L’envergure
des chantiers et les défis technologiques que constituent la mise au
point du procédé HPAL pour VNC et du procédé de fusion par lit fluidisé
utilisé dans les cimenteries pour KNS, ne sont pas les seules raisons
expliquant les contre-performances industrielles. Ces dernières sont
malheureusement confortées par l’irresponsabilité et l’immaturité de la
classe politique propre au microcosme calédonien. Le nickel est en fait
bien plus important pour la Nouvelle-Calédonie qu’elle ne l’est en
réalité pour l’économie mondiale du nickel. L’accès à la ressource
minière ne peut se départir de la revendication foncière, la
souveraineté partagée des guerres de légitimité. Les rapports de
force sont exacerbés et rendent donc impossible la mise en place d’un
schéma industriel concerté, efficace et cohérent au niveau du
territoire. Le manque de culture industrielle des collectivités
publiques, l’esprit partisan qui gouverne les institutions,
l’instrumentalisation des groupes de pression, ont tour à tour rendu la
tâche techniquement difficile pour les industriels. Le libéralisme
subventionné de l’économie locale, l’incapacité de la société civile à
contrôler l’action de ses représentants, son manque de compréhension et
de dialogue, sont autant d’écueils que la Nouvelle-Calédonie n’a pas su
éviter par manque d’esprit démocratique que la République française
n’a jamais vraiment su faire sienne, ni insuffler à ses dépendances
ultramarines. Aussi, du Nord au Sud de la grande terre calédonienne,
même si le contenu idéologique diffère sensiblement, même si les
légitimités s’opposent de manière péremptoires, les méthodes de
gouvernance des collectivités publiques sont strictement les mêmes. Et
si les promesses de transparence et de concertation restent lettre
morte, c’est parce que l’Etat, le Gouvernement et les Provinces n’ont
tout simplement pas les moyens de faire valoir leurs orientations
stratégiques en matière de nickel – si tant est bien sûr qu’ils soient
encore en mesure d’en définir une.
La montée au capital des collectivités publiques dans SLN. Un
tel objectif défendu par les collectivités publiques met en œuvre des
moyens qui ont pour effet collatéral de déstabiliser une entreprise, qui
malgré ses carences, est à la fois le premier employeur et contribuable
du territoire. Or s’il appartient aux multinationales étrangères de
continuer ou pas à soutenir financièrement leurs filiales calédoniennes,
il est de la responsabilité des collectivités publiques de soutenir
SLN. La Nouvelle-Calédonie détient 34% du capital de l’entreprise et les
trois provinces rêvent bien sûr de devenir majoritaire (1)
pour percevoir encore plus de dividendes et (2) pour prendre le contrôle
de son domaine minier à des fins mercantiles. Mais en aucun cas, ces
dernières semblent être disposées à jouer leur rôle
d’actionnaire. Pourtant, fortes de leur minorité de blocage, les
collectivités publiques disposent déjà des moyens qui leur auraient
permis, par exemple, de s’opposer à la distribution de 90 milliards de
dividendes en 2012-13. Les trois provinces auraient très bien pu
favoriser l’investissement et faire le choix de l’accroissement de
compétitivité. Mais elles ont préféré satisfaire des besoins immédiats
et inavouables. Du Nord au Sud en passant par les Iles, qu’ils
soient indépendantistes ou pas, les exécutifs provinciaux ont préféré
continuer à se servir et à servir les intérêts discrets du clientélisme
qui les portent et les maintiennent au pouvoir. Oscillant entre
complicité malveillante et irresponsabilité désobligeante, elles
ont préféré renflouer les caisses de leurs sociétés d’économie mixte
largement déficitaires plutôt que d’investir dans leur outil de
production. Ceci ne les a cependant pas empêchés de dénoncer
l’irresponsabilité de l’actionnaire principal qu’est Eramet. Aujourd’hui
encore, les parlementaires calédoniens en appellent conjointement au
Chef de l’Etat pour que ce dernier s’assure qu’Eramet joue bien son rôle
d’actionnaire. Il est clair qu’au-delà de ce qu’il véhicule comme
démagogie, ce déni de responsabilité n’augure rien de bon pour la survie
et la compétitivité de l’entreprise si la Nouvelle-Calédonie devait un
jour monter à 50,1%. Dieu nous en garde, d’autant que même si cela était
encore possible, la prise de majorité du capital de SLN par STCPI ne
réglera pas le vrai problème qui est celui de la compétitivité et d’une
société qui détient 53% de la surface minière concédée du territoire et
génère quelques 2400 emplois directs. La montée au capital de 34% à
50,1% ne procurerai donc pas plus de dividendes au territoire et lui
imposerait au contraire les obligations d’un actionnaire responsable et
solvable, obligations que les provinces ne sont visiblement pas prêtes à
assumer. Mais en dépit des pressions politiques ces dernières ne
peuvent ni contraindre juridiquement Eramet à procéder à l’option
d’échange, ni espérer voir l’Etat acheter ces actions pour les leur
transférer. Bien sûr, certain vous diront qu’un accord
« gagnant-gagnant » entre SLN et SMSP fait partie de la solution. Mais
il s’agit d’un faux-semblant tout autant que d’une posture politique.
