamnés à trente ans. Ils avaient torturé l’un des détenus à coups de poing, de pied et de tabouret. Forçant leur victime à se réveiller à deux reprises, alors qu’il avait perdu connaissance. Parmi les bourreaux, un homme décrit comme étant un psychopathe actif. N’ayant pas sa place au Camp-Est.
La directrice de l’administration pénitentiaire, Elizabeth Gorce, en visite le 25 septembre, n’avait pas hésité à rappeler que le Camp-Est s’est longtemps illustré par « des conditions indignes de détention, un surencombrement massif et un sous-effectif au sein du personnel ». Mais depuis 2012, suite au rapport Humbert-Caretta rendu à la garde des Sceaux, une rénovation du pire établissement pénitentiaire de France a été entreprise. Le Camp-Est pourra accueillir 420 personnes en fin d’année. Les conditions de détention se sont clairement améliorées dans les blocs où le temps des détenus, parfois entassés à six par cellule, semble terminé.
470
C’est le nombre de détenus au Camp-Est au mois de septembre. Un chiffre encore au-dessus du taux d’occupation préconisé de 400 détenus. Une situation encore insatisfaisante mais un peu plus acceptable que les 480 détenus entassés en 2012 alors que la prison ne dispose que de 226 places.

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