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mercredi 22 octobre 2014

Suicide : Lifou lève le voile

La Calédonie déplore vingt-huit suicides depuis le début de l’année, dont deux à Lifou. Afin d’aborder cette thématique difficile, une conférence-débat sur le « suicide des jeunes en Nouvelle-Calédonie » s’est tenue samedi dans la tribu de Xepenehe.
Organisée par le collège des psychologues de Nouvelle-Calédonie (CPNC), cette conférence a permis à la chefferie de mieux comprendre le passage à l’acte.
Organisée par le collège des psychologues de Nouvelle-Calédonie (CPNC), cette conférence a permis à la chefferie de mieux comprendre le passage à l’acte.
Photo Jean-Paul Helloi

Lorsque la fille du chef de la tribu de Xepenehe, à Lifou, passe à l’acte, suivie peu de temps après d’une autre jeune femme, c’est l’électrochoc. La Calédonie compte vingt-huit suicides depuis le début de l’année, dont deux à Lifou. « A notre époque, il n’y en avait pas autant. On ne sait pas ce qu’il se passe, on ne comprend pas », soupire Katreie Wiwane, porte-parole de la chefferie. La prise de conscience est palpable dans ce petit coin de paradis. Comprendre le passage à l’acte : la question se lisait sur tous les regards. Pour y répondre, la conférence-débat sur le thème du « suicide des jeunes en Nouvelle-Calédonie » s’est tenue samedi au cœur de la tribu de Xepenehe. Charmant et informel, le cadre est propice aux échanges sur un thème douloureux et mal compris. Le regard grave, les anciens semblent déterminés à enrayer un phénomène qui a tendance à se banaliser. « Nous devons trouver des solutions pour nos jeunes, martèle Katreie Wiwane. Que ça s’arrête. Coutumièrement on n’a pas le droit de laisser partir un jeune par le suicide. Il a une place dans la tribu, il a des devoirs envers la chefferie, il faut l’aider à trouver sa place. »


Médicament. Las de se sentir démunis face à la détresse des jeunes, les coutumiers de Xepenehe ont émis le souhait d’héberger le colloque, organisé par le collège des psychologues de Nouvelle-Calédonie (CPNC) et par le service Dacas* de la province des Iles Loyauté. Neuf professionnels se sont ainsi rendus sur place, avec pour mission d’apporter leur éclairage et d’animer des cercles de paroles. En douceur, les participants, répartis par genre et par génération, ont été invités à échanger sur cette thématique difficile à aborder. Timidement, mais sûrement, les langues se sont déliées. « Le suicide, qu’est-ce que ça veut dire d’abord ? » se hasarde un participant. « C’est un mal-être, on se sent seul, lance un jeune Kanak. Des fois, c’est difficile de trouver sa place, ou de trouver du travail pour survivre. L’évolution, elle arrive, et nous, on est souvent largués. » Dans chaque atelier, on cherche à comprendre les facteurs déclencheurs, et comment les identifier. « Quel discours doit-on tenir à nos enfants pour que le suicide ne soit plus le médicament contre la douleur », interroge un participant dans le groupe des anciens.

Supporter. Les échanges mettent en évidence un problème manifeste d’écoute et de communication. La place et la parole de l’enfant au sein de la famille et de la tribu est-elle suffisamment valorisée ? « Le sentiment de solitude quand on souffre est tellement intense qu’on a du mal à aller vers les autres, on a peur de déranger », partage une dame. Les adolescents, en période de crise identitaire, y sont donc particulièrement vulnérables. « Les jeunes sont comme des éponges, ils peuvent emmagasiner beaucoup de solitude », commente André Sirota, professeur distingué en psychopathologie sociale clinique à Paris X. « Jusqu’où peut-on supporter le monde qui ne nous ressemble pas ? » interroge pour sa part la sociologue Larry Kauma Martin. Une question qui renvoie à la perte de repères des jeunes, dans une société en constante évolution. Vers qui se tourner ? Sur qui s’appuyer pour ouvrir les portes ? « C’est ça le challenge, témoigne une jeune femme, originaire de Maré. Trouver une personne-ressource pour se construire, y compris professionnellement. » A Xepenehe, un voile se lève sur le tabou du suicide.

