Il y a 50
ans, le 21 février 1965, Malcolm X, l’une des figures les plus
puissantes du mouvement noir aux USA était assassinée. Orateur de
talent, doté d’un esprit brillant et intuitif, ainsi que d’une grande
probité morale et intellectuelle, l’ex-leader de la « Nation of Islam »
ne se contentait pas de discours incantatoires.
Il
y a 50 ans, le 21 février 1965, Malcolm X, l’une des figures les plus
puissantes du mouvement noir aux USA était assassinée. Orateur de
talent, doté d’un esprit brillant et intuitif, ainsi que d’une grande
probité morale et intellectuelle, l’ex-leader de la « Nation of Islam »
ne se contentait pas de discours incantatoires. Son engagement sans
relâche au service de sa communauté et des droits de l’Homme reflétait
la personnalité d’un homme courageux, vertébré par de fortes
convictions et une foi inébranlable en Dieu. Nous tenterons de retracer à
travers cet hommage, le parcours de ce militant exceptionnel, et
d’expliquer les raisons de son assassinat.
Au crépuscule d’un jour de mai 1924, la vie
intra-utérine de Malcolm fut tirée de sa douce quiétude par les
violences des militants du Ku Klux Klan, abreuvés d’une haine des Noirs
qu’ils dissimulaient sous la blancheur immaculée de leurs cagoules.
Telle une horde sauvage, ils brisèrent les vitres de la maison familiale
pour en découdre avec un père absent ce jour-ci, et dont l’épouse
enceinte, terrorisée par la lâcheté de ces cavaliers, ignorait encore
qu’elle portait dans son ventre les prémisses du destin fulgurant d’un
fils, digne héritier de la lutte des Noirs aux USA.
Malcolm Little naîtra quelques mois plus tard, le
19 mai 1925, à Omaha, dans l’Etat du Nebraska. Il était le septième
d’une famille de huit enfants. Son père Earl avait déjà trois enfants
issus d’un premier mariage. Il était pasteur, militant de l’Association universelle pour
le progrès fondée par Marcus Garvey qui estimait que seul un retour en
Afrique des Noirs d’Amérique leur permettrait d’être de véritables
hommes libres. Sa mère Louise était une Antillaise qui avait la
particularité d’avoir le teint clair en raison du viol de sa mère par un
blanc. D’où les cheveux roux et la peau rougeâtre de Malcolm surnommé
« red » (le rouquin). Ce qui inspirait à ce dernier un sentiment de
répulsion, il avait ainsi appris « à haïr chaque goutte de sang qu’il tenait de l’homme blanc qui avait violé sa grand-mère. »
Sa famille résida plusieurs années à Omaha avant
de s’installer à Milwaukee. Une ville qui sera le théâtre du premier
traumatisme subi par Malcolm au cours d’une nuit de cauchemar. Il avait
en effet à peine 5 ans lorsque les cavaliers récidivistes du Ku Klux
Klan imposèrent impunément leur terreur. Ils mirent le feu à leur maison
afin de sanctionner l’engagement du père au service d’idées jugées
révolutionnaires : « Je me rappelle que nous nous retrouvâmes
dehors, en pleine nuit, en caleçon, pleurant et hurlant de toutes nos
forces. Les policiers, les pompiers blancs étaient là ; ils regardèrent
la maison brûler jusqu’à ce qu’il n’en restât rien. » Des violences
qui marqueront à jamais Malcolm. De Milwaukee, la famille Little fut
contrainte de déménager à Lansing, dans l’Etat du Michigan. La jeune
existence de Malcolm semble être vouée à la damnation, comme pour mieux
creuser le sillon d’une destinée qui lui donnera son viatique pour
l’histoire.
Louise et Earl Little, les parents de Malcolm X
De l'année 1931, il ne retiendra que l’image d’une
mère nerveuse et bouleversée. Cet état psychologique fut déclenché par
une vision : celle de la mort de son mari, qui se confirma au cours de
cette même année. La promesse du sang des cavaliers imprécateurs du Ku
Klux Klan fut tenue. Le décès du père de Malcolm, dont la famille avait
déjà été décimée par le meurtre de cinq de ses six frères par ces mêmes
racistes, marqua le nouvel acte d’une tragédie qui frappa la dynastie
Little et que rien ne vint conjurer.
