"un accord historique sur le nickel " : Postures et impostures
L’impact
de la crise mondiale des matières premières en général, et du nickel en
particulier, est grandement amplifié en Nouvelle-Calédonie par les
contre-performances industrielles et le manque de culture industrielle
des collectivités publiques. L’immuable conciliabule sur l’avenir
institutionnel de la Nouvelle-Calédonie qui se tiendra très
prochainement à Paris sous l’égide du Premier Ministre sera l’occasion
de faire le point de la situation – et de rappeler que les decisions
importantes se prennent a Paris. Au moins une trentaine d’elus
calédoniens se rendra dans la capitale pour débattre de la question du
corps électoral mais aussi de celle du nickel.
A l’issue de ce
14eme Comité des signataires, il est fort à parier que dans un langage
inhabituellement feutré propre aux attentions particulières que la
République aura su porter à leur endroit, les participants se
féliciteront de leurs « échanges constructifs » ayant permis un « accord
historique ». Nul ne doute qu’au-delà de l’autosatisfaction et du
narcissisme propre à la classe politique, les non-dits ne
feront qu’entériner le fait non-équivoque que la Nouvelle-Calédonie n’a
pas les moyens de ses ambitions. Le cérémonial parisien permettra
néanmoins d’éviter de déballer un certain nombre d’informations gênantes
sur la place publique; d’être obligé de faire toute la lumière sur la
gestion comptable et financière des « entités pays »; de demander des
comptes aux exécutifs provinciaux ayant pris des décisions hasardeuses
dans ce domaine; ou encore d’ouvrir une commission d’enquête sur
l’intrusion et l’ingérence de la politique dans les contentieux fiscaux.
Le principal fléau de l’humanité n’est pas l’ignorance, mais le refus
de savoir, écrivait Simone de Beauvoir.Le domaine de l’ignorance. Les incertitudes
concernant l’économie chinoise, notamment au niveau des marchés
financiers et de l’immobilier, la chute du prix du pétrole et de
l’ensemble des matières premières, la crise de l’Euro et des marchés
obligataires, la situation de guerre au Moyen Orient, mais encore les
contre-performances industrielles calédoniennes (quels que soient les
modèles défendus) sont autant d’éléments dont la teneur fut
longtemps ignorée par un débat politique bien trop focalisé sur les
querelles de personnes sur fond d’avenir institutionnel de la
Nouvelle-Calédonie. Rattrapés par la réalité économique et gentiment
recadres par les representants de l’Etat, l’égocentrisme
insulaire semble avoir désormais suffisamment élargi l’espace immédiat
de sa conscience pour avoir pu prendre en compte les difficultés
financières importantes des opérateurs, tout comme le manque de
compétitivité des différentes filières. Vu l’importance prise par le
nickel dans le débat public on peut toutefois s’étonner du temps qu’il
aura fallu pour que cette incontournable réalité soit finalement prise
en compte. L’année dernière la Chine avait déjà dû fermer 1300 mines de
charbon et 1000 fermetures supplémentaires sont prévues cette année. Le
nickel a été le moins performant des métaux en 2015, chutant de 42% au
cours de l’année écoulée. Résultat: plus des deux tiers des sociétés
minières et métallurgiques produisent du nickel à perte. Le marché
affiche un excédent important et compte tenu des stocks mondiaux
toujours aussi élevés, il est peu probable de voir les cours remonter à
un seuil d’équilibre qui permettrait aux unités de production
calédoniennes d’attendre des jours meilleurs. Mais plus encore que la
gravité de la crise mondiale du nickel, ce qui fut longtemps ignoré par
les collectivités publiques est le manque de compétitivité de l’ensemble
des modèles qu’elles opposent dans un dialogue de sourds pour savoir
lequel est le meilleur. Plus surprenant peut-être pour les collectivités
publiques qui proclamaient encore tout récemment qu’il n’y avait pas de
crise du roulage, Queensland Nickel, la seule société pouvant acheter
les latérites calédoniennes est depuis placée sous administration tandis
que d’autres opérateurs aux coûts de production également élevés (comme
Murrin Murrin) seront contraints d’arrêter. Que va-t-il alors advenir
des rouleurs de la côte Est? Que va-t-il advenir de l’industrie locale
qui accuse des pertes considérables. Combien de temps ces
entreprises pourvoyeuses de main d’oeuvre locale pourront-elles tenir?Les limites de l’entendement. La situation de SLN
sera naturellement au coeur des échanges non pas qu’elle soit la seule à
être directement et sérieusement impactée par la chute des cours du
nickel, mais parce que c’est la seule entreprise sur laquelle l’Etat
peut directement intervenir. Naturellement, même si le résultat des
débats à huis clos seront présentés à la faveur d’une initiative
calédonienne, voire-même d’une unité de façade, ni Eramet, ni l’Etat en
tant qu’actionnaire, n’auront bien sûr attendu les
collectivités publiques réunis au sein de STCPI pour venir au secours de
SLN en attendant que les cours du nickel remontent et que la société
puisse rééquilibrer ses finances. Compte tenu de ses pertes
d’exploitation et de son besoin urgent de trésorerie, son principal
actionnaire Eramet s’est effectivement trouvé dans l’obligation de
reporter le financement de la construction de la nouvelle centrale afin
