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mercredi 29 novembre 2017

Câbles sous-marins : une guerre invisible... aux effets volcaniques


Les câbles sous-marins constituent de véritables enjeux stratégiques pour les États. Les grandes puissances se livrent une lutte sans merci pour la domination dans ce secteur. Des rapports de force dont l'issue façonnera l'Internet de 2030.


C'est une guerre qui ne dit pas son nom. Discrète, invisible et furtive, mais dont quelques bulles plus ou moins grosses remontent de temps en temps à la surface. L'enjeu géostratégique des câbles de télécommunication sous-marins est digne des intrigues de la guerre froide et des vieux romans de John Le Carré. Mais pas uniquement. Car comme le rappelle le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale dans son étude prospective à l'horizon 2030 "Chocs futurs", les câbles sous-marins assurant les communications numériques deviennent de potentielles cibles dans le jeu des puissances. C'est dit, mais après... silence radio.


Dans la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, son président Arnaud Danjean ne le cache pas non plus : ces câbles, infrastructure physique du cyberespace, font partie des préoccupations auxquelles la revue a porté "une attention particulière, en l'articulant avec des réflexions plus globales".

Des vulnérabilités aux interconnexions


Pourquoi un tel enjeu ? "Pour garantir leur accès à certaines ressources et accroître leur contrôle sur des lieux et des voies stratégiques, des États multiplient les revendications sur leurs frontières maritimes, par une interprétation exorbitante du droit international de la mer, et se dotent, pour certains, de stratégies d'interdiction d'accès", rappelle un rapport sénatorial. Il faut dire que "99 % des flux numériques ne passent pas par les satellites, mais par les câbles sous-marins qui ne sont pas très nombreux : moins d'une vingtaine relient l'Europe et les États-Unis", a rappelé en juillet au Sénat le chef d'état-major de la marine, l'amiral Christophe Prazuck.

En conséquence, une grande partie du fonctionnement des pays et de leurs économies repose sur ces flux, qui passent essentiellement par les espaces maritimes. Ainsi la réparation du câble SeaMeWE 4 sur la côte algérienne d'Annaba en avril dernier après les intempéries de mars a causé l'arrêt quasi-total d'Internet et la perte temporaire de 90 % des capacités de connexions du pays avec l'extérieur.

Des espaces maritimes où existent déjà de nombreuses tensions par leur rôle central dans la mondialisation des flux. "L'augmentation des flux internationaux, notamment entre l'Europe et les États-Unis va nécessiter d'être plus vigilant face aux vulnérabilités des interconnexions névralgiques de l'Internet, en particulier face à des attaques physiques ciblées sur des liens ou des noeuds critiques du réseau (exemple : les liens transatlantiques, les IXP101 interconnectant les POP Internet des opérateurs)", explique un rapport conjoint réalisé en 2015 par le ministère des Armées et Orange.

Navires, robots et plongeurs


Pour un État, ces autoroutes du Web revêtent donc une importance stratégique et, à ce titre, font l'objet d'une surveillance particulière. Ainsi, la présence d'un bâtiment océanographique russe qui naviguait à proximité des câbles sous-marins au large des côtes américaines en 2015 a été source de tensions entre les deux pays. Comment surveille-t-on ces câbles posés à même les fonds marins ou enterrés à un ou deux mètres sous terre à proximité des côtes pour être mieux protégés ? Il y a d'abord une surveillance réalisée par les opérateurs comme Orange, qui sont en mesure de déceler et de localiser une éventuelle coupure ou dégradation sur un câble sous-marin. Mais, il y a également la Marine nationale qui patrouille et exerce une surveillance dans les espaces maritimes français, en particulier dans les zones économiques exclusives (ZEE), et, notamment, sur les câbliers qui y travaillent.

Pour opérer dans la ZEE, les navires scientifiques doivent par exemple déposer un dossier plusieurs mois à l'avance. Dans le cadre de ses prérogatives, le préfet maritime peut contrôler que les bâtiments en question réalisent bien l'activité déclarée. Il peut pour cela recourir à des prises de vues d'aéronef ou même à des écoutes sous-marines. La Marine dispose par ailleurs de moyens pour surveiller les fonds marins grâce à ses chasseurs de mines qui peuvent "identifier des objets douteux ou préciser les caractéristiques d'un objet posé sur le fond", explique un spécialiste. Enfin, la Marine entretient une capacité d'intervention sous la mer grâce à la "cellule plongée humaine et intervention sous la mer" (Cephismer) capable de mettre en œuvre, jusqu'à une certaine profondeur, des moyens humains et matériels (robots).

Un monde sous-marin très actif


Des moyens qui sont loin d'être inutiles dans le cadre de cette guerre aussi discrète. Surtout quand on sait que les services de renseignement des principales puissances, y compris la France, ont développé des outils permettant d'assurer la captation d'une partie des communications internationales aux fins d'assurer la sauvegarde de leurs intérêts fondamentaux... Ainsi, en 2015, l'hebdomadaire L'Obs révélait l'existence d'un décret secret qui aurait autorisé depuis 2008 la DGSE à écouter des communications internationales qui transitent par fibres optiques via des câbles sous-marins. L'affaire de la NSA a également mis en évidence un espionnage massif de l'Union européenne par les États-Unis à la suite des révélations d'Edward Snowden en juin 2013.

Et le rôle prédominant des câbles sous-marins dans le système d'écoute souligne l'importance d'une protection de cette technologie stratégique dans le cadre de l'Union européenne... Car clairement l'affaire Snowden montre que même dans ses relations avec un pays allié, nos "amis" américains, espionnent tout le monde. Un système de protection européen est donc souhaitable. D'autant que le Royaume-Uni est une plaque tournante du transit des échanges Europe-Amérique, ce qui lui permet de jouer un rôle central dans l'espionnage. Sur son territoire transite effectivement la quasi-totalité des échanges entre l'Europe et l'Amérique. Ainsi, le programme Tempora, révélé par le quotidien The Guardian, autorise le GCHQ, l'agence de renseignement électronique britannique, à surveiller l'ensemble des communications transitant par les câbles.

"Si l'Union Européenne veut pouvoir devenir non plus un enjeu des relations internationales, mais un de leurs véritables acteurs, la défense des secteurs stratégiques européens est primordiale", rappelle ainsi un rapport parlementaire datant déjà de fin 2013. Les câbles sous-marins font assurément partie de ces enjeux.