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dimanche 3 septembre 2017

Millau : Un petit bout de Kanaky

Millau : Un petit bout de Kanaky La cérémonie de réconciliation des trois veuves s’est déroulée en 2005 sur le Larzac, en présence de José Bové.

De nombreux espoirs communs ont soudé les anciens de la lutte au peuple autochtone.

Larzac, 12 juin 2005. Sur la parcelle de terre qui leur a été offerte, les kanak s'apprêtent à vivre, aux côtés des paysans du plateau devenus leurs amis, un moment lourd de sens. Trois veuves du peuple autochtone sont présentes.L'une épleurée par l'assassinat, le 4 mai 1989, de son mari Jean-Marie Tjibaou, figure du nationalisme kanak, l'autre par la perte, le même jour, de son cher Yeiwéné Yeiwéné, également engagé pour son peuple.
La troisième tient un rôle plus difficile encore. Son mari, Djubelly Wéa, a tué les deux hommes, avant d'être abattu à son tour. Marie-Claude Tjibaou, Hnadrune Yeiwéné et Manaki Wéa sont pourtant venues porter un message de paix.Après des années passées à arpenter le chemin du deuil, les veuves scellent leur réconciliation sur le Larzac.

Une cause commune

Le drame de leur vie commence à la même époque où s'est tissé le lien qui les unies à ceux de la lutte du Larzac, vingt ans plus tôt, au début des années 1980.
A cette période, les paysans de la lutte crient victoire, le projet d'extension du camp militaire est abandonné. Marizette Tarlier, pilier historique du combat, s'en souvient. «On avait gagné, mais on ne voulait pas rester dans nos terres sans rien faire, c'était impossible.» Un appel des avocats qui les a aidées dans leur combat sur le plateau vient la conforter dans cette idée. «On avait gardé des liens très forts avec eux, ils s'occupaient toujours un peu de nous parce qu'il y avait des choses à la traîne, se rappelle l'octogénaire. Ils nous ont téléphoné pour nous prévenir d'une manifestation qui se tenait à Paris pour la cause des Kanak, en nous disant qu'il serait super que nous y allions.»
La bagarre de ce peuple contre la colonisation de leur territoire par l'Etat français s'engage alors. Ils choisissent d'être représentés par les avocats du Larzac.François Roux, Jean-Jacques De Felice et Michel Tubiana, ceux qui avaient permis l'abandon du projet d'extension du camp. Ni une ni deux, voilà les Larzaciens et leurs avocats engagés aux côtés de ce peuple privé de ses terres, rejeté de Nouvelle-Calédonie.


«Ils s'étaient pris d'amitié pour nous»


La première rencontre entre les “deux” tribus est si concluante que des liens d'amitié sont tissés. Une nouvelle visite est organisée. «Jean-Marie Tjibaou et Léopold Jorédié sont venus sur le plateau en avril 1985.» Kanak et Larzaciens s'appellent régulièrement. « Ils s'étaient pris d'amitié pour nous, sourit l'ancienne agricultrice. Ils étaient vraiment intéressés par le devenir du Larzac.»
Lorsque Jean-Marie Tjibaou et son bras droit Yeiwéné Yeiwéné se rendent en terre aveyronnaise, c'est chez Marizette et son époux, feu GuyTarlier, qu'ils couchent. Le couple se rend lui aussi, à plusieurs reprises, à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie. Ces échanges perdurent régulièrement jusqu'en 1988, l'année où Jean-Marie Tjibaou signe les accords de Matignon. «Il avait perdu plusieurs de ses frères dans une embuscade, il commençait donc à s'intéresser de près à la non-violence», explique-t-elle. La lutte pacifiste, voilà le principal point commun des Larzaciens et des Kanak.En visite sur le plateau cette année-là, Jean-Marie Tjibaou décide, avec les gens du Larzac, de planter un arbre, l'arbre de la liberté, sur une parcelle de terre symboliquement offerte au peuple kanak. «C'était important pour nous qu'ils aient un bout de terre, reprend l'octogénaire. Qu'on pose réellement notre soutien pour eux.» L'amitié entre les deux communautés était scellée.


« Pour moi, ça a été l'horreur»


Une année s'écoule. Le 4mai1989, Jean-Marie et Yeiwéné Yeiwéné se rendent à Ouvéa pour rendre hommage aux victimes du massacre qui a frappé l'île l'année précédente.Ils y sont tous les deux assassinés par Djubelly Wéa, farouchement opposé aux accords de Matignon. Le meurtrier est immédiatement abattu par Daniel Fisdiépas, officier de police judiciaire, à l'époque chargé de la sécurité de Jean-Marie.La nouvelle ne tarde pas à arriver jusqu'au Larzac. «Pour moi, ça a été l'horreur d'apprendre ce qui s'est passé.En 1989 ou 90, on est retournés en Nouvelle-Calédonie, explique Marizette.Mais c'était difficile. »
La douleur est terrible, le deuil s'installe tant sur le Larzac que chez les Kanak. Deux ans après le drame, Manaki Wéa, la veuve du meurtrier, souhaite se réconcilier avec les femmes de Jean-Marie Tjibaou et Hnadrune Yeiwéné. Mais il est trop tôt pour obtenir une réponse. La rancœur sévit encore.
En 1999, les deux femmes finissent par entendre l'appel de Manaki Wéa et engagent la discussion. Jusqu'au 17 juillet 2004, date où la famille Tjibaou se soumet à la coutume du pardon, à Hienghène. Une cérémonie qui donnera lieu, le 12 juin 2005, à un rassemblement sur le Larzac, une manière d'amener ce retour à la paix jusqu'ici. Lorsqu'elles se retrouvent sur le plateau en cet après-midi d'été, toutes les trois accompagnées de leurs enfants, face aux anciens de la lutte, chacune explique son chagrin, ses aventures et ses envies de paix. La non-violence fait encore ses preuves.«C'était un moment très fort, elles étaient toutes là, témoigne Marizette. Même le garde du corps qui avait tué le mari de Manaki.C'était extraordinaire, on a beaucoup pleuré. » La sagesse, l'écoute et les cérémonies de réconciliation ont mené les trois veuves jusqu'à ce pardon long de dix ans.Un pardon scellé sur la terre aveyronnaise.Sur le Larzac, si cher au cœur de ces hommes de foi aujourd'hui disparus.

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