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jeudi 11 janvier 2018

Enjeux indépendantistes en France : Le cas de la Nouvelle-Calédonie et de la Corse

Tandis que l’actualité internationale est polarisée par l’indépendance de la Catalogne et les enjeux du « Brexit », des revendications et mouvements sécessionnistes agitent actuellement la France et ses collectivités d’outre-mer et territoriales, en l’occurrence la Nouvelle-Calédonie et la Corse.
Alors que la fin du processus de décolonisation s’amorce avec l’organisation d’un référendum d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie fin 2018, les dernières élections régionales corses se sont quant à elles achevées par la large victoire des indépendantistes et autonomistes.

Nouvelle-Calédonie : de la colonisation à la pleine souveraineté

Dans le contexte troublé des années 1980, le drame de la grotte d’Ouvéa fait frôler à la Nouvelle-Calédonie la guerre civile. Une vingtaine de gendarmes sont alors détenus dans une grotte par des indépendantistes kanak et l’intervention des forces spéciales et du Groupe d’intervention de la Gendarmerie Nationale (GIGN) se solde par la mort de dix-neuf kanak et deux militaires. Ces événements se produisent durant l’entre deux tours de l’élection présidentielle de 1988 opposant Jacques Chirac à François Mitterrand.
Michel Rocard, alors nouveau premier ministre, engage les pourparlers de paix qui aboutiront aux Accords de Matignon signés le 5 mai 1988, et ce malgré l’assassinat de J-M Tjibaou, leader du FLNKS (Front de Libération Kanak et Socialiste), le 4 mai 1989. Ces accords constituent ainsi une première étape vers l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Ceux-ci créent trois provinces sur l’archipel dotées d’une certaine autonomie et organisent un scrutin d’autodétermination prévu pour 1998.
Un second pas est franchi avec l’Accord de Nouméa signé le 5 mai 1998. Rendu applicable par une révision de la Constitution votée par le Parlement le 20 juillet 1998, de nouvelles dispositions propres à la Nouvelle Calédonie intègrent la Constitution en son titre XIII. L’article 76 organise le référendum du 8 novembre 1998 de ratification de l’Accord de Nouméa, à l’occasion duquel le « oui » l’emportera majoritairement.
Colonie française de 1853 jusqu’en 1946 puis territoire d’outre-mer jusqu’en 1999, l’Accord de Nouméa permet à la Nouvelle-Calédonie d’accéder au statut de collectivité « sui generis » d’outre-mer, dérogeant ainsi au statut des collectivités locales et renforçant considérablement son autonomie et les compétences transmises de l’Etat à la Nouvelle-Calédonie.

« Le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage. L’avenir doit être le temps de l’identité, dans un destin commun », préambule de l’Accord de Nouméa

« Le moment est venu de reconnaître les ombres de la période coloniale, même si elle ne fut pas dépourvue de lumière » : Reconnaissance du choc et du traumatisme de la colonisation française pour la population kanak,l’Accord de Nouméa, dont le préambule, ayant valeur constitutionnelle, reconnaît pleinement le peuple et l’identité kanak en tant que tels.
L’accès à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie est quant à lui organisé au terme d’une période de vingt ans. En effet, l’accord de Nouméa, prévoit, en son point 5, qu’une consultation des Calédoniens sera organisée quant au « transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité seront proposés au vote des populations intéressées » et que « leur approbation équivaudrait à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie ».

Référendum d’autodétermination : la médiation et la confiance au cœur de la négociation

En application des accords de Matignon de 1988 puis de l’accord de Nouméa de 1989, la Nouvelle-Calédonie devra se prononcer sur son indépendance totale et son accession à la pleine souveraineté à l’occasion d’un référendum d’autodétermination d’ici novembre 2018. A cet effet, une réunion du comité des signataires des accords de Nouméa s’est tenue le 2 novembre dernier à Matignon et a abouti à un « accord politique » sur la composition de la liste électorale au référendum. Véritable enjeu pour le gouvernement puisque l’accord initial ne visait que les habitants « historiques », arrivés avant le 31 décembre 1994 et justifiant de vingt et un ans de domiciliation, excluant ainsi de nombreux kanaks.
Empruntant les pas de Michel Rocard, le premier ministre, Edouard Philippe, en déplacement sur l’archipel début décembre, a poursuivi l’organisation de ce processus institutionnel. La médiation et la confiance sont clairement au centre de la négociation pour le premier ministre qui souhaite que « ce processus unique dans notre histoire puisse se dérouler calmement pour permettre une solution durable et pacifique pour la Nouvelle-Calédonie », démontrant une volonté accrue du caractère acteur de l’Etat dans ce processus. Entre respect des traditions et diplomatie, un plan sur l’organisation du référendum semble se profiler. En effet, il a été décidé que le Congrès du territoire devra se prononcer prochainement sur une proposition de date et de question posée au référendum. Par ailleurs, des groupes de travail et une « commission des sages » devraient être mis en place pour veiller à la bonne tenue de la campagne référendaire. Prochaine étape : la réunion en mars 2018 du comité des signataires à Paris.

