Nos élus Provinciaux

vendredi 5 février 2016

Déshérence et perte de repères : Une jeunesse kanak en perdition Générations Matignon-Nouméa ou héritage des évènements ?

Home-jackings, vols et incendies de voitures, casses à la voiture bélier, agressions physiques de policiers et même des crimes commis sans aucune retenue et avec préméditation… C’est le lot de «faits divers » que nous présentent, chaque semaine, les médias à longueur de colonnes ou de journaux télévisés et radiodiffusés. Ils sont presque tous le fait d’une jeunesse kanak en perdition et dont l’âge des fautifs interpelle : entre 12 et 16 ans ! Une jeunesse kanak qui représente donc inéluctablement, 85 à 90 % de la population incarcérée au Camp Est. Quelles sont les raisons profondes d’une telle situation ?
Certains (de gauche notamment) n’hésitent pas à hurler, la bouche en cœur : 
« Colonisation ! urbanisation mal vécue ! échec scolaire car système non adapté ! etc. etc. », relayant des théories pernicieuses et malhonnêtes telles que développées en métropole, consistant à se draper dans une victimisation permanente en accusant la société, l’État (qu’il soit de droite ou de gauche !), 
« le système », etc. d’être les seuls responsables de la situation. Des théories fumeuses qui, ont conduit la Métropole dans le mur, notamment au niveau de sa jeunesse mais aussi de sa société elle-même face à des enjeux comme la mondialisation. « C’est la faute à tout le monde, mais moi je ne suis qu’une victime ! ».
Si certaines des causes de ces maux sociétaux, ici avancés, qui touchent la jeunesse calédonienne et kanak en particulier sont bien réelles et sont, bien sûr, à prendre en compte (trop longue marginalisation des Kanak pendant la période dite « coloniale », non adaptation d’un système scolaire franco-français, urbanisation mal vécue, etc.), elles ne constituent pas, cependant, la cause fondamentale de la situation actuelle. Car cet enseignement inadapté, cette urbanisation mal vécue, cette situation d’échec scolaire permanent auraient pu être appréhendés et surtout gérés autrement. Non, la véritable cause est d’origine politique et la responsabilité en incombe, pour une grosse part aux leaders indépendantistes mais également aux gens de droite dits « loyalistes ».
Pourquoi ? Reprenons la genèse de l’évolution politique de la Nouvelle-Calédonie depuis mai 1968 jusqu’aux évènements.
Mai 1969 : des jeunes kanak étudiants, récemment rentrés d’études en métropole, commencent à souffler un vent contestataire sur la société néo-calédonienne, en dénonçant les inégalités criantes et choquantes, notamment certaines discriminations envers les Kanak. C’est l’époque des « Foulards rouges », des groupes « Atsaï », « 1878 », etc. Dans le droit fil de cette idéologie, Nidoish Naisseline, fils du grand-chef de Maré et leader des « Foulards rouges » recouvre de peinture la plaque frontale de la statue du gouverneur Olry, située au bas de la place des Cocotiers. Celle-ci représente des kanak vaincus, courbés devant le gouverneur pour y déposer leurs armes dans la plus plate des soumissions. Avec ses camarades contestataires, et notamment Déwé Gorodey, il exige le retrait de la plaque infamante. Ce qui leur vaudra d’être tous deux incarcérés au Camp Est. La plaque litigieuse fut néanmoins ôtée de l’édifice.
Dès lors, les idées véhiculées par ces jeunes kanak ne cesseront de faire leur chemin et conduiront d’ailleurs à bousculer la vieille classe politique locale. L’Union Calédonienne, jusqu’ici le parti dominant, en fera principalement les frais, avec des scissions successives aussi bien de droite que de gauche. C’est l’époque de l’Union Multiraciale de Yann Céléne Uregei, de l’Union Progressiste Mélanésienne d’André Gopéa, Edmond Nékiriaï et du barbouze Jean-Marie Laurent. Une union calédonienne « blackboulée », chahutée, mais qui résistera envers et contre tout et dont une poignée de jeunes kanak prendra enfin le contrôle lors du congrès de Bourail, en 1977. Ils ont un point commun : ils sortent tous du petit séminaire et possèdent un enseignement religieux : Jean-Marie Tjibaou, Eloi Machoro mais aussi des métis comme François Burck.
