La saga de l'été
Le 18 mars 1962, à 17h, les délégations algérienne et
française signent à Évian un accord qui reconnaît les droits légitimes
de l'Algérie une, souveraine et indivisible. Après 132 ans de
colonisation et 8 ans de guerre d'indépendance, le gouvernement
provisoire de la République algérienne venait de remporter la victoire
politique.
Dimanche 18 mars, les négociateurs réunis à
Évian-les-Bains, en Haute-Savoie, s'étaient donné rendez-vous en fin de
matinée pour la lecture finale des 98 pages de l'accord conclu après 18
mois de négociations houleuses. Le sentiment de surprise domine cette
journée historique. La signature devait avoir lieu immédiatement après
le déjeuner. Mais au moment de se retrouver pour signer, Belkacem Krim,
vice-président du Conseil du Gouvernement provisoire de la République
algérienne (GPRA), le plus habile des négociateurs, propose une ultime
lecture. Louis Joxe, ministre d'État chargé des Affaires algériennes,
jette un regard surpris en direction de l'un de ses collaborateurs,
« avant de lui demander d'avertir l'Élysée qu'il rappellera dans une
heure et demie ».
La scène est décrite par Redha Malek, porte-parole de la délégation
algérienne et auteur de L'Algérie à Évian, dans un récit mêlant à la
fois l'analyse de quatre ans de négociations secrètes et le témoignage
vivant de ce que fut l'action politique et diplomatique du Gouvernement
provisoire de la République algérienne. Malek rapporte cette scène où
« les membres de la délégation française (lisent), tour à tour et à
haute voix, les 98 pages des accords. Nous suivons studieusement sur nos
documents. Il n'y a qu'une seule interruption au sujet d'un alinéa de
la Déclaration des garanties : "Les nationaux français nés en Algérie ou
justifiant de dix années de résidence habituelle..."
L'erreur – une coquille de taille ! – résidait dans la substitution du "ou" au "et". » De nouveau, au moment de signer le texte des accords, la délégation algérienne regarde les trois ministres français parapher tour à tour le document, Belkacem Krim interroge du regard le secrétaire général du GPRA, Saad Dahlab, et le ministre de l'Intérieur du GPRA, Lakhdar Ben tobbal, « Dahlab le sort d'embarras en déclarant que pour ce qui est de l'Algérie, seul le chef de sa délégation est habilité à signer », relève Malek. Passé ces quelques secondes d'hésitation où Belkacem songeait au poids de cette responsabilité qui lui revenait, il paraphe le document et « assume pour la postérité son acte historique, en toute simplicité, sous le regard ému de ses collègues ».
L'erreur – une coquille de taille ! – résidait dans la substitution du "ou" au "et". » De nouveau, au moment de signer le texte des accords, la délégation algérienne regarde les trois ministres français parapher tour à tour le document, Belkacem Krim interroge du regard le secrétaire général du GPRA, Saad Dahlab, et le ministre de l'Intérieur du GPRA, Lakhdar Ben tobbal, « Dahlab le sort d'embarras en déclarant que pour ce qui est de l'Algérie, seul le chef de sa délégation est habilité à signer », relève Malek. Passé ces quelques secondes d'hésitation où Belkacem songeait au poids de cette responsabilité qui lui revenait, il paraphe le document et « assume pour la postérité son acte historique, en toute simplicité, sous le regard ému de ses collègues ».
Benyoucef Benkhedda, président du GPRA, annonce le cessez-le-feu le 19 mars 1962 sur les ondes de la radio tunisienne.
