Nos élus Provinciaux

vendredi 12 septembre 2014

DECLARATION DANS LE CADRE DE LA DISCUSSION GENERALE, portant création du comité de pilotage de St Louis

photo_rw(Délibération portant création du comité de pilotage de St Louis)
Assemblée de la province sud du jeudi 11 septembre 2014
 







Monsieur le président,
               Le projet de délibération qui nous est soumis tombe à point nommé compte tenu de la situation de la tribu de St Louis avec ses évènements graves à répétition qui égrènement le quotidien de la population tribale et du mont dore depuis quelques mois. Il suffit encore une fois de se reporter aux nouvelles de ce jour pour s’en rendre compte. Je saisis donc l’opportunité qui m’est donnée pour poser   brièvement, au nom de notre groupe,  le cadre historique et sociologique de ce projet. 

Les actes de délinquance et d’incivilités,  ne sont que la partie émergée de l’iceberg, ils sont le révélateur d’un malaise profond de la société kanak dans son ensemble, qui après avoir affronté un système colonial violent et déstabilisant, se trouve confrontée désormais à un système économique et politique dans lequel le kanak en général et la jeunesse  en particulier, et notamment celle de St Louis, peine à trouver sa place pleine et entière.
La tribu de St Louis à elle seule porte tous les stigmates d’une histoire coloniale faite d’occupation foncière, de révoltes, de répression et de déplacement de population contrainte à se retrouver dans un espace occupée et dédiée à l’évangélisation. L’Eglise catholique avait fait de cet espace après les grandes révoltes kanakes du sud et la mort des deux grands chefs : Kandjo (Mont Dore) et Kuindo(Païta) en 1859, une base arrière solide pour l’expansion de la mission non seulement en Nouvelle Calédonie mais aussi pour les diocèses voisins : Nouvelles Hébrides, Salomon, Wallis etc. A tel point que St Louis avait été désigné comme le « petit Vatican » du pacifique avec des écoles, une ferme, des  plantations de riz et de canne à sucre, une rhumerie, un centre de formations des cadres de l’église : moniteurs, catéchistes, séminaires, noviciat etc.
Sous l’autorité des missionnaires, les kanak ont été regroupés en quatre quartiers suivant leur origine géographique et linguistique : St Paul pour les clans et familles de Touho et Poindimiè, arrivés avec les premiers missionnaires en 1856, St Jean pour les clans expulsés de leur terre du mont dore, Dumbéa, Tiati et Nouméa, St Thomas pour les clans de Païta, St Tarcisius pour les clans de la région de La Foa exilés après la grande révolte d’Atai en 1878. Il convient de même d’ ajouter les familles originaires de l’Ile Ouen regroupés aussi à St Louis. A tour de rôle la chefferie a été assurée par les responsables coutumiers de Touho, du Mont Dore puis de Païta,et plus spécialement par le clan KAMBWA, famille WAMYTAN, de 1892 à nos jours. Ce regroupement hétéroclite mais sous une apparente cohésion, a même servi de modèle pour l’église fière de sa méthode de réduction comme méthode d’évangélisation  constituant à couper la personne de sa culture et de sa communauté d’origine pour en faire un bon chrétien digne du salut éternel. Ces réductions ont d’ailleurs été aussi testées par les jésuites en Californie et au Paraguay.
L’apparence tranquille et idyllique des kanak dits civilisés et catéchisés sous la houlette des bons pères missionnaires qui réglaient au millimètre prés la conscience des fidèles et leur organisation sociale, cachaient en fait des refoulements et des frustrations inimaginables qui allaient constituer au fil du temps, soit de 1859 à l’aube des années 1980, un ensemble d’ingrédients prêt à s’enflammer à la moindre étincelle. Dès que l’étau de l’église s’est desserrée sur la tribu dans les années 1960 et 70, les forces de revendications nées du mal être profond, des clans et des chefferies éparses regroupées là sous la contrainte, se sont déchainées soit à petite dose, soit dans des mouvements difficilement maitrisables à l’exemple du conflit de l’ave maria. Ajoutant à la confusion une nouvelle chefferie, celle de MOYATEA, même si la légitimité historique pouvait se comprendre, se mettait en place dès 1983, participant à la division de la tribu. En effet à l’instar des divisions de religions, deux chefferies, deux chefs se partageaient l’autorité sur un même espace, pour une même population, chacun presqu’à titre individuel était tenu de se positionner pour ou contre WAMYTAN ou MOYATEA.