Un contrôle du parti qui provoquera d’autres scissions : Georges Nagle et Jean Lèques créent « le Mouvement Libéral Calédonien », Jean-Pierre Aifa et ses amis, refusant d’êtres « commandés par des kanak » créent, de leurs côtés, « l’Union nouvelle calédonienne ».
Dès lors, avec Pierre Declercq, autre curé défroqué, occupant le poste de secrétaire général du mouvement, l’U.C et ses leaders n’auront de cesse de pratiquer la surenchère dans la revendication d’indépendance avec des slogans de plus en plus durs, voire haineux. Une autre frange de militants indépendantistes se regroupe au sein de nouveaux partis : « le Parti de libération kanak » (Palika) dont les symboles représentent (toujours) une hache de guerre et un fusil entrecroisés (instruments de paix et de destin commun !!) ou « Libération Kanak socialiste » du grand chef Naisseline et d’Henri Bailly.
À cette mobilisation kanak et indépendantiste, on a répondu, à droite par une radicalisation outrancière anti-kanak. Création du RPC (Nouméa et Pouembout) en 1977 par Jacques Lafleur et ses amis, qui deviendra ensuite le « Rassemblement pour la Calédonie dans la France » ; tout ça pour faire plaisir à papa Chirac et à la plus grande désillusion de personnalités politiques locales d’envergure comme le sénateur Lionnel Cherrier. Mais on entrait, là, déjà, dans le « système Lafleur » : l’unilatéralité de la réflexion, l’absence de toute opposition ou contradiction, c’était l’ère du « Jacques a dit ! ».
Les leaders indépendantistes n’ont eu de cesse d’exploiter et de mettre en avant la jeunesse militante pour donner du poids à leur démarche, à leur idéologie. Rappelez-vous, l’époque des « Top à l’indépendance ». Certains de ces élus kanak ont « rigolé » récemment face au « Kanaky 2014 » véhiculé par LKU. Ils auraient mieux fait de se taire !
On en arrive à septembre 1981, et à la mort tragique de Pierre Declercq assassiné chez lui par les services secrets français. La mobilisation indépendantiste fut intense avec des conséquences, pour la jeunesse, non négligeables : arrêt du tour cycliste à Tibarama (Poindimié), boycott des manifestations sportives. Jusqu’ici, des jeunes kanak investis dans le sport se sont vus stoppés net dans leur élan. C’était l’époque des grands matchs de foot-ball tels que « Union Sportive Louis Gélima contre AS Baco », « UAC Yaté contre La Frégate », etc. Des manifestations sportives qui drainaient quantité de jeunes et des disciplines qui en motivaient plus d’un. Pareil pour la boxe : des clubs comme « Nengoné sport » où les talents fourmillaient se sont mis au sommeil.
Les slogans politiques étaient alors « Non au sport ! hochet du colonialisme pour endormir la jeunesse kanak ! » etc. etc. On a ainsi détourné de la « mentalité sportive » des générations de kanak. Mais l’engouement était plutôt à l’apprentissage du maniement des armes qu’à la pratique du sport : c’était l’époque, aussi, des voyages en Libye organisés par Yann Céléné Uregeï.
On a dit que ces élus kanak (dont on vénère aujourd’hui le souvenir) étaient des visionnaires. Visionnaires de quoi ? Leur action s’est essentiellement axée avec force sur l’accession au pouvoir politique. Les actuels problèmes sociétaux auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés n’étaient-ils pas déjà bien réels ? L’échec scolaire kanak, la fracture sociale, etc, etc.
Sont arrivés les évènements proprement dits, c’est-à-dire la période 1984-1988. Là, une génération de jeunes militants a été utilisé pour justifier « la lutte sur le terrain » (siège de Thio, barrages, faits divers tragiques, etc). Une mobilisation qui a certes, payé au niveau politique mais qui a produit une génération sans repères, sans plus aucun respect de l’autorité, de la loi républicaine (taxée de « colonialiste »), sans aucun souci du lendemain. Cette même génération a ensuite produit sa légitime descendance, élevée selon les mêmes critères de « rejet du blanc, du colonialisme, du système ». Un discours dangereux qui a intoxiqué des générations de jeunes kanak qui se trouvent, aujourd’hui, face à la réalité de la vie, face, surtout, à la réalité de leur quotidien après avoir cru aux discours fumeux sur le devenir kanak et l’indépendance. Ils s’aperçoivent bien, que les notions reçues sont fausses, qu’on les as trompés. Refusant alors cet échec, ils se réfugient dans l’alcool, le cannabis (qui, au passage, s’est développé à la vitesse grand V) ou dans la violence.
