Nos élus Provinciaux

mercredi 19 novembre 2014

La lutte toujours sur le pont


Le 18 novembre 1984, Eloi Machoro brisait une urne à coups de tamioc. Trente ans plus tard, à Thio, des centaines de militants indépendantistes se sont souvenus de ce geste, et surtout de sa portée politique. Auteure hier d’un discours parfois musclé, la famille pro-Kanaky veut combattre ses divisions.


Une vague de drapeaux Kanaky a submergé hier la route de Thio. Pour Monique, « la période de violence est terminée, il y a un combat politique, oui, mais pacifique ».
Une vague de drapeaux Kanaky a submergé hier la route de Thio. Pour Monique, « la période de violence est terminée, il y a un combat politique, oui, mais pacifique ».


Le soleil tape fort et Juliette couvre, telle une ombrelle, la tête de sa petite sœur du drapeau Kanaky. Les quatre cents marcheurs, autour de la demoiselle, aimeraient voir eux l’étendard à la flèche faîtière s’étendre sur tout le pays devenu nation.
Ce 18 novembre est une date symbolique. Il y a trente ans, Eloi Machoro a brisé l’urne à coups de tamioc lors des élections territoriales prévues par le statut Lemoine. L’image a fait le tour du monde, la pression du FLNKS montait face au « déni de légitimité du peuple kanak », et hier, à Thio, une des premières places de siège en 1984, les militants se sont souvenus. « Et la lutte continue ! » soufflent les enceintes dans le cortège, une fois passé le pont. Hasard ou pied de nez du calendrier, cette mobilisation indépendantiste se cale au lendemain de la marche « Restons Français », un message adressé au président de la République en visite. « Vous avez tous entendu le discours de François Hollande : pour moi, la France compte rester dans le Pacifique, a lancé Roch Wamytan de l’Union calédonienne, à la tribune du champ de foire, site du regroupement. Elle va s’asseoir sur vous, sur les morts kanak, sur les luttes de notre peuple. Voilà le discours, la France restera, et nous ne pouvons pas accepter ça ! »

Etat. En ce jour de célébration, le verbe est musclé. Pas étonnant. Le signataire de l’accord de Nouméa a même un pressentiment en poche, « l’Etat français ne nous donnera pas l’indépendance. Hollande nous a dit que si nous la voulions, c’est à nous de nous battre pour le faire. Alors nous allons nous organiser et nous battre ! » Le micro avait déjà chauffé avec Louis Kotra Uregei. « Les accords, on a donné. La confiance, on a donné, a clamé le président du Parti travailliste. On en tire les conséquences : la prochaine étape, c’est l’indépendance ! »
A Thio, toute la famille pro-Kanaky a salué la portée du geste d’Eloi Machoro et l’historique du combat. De Victor Tutugoro (UPM) à Louis Mapou (UNI) en passant par Sylvain Pabouty (DUS). La dynamique des commémorations, marquée notamment par les trente ans du FLNKS le 24 septembre, forge l’unité de la mouvance indépendantiste. Toutefois, et plusieurs personnalités politiques l’ont hier publiquement admis, « des dissensions », « des malentendus », ou encore « des divergences » secouent les liens entre formations de la sensibilité. Et des militants, comme Thierry l’écharpe nouée dans les cheveux, le déplorent.

Arbre. Alors que le repas du midi se prépare, Jean-Baptiste, la trentaine robuste, en est sûr : « Les jeunes voient ces divisions, il faut les dépasser, il y a parfois un langage politique qui ne convient pas. Il faut, à mon sens repenser à l’histoire. Car l’histoire ramène à l’objectif ».
En bas du champ de foire, un arbre est planté, symbole de la mémoire et du maintien de la lutte. Pour faire taire les désaccords, « il faut d’abord supprimer cette injustice sur le corps électoral, pointe Maryka. Les autres font tout pour nous rendre minoritaires. L’Etat doit retoiletter les listes » spéciales pour les provinciales. Une notion qui renvoie au corps électoral pour le référendum. Aujourd’hui, pour la dame d’Ouvéa, « il y a tricherie, des gens ne doivent pas être sur les listes ». Le flot des militants se disperse sur le vaste terrain. Maryka en est convaincue, « en 2014, 1984 continue ».


