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mercredi 8 juin 2016

La colonisation en Nouvelle Calédonie : un dossier politiquement clos ? Roch Wamytan.

LE SÉMINAIRE RÉGIONAL DU PACIFIQUE DU COMITÉ SPÉCIAL DES 24 de l'ONU. 
La Mise en oeuvre de la Troisième Décennie Internationale pour l'Élimination du Colonialisme : engagements et actions pour la décolonisation des Territoires Non-autonomes. Managua, Nicaragua du 31 au 2 Juin 2016.
Le drapeau de la Kanaky ou Calėdonie. Le drapeau de la Kanaky ou Calėdonie.

Roch WAMYTAN
  • Homme politique, membre de l'Union Calédonienne et du FLNKS, Signataire de l'accord de Nouméa en 1998, Président du groupe UC-FLNKS et Nationalistes au Congrès de la Nouvelle-Calédonie
  • Homme politique, membre de l'Union Calédonienne et du FLNKS, Signataire de l'accord de Nouméa en 1998, Président du groupe UC-FLNKS et Nationalistes au Congrès de la Nouvelle-Calédonie       
LE SÉMINAIRE RÉGIONAL DU PACIFIQUE DU COMITÉ SPÉCIAL DES 24.
Mise en oeuvre de la Troisième Décennie Internationale pour l'Élimination du Colonialisme : engagements et actions pour la décolonisation des Territoires Non-autonomes.
Managua, Nicaragua du 31 au  2 Juin 2016