d’aider sa filiale à surmonter la crise qui perdure. L’Etat, qui vient
tout juste d’injecter 5 milliards d’euros pour recapitaliser Areva,
apportera vraisemblablement son soutien potentiel, quitte à accroître
plus encore la dette publique. Ce soutien pourra bien évidemment prendre
la forme d’une recapitalisation ou de garanties bancaires permettant à
Eramet de lever des fonds pour financer la construction de la nouvelle
centrale. Les actionnaires calédoniens qui ont allègrement dépensé les
30 milliards de francs récemment perçus au titre des dividendes se
feliciteront d’avoir pu s’entendre sur l’essentiel et remercieront
encore une fois du bout des lèvres la France qui paie. Sans doute la
situation sera-t-elle plus difficile pour les deux nouveaux projets
calédoniens, VNC et KNS, qui ont du mal à monter en puissance et
accusent des pertes très importantes compte-tenu des problèmes
techniques et des retards importants qui n’ont pas permis aux opérateurs
de générer des profits avant la crise. Quelle que soit la participation
des collectivités publiques au capital social, seules les
multinationales étrangères, elles même en difficultés, pourront ou pas
les soutenir financièrement. La situation économique et financière ne
peut donc être que particulièrement difficile pour les actionnaires
locaux, notamment pour SPMSC qui est endettée auprès du BRGM et de Vale
et qui contemple le défaut de paiement auprès des banques faute de
dividendes. La situation est plus que délicate pour SMSP, laquelle
société est indirectement, bien que sûrement, concernée par le
financement des surcoûts d’une usine du Nord qui a perdu de sa superbe.
Glencore se doit de céder au plus vite des actifs et pour rassurer les
marchés a dû entreprendre un désendettement à marche forcée. Qui prendra
le contrôle du nickel de Glencore et donc de l’usine du Nord?
Le refus de savoir. La mauvaise conjoncture tout
comme la sagesse aurait voulu que les collectivités publiques proclament
un moratoire à la fois industriel et politique, et ce afin que la
population calédonienne digère enfin et s’approprie autant que peut se
faire la maîtrise toute relative des grands projets industriels
existants. La bonne gouvernance aurait voulu que les collectivités
publiques se comportent en véritables actionnaires et que la porosité
entre la sphère publique et le petit monde des affaires soit mieux
documentée par un journalisme insulaire dont les pires ennemis restent
finalement l’information et sa proximité. Or la volonté de prise de
contrôle du domaine minier de SLN (ainsi que le double standard
concernant l’exportation de minerai « brut »), reste un préalable pour
ceux qui proclament la nécessité impérieuse d’arrêter la « dilapidation
de la ressource », et donc de nationaliser le patrimoine minier, pour
mieux le monnayer dans de nouveaux partenariats sous couvert d’une
mythique participation majoritaire au capital des co-entreprises. Il
s’agit bien sûr d’une fuite en avant pour combler le gouffre financier
lié à des choix stratégiques hasardeux. « Projet pays » nouveau sur fond
de cavalerie industrielle et financière, le nationalisme de la
ressource se montre ainsi au grand jour comme étant ni plus ni moins
qu’une pratique néocoloniale au profit des multinationales étrangères et
de leurs intermédiaires locaux; une « stratégie pays » dont les
générations futures paieront le prix fort en terme d’endettement et de
dégâts environnementaux; une réalité socio-économique aussi contrastée
que désespérante, artificielle que deconcertante. Terre de parole et de
partage, jonchée de trous couleur de sang… Nos enfants n’auraient alors
qu’à s’en prendre à nous-mêmes pour notre manque de courage dissimulé
derrière Le refus de savoir car en espérant concrétiser l’ultime prise
de contrôle de son domaine minier par la montée des provinces au capital
de SLN, les porte-paroles du nationalisme de la ressource laissent la
société civile imaginer qu’ils peuvent influer sur les marchés
internationaux afin d’assurer la « souveraineté économique » du
territoire. Au-delà des discours independantisteset loyalistes, la
dialectique (hégélienne)opposant le colonisé au colonisateur a
finalement perverti le processus de décolonisation. Les premiers
réclament à cor et à cri la souveraineté dont leurs vieux avaient été
privés tout retardant l’indépendance afin de continuer à bénéficier des
largesses de l’Etat colonisateur, les seconds invoquent l’appartenance à
cette dernière dans le seul but inavoué et sordide de protéger le
périmètre exclusif de leurs intérêts et privilèges ultramarins. « On
voit donc que le manichéisme premier qui régissait la société coloniale
est conservé intact dans la période de décolonisation » disait si
justement Frantz Fanon dans Les damnés de la terre. « Enfants
gâtés hier du colonialisme, aujourd’hui de l’autorité (locale), ils
organisent le pillage des quelques ressources… Pour assimiler la culture
de l’oppresseur et s’y aventurer, le colonisé a dû fournir des gages.
Entre autres, il a dû faire siennes les formes de la pensée de la
bourgeoisie coloniale… Dorénavant elle va exiger que les grandes
compagnies étrangères passent par elle, soit qu’elles désirent se
maintenir dans le pays, soit qu’elles aient l’intention d’y pénétrer. La
bourgeoisie (locale) se découvre la mission historique de servir
d’intermédiaire».