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vendredi 29 avril 2016

Kanaky : valls « Je serai à l'écoute et j'ai envie de réussir »

POLITIQUE. C’est son premier voyage en Nouvelle-Calédonie. Déterminé et conscient de ses responsabilités, le Premier ministre arrive avec la ferme volonté d’aborder les dossiers essentiels, nickel et référendum. Dans les pas de Michel Rocard et de Lionel Jospin, il affirme son « envie de réussir ».
ENTRETIEN avec Manuel Valls

Vous avez été « initié » à la Calédonie par Michel Rocard. Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez entendu parler de cette terre française du Pacifique ?
Heureusement, j’ai quelques notions de géographie depuis mon plus jeune âge ! Je sais depuis longtemps où se trouve la Nouvelle-Calédonie et quelle est son histoire. Mais sans aucun doute, pour le jeune militant que j’étais au début des années 80, c’est la nomination du gaulliste Edgar Pisani, comme haut-commissaire, et surtout, comme tous les Français de ma génération, les événements tragiques d’Ouvéa qui m’ont vraiment marqué.
Au-delà des dossiers, comment l’homme Manuel Valls appréhende-t-il ce voyage ?
Je suis très heureux de découvrir ce territoire et d’aller à la rencontre des Calédoniens, avec un objectif très ambitieux à l’échelle de l’histoire : préparer l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Et puis, les sujets ne manquent pas : la consultation pour l’accession à la pleine souveraineté, les questions électorales, les questions économiques, bien sûr, avec le nickel. Nous ne pouvons pas attendre 2018 pour commencer à discuter, à se mettre en mouvement au prétexte qu’il y aurait une élection présidentielle, puis des élections législatives. Je mesure parfaitement la responsabilité qui est la mienne. Je serai à l’écoute et j’ai l’envie de réussir. J’ai beaucoup appris aux côtés de Michel Rocard puis de Lionel Jospin et j’applique, à ma façon, la fameuse « méthode Rocard ». Elle est fondée sur une exigence de vérité, mais aussi sur la confiance, le dialogue, le respect et l’ouverture. C’est une méthode plus que jamais d’actualité en Nouvelle-Calédonie.

En Métropole, le rejet des hommes politiques est flagrant. En Calédonie, on compte encore énormément sur eux, et sur le Premier ministre en particulier. Cela vous inspire quoi ?
Je sais que dans les outre-mer, quel que soit leur statut, l’Etat est attendu. Un Etat respectueux des particularités, des cultures, de l’histoire, et pour la Calédonie, des choix qui ont été faits en 1988. J’ai rejoint le cabinet de Michel Rocard en juin 1988, et il est évident que la poignée de main Tjibaou-Lafleur est très présente dans mon esprit. Je pense que dans un territoire comme la Nouvelle-Calédonie, on retrouve de la force pour incarner l’exigence de vérité et de responsabilité.

La Calédonie n’est pas une terre socialiste, loin s’en faut. Pourtant, Rocard, Jospin, et vous-même, depuis vos interventions lors des Comités des signataires, êtes particulièrement respectés. Comment l’expliquez-vous ?
C’est peut-être parce que les enjeux électoraux cèdent le pas à l’intérêt général. Depuis 2014, j’ai présidé trois Comités des signataires à Matignon. Nous avons réussi à régler des questions politiques épineuses qui avaient été bien déblayées par la mission Christnacht. J’ai longuement reçu tous les responsables politiques de Calédonie. Au cours du dernier Comité, je me rappelle, lors du déjeuner, m’être retrouvé à une table avec Philippe Gomès, Pierre Frogier, Roch Wamytan et Paul Néaoutyine. Eux-mêmes m’ont avoué qu’ils n’avaient pas le même type de rencontre, entre eux, en Nouvelle-Calédonie… Un gouvernement doit privilégier l’intérêt de tous par rapport aux enjeux électoraux de court terme, que je peux par ailleurs parfaitement comprendre. Je veux donc surtout que la question de la Nouvelle-Calédonie ne soit pas prisonnière des enjeux de la présidentielle de 2017. 
Je veux faire en sorte que le chemin de l’avenir de la Calédonie soit toujours celui de l’intérêt général. Je compte beaucoup sur les Calédoniens eux-mêmes, et sur l’engagement des responsables politiques calédoniens. J’ai trouvé, auprès de ceux que je viens de citer, et de tous les autres, bien sûr, de la hauteur de vue et une envie de réussir. Donc, réussissons ensemble.

Les Républicains, par la voix de Nicolas Sarkozy, suggèrent de mettre fin à la surrémunération des fonctionnaires. Une proposition courageuse dans le contexte d’économies générales ?
A ce stade du développement des outre-mer et dans la conjoncture actuelle, la surrémunération permet de favoriser à la fois la consommation et la production locale. La remettre en cause constituerait donc une erreur d’analyse économique. Par ailleurs, la surrémunération reste justifiée par le coût de la vie et le maintien de l’attractivité des postes outre-mer qui sont des postes difficiles, contrairement à ce que certains semblent croire.