Fermeté implacable
En ce dimanche de mars, les deux délégations signent donc un accord historique prévoyant le passage de l'administration coloniale française à la future administration de l'État algérien indépendant. Les accords d'Évian comprennent un accord militaire de cessez-le-feu, qui doit mettre fin « à toute action armée » le 19 mars à 12 heures, et interdire « tout recours aux actes de violence individuelle et collective », ainsi que « toute action clandestine et contraire à l'ordre public ». Tous les prisonniers doivent être libérés. Les forces militaires françaises se voient reconnaitre le droit d'une libre circulation jusqu'au référendum sur l'autodétermination qui doit se tenir dans un délai de 3 à 6 mois, mais en évitant tout contact avec les forces du FLN. Des commissions mixtes sont chargées du règlement des litiges qui surviendraient au cours de cette période. Une déclaration politique prévoit également, durant cette période de transition, le partage des compétences entre un exécutif provisoire franco-algérien disposant d'une force locale, et un haut-commissariat garant de l'ordre public en dernière instance. Cette déclaration reconnaît le principe de souveraineté de l'Algérie indépendante, garantit les libertés et la sécurité de tous ses habitants, et énumère la base de la coopération franco-algérienne.
Depuis le discours du général de Gaulle du 19 septembre 1959, qui proposait aux Algériens l'autodétermination, la route avait été longue et les conditions d'un accord âprement discutées. L'excès de préalables dans le jeu diplomatique, et les nœuds du Sahara et des droits de la minorité européenne avaient fait capoter à plusieurs reprises une solution négociée. Depuis la première rencontre secrète à Lucerne, le 20 février 1961, entre Georges Pompidou et le tandem Ahmad Boumendjel, conseiller politique du GPRA, et Tayeb Boulahrouf, représentant du GPRA à Rome, la partie algérienne s'est montrée d'une fermeté implacable sur les questions de l'unité de la nation, de la souveraineté et de l'intégrité territoriale dans les frontières du 1er novembre 1954 qui excluaient de renoncer au Sahara riche en pétrole et en gaz, et base avancée des essais nucléaires de la France. Pour sortir de l'impasse, Paris avait suggéré que s'engagent les discussions officielles sans préalables tout en relevant l'impossibilité de parvenir à une décision politique avant la conclusion d'un cessez-le-feu. Après avoir cédé sur la plupart de ses exigences initiales, c'est finalement à Évian que la France signe dimanche 18 mars à 17h les accords qui mettent fin à 132 de colonisation et préparent son départ.
En ce dimanche de mars, les deux délégations signent donc un accord historique prévoyant le passage de l'administration coloniale française à la future administration de l'État algérien indépendant. Les accords d'Évian comprennent un accord militaire de cessez-le-feu, qui doit mettre fin « à toute action armée » le 19 mars à 12 heures, et interdire « tout recours aux actes de violence individuelle et collective », ainsi que « toute action clandestine et contraire à l'ordre public ». Tous les prisonniers doivent être libérés. Les forces militaires françaises se voient reconnaitre le droit d'une libre circulation jusqu'au référendum sur l'autodétermination qui doit se tenir dans un délai de 3 à 6 mois, mais en évitant tout contact avec les forces du FLN. Des commissions mixtes sont chargées du règlement des litiges qui surviendraient au cours de cette période. Une déclaration politique prévoit également, durant cette période de transition, le partage des compétences entre un exécutif provisoire franco-algérien disposant d'une force locale, et un haut-commissariat garant de l'ordre public en dernière instance. Cette déclaration reconnaît le principe de souveraineté de l'Algérie indépendante, garantit les libertés et la sécurité de tous ses habitants, et énumère la base de la coopération franco-algérienne.
Depuis le discours du général de Gaulle du 19 septembre 1959, qui proposait aux Algériens l'autodétermination, la route avait été longue et les conditions d'un accord âprement discutées. L'excès de préalables dans le jeu diplomatique, et les nœuds du Sahara et des droits de la minorité européenne avaient fait capoter à plusieurs reprises une solution négociée. Depuis la première rencontre secrète à Lucerne, le 20 février 1961, entre Georges Pompidou et le tandem Ahmad Boumendjel, conseiller politique du GPRA, et Tayeb Boulahrouf, représentant du GPRA à Rome, la partie algérienne s'est montrée d'une fermeté implacable sur les questions de l'unité de la nation, de la souveraineté et de l'intégrité territoriale dans les frontières du 1er novembre 1954 qui excluaient de renoncer au Sahara riche en pétrole et en gaz, et base avancée des essais nucléaires de la France. Pour sortir de l'impasse, Paris avait suggéré que s'engagent les discussions officielles sans préalables tout en relevant l'impossibilité de parvenir à une décision politique avant la conclusion d'un cessez-le-feu. Après avoir cédé sur la plupart de ses exigences initiales, c'est finalement à Évian que la France signe dimanche 18 mars à 17h les accords qui mettent fin à 132 de colonisation et préparent son départ.
