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mercredi 23 mars 2016

Congo Brazzaville : une élection à huis clos sponsorisé par la France‏

Congo Brazzaville : une élection à huis clos
Alors que la campagne pour l’élection présidentielle qui aura lieu le dimanche 20 mars 2016 se déroule dans un climat électrique et s’annonce à hauts risques, aucune institution internationale n’a jugé utile d’envoyer des d’observateurs. Ni l’Union européenne, ni l’Organisation internationale de la Francophonie, ni les Nations Unies ne veilleront au bon déroulement et à la transparence de ce scrutin. Pourtant, le bilan de la dernière consultation électorale en République du Congo, le 25 octobre dernier, a été lourd : 46 morts, 69 blessés et 4 disparus… L’Union africaine dépêche une mission mais elle ne sera composée que de 35 personnes chargées de surveiller 5400 bureaux de votes. Les Congolais seront donc seuls. D’un côté, le Président Denis Sassou Nguesso, qui bat campagne avec tous les moyens de l’Etat, argent, presse, télévision, forces de l’ordre. De l’autre, l’opposition avec cinq candidats, tous venus d’horizons différents, mais unis, lors de cette échéance cruciale, afin de se donner la possibilité de détrôner un chef d’Etat au pouvoir depuis 32 ans...


Lecandidat-Président


Au début des années 1980, les Congolais dansaient en chantant un refrain populaire « Président Sassou Nguesso c’est l’homme des masses, c’est l’homme des masses.... » Mais très vite, le Président devient l’homme d’une famille, d’un clan. Lors de l’élection présidentielle de 1992, il arrive en troisième position et cède sa place à Pascal Lissouba. Il revient au pouvoir par les armes à la faveur de la guerre civile de 1997. Les blessures de ce conflit meurtrier, plus de 400 000 victimes, ne sont toujours pas refermées et Brazzaville porte encore les stigmates de cette guerre. Depuis, il est resté à la tête de l’Etat sans discontinuer en remportant dès le premier tour les élections présidentielles de 2002 et 2009. A 73 ans et après plus de trente années d’exercice, Denis Sassou Nguesso ne désarme pas. La constitution de 2002 ne lui permet pas de briguer un troisième mandat et il a atteint la limite d’âge fixée à 70 ans, qu’importe…

A l’automne 2016, il décide d’organiser un référendum afin de changer les deux articles de la constitution qui lui posent problème. L’opposition se mobilise, les 20 et 21 octobre, dans les trois grandes villes du pays, Brazzaville, Pointe-Noire et Dolisie où ont lieu d’importantes manifestations avec pour mot d’ordre « Sassoufit ». L’armée tire, le bilan est lourd. Les opposants sont assignés à résidence, internet est coupé, les communications téléphoniques extérieures sont brouillées, les SMS ne passent plus. Les médias internationaux ne sont plus accessibles. La République du Congo est coupée du monde. Le 25 octobre 2015, le tour est joué, le OUI l’emporte à 80%. Sassou Nguesso est donc rééligible. L’élection présidentielle aurait dû se tenir en juillet ou en août 2016, son mandat prenant fin le 14 août. Mais en décembre, le Président décide d’anticiper l’échéance, le scrutin aura lieu le 20 mars.

Le candidat-Président a-t-il choisi ce calendrier au hasard ? Pour les Congolais le mois de mars rappelle des événements douloureux. Le 4 mars 2012, l’entrepôt de munitions de Brazzaville explosait et 350 personnes décédaient lors de cet accident. Le 23 mars 1977 est le jour de l’assassinat du Cardinal Emile Biayenda ; le 25 mars 1977 correspond à l’exécution de l’ancien Président Massamba-Debat. Ces dates marquent l’histoire congolaise et personne ne croit à un hasard de calendrier, un opposant déclare : « C’est un climat général qui crée une situation de psychose. S’il n’est pas un imbécile, il est embarqué dans un déterminisme tragique… » Dès lors, selon un scénario désormais classique en Afrique lors d’une échéance électorale, la ville se vide. Les élites envoient leurs familles à l’étranger, les classes moyennes et les pauvres partent au village, quand ils le peuvent.