De tout temps la population de St Louis s’est organisée et levée pour défendre son identité,  sa dignité et ses intérêts :à la création de l’UICALO au lendemain de la seconde guerre mondiale, aux évènements de 1958 pour défendre le gouvernement de l’union calédonienne, durant les évènements de 1984 et 1988, pour le combat de l’accès à la ressource pour l’usine du Nord en 1998, contre l’usine du sud au côté du comité Rhebu nu, au moment des grèves d’Air Cal en 2009. Ces derniers mois la jeunesse s’est ainsi mobilisée contre l’usine de Vale Inco à la suite des fuites d’acide du 7 mai 2014. Cette mobilisation prenant parfois  une forme de délinquance avec un aspect particulier de rébellion contre le système en place.
Si St Louis a été de tous les combats, cette situation particulière a aussi fait l’objet de manipulation et d’instrumentalisation destinées à discréditer des combats légitimes de sa population. De même la délinquance au sens strict qui concerne une quarantaine de jeunes sur près de 800 de moins de 25 ans que compte la tribu, s’est parfois infiltrée dans les luttes politiques ou à but économique ou de défense de l’environnement. Cela a alimenté la confusion et participé au discrédit du combat contre l’usine de Vale Inco par exemple. 
Pour une population d’environ 1300 personnes, nous avons ainsi deux chefferies, plus celle de l’Ile Ouen, donc  trois autorités, une jeunesse revendicative, qui peine à trouver sa place. Tout cela baigne dans un processus de revendication politique d’indépendance symbole d’une dignité et d’une liberté à reconquérir. Par ailleurs il convient d’y ajouter des revendications d’ordre économique et environnementale de même que des revendications d’espace vitale nécessaire au bien-être et  à sa propre survie afin d’échapper à ce sentiment d’étouffement constitué par le développement urbain du mont dore, développement inhérent à une société calédonienne en pleine mutation. Comment alors se faire entendre sous ces conditions et dans cet espace confiné géographiquement et mentalement qui fait de St Louis une zone de non droit et oublié, du genre « cote oubliée » ?
Une partie de la réponse a souvent été la route territoriale puis provinciale qui traverse la tribu ! C’est le lieu de fixation de toutes les frustrations, les refoulements et l’insatisfaction de la population. Cette route est devenue au fil du temps un instrument pour faire entendre sa voix inaudible autrement. A la moindre revendication, les gens se précipitent sur cette route pour manifester son mécontentement ou parfois sa joie. Toutes les avancées significatives obtenues sont parties des manifestations et barrages sur cette route. Mais hélas des drames sont aussi partis de cette route et notamment le conflit de l’Ave Maria qui a débuté lorsque cette route fut occupée non pas par les kanak de St Louis mais par la communauté wallisienne et futunienne. Cette route est aussi devenue le cauchemar des biens pensants mais hélas aussi pour ceux qui habitent au mont dore. Certains prétendent qu’en contournant cette route, le problème de la libre circulation sera réglée, peut-être, mais en tout cas  le problème de fond de St Louis restera lui entier si c’était le cas.
L’autre réponse plus adéquate est bien sur  le comité de pilotage objet de la délibération que nous examinons, un comité de pilotage que nous appelons de tous nos vœux depuis plusieurs années. Aussi je saisis l’opportunité de cet examen pour remercier au nom du groupe, l’initiative du président Philippe MICHEL ainsi que son prédécesseur Philippe GOMES dans leur volonté de réanimer un comité de pilotage mis en sommeil depuis presque quatre ans pour des raisons que je peux comprendre mais que je ne partage pas.
Il s’agit avec ce comité de pilotage, de créer un espace de parole, de concertation et d’initiative réunissant l’ensemble des parties prenantes du dossier de St Louis. Nous espérons en tout cas que compte tenu des graves problématiques relatives à la tribu de St Louis, et plus particulièrement à sa jeunesse, ce comité de pilotage poursuivra le travail de fond sur du long terme et non plus de façon saccadée en fonction des intérêts du moment, ou lorsque les caillassages reprennent et que les voitures brulent au bord de la route.
Je vous remercie 

R.WAMYTAN