Deux grèves générales ont marqué l’été en Kanaky (Nouvelle-Calédonie)...
Début
 août, le syndicat kanak indépendantiste USTKE, a exigé un rééquilibrage
 dans l’emploi et les responsabilités moins défavorable aux Kanaks. Le 1er septembre,
 une intersyndicale menée par le syndicat USOENS lié à la CFDT a lancé 
une grève contre la vie chère (les prix sont 35 % supérieurs à ceux de 
la métropole, 89 % pour l’alimentaire) et pour soutenir une loi, votée 
ce jour-là, encadrant les bénéfices des patrons pour faire baisser les 
prix.
Délimitant deux orientations politiques, ces conflits sont 
sous-tendus par l’échéance de 2018, terme du processus de décolonisation
 signé par les différentes parties en 1998, où le peuple devrait décider
 par référendum du type de souveraineté qu’il souhaite.
En 2014, 
les élections ont donné une majorité aux non-indépendantistes, plutôt 
liés à l’UDI française,  dans un rapport de forces démographique 
défavorable aux Kanaks qui ne représentent que 40 % de la population. En
 l’état actuel des intentions de vote, les indépendantistes ne semblent 
pas pouvoir l’emporter.
Le soulèvement kanak des années 1970-1980 
avait poussé au « développement » d’une île figée dans un apartheid 
colonial où les Kanaks végétaient dans la misère face à des Européens à 
la richesse insolente. Depuis, beaucoup de choses ont changé. Avec un 
taux de croissance de 3 à 4 % dû à l’industrie du nickel, l’île s’est 
transformée : réseau électrique, routes, adduction d’eau, habitat, 
hôpitaux, écoles, centres culturels. Une classe moyenne est apparue, et 
des unions mixtes et une parole critique d’artistes, écrivains, 
journalistes présentent pour des jeunes métissés plus d’espoirs que le 
débat politique. Nombre d’ouvriers, d’intermittents, chassés par la 
crise en Europe, se sont engouffrés dans cette embellie calédonienne. 
Acceptant des salaires plus bas que les locaux, ils entrent en 
concurrence avec les Kanaks. Mais aujourd’hui le prix du nickel 
s’effondre. La bulle calédonienne pourrait éclater...
Le spectre de l’indépendance resurgit
Les
 tensions se multiplient d’autant plus que les inégalités se sont 
creusées. Dans les zones rurales, sur la côte Est, dans les îles Loyauté
 ou autour de Nouméa, la paupérisation a marginalisé bien des jeunes 
Kanaks qui rejettent par ailleurs les pratiques coutumières. 27 % de 
chômage chez les Kanaks, 7 % chez les autres ; 30 % de chômage dans le 
Nord et les îles, 8 % dans le Sud ; 9 % de Kanaks exercent des 
responsabilités, 91 % pour les autres. Une partie de la jeunesse kanak 
sort très tôt du système scolaire, ne trouve pas d’emploi et finit dans 
la prison du « Camp Est » à Nouméa, la pire de France, peuplée à plus de
 95 % de Kanaks et Océaniens.
Les luttes sociales, récurrentes 
mais politiquement différentes, soit contre les prix, soit pour le 
rééquilibrage des emplois et des responsabilités, sont habitées de ces 
contrastes. De nombreux conflits sociaux radicaux ont éclaté ces 
dernières années. En 2009, Gérard Jodar, dirigeant de l’USTKE, a été 
condamné à un an de prison ferme.
Les indépendantistes de 
1970-1990 cherchaient la conquête des institutions, construisant 
bibliothèques, complexes culturels, lotissements, zones artisanales. 
Mais le chômage et les positions prises (notamment dans la principale 
usine de nickel où ils sont majoritaires en collaboration avec le 
capitaliste Glencore) avivent les dénonciations d’affairisme et de 
compromission. Ainsi, à la manifestation du 1er septembre, on
 pouvait entendre la revendication de pouvoir aux ouvriers et la 
dénonciation de ces patrons de tout bords qui gouvernent l’île.
Le
 projet d’indépendance kanake socialiste resurgit, Alimenté par les 
indépendantistes du Parti travailliste ou de l’USTKE qui refusent les 
options capitalistes mais aussi par le Sénat coutumier qui ravive la 
question culturelle identitaire et relance la légitimité kanake, 
dénonçant l’argent roi, faisant prévaloir un discours et une pratique 
économique égalitaristes. Ainsi, il apparaît que la légitimité du droit à
 l’indépendance ne peut être séparée du pouvoir aux Kanaks pauvres. Et 
s’il est probable que le référendum sera encore repoussé au profit d’une
 solution négociée, « gare aux convulsions » !
Jacques Chastaing