M. Roch Wamytan
President of the UC-FLNKS and Nationalists Group
at the Congress of New Caledonia

Monsieur le Président du Comité spécial de décolonisation,
Mesdames et Messieurs les membres du Comité spécial de décolonisation,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi tout d’abord de remercier chaleureusement le président du Nicaragua, Daniel Ortega, son gouvernement, et le peuple du Nicaragua, pour l’accueil chaleureux qui nous est fait une nouvelle fois, à l’occasion de ce séminaire régional.
Je voudrais de même remercier les membres du comité spécial des 24 ainsi que son président Mr Rafael Darío Ramírez Carreño pour cette invitation, à participer aux travaux de ce séminaire, en ma qualité d’ancien président du FLNKS, signataire de l’accord de Nouméa de 1998 et président du groupe politique indépendantiste, le groupe UC-FLNKS et Nationalistes, au congrès de la Nouvelle Calédonie.
Comme nous l’avons souvent rappelé devant les instances de l’ONU, depuis la prise de possession de la Nouvelle Calédonie en 1853, le peuple kanak n’a cessé de subir une colonisation de peuplement par la France. Celle-ci se poursuit encore de nos jours, malgré le processus de décolonisation en cours depuis les Accords de Matignon (1988) et de Nouméa (1998), malgré l’engagement de l’Etat, en 1988, à réduire les flux migratoires de ses nationaux français, malgré enfin les dispositions de la charte de 1960 et des diverses résolutions prorogeant les décennies pour l’éradication du colonialisme.
Cette colonisation de peuplement a rendu le peuple kanak peu à peu minoritaire dans sur sa propre terre. Or, notre pays est aujourd’hui à un point crucial de son histoire puisque nous arrivons au terme de l’Accord de Nouméa et qu’à partir de 2018, la population concernée sera appelée à s’autodéterminer lors d’une consultation sur l’accession du pays à la pleine souveraineté.
En ce sens, une question fondamentale se pose pour la Nouvelle-Calédonie, qui va fêter cette année ses 30 ans de réinscription sur la liste des territoires non autonomes des Nations Unies, c’est-à-dire depuis 1986. Cette question est la suivante : la colonisation de la Nouvelle-Calédonie par la France est-elle un dossier politiquement clos ?
Nous, peuple kanak, peuple colonisé de Nouvelle-Calédonie, affmons avec force que la colonisation de la Nouvelle-Calédonie par la France n’est pas un dossier politiquement clos.
Nous souhaitons aujourd’hui à travers cette intervention poser également cette question au Comité de décolonisation des Nations Unies : pensez-vous que la colonisation de la Nouvelle-Calédonie par la France est un dossier politiquement clos ?
Pourtant, c’est ce que tente de faire croire notre puissance administrante, la France, aux populations locales, comme devant les instances internationales concernées. Elle se donne le droit de décider unilatéralement de ce qui est politiquement clos ou non dans le processus de décolonisation en cours dans notre pays.
En effet lors du dernier Comité des signataires de l’accord de Nouméa qui s’est tenu à Paris en février 2016, les représentants de l’Etat français en position majoritaire avec leurs alliés calédoniens non-indépendantistes, ont déclaré et imposé à la minorité indépendantiste la fait que le contentieux concernant le corps électoral provincial, était « politiquement clos », faisant croire toutefois que cette entente était celle des trois partenaires de l’Accord de Nouméa : puissance administrante, partis indépendantistes et partis non indépendantistes. Dans les faits cette décision a été prise à la majorité et non suivant le principe du consensus pratiqué habituellement. Ainsi le colonisateur décide de ce qui est "politiquement clos" et se sert des groupes politiques issus de sa colonie de peuplement pour imposer sa volonté politique contre celle des indépendantistes kanak. Cette situation étant la conséquence de la politique de peuplement de nationaux français en Nouvelle Calédonie, une politique dument réfléchie et organisée. Ayant pris de l’ampleur à partir de la visite du général De Gaulle en 1956, cette politique qui s’est accélérée dans les années 70 et à la suite des accords de Matignon (1988) et Nouméa (1998) avait qu’un seul objectif, noyer définitivement sous le nombre, la revendication nationaliste kanak.
Fort de ces décisions, la puissance administrante poursuit dès lors les déclarations dans ce sens, comme l’a fait le premier ministre Manuel Valls dans son discours au Congrès de la Nouvelle-Calédonie le 29 avril dernier, décrétant ainsi que les décisions des commissions administratives spéciales sur l’établissement et la révision des listes électorales pour les élections provinciales et les élections référendaires de 2018, se feront sur la base des soi-disant accords politiques des Comités des signataires, et non plus sur la base de la loi.
De plus, alors que 2016 est la première année de préparation de la liste électorale spéciale pour la consultation sur l’accession du pays à la pleine souveraineté, nous découvrons que 25 000 Kanak ne pourront pas être inscrits sur cette liste sous prétexte qu’ils ne sont pas préalablement inscrits sur la liste générale de Nouvelle-Calédonie. 25 000 Kanak ne pourront donc pas exercer leur droit à l’autodétermination, revendiqué depuis plus de 40 ans en tant que seul peuple autochtone et colonisé de Nouvelle-Calédonie. Mais alors qui est concerné par l’autodétermination de notre pays, c’est la question que l’on peut se poser ?
