Depuis
l’arrivée des nouvelles cartes dans les boîtes aux lettres à quelques
semaines de l’élection présidentielle, les témoignages se multiplient.
Jusqu’à cette année, Paul M., ingénieur informatique de 37 ans, votait à Versailles (Yvelines) où résident ses parents. Désormais domicilié à Chaville, dans les Hauts-de-Seine, il s’y est fait inscrire sur les listes électorales en décembre dernier. Et, a comme prévu, reçu sa nouvelle carte d’électeur. Mais, surprise : une autre l’attendait aussi chez ses parents, à Versailles.
Son histoire est loin d’être isolée. Depuis que les nouvelles cartes ont commencé à arriver
dans les boîtes aux lettres à quelques semaines de l’élection
présidentielle, des témoignages similaires se multiplient sur les réseaux sociaux.
Pour Florent G., c’est même la deuxième fois que ce scénario se
produit. En 2012, ce directeur artistique d’un studio de création
graphique avait reçu la carte de son ancienne commune du Pas-de-Calais ainsi que celle du XVIIIe arrondissement de Paris dans lequel il résidait. « Je suis quelqu’un d’honnête, je n’ai pas voté deux fois », assure le trentenaire. D’autant que la loi prévoit une peine de six mois à deux ans de prison et une amende de 15 000 euros en cas de double vote avéré. Reste que, depuis, Florent G. a de nouveau déménagé, dans le XIe arrondissement de Paris cette fois, où il a demandé à être inscrit… Et a encore reçu deux cartes d’électeur dont une du Pas-de-Calais.
Problème informatique
Plus cocasse encore, Hélène F., technicienne informatique dans les Bouches-du-Rhône, a eu la surprise de recevoir
en mars un appel de son ancien beau-père, avec qui elle vivait jusqu’à
sa majorité dans les Yvelines. Une carte d’électeur venait d’arriver à
son nom dans son ancienne boîte aux lettres, pour la première fois en
près de 20 ans ! « Pourtant je suis bien inscrite sur les listes à Aix-en-Provence où je vis, j’ai encore voté aux primaires »,
s’étonne-t-elle. Dans la mairie de sa commune d’origine, on s’étonne
d’un tel cas de figure, et l’on invoque un problème informatique, ou
d’acheminement du courrier.
La confusion règne pour expliquer une telle situation, les acteurs chargés de gérer
les fichiers électoraux s’en renvoyant la responsabilité. En temps
normal, lorsqu’un citoyen fait une demande d’inscription sur les listes
électorales après un déménagement, le formulaire est adressé par la
mairie, par courrier, à l’Insee. Ce dernier est chargé d’adresser une
demande de radiation à l’ancienne commune. S’il y a loupé, c’est, selon
plusieurs mairies, une erreur de transmission de la part de l’institut
statistique.
« Dysfonctionnements substantiels »
Actuellement en période de réserve électorale, l’Insee n’est pas autorisé à s’exprimer dans la presse, mais dans un rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA) daté d’octobre 2014, il excluait fermement de pouvoir
être mise en cause. Dans ce document, l’IGA envisageait ainsi deux
hypothèses : soit des avis d’inscription ne sont pas transmis à l’Insee,
soit les demandes de radiation ne sont pas prises en compte par les
mairies. « La radiation de l’électeur peut intervenir jusqu’à cinq jours avant le scrutin », précise encore le ministère de l’intérieur.
Reste que ce même rapport de l’IGA pointait les « dysfonctionnements substantiels » de
ce processus d’inscription-radiation. Selon ses comptes, dans 95 % des
communes, le nombre d’inscrits sur les listes électorales n’était pas
conforme au nombre d’électeurs figurant sur le fichier national des
électeurs. A la date de rédaction du rapport, le total des inscrits sur
les listes comptait même 500 000 électeurs de plus que le fichier
national, soit autant de possibles doubles inscrits. Lors de la
présidentielle de 2012, ce nombre aurait atteint 400 000 personnes, soit
0,87 % du corps électoral.
Constatant l’anomalie, Paul M. a contacté la mairie de Versailles pour demander à être radié. « Cela ne change pas le résultat de l’élection présidentielle, mais je peux être compté comme abstentionniste »,
s’inquiète-t-il. Cette distorsion du corps électoral a toutefois un
impact en cas de scrutin ouvert à des triangulaires, la qualification
pour le second tour se jouant à partir du nombre des inscrits et non de la participation.
Pour y remédier, l’IGA préconisait en 2014 la mise en place d’un fichier national unique et informatisé des électeurs pour éviter de telles déconvenues. Dispositif prévu dans une loi du 1er août 2016, qui doit entrer en vigueur, au plus tard, au 31 décembre 2019.