Enlevé à sa famille
Le tempérament d’une mère courage émergea alors
sous le coup de ce destin funeste. Confrontée sans aide à l’éducation de
ses enfants, la veuve Little en perdit le goût de la vie. L’ultime
épreuve fut infligée par l’assistance sociale qui s’empressa d’arracher
tous les enfants à l’affection de leur mère. Seule et sous le choc de ce
drame, elle perdit la raison, avant d’être internée à l’hôpital
psychiatrique de Kalamazoo.
Malcolm X se souvient en 1957 d’une de ses visites :
« Je ne peux pas vous dire ce que j’éprouvai alors. La femme qui
m’avait mis au monde, choyé, conseillé, puni, aimé, ne me reconnaissait
pas. Je la regardais. Je l’écoutais ‘’parler.’’ Mais je ne pouvais rien
pour elle. Je crois vraiment que, si jamais famille fut détruite par
l’Assistance publique, c’est bien la nôtre. Cette désintégration du
foyer n’était pas nécessaire. Mais les gens de l’assistance, les
tribunaux et leurs médecins nous ont donné le coup de grâce. Et nous
n’étions pas les seuls dans ce cas . »
Malcolm est un adolescent sans repères, dévoré par
un terrible sentiment d’injustice. Il erre dans les dédales d’une vie
mouvante, d’où se profile comme un déterminisme, un horizon sans énigme
qui se confond avec la couleur de son épiderme. Après un passage auprès
d’une famille d’accueil blanche, le jeune adolescent atterrit dans une
maison de détention à Mason, dirigée par un couple de notables blancs du
Michigan : les Swerling.
Cette maison de détention constituait en fait une
escale avant l’entrée dans une maison de redressement. Mais grâce aux
relations de Mme Swerling, Malcolm fut inscrit dans un lycée à Mason,
échappant ainsi à la maison de redressement. Evoquant son séjour chez le
couple Swerling, Malcolm écrivait : « Devant moi, ils parlaient de
tout et de rien, comme on dit n’importe quoi devant son canari. Ils
parlaient même de moi, ou des niggers, comme si je n’étais pas là, comme
si je ne comprenais pas le sens de ce mot. Mais ce n’était pas par
méchanceté... ils ne leur est jamais venu à l’esprit que j’étais capable
de comprendre, que je n’étais pas un toutou, mais un être humain. »
Au lycée blanc de Mason, Malcolm se distingua
rapidement par de brillants résultats, notamment dans ses matières de
prédilection que sont la littérature et l’histoire. Son professeur
d’Anglais qui l’appréciait particulièrement, interrogea un jour Malcolm
(à l’occasion d’une conversation après la classe), sur la profession
qu’il souhaiterait exercer plus tard. Malcolm répondit « avocat » avec la naïveté d’un adolescent pour qui le rêve et l’ambition n’avaient pas de couleur.
Malcolm X, jeune
Le professeur Ostrowski invita alors le jeune
élève « ambitieux » à faire preuve de plus de réalisme en lui
conseillant de s’orienter vers un métier manuel plus conforme à son
« statut de noir ». Malcolm comprit alors que le noir de sa peau
déterminerait son futur professionnel bien plus que ses bons résultats
scolaires. Il décida de quitter sans regrets le lycée pour rejoindre sa
demi-sœur Ella à Boston. Paradoxalement, avec le recul, Malcolm jugera
salvateurs les propos du professeur Ostrovski : « Je remercie Allah de m’avoir envoyé à Boston à ce moment- là, sinon je serais sans doute un chrétien noir au cerveau bien lavé. »
Au bout de l’arrestation, le destin
Nouvellement arrivé à Boston, « red » ne tarda pas
à préférer le ghetto au quartier de la classe moyenne noire où résidait
sa demi-sœur Ella. Malcolm affiche son mépris pour ces Noirs qui
aspirent à être plus blancs que blanc. Il est hanté par sa négritude
dont il ne parvient pas à dessiner les contours. Sa mémoire est
tourmentée par les récits de l’histoire de ses ancêtres déracinés de la
terre mythique d’Afrique. Il se mit à la recherche d’un emploi et
rencontra Shorty qui l’introduisit dans le milieu des cabarets de nuit
de la région. Il devint cireur de chaussures dans les bals du Roseland.
Il astiqua les chaussures de grands « jazzmen », tels que Duke Ellington
ou Lionel Hampton. Pour l’anecdote, Malcolm ne manqua jamais de
rappeler avec humour que le grand musicien Duke lui doit toujours « quinze cents pour un cirage ». Ce travail était en fait une couverture.