Pour le candidat-Président, et son parti le Parti Congolais du Travail (PCT) qui existe depuis 1969, il s’agit de rééditer l’exploit de 2002 et 2009, être élu au premier tour, réussir « un coup KO », un phénomène très tendance actuellement dans les pays d’Afrique francophone. Et il s’en donne les moyens. Sur les 26 membres que composent la Commission nationale électorale indépendante (CNEI), trois seulement font partie de l’opposition, et encore, deux sont vraiment très modérés. Le fichier électoral n’a pas été révisé, les morts sont toujours inscrits. Les jeunes en âge de voter n’ont pas de carte d’électeur. Des cartes qui, par ailleurs, font l’objet d’une distribution à grande échelle. Une chaîne de télévision de Kinshasa a montré comment le précieux sésame était attribué aux habitants de la capitale de la RDC voisine et aux riverains de l’autre côté du fleuve Congo. Denis Sassou Nguesso est également très généreux, il offre pagnes, casquettes, tee-shirts, chemises et billets de banque.
Mais le candidat-Président, qui est aussi Général de son état, sait que ces libéralités ne suffiront pas. Selon un militaire congolais, entre septembre et décembre 2016, il a recruté 8000 jeunes, plus une compagnie entière de Burundais, qu’il a mis à la disposition de la Garde Républicaine et de la police. Ces contingents doivent être soutenus par des Centrafricains et des Tchadiens, ces derniers connaissent bien le pays, ce sont des déplacés des crises de la région qui se sont réfugiés au Congo depuis longtemps. Toujours selon ce militaire, 750 Rwandais ont été recrutés comme chauffeurs de taxi pour quadriller les villes et servir de sources de renseignements.

La charte de la victoire

Lors du référendum, l’opposition avait montré des failles et des faiblesses. Elle avait appelé au boycott du scrutin, laissant ainsi les mains libres au Président. Pour le scrutin présidentiel, elle a décidé de s’organiser. D’abord en présentant quatre candidats de chaque région afin que toutes les ethnies puissent être représentées et avoir des partisans dans tous les bureaux de vote pour contrôler les résultats. Parmi ces prétendants, qui ont tous été à un moment où à un autre membre du gouvernement ou conseiller de Denis Sassou Nguesso, se trouvent des pointures comme Pascal Tsaty Mabiala, Parfait Kolélas, André Okombi Salissa ou Claudine Munari. Après le référendum, le Général Jean-Marie Michel Mokoko, ancien chef d’Etat-major du Président, a démissionné de son poste de conseiller du Président chargé des questions de paix et de sécurité pour se présenter à cette élection. Il est considéré comme un candidat indépendant, mais fait front commun avec tous ceux qui ont signé la charte de la victoire. Cette plateforme est coordonnée par Charles Zacharie Bowao, un ancien ministre de la Défense. Outre leur unité, la force de cette opposition est de quadriller le pays et de connaître parfaitement les rouages du pouvoir et notamment de l’armée. Avec cette alliance un phénomène nouveau s’installe en République du Congo, le vote clanique s’estompe, les lignes bougent. C’est ainsi que le Général Mokoko, un nordiste a fait un tabac dans le sud à Pointe Noire lors d’un meeting. Du jamais vu dans ce pays. Ce qui permet à un opposant de dire : « Il y a une vraie prise de conscience citoyenne. On assiste à une évolution fortement positive qui va conduire à une recomposition du paysage politique. » Pour faire contrepoids à la CNEI, la plateforme a créé une Commission Technique Electorale chargée de compiler et de vérifier les résultats bureau par bureau. Mais à quatre jours du scrutin, la CNEI a décidé que les téléphones portables seraient interdits dans les bureaux de vote. Il est également fort probable qu’internet et toutes les communications soient coupés et que les candidats soient assignés à résidence comme lors du référendum. Faute d’observateurs étrangers, le duel à hauts risques s’engage donc à huis clos…

Les grands absents…

L’Union européenne a décidé de ne pas envoyer d’observateurs, car les conditions d’une élection transparente ne sont pas remplies et ne permettent pas « le caractère démocratique, inclusif et transparent de l’élection.» L’argument est spécieux. En effet, lors de la présidentielle en Côte d’Ivoire, l’UE n’avait pas envoyé d’observateurs officiellement pour des raisons de budget ; officieusement car les conditions d’un scrutin apaisé et transparent étaient remplies. Que faut-il pour que l’UE se préoccupe d’une élection en Afrique ? Le candidat Tsaty Mabiala a déploré cette absence : « Il fallait que l’UE et que d’autres institutions internationales qui ont du poids dans les affaires du Congo envoient des observateurs. Nous nous sentons abandonnés. »