Cela permet tout au plus de passer l’éponge lorsque le vulgaire calcul
politique et les propos intransigeants qui l’accompagne ont exacerbé
au-delà du raisonnable la lutte fratricide pour le contrôle de la
ressource minière. Il s’agit d’un vœu pieu car les antagonismes sont
continuellement exacerbés par l’instrumentalisation des syndicats
fortement politisés et des organisations environnementales tout
simplement partisanes, mais aussi par la récente nomination d’André Dang
à la tête de STCPI. Même si la vieille dame aide l’intrigante à fournir
du petit minerai à l’usine de POSCO, ce qui est le cas, même si cette
dernière peut se fournir aux Philippines, ce qui est plus délicat
vis-à-vis de POSCO, le contrat commercial entre les deux co-entreprises
est à la faveur du partenaire coréen. Et même si la filière offshore est
apparemment plus profitable dans sa globalité que la transformation
locale de minerai riche et l’exportation brute de minerai pauvre, c’est
bien au profit de POSCO puisqu’en dépit des 51% de SMSP la majorité des
profits de l’usine ne revient pas – et ne reviendra pas – en
Nouvelle-Calédonie. Il s’agit donc un puits sans fond !
L’arrêt des exportations de minerai « brut ». Le
traitement de cette question par les institutions calédoniennes
(Provinces, Congrès et Gouvernement), atteint les summums de la
mal-gouvernance et est digne d’un sitcom dont les républiques bananières
ont pourtant le secret. L’arbitraire, la censure et l’opacité sont à
leur comble lorsque le Gouvernement refuse d’accéder aux demandes
d’autorisation de minerai latéritique vers la Chine sous prétexte que
l’australien Queensland Nickel est prêt à acheter l’ensemble du minerai,
alors qu’il est de notoriété publique – maintes fois réaffirmée sur
Calédonickel – que l’opérateur australien rencontre de sérieuses
difficultés et qu’il n’est donc pas opportun de priver les petits
mineurs d’une filière de remplacement pour des latérites fatales que le
territoire ne peut pas traiter et doit évacuer. Dans ce dossier, le
Gouvernement a été tout sauf impartial. S’agissant de la Corée, il en
est de même. Il force les petits mineurs et SLN à fournir l’usine
offshore au détriment de leurs propres exportations, ce qui revient in fine
à limiter la concurrence existante avec le Japon, tout en accroissant
l’avantage compétitif de POSCO. D’une part, à teneurs égales le petit
minerai fourni donne lieu à des pénalités plus importantes pour les
livraisons en Corée qu’au Japon et d’autres part, au lieu de distribuer
l’intégralité des bénéfices, POSCO contraint sa filiale à réinvestir une
partie substantielle des profits tirés du traitement du minerai
calédonien dans l’outil de production en Corée. Le Gouvernement est
allé à l’encontre des avis du Congrès qu’il a pourtant lui-même saisi
sur la question. Or conformément aux dispositions en vigueur, les
exportations de minerai vers la Corée sont réglementées, au même titre
que les autres destinations. Le schéma ne fait en effet pas de
distinction entre le brut par nature et destination, car dans tous les
cas il s’agit bien d’exportations de minerai et non de métal produit
localement. Pourtant, pour des raisons purement politiques, le
Gouvernement s’est prononcé pour l’arrêt des exportations de minerai
autres que ceux destinés à l’usine offshore. Pour quelle raison ? La
soi-disant « rente métallurgique » qui n’existe pas, « l’usine pays » de
POSCO qui retourne juste ce qu’il faut de dividendes pour compenser les
pertes de la mine, ou encore le fait que les exportations de minerai
augmentent sensiblement alors qu’elles sont surtout le fait de la Corée
et de la Chine par l’intermédiaire de Nickel Mining Company (NMC)?
Forcer les mineurs à fournir l’usine de POSCO en les empêchant
d’exporter au Japon ne repose sur aucun critère économique objectif (art
R132-7-1) du code minier. D’ailleurs, les fondements mêmes du « cas par
cas » invoqué sont purement arbitraires et ne répondent à aucune
logique économique d’intérêt général. Si la société Maï Kouaoua Mines a
finalement et immédiatement reçu l’aval du Gouvernement pour
exporter son minerai en Chine et au Japon, cela provient simplement du
fait qu’elle dispose du soutien politique de l’Union Calédonienne sans
qui la coalition UNI-CE n’a pas de majorité. Il en est de même pour NMC
qui fut autorisée à doubler ses volumes d’exportation de minerai vers la
Corée. Mais il est vrai que l’autorisation de passer de 1,8 à 3,7
millions de tonnes par an sur une longue durée permet de faire
perdurer l’illusion du partenariat « gagnant-gagnant » et évite de
monter les limites du partenariat. En effet, une clause résolutoire au
contrat prévoit qu’en cas de non-respect de l’obligation de fournir le
minerai, il peut être mis fin au partenariat : SMSP se verrait dans
l’obligation de céder sa participation de 51% dans SNNC et de récupérer
les 100% de NMC possédant les vieilles mines épuisées et
polluantes. Pour continuer à se voiler la face, la Nouvelle-Calédonie
devra donc continuer à fournir du minerai à POSCO.