Duke Ellington
La brosse à reluire de Malcolm dissimulait une autre activité
beaucoup moins reluisante : celle de vendeur de Marijuana. Mais le
rouquin dont les ambitions de délinquants se trouvaient à l’étroit à
Boston, entreprit d’élire domicile dans le fameux quartier d’Harlem à
New York. Sur les nouveaux lieux de ses « exploits » d’apprenti caïd,
Malcolm connut la consécration. Rompu à toutes les combines de la rue,
il se construisit une réputation de petit prince de la pègre, doté
néanmoins d’un véritable code d’honneur. Auréolé de ce titre, Malcolm
consuma sa vie entre les filles faciles et la drogue.
Mais le trône de ‘’red’’ est très convoité. La
disgrâce le guette dans le ghetto. Au cœur de Harlem, Malcolm fut
rapidement pris dans un règlement de comptes entre les différents gangs
du milieu. Menacé dans sa vie, Malcolm se replia sur Boston où il monta,
en association avec son ami de toujours Shorty, une petite équipe de
cambrioleurs. Son retour à Boston ne fut que la poursuite de sa vie
nihiliste. Avec sa nouvelle équipe de malandrins, Malcolm étoffa son
palmarès de nageur en eaux troubles, avant que son arrestation ne lui
fît boire la tasse.
Contrairement au film de Spike Lee, l’arrestation
de Malcolm X n’a pas eu lieu alors qu il était en train de se défriser
les cheveux. La véritable arrestation de Malcolm s’est déroulée ainsi :
« J’avais donné à réparer une montre volée. Mes armes faisaient
partie de mes vêtements, comme mes cravates. J’avais mis mon pistolet
dans un étui accroché à mon épaule, sous mon manteau. J’appris par la
suite que le propriétaire de la montre avait indiqué la réparation dont
elle avait besoin. Une très belle montre, c’est pourquoi je l‘avais
gardée pour moi. Et tous les horlogers de Boston étaient alertés. Le
juif attendit d’être payé avant de poser la montre sur le comptoir. Puis
il donna le signal. Un autre type apparut, du fond de la boutique, et
se dirigea vers moi. Il avait la main droite dans la poche. C’était un
flic, évidemment.
- Passez au fond, dit-il d’une voix calme.
- Je m’apprêtais à obéir lorsqu’un autre Noir,
innocent celui-là, entra dans le magasin. J’appris plus tard qu ‘il
avait fini son service militaire justement ce jour-là. Le flic pensa que
c’était un associé, et se tourna vers lui.
Je demeurais là, armé, immobile, pendant que
l’inspecteur, me tournant le dos, interrogeait l’autre Noir. Encore
aujourd'hui, je suis persuadé que même alors Allah était avec moi. Je
n’ai pas essayé de le descendre. Et c’est ce qui m’a sauvé la vie. Je me
souviens que l’inspecteur s’appelait Shark. Je levai les bras en l’air
et lui fis signe :’’ Prenez mon pistolet’’ dis-je. Je le regardais
faire. Il était comme hébété. En voyant entrer l’autre noir, il n’avait
plus pensé que je pouvais être armé. Il était vraiment très ému parce
que je ne l’avais pas descendu. Mon arme à la main, il donna le signal.
Deux autres inspecteurs sortirent de leurs cachettes. Ils m’avaient donc
tenu en joue. Un faux mouvement et ils auraient tiré. J’ai du revenir
mille fois dans mon esprit sur cette journée où j’ai échappé à la mort.
C’est pourquoi je suis convaincu que tout est écrit. »
La révélation en prison
Après son arrestation, Malcolm est jugé et
condamné à 10 ans de prison en février 1946. Son tempérament fougueux
souffre de l’enfermement. Il ne lui reste qu‘ à méditer ses rêves de
liberté dans l’exiguïté de sa cellule. Dans la prison de Charleston, il
se prend d’amitié avec un détenu très respecté nommé Bimbi qui le
fascine par son savoir et sa grandiloquence. En 1948, Malcolm est
transféré à la prison de Concord, où il reçoit une lettre de ses frères
Philbert et Reginald qui lui affirment « avoir découvert la religion naturelle de l’homme noir et lui demande de ne plus manger de porc. » Ils concluent la lettre en lui annonçant : « Que Dieu venu en Amérique était apparu à un homme nommé Elijah Mohammed. »
L’année suivante, Malcolm est à nouveau transféré
dans la ‘’confortable’’ prison de Norfolk dans le Massachusetts. Les
détenus ont un accès sans autorisation à une bibliothèque qui avait été
léguée par un millionnaire du nom de Parkhurst. Malcolm dévore tous les
livres qui se présentent à lui et recopie dans son intégralité le
dictionnaire.