Si, aujourd’hui, la jeunesse d'influence occidentale est relativement homogène dans ses comportements, la jeunesse Kanak, présente une certaine diversité de situations. Les étudiants intégrés dans le cursus scolaire et universitaire (ceux qui ont réussi à surmonter l’écueil du système éducatif français) parcourent sans trop de problème la voie étroite qui mène au monde adulte. Les jeunes qui travaillent dès la fin de leur scolarité, soucieux de s'intégrer dans un groupe social, adhèrent rapidement à un parti politique ou à un syndicat. Ils deviennent alors le fer de lance de la lutte indépendantiste ou loyaliste. Les exclus du système scolaire, faute d'autre possibilité, retournent vivre dans la tribu, où leur adaptation n'est pas toujours facile. Au prix de tiraillements douloureux, certains transforment l'essai en projet de vie. D'autres enfin, et le phénomène est nouveau, ne parviennent pas à s'adapter aux devoirs de la vie coutumière et repartent peupler les squats de Nouméa. C'est évidemment à l'école qu'incombe la responsabilité de décrypter les enjeux de l'avenir. Or son échec est patent. Le discours parental sur le lien quasi mécanique existant entre l'école et l'emploi a permis des ascensions sociales remarquables, mais seul un petit nombre en a profité. Dans sa globalité, le bilan des dernières années n'est pas brillant. Seuls 4% des Kanak et des Wallisiens scolarisés dès la maternelle obtiennent en fin de parcours le baccalauréat. Parmi les diplômés, toutes ethnies confondues, 81% ont le niveau BEP, 10% seulement le niveau bac. Malgré tous les efforts et les moyens financiers déployés, la progression est faible. En 1989, soit un an après la signature des accords de Matignon, 39,1% des candidats kanak obtenaient un bac général et 37,9% un bac technologique. Dix ans plus tard, ils n'étaient plus que 34,1% dans les séries générales, alors que leur taux de réussite au bac professionnel atteignait 51,3%. Difficile dans ces conditions d'être avocat, médecin ou même professeur de lycée. On ne compte d'ailleurs qu'une quinzaine de Kanak parmi les 1 500 enseignants du secteur secondaire. L'école est souvent vécue comme une rupture dans l'existence de l'enfant kanak, contraint de quitter de plus en plus tôt son contexte familial et culturel. Au fur et à mesure de l'apprentissage, le déchirement devient plus insupportable, au point de susciter le désintérêt, voire le rejet de ce qui, autrefois, était considéré comme une conquête essentielle. À cela s’ajoute l’inadaptation des programmes, leur application par des cadres métros habitués à véhiculer un enseignement franco-français. Malgré la multiplication des collèges et lycées sur le territoire, les enfants de brousse, kanak ou caldoches, intègrent les internats de plus en plus jeunes, parfois dès l'âge de 10 ans. Lorsqu'ils retrouvent leur environnement d'origine, tout est déjà joué et il est pratiquement impossible de leur inculquer les principes traditionnels d'éducation. Happés par un système scolaire qui ne parvient pas à les intégrer, coupés de leurs racines, la plupart des Kanak reviennent à la tribu déboussolés. L'apprentissage est souvent vécu comme une forme pernicieuse d'aliénation, une négation de la culture, un exil dans son propre pays.
Pour ces jeunes forcés de quitter le milieu familial pour la ville et « les études », le sentiment d'abandon et la forte opposition à un discours vécu comme exogène, demeurent. Ces jeunes ne se retrouvent pas dans l'idéologie véhiculée par l'école les valeurs transmises par leurs ancêtres. La petite délinquance à Montravel ou Rivière-Salée, des quartiers de la périphérie nouméenne (Tindu, Kaméré), atteste de la désespérance d'une jeunesse kanak et océanienne urbanisée à contrecœur.