*Dacas : Direction de l'Action Communautaire et de l'Action sanitaire.

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La Calédonie compte en moyenne une trentaine de suicides par an. L’acte de se donner la mort est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes en Calédonie, derrière les accidents de la route.

Etablir un profil type pour mieux cibler la prévention

« Pensait-il que les gens se donnaient du mal pour le mettre en difficulté ? » interroge l’enquêtrice. « Rien qui ne m’interpelle, répond l’informateur. Il s’investissait beaucoup dans le travail, pour ne pas penser. Il avait souvent l’impression de ne pas être à la hauteur. » Ce dernier est un collègue de travail d’une personne qui est passée à l’acte cette année. Face à lui, Anne-Cécile Selefen, enquêtrice pour le compte de l’étude internationale Start (Suicide trends in at-risk territories ou tendances suicidaires dans les territoires à risque). Initiée par l’Organisation mondiale de la santé, l’enquête est engagée en Calédonie depuis quelques mois, sous la coordination du Dr Benjamin Goodfellow. L’objectif est de recueillir un maximum d’informations pour déterminer toutes les circonstances qui ont pu conduire une personne à se donner la mort. Dans une salle du CHS de Nouville, les entretiens se succèdent. Avait-il des visions ? Voyait-il des choses que les autres ne pouvaient pas voir, ou avait-il des sensations étranges sur le corps ou la peau ? Etait-il vigilant, ou sur ses gardes, alors qu’il n’y avait aucune raison de l’être ? Etait-il mal à l’aise devant les gens ? Hallucinations, critères de phobie sociale, trouble d’anxiété généralisé, délire de persécution, trouble de l’adaptation… Au fil des entretiens, l’enquêteur va essayer d’identifier des facteurs qui pourraient l’éclairer sur une pathologie spécifique.

« Comme un puzzle qu’on met en place »

« Les événements marquants de la vie de la personne » représentent une question centrale pour orienter efficacement l’interrogatoire. Mais afin d’affiner le profil, il faut compter au moins deux informateurs par suicidé. D’où l’intérêt pour les proches ou la famille de se manifester. Car pour que le portrait soit le plus précis possible, l’échantillon de la population doit être suffisamment important. Cette enquête sur trois ans devrait permettre à terme d’établir le portrait type d’un comportement suicidaire, afin de mieux cibler la prévention. « Il faut que cette expérience fasse partie d’une procédure de prévention, témoigne l’informateur qui a tenu à participer à cette étude. La façon de poser les questions nous donne un cheminement. Ça permet d’interpeller sur un détail peut-être passé inaperçu, c’est comme un puzzle qu’on met en place. »

Les enquêteurs cherchent à contacter des gens qui ont perdu des proches par suicide depuis le début de l’année 2014. Si c’est votre cas et que vous souhaitez participer à cette enquête, vous pouvez joindre le Dr Benjamin Goodfellow au 24 36 67.  

Repères
Un comportement, pas une maladie
La santé mentale a un rôle important dans le suicide, qui témoigne de la santé mentale d’une population. En Nouvelle-Calédonie, une personne sur trois souffre d’un trouble psychique. Les troubles mentaux (en particulier la dépression), plus gros pourvoyeurs d’incapacité au travail, sont un facteur de risque important. « Il faut travailler sur les représentations et la perception de la santé mentale, ponctue Benjamin Goodfellow, psychiatre au CHS. Il importe de dédiaboliser la santé mentale, le suicide est un comportement et non une maladie. »
Selon le CHS, le suicide en Calédonie est plus le fait des hommes (25-44 ans) que des femmes.


Numéro vert
Pour prévenir les comportements suicidaires, il existe une antenne médico-psychologique (AMP) à Lifou, mais aussi à Poindimié et à Koumac. Ainsi que des points d’écoute, comme le numéro vert gratuit SOS écoute : 05 30 30.


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