Pouvez-vous nous confirmer que des discussions ont été engagées entre le gouvernement et la famille Duval dans le cadre de la gouvernance d’Eramet et de la SLN ?
L’Etat est actionnaire d’Eramet, il est donc tout à fait normal, compte tenu de la crise que rencontre le secteur du nickel, que des discussions se tiennent avec la famille Duval et avec le management du groupe. L’Agence des participations de l’Etat, dont c’est le métier, a pour mission de défendre au mieux les intérêts de l’Etat et de bien préparer les conseils d’administration, notamment avec les partenaires calédoniens. La situation d’Eramet fait l’objet d’un suivi attentif et vigilant au plus haut niveau de l’Etat.

La SLN a éperdument besoin d’une centrale électrique pour améliorer sa compétitivité. L’Etat est-il en mesure d’accompagner de manière forte cet investissement ?
Cette centrale électrique aurait dû être construite il y a des années, à un moment où le cours du nickel aurait permis d’investir sans difficulté pour cet équipement indispensable au maintien de la compétitivité de la SLN. Aujourd’hui, l’entreprise souffre de cette indécision. Malgré tout, j’ai confiance dans les équipes de cette belle entreprise. Je visiterai avec beaucoup d’intérêt le site de Doniambo, qui est au cœur de l’histoire de la SLN. L’Etat sera au rendez-vous pour assurer sa pérennité. Mais pour ce qui est des annonces précises, l’Etat actionnaire respecte les règles et le calendrier du droit des sociétés.
Une information, sortie en début de semaine, annonce un prêt de l’Etat de 300 millions d’euros à Eramet, dont une partie se ferait par l’intermédiaire des provinces. Vous confirmez ?
Comme je vous le disais, il est de la responsabilité des actionnaires de référence de rechercher toutes les solutions permettant de garantir l’avenir d’Eramet et de la SLN. Cela passe par la mobilisation de tous les acteurs économiques et institutionnels de la Nouvelle-Calédonie. J’y reviendrai au cours de mon déplacement.

N’est-il pas illusoire, au niveau calédonien comme au niveau français, d’imaginer pouvoir influer sur les décisions concernant les usines du Nord et du Sud, propriétés de Glencore et de Vale ?
La Nouvelle-Calédonie a su attirer des grands groupes mondiaux intéressés par l’exploitation du nickel et qui ont investi sur le territoire des milliards de dollars. Le maintien des investissements et des emplois est bien sûr une priorité dans le contexte que connaît le marché du nickel. Chacun doit exercer ses responsabilités : dans une économie de marché, l’Etat ne peut pas se substituer aux actionnaires privés que sont Glencore et Vale, mais il peut jouer un rôle de facilitateur et de médiateur. Et il entend bien jouer pleinement ce rôle.


Valls répond à Frogier et donne le ton

Pierre Frogier avait écrit le 6 avril dernier à Manuel Valls pour l’interpeller sur différents sujets majeurs. A la veille de son arrivée, le Premier ministre répond par un courrier incisif qui devrait rassurer le sénateur sur plusieurs points. Et d’abord le contentieux électoral, acté comme « politiquement clos » lors du dernier Comité des signataires. Manuel Valls constate, comme Pierre Frogier, « que certains acteurs refusent de se sentir liés par ces conclusions. C’est éminemment regrettable au regard de la dynamique stratégique et symbolique des discussions qui se tiennent dans cette enceinte ». Certains responsables de l’UC ne vont pas apprécier, à l’inverse des partis loyalistes. Et l’on comprend mieux pourquoi le haussariat s’est lui-même pourvu en cassation contre les décisions de radiation prononcées par le tribunal de première instance de Nouméa après communication par l’Etat des procès-verbaux des commissions.
Deuxième point, l’avenir institutionnel. Manuel Valls se dit « intéressé » par la proposition de créer une structure dédiée qui servirait d’interface entre les autorités de l’Etat et les partenaires calédoniens. Il en sera discuté.
Troisième point, le nickel en général et la SLN en particulier. « L’Etat assumera ses responsabilités (…) mais la définition de solutions permettant de sauvegarder les investissements et l’emploi supposera aussi la participation des institutions calédoniennes. »
Quatrième point fort, l’augmentation de la délinquance. Manuel Valls informe dans sa lettre qu’une mission commune gendarmerie-police « se rendra sur le territoire la dernière semaine de mai 2016 ».
Ph. F.

Le programme du jour

- Le Premier ministre, qui devait atterrir la nuit dernière à La Tontouta, doit se rendre ce matin à 7 h 30 place Bir-Hakeim pour une cérémonie républicaine d’hommage au monument aux morts.
- A 8 heures, il effectuera une visite au gouvernement, où il échangera avec le président Philippe Germain.
- A 9 h 15, il est attendu de l’autre côté de la rue, à la province Sud, pour une rencontre avec Philippe Michel.
- A 9 h 50, premier temps fort, avec une séance solennelle au Congrès et un discours très attendu, notamment sur la préparation de l’avenir institutionnel.
- A 11 h 10, il est attendu à la mairie de Nouméa.
- A 12 h 10, il doit se rendre au Sénat coutumier, à Nouville, pour un échange avec ses membres.
- A 13  heures, il sera à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, où il doit déjeuner avec des étudiants.
- A 14 h 30, deuxième temps fort, il visitera la SLN et prononcera, là encore, une allocution très attendue par les salariés et les cadres de l’entreprise.
- A 16 h 10, il s’inclinera sur la tombe de Jacques Lafleur, au cimetière du 4e kilomètre.
- A 16 h 30, à la résidence du haussariat, il doit animer avec les principaux élus calédoniens une séance de travail sur l’avenir institutionnel.