Enjeux et obstacles à l’indépendance calédonienne

L’Etat français fait actuellement face à un processus inédit dans son histoire : l’indépendance d’une ancienne colonie qui serait la première depuis Djibouti en 1977 et Vanuatu en 1980.
Bien que les étapes décrites précédemment ne constituent que la mise en œuvre concrète des aspirations de décolonisation des pères des textes, cette consultation ne doit pas être sous-estimée, notamment au vu des ressources énergétiques de l’archipel. En effet, l’économie du nickel, principale ressource économique du territoire, représente 1/5 du PIB de la Nouvelle-Calédonie et 10 000 emplois. Cette filière constitue donc un enjeu stratégique lié au processus institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, d’autant que son marché s’est montré très fragile au cours des dernières années. L’objectif d’une stratégie commune est donc essentiel.
Autre aspect à ne pas négliger : malgré une prospérité apparente, de fortes disparités sont présentes en Nouvelle-Calédonie comme en témoigne le seuil de pauvreté deux fois plus élevé qu’en métropole.
Quant-au président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, Philippe Germain, il a finalement été élu après trois mois de blocage institutionnel et trois échecs successifs, période pendant laquelle le Congrès était contraint de traiter uniquement les affaires courantes. Cette sortie de crise in extremis avant l’arrivée du premier ministre sur l’archipel est la conséquence directe de la « volonté partagée d’ouvrir un dialogue approfondi entre les formations indépendantistes et non-indépendantistes » afin de préparer au mieux l’échéance du référendum en vue de préparer la consultation de 2018 et de garantir le bon fonctionnement des institutions.

Corse : envolée nationaliste

De même, les dernières élections territoriales qui ont eu lieu en Corse les 3 et 10 décembre derniers afin de composer une nouvelle collectivité territoriale unique à compter du 1er janvier 2018, requièrent une attention toute particulière, notamment en raison de la coalition intervenue entre les indépendantistes de Corsica libera et les autonomistes de Femu a Corsica. Celle-ci a offert une large victoire aux nationalistes, l’emportant avec 56,6% des suffrages exprimés.
Interrogé par l’Agence France Presse, Thierry Dominici, docteur en sciences politiques à l’Université de Bordeaux et spécialiste de la Corse, estime que « L’indépendantisme est dans l’imaginaire collectif, mais la volonté actuelle des Corses est d’avoir davantage d’autonomie ». C’est en effet l’ambition des indépendantistes et autonomistes, en l’occurrence Jean-Guy Talamoni et Gilles Simeoni. D’ores et déjà collectivité territoriale à statut particulier au sens de l’article 72 alinéa 1 de la Constitution, les vainqueurs des élections souhaitent une avancée significative dans l’autonomie, et notamment l’obtention d’un statut d’autonomie de plein droit et de plein exercice dans les trois ans et une mise en œuvre concrète dans les dix ans. La co-officialité de la langue corse est également une des revendications majeures.
Offensif, Jean-Guy Talamoni, demande à Paris « d’ouvrir très rapidement des négociations », à défaut de quoi des « manifestations populaires pourraient être organisées en cas de déni de démocratie. » Tout comme en Nouvelle-Calédonie, le gouvernement français se devra donc de mettre un point d’honneur au dialogue et à la confiance réciproque. Le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, s’est dit quant à lui favorable à « l’autonomie de la Corse dans la République française ».
Toutefois, malgré cette victoire historique, il convient de souligner que les élections régionales corses ont été marquées par une large abstention atteignant 47,5%.
Après la montée des populismes, la montée des régionalismes ne risquerait-elle pas de fragiliser plus encore l’Union européenne ?