L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) abandonne aussi les Congolais à leur sort. Elle n’envoie pas d’observateurs mais a dépêché un représentant : l’ancien Président du Burkina Faso, Michel Kafendo. Tout un symbole… En effet, le Président du Congo est un ami intime de Blaise Compaoré. Un mois avant le coup d’Etat du 16 septembre à Ouagadougou, Gilbert Diendéré ne se trouvait-il pas à Brazzaville ?  Un diplomate confie que la rencontre entre Denis Sassou Nguesso et Michel Kafendo du 14 mars a été glaciale, le premier aurait fait attendre le second de longues heures avant de le recevoir.

La France ne semble pas non plus très préoccupée par l’élection congolaise, François Hollande et Denis Sassou Nguesso entretiennent des rapports plus que cordiaux depuis juillet 2016, date à laquelle le Président congolais a apporté son soutien à l’organisation de la COP 21. Avant cette date, la situation était plus tendue, notamment après le discours de François Hollande au sommet de la Francophonie à Dakar en novembre 2014. A cette occasion, le Président français déclarait : « : La Francophonie, elle est soucieuse des règles de la démocratie, de la liberté du vote, du respect des ordres constitutionnels et de l’aspiration des peuples, de tous les peuples, à des élections libres. Là où les règles constitutionnelles sont malmenées, là où la liberté est bafouée, là où l’alternance est empêchée, j’affirme ici que les citoyens de ces pays sauront toujours trouver dans l’espace francophone le soutien nécessaire pour faire prévaloir la justice, le droit et la démocratie. » Ces propos avait été perçus par Denis Sassou Nguesso comme un très mauvais signal. A l’époque, il envisageait déjà de modifier sa constitution. Grâce à la COP 21 et à son aide, les relations ont évolué. En octobre 2014, François Hollande ne déclarait-il pas : « Le Président Sassou Nguesso a le droit de consulter son peuple. » ? Cette petite phrase est déjà passée à la postérité en Afrique, car non seulement elle a été très mal vécue par les Congolais mais également par tous les Africains confrontés à la volonté de leur Président de modifier leur constitution pour rester au pouvoir.


L’ambassadeur de France, Jean-Pierre Vidon, n’a jamais rencontré les opposants en dehors de réunions dans le cadre de l’UE et semble préoccupé par un événement plus important que l’élection. Son excellence organise la semaine « Goût de France » pour promouvoir la gastronomie française. Le 21 mars à la case de Gaulle, résidence de l’ambassadeur et haut lieu historique puisque c’est là que le Général a dormi lors de la conférence de Brazzaville en janvier 1944, Jean-Pierre Vidon organise un dîner avec des invités triés sur le volet pour célébrer la cuisine française. A quelques jours du scrutin, dans une capitale tendue comme un arc, l’initiative n’est pas du goût de tous…

Une nouvelle fois en Afrique francophone autrefois appelée « le pré carré français », l’ambassadrice américaine, Stephanie Sullivan, semble faire preuve de plus d’intérêt et comprendre mieux les enjeux que son homologue Jean-Pierre Vidon. Elle a reçu les opposants et leur a prodigué ses conseils. Cependant, le soutien reste minimum, le Congo n’est toujours pas au programme du National Democratic Institute présent pourtant lors de précédentes élections sur le continent.

Les Nations Unies sont également aux abonnées absentes. Selon un diplomate onusien, elles n’envoient des observateurs qu’à la demande des autorités nationales et la demande n’a pas été faite par le Président congolais. D’autre part, leurs missions sont longues et sont préparées six mois à l’avance. Comme l’élection est anticipée, la venue d’observateurs n’est pas possible…

Les Congolais seront donc seuls face à ce moment crucial de leur histoire. Si la terre tremble, il n’y aura pas de témoins. Si le ciel s’embrase, le feu s’allumera de l’autre côté du fleuve Congo, la RDC étant, elle aussi, dans une situation critique. Quand Brazzaville tousse, Kinshasa entend…