Le général Charles de Gaulle, président de la République française, annonce lors d'une allocution télévisée le cessez-le-feu conclu à Évian.
Rupture mémorielle
Après le paraphe de l'accord, le ministre d'État aux Affaires algériennes prend la parole. Dans l'audience, le silence est « d'une exceptionnelle gravité ». Louis Joxe accueille avec soulagement la fin de ce marathon diplomatique et « exprime le vœu que les uns et les autres soient à la hauteur des nouvelles tâches de la paix. Une poignée de main entre les membres des deux délégations, qui s'en étaient abstenus jusqu'ici, scelle l'accord et la réconciliation. Il est 17h30 », note Redha Malek. Pas de déferlement d'enthousiasme côté français, même si les membres de la délégation peuvent enfin souffler. Du côté de la délégation algérienne, en revanche, la joie se lisait sur les visages, « mais étions-nous vraiment soulagés ? L'autosatisfaction n'était pas le fort du Front de libération nationale (FLN) et, la fatigue aidant, le cœur n'y était plus pour savourer un moment si ardemment attendu. Nos pensée allaient plutôt à nos proches, aux figures amies, aux innombrables compagnons de lutte qui, victimes de l'idéal qui a remué l'Algérie dans ses profondeurs, n'étaient plus là pour assister avec nous à sa concrétisation ».
Après le paraphe de l'accord, le ministre d'État aux Affaires algériennes prend la parole. Dans l'audience, le silence est « d'une exceptionnelle gravité ». Louis Joxe accueille avec soulagement la fin de ce marathon diplomatique et « exprime le vœu que les uns et les autres soient à la hauteur des nouvelles tâches de la paix. Une poignée de main entre les membres des deux délégations, qui s'en étaient abstenus jusqu'ici, scelle l'accord et la réconciliation. Il est 17h30 », note Redha Malek. Pas de déferlement d'enthousiasme côté français, même si les membres de la délégation peuvent enfin souffler. Du côté de la délégation algérienne, en revanche, la joie se lisait sur les visages, « mais étions-nous vraiment soulagés ? L'autosatisfaction n'était pas le fort du Front de libération nationale (FLN) et, la fatigue aidant, le cœur n'y était plus pour savourer un moment si ardemment attendu. Nos pensée allaient plutôt à nos proches, aux figures amies, aux innombrables compagnons de lutte qui, victimes de l'idéal qui a remué l'Algérie dans ses profondeurs, n'étaient plus là pour assister avec nous à sa concrétisation ».
Les rues d'Alger au lendemain des accords d'Évian. Photos archives AFP
Ce 18 mars n'est pourtant pas une date mémorielle fondamentale dans
l'histoire nationale algérienne. L'explication de cette rupture
mémorielle est à rechercher dans les luttes fratricides au sein de la
famille nationaliste. Avec les querelles intestines au sein du FLN et le
triomphe de l'Armée de libération nationale (ALN), le GPRA sera
l'oublié de l'histoire, son action politique passée sous silence,
balayée par la propagande nationaliste outrancière faisant de l'ALN le
seul représentant légitime de la révolution. Pourtant, le 18 mars 1962,
c'est bien la délégation du GPRA contesté et affaibli qui remporte la
victoire politique. À 23 heures ce soir-là, les Cinq font leur entrée
« Ahmad Ben Bella apparaît, suivi de Laghzaoui, Khatib, Aherdane,
Mohammad Boudiaf, Hocine Aït Ahmad, Mohammad Khider et Rabah Bitat. Tout
le monde est là. Krim, Yazid, Dahlab descendent de leurs chambres.
Congratulations chaleureuses ». Lundi 19 mars 1962, à midi, la guerre
d'Algérie prend fin.