Il convient ainsi de considérer dans quelle mesure la puissance administrante respecte ses engagements nationaux et internationaux en ce qui concerne le processus de décolonisation de la Nouvelle Calédonie. Prépare-t-elle ce Territoire non autonome à sa décolonisation et à un acte d’autodétermination pleinement libre, transparent et donc acceptable ou met-elle en place toutes les conditions pour que ce Territoire non autonome demeure au sein de son ensemble ultramarin au nom des intérêts supérieurs de la nation et de sa place dans le monde ? Joue-t-elle franc jeu dans la mise en œuvre du processus de décolonisation et d’émancipation ou pose-t-elle des obstacles permanents freinant ce processus ?
Nous ne sommes pas dupes des manœuvres récurrentes de notre colonisateur et malheureusement pour nous, peuple kanak, la colonisation de la Nouvelle-Calédonie par la France est loin d’être politiquement close. L’indépendance de notre pays devant se gagner par le vote, la définition du corps électoral est depuis bien longtemps un enjeu central, c’est question constitue la « mère des batailles ». L’histoire coloniale montre que la puissance administrante a toujours usé et abusé de manœuvres en la matière : double collège, colonie de peuplement, vrais faux référendum coloniaux, trucage des listes, etc. L’objectif est de s’assurer que le peuple kanak et les indépendantistes soient minoritaires et ainsi faire barrage à l’indépendance selon sa politique de ligne rouge de l’indépendance interdite. Ainsi le mouvement indépendantiste doit -il à chaque fois se battre contre cette politique tendant à favoriser l’implantation de populations extérieures afin de noyer le peuple kanak démographiquement et d’empêcher l’indépendance du pays. La « démocratie » par l’immigration incontrôlée et les fraudes électorales devient une arme mortelle contre le peuple colonisé. La lecture du rapport des observateurs de l’ONU à l’œuvre en Nouvelle Calédonie de mars à juillet 2015 apportera un éclairage à ce niveau.
Depuis des décennies, le mouvement indépendantiste kanak fait face à ces types de stratégies orchestrés pour contrer l’indépendance. Récemment encore le mouvement indépendantiste a subi des tentatives de division qui ne sont encore que des manœuvres supplémentaires parmi toutes celles déjà subies en plus des assassinats de leurs leaders, la plus part d’entre eux restant d’ailleurs sans enquête fiable sur les circonstances de ces drames.
Nous sommes parfaitement conscients que ces stratégies existent et nous savons identifier les commanditaires derrière les petites mains à la manœuvre ou au-delà des propos lénifiant de certains responsables affirmant que l’Etat est un arbitre impartial et équidistant et qu’in fine ce seront les calédoniens qui décideront de leur destin par référendum.
Ainsi la puissance administrante se donne en Nouvelle-Calédonie le rôle d’arbitre et de « facilitateur », selon ses propres mots, notamment dans le dossier de préparation de l’avenir institutionnel du pays, et comme si elle n’était pas responsable du fait colonial de notre pays. Toujours fidèle à sa devise : garder la Nouvelle Calédonie française, la France colonisatrice prépare encore une fois un nouvel accord qui lui permettra de préserver ses intérêts en Nouvelle-Calédonie. Un dispositif de type « France Afrique » est bien le modèle qui nous est préparé. Le risque encouru serait que la consultation sur l’accession du pays à la pleine souveraineté porte sur un nouvel accord au lieu de porter sur l’autodétermination et sur l’indépendance du peuple kanak et des citoyens de la Nouvelle-Calédonie.
Face à une politique d’intégration et d’assimilation de la puissance administrante, aux effets néfastes et parfois dévastateurs, prenant parfois l’allure d’un « génocide culturel » pour le peuple kanak, permettez-moi de réitérer les demandes déjà formulées l’an passé ici même. Que l’ONU puisse pérenniser ses visites en Nouvelle Calédonie dans la perspective de l’acte d’autodétermination prévu en fin 2018,et qu’ au cours de cette période un séminaire de décolonisation soit organisé à Nouméa. Par ailleurs nous sollicitons une implication soutenue du Comité de décolonisation afin d’aider la Nouvelle Calédonie dans les procédures d’établissement et la révision des listes électorales spéciales dans le cadre de la préparation de la consultation sur l’accession du pays à la pleine souveraineté. Nous souhaitons enfin pouvoir bénéficier d’experts de haut niveau dans le cadre de la réflexion sur les transferts des compétences régaliennes. Tout ceci nous semble capital dans le processus de décolonisation en cours. Bien évidemment un dialogue permanent et constructif avec la puissance administrante reste un passage obligé.
Nous souhaitons également profiter de l’occasion de cette prise de parole pour remercier sincèrement et chaleureusement l’équipe d’experts, et son président Flavien Misoni, mandatés par l’Assemblée générale des Nations Unies pour observer le travail des commissions administratives spéciales d’établissement et de révision des listes électorales et de la commission consultative d’experts. Leur rôle est ô combien important pour notre peuple et notre pays.
Je vous remercie