«L'école reproduit le système de références européen, la télévision achève le travail.» Plus sûrement peut-être que l'école, l'arrivée dans les tribus des chaînes de Calédonie 1ère et du bouquet de Canal Satellite a bousculé les habitudes et les modes de pensée. L'aîné et les chefs coutumiers perdent rapidement leur statut de sages, le déferlement d'images extérieures casse le discours des parents. La rencontre entre une culture très riche et une modernité en contradiction avec des règles strictes fausse tous les repères. En l'absence de références communes aux différentes générations, les jeunes s'éloignent de traditions structurantes.
Lorsqu'un adolescent se faisait autrefois «astiquer» dans la tribu, les chefs expliquaient le sens de sa punition. Celle-ci était alors vécue comme un rite
de la vie sociale. Aujourd'hui, on frappe gratuitement. La blessure ainsi ouverte, difficile à refermer, devient à son tour source de violence. Deux faits divers ont récemment défrayé la chronique. Sur la côte est, près de Poindimié, une douzaine d'hommes ont passé à tabac le grand chef du district de Wagap, pour des raisons indéterminées. Quelques semaines plus tard un homme «dans la force de l'âge», furieux des rumeurs qui circulaient à son propos, roua de coups un chef coutumier de 85 ans. N'exprimant aucun remords, l'agresseur a simplement déclaré au tribunal: «C'est lui qui a commencé, il l'a mérité.» Toutes ces agressions contre des chefs illustrent la violence, inimaginable il y a quelques années, du conflit entre générations.
Et les élus, kanak notamment, où sont-ils pendant ce temps ? Que font-ils ? On mesure souvent la fiabilité d’un discours politique aux actes qui suivent. On nous rabâche les oreilles que les évènements, la mobilisation, ont justement permis de faire évoluer les choses, de faire bouger les curseurs en termes de responsabilités politiques, d’éducation, d’accession à l’emploi, etc, etc. Ces responsabilités les élus indépendantistes les ont depuis 1988. Or, force est de constater que le premier projet éducatif calédonien, a été voté en…. décembre 2015) soit presque 28 ans après la signature de l’accord de Matignon (juin 1988) et dix-huit ans après celui de Nouméa (mai 1998) !! Comment expliquent-ils cela ?
Ne parlons pas de l’emploi local !
Actuellement, le texte sur l’emploi local est une véritable passoire, et permet tous les jours, l’embauche d’expatriés ou de débarqués au vu et au su de tout le monde. Quant au secteur public, c’est une catastrophe !! Il existe pourtant de nombreux « petits emplois » ou petits postes qui pourraient être occupés par des jeunes locaux et notamment des jeunes kanak. Force est de constater que, mis à part le Parti Travailliste de LKU, la mobilisation des élus indépendantistes en faveur de l’emploi local a été bien timide voire inexistante !!
On nous répondra : « Oui, mais regardez ce que la lutte et la mobilisation ont amené ! On gère deux provinces sur 3, on a la mine, la SMSP, KNS, etc. etc. » Peut-être, mais pour combien de jeunes laissés au bord de la route sans formation, sans espoir et autres perspectives d’avenir.
Ce que les élus indépendantistes ont « oublié », c’est qu’en accédant au pouvoir politique, donc décisionnel, ils allaient faire face aux impératifs de la mondialisation, de l’industrialisation effrénée, de la médiatisation à outrance. Ils s’y sont jetés à corps perdu mais avec un style de gestion affairiste et déshumanisé qui ne tient aucunement compte du quotidien de ceux « qui les ont mis là », c’est-à-dire de tous ces jeunes auxquels on a fait croire monts et merveilles. Un style de gestion plus proche du capitalisme et du libéralisme sauvage que d’une conception socialiste de l’économie. Le sigle “Front National Kanak et Socialiste” fait alors sourire, merci M. Dang. Et certains élus et autres secrétaires généraux de partis indépendantistes viennent, maintenant, la bouche en cœur, dénoncer la violence, appeler « au destin commun », « à construire le pays ». Pour construire quelque chose, messieurs, encore faut-il avoir quelque chose dans les mains ou… des idées dans la tête.
Les jeunes kanak ne sont pas idiots et se rendent très bien compte qu’on les as, en grande partie, manipulés. On s’est servis d’eux « pour la lutte » mais aujourd’hui, sur le bord de la route, les yeux embrumés par un vieux joint, ils observent une autre fumée, celle des cheminées de KNS, les camions rutilants, le nombre d’expatriés 
qui y travaillent et s’interrogent…. Kanaky ? C’est ça la Kanaky promise
Jerry Delathière - février 2016