Source : Redha Malek, « L'Algérie à Évian. Histoire des négociations secrètes, 1956-1962 (l'épreuve des faits). »
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Les dates-clés des contacts entre les Français et le FLN
– 16 septembre 1959, discours du général de Gaulle qui propose l'autodétermination aux Algériens.
– 20 février 1961, rencontre officieuse à Lucerne. Le FLN rejette toute proposition de cessez-le feu comme préalable aux négociations, et refuse toute concession sur le droit des minorités. La France refuse de concéder le Sahara.
– 5 mars 1961, discussions de Neuchâtel ; elles achoppent sur les mêmes points.
– 7 mars 1961, le général de Gaulle propose une rencontre officielle.
– 20 mai au 13 juin 1961, premier round des négociations à Évian. La partie française accepte de transiger sur ses exigences de départ, mais refuse de reconnaître le gouvernement provisoire de la République algérienne.
– 20 au 28 juillet, échec de la conférence de Lugrin et nouvelle impasse.
– 9 décembre 1961, reprises des négociations secrètes entre Louis Joxe et Saad Dahlab aux Rousses.
– Du 11 au 18 février 1962, phase déterminante des discussions aux Rousses ; le général de Gaulle ne veut pas de délai supplémentaire pour achever les pourparlers secrets ; la directive est « Réussissez ou échouez, mais surtout ne laissez pas la négociation se prolonger indéfiniment ». La rencontre des Rousses se termine sur un compromis.
– 7 mars 1962, deuxième round des négociations officielles d'Évian. La France cède sur deux exigences fondamentales. Les minorités françaises en Algérie ne pourront bénéficier de la double nationalité conformément à son souhait, elles bénéficieront pendant trois ans des droits civiques algériens ; mais à l'issue de cette période elles devront choisir entre la seule citoyenneté algérienne ou devenir citoyens français résidant en Algérie comme étrangers.
Le départ des troupes françaises se fera dans les 3 ans qui suivent le référendum sur l'autodétermination. En attendant, celles-ci seront réduites à 80 000 hommes dans un délai de douze mois. Les bases du Sahara sont concédées pour cinq ans, et Mers el-Kebir 15 ans.
– 18 mars 1962, signature des accords d'Évian.
Source
– 20 février 1961, rencontre officieuse à Lucerne. Le FLN rejette toute proposition de cessez-le feu comme préalable aux négociations, et refuse toute concession sur le droit des minorités. La France refuse de concéder le Sahara.
– 5 mars 1961, discussions de Neuchâtel ; elles achoppent sur les mêmes points.
– 7 mars 1961, le général de Gaulle propose une rencontre officielle.
– 20 mai au 13 juin 1961, premier round des négociations à Évian. La partie française accepte de transiger sur ses exigences de départ, mais refuse de reconnaître le gouvernement provisoire de la République algérienne.
– 20 au 28 juillet, échec de la conférence de Lugrin et nouvelle impasse.
– 9 décembre 1961, reprises des négociations secrètes entre Louis Joxe et Saad Dahlab aux Rousses.
– Du 11 au 18 février 1962, phase déterminante des discussions aux Rousses ; le général de Gaulle ne veut pas de délai supplémentaire pour achever les pourparlers secrets ; la directive est « Réussissez ou échouez, mais surtout ne laissez pas la négociation se prolonger indéfiniment ». La rencontre des Rousses se termine sur un compromis.
– 7 mars 1962, deuxième round des négociations officielles d'Évian. La France cède sur deux exigences fondamentales. Les minorités françaises en Algérie ne pourront bénéficier de la double nationalité conformément à son souhait, elles bénéficieront pendant trois ans des droits civiques algériens ; mais à l'issue de cette période elles devront choisir entre la seule citoyenneté algérienne ou devenir citoyens français résidant en Algérie comme étrangers.
Le départ des troupes françaises se fera dans les 3 ans qui suivent le référendum sur l'autodétermination. En attendant, celles-ci seront réduites à 80 000 hommes dans un délai de douze mois. Les bases du Sahara sont concédées pour cinq ans, et Mers el-Kebir 15 ans.
– 18 mars 1962, signature des accords d'Évian.