7 000


Le chiffre est à nouveau rappelé sur le communiqué distribué hier : « L’Etat français demeure sourd, entre autres, sur la question des 7 000 personnes indûment inscrites sur les listes électorales provinciales ».


Questions à... Marc Fifita-Néé, témoin du geste d’Eloi Machoro en 1984

« C’était l’urne de l’Etat français ! »


Les Nouvelles calédoniennes : Vous étiez avec Eloi Machoro dans la salle à Canala. Pourquoi ce geste sur l’urne est-il survenu ? Marc Fifita-Néé : Après la création du FLNKS en septembre, chaque responsable politique est retourné dans sa commune pour organiser des structures. Le vieux Eloi est revenu vers Nakéty, nous a rassemblés et a parlé du boycott actif (des élections territoriales du 18 novembre 1984, NDLR). Le dimanche, à Nakéty, on a attaché le responsable du bureau de vote et on l’a mis au presbytère. Vers 14 h 30-15 heures, Eloi a dit : « On va foncer vers Canala ». On est partis vers la mairie et la maison commune. On y est entrés ensemble, tout le monde. Direction l’urne. Le vieux a brandi le tamioc et a tapé la caisse. Une fois, mais elle n’a pas voulu casser. Un deuxième coup de tamioc, et là, la caisse a cassé. Et on a brûlé les bulletins de vote dans la salle.
Pensiez-vous assister à un acte historique ?
Oui, j’ai vu que c’était un acte historique. Parce que c’était l’urne de l’Etat français ! Briser l’urne avec un tamioc, c’est rare de voir ça dans le monde ! J’ai compris qu’Eloi faisait quelque chose de fort. Mais je ne savais pas ce qui allait se passer après... Et on est repartis vers Nakéty, pour préparer ce qu’on allait faire le lendemain.

Trente ans après, on en est où selon vous ?
J’avais trente ans à l’époque, je suis né en 1954. Aujourd’hui, en 2014, ce que je constate, c’est qu’il n’y a pas tellement de changement. Sur le plan politique, ça discute, mais ça ne va pas en bas, dans les tribus. Il faut que les politiques descendent dans les tribus pour voir et essayer de convaincre nos jeunes de se former, etc. Aussi, les mines tournent à fond, mais il est où l’argent de ces usines ? Il n’y a rien pour nous, pour construire notre pays !


Repères

Boycott, pourquoi ?
« Le 18 novembre 1984, c’est la journée pour laquelle avait été décidé un boycott des élections, s’est souvenu Jean-Louis d’Anglebermes, de l’UC, hier à la tribune de Thio. Pourquoi ? Après l’élection du président de la République en mai 1981, François Mitterrand, qui s’était engagé à donner l’indépendance à la Nouvelle-Calédonie, des contacts avaient été pris à Paris pour poser deux problèmes : le corps électoral, déjà, et comment donner le pouvoir aux Kanak dans leur pays ? C’est la non-réponse du gouvernement socialiste de l’époque à travers le statut Lemoine - statut qui ne répondait pas à ces deux questions - qui a amené le FLNKS à un boycott ! »

Des couleurs absentes
Hier à Thio, sur le champ de foire, les drapeaux de la commune et du FLNKS ont été montés solennellement. Le troisième mât réservé aux couleurs tricolores est resté lui sans étendard. Un poteau seul. « A Thio, le drapeau de l’Etat français a été banni pendant les Evénements, explique Karl Toura, un des organisateurs de la mobilisation. C’est donc en souvenir, et seulement dans le contexte du 18 novembre 1984 qu’il faut replacer cela ».

Mon fils Eloi
Durant la coutume, Louis Kotra Uregei a salué la mémoire d’Eloi Machoro, un compagnon de lutte en 1984. Le combattant originaire de la tribu de Nakéty a marqué le futur président du Parti travailliste, lequel lui a rendu un hommage très personnel : « Mon deuxième fils s’appelle Eloi ».