La découverte de la lecture éveille en Malcolm « le désir profond, latent, de vivre intellectuellement. » Servi
par une mémoire phénoménale et de grandes facultés d’apprentissage,
Malcolm acquiert rapidement une solide culture qui lui permet
d’effectuer en prison des exposés sur l’historien grec Hérodote, le
philosophe Socrate, ou encore sur Shakespeare. Son esprit, qui jadis
divaguait sous l’effet de la drogue, exulte désormais au rythme de ses
prestations intellectuelles. Il renoue également en prison avec sa
négritude.
Au service de la « Nation of Islam »
A sa sortie de prison en 1952, Malcolm se précipite vers le bain turc afin d’enlever le relent de prison qui « lui collait à la peau. » Il
s’installe à Détroit chez son frère Wilfried et occupe un poste dans le
magasin de meuble de ce dernier. Le soir après le travail, Malcolm part
prêcher dans le ghetto la doctrine véhiculée par Elijah Mohammed au
sein de la « Nation Of Islam ». Il est nommé l’année suivante assistant
pasteur du temple numéro 1 de Detroit. Le rouquin se prénomme désormais
Malcolm X, abandonnant ainsi définitivement son nom d’esclave.
Elijah Muhammad, dirigeant de la Nation of Islam
Ce X, symbole de l’inconnu en mathématique,
enclenche la quête identitaire de Malcolm dont l’anonymat est compté. Le
recrutement de Malcolm par les Blacks Muslimsconstitue une
véritable aubaine. Il contribue rapidement au prestige et au
développement de cette organisation. La « Nation of Islam » fut
véritablement créée en 1930 à Detroit par un commerçant du nom de W D.
FARD qui mourut en 1934. Un autre hurluberlu, Elijah Poole succède à
Fard, et substitue son nom d’esclave Poole par celui de Mohammed.
La « Nation of Islam » insiste sur le comportement
moral de ses adeptes et prône la séparation des races blanches et
noires. Les origines de L’Islam aux Etats-Unis remontent en fait à
l’arrivée des premiers esclaves d’Afrique, parmi lesquels certains
étaient musulmans. En août 1966, dans sa préface du livre de Georges
Breintman, Malcolm X, le pouvoir noir, Claude Julien rapporte le témoignage d’un correspondant du TIMES qui relate sa réception chez un riche blanc où le service domestique était assuré par des esclaves musulmans : « James Cooper (1794-1866) possédait en Géorgie cinq cents esclaves dont une douzaine au moins étaient musulmans. »
Il écrivit à propos de l’un deux : « Sali Bul Ali est un strict mahométan ; il ne boit pas d’alcool, respecte certains jeûnes, en particulier celui du Ramadan. » Claude Julien poursuit en signalant « qu‘un
esclave musulman atteignit une incontestable notoriété : un certain
Job, né en 1701 ou 1702 sur les rives de la Gambie, fut capturé en 1730
et expédié au Maryland où il travailla dans une plantation de tabac,
s’évada, fut capturé et emprisonné. Des abolitionnistes achetèrent sa
liberté et lui payèrent le voyage jusqu’en Angleterre, où il fut reçu à
la Cour royale. Il rentra chez lui vers 1735 et s’adonna au commerce. Il
savait le Coran par cœur. »
Le dévouement de Malcolm X et ses qualités de
tribun font merveille. Il connaît une ascension fulgurante au sein de la
« Nation of Islam » devenant l’objet de sollicitations régulières de la
presse américaine.
En 1958, il se marie avec Betty X dans l’Indiana.
De cette union naîtront 4 filles : Atilah, Kubilah, Ilyasah, et Amilah.
Betty disparaîtra (ironie d’un sort cruel) en 1997, suite à un incendie
provoqué dans sa maison par son petit-fils prénommé Malcolm !
Trahi par les siens
La popularité de Malcolm X fait alors beaucoup
d’envieux et suscite la jalousie parmi les dirigeants de la « Nation of
Islam », certains allant jusqu'à le discréditer en faisant circuler des
rumeurs d’enrichissement personnel.
Durant l’automne 1963, Elijah Mohammed profite
d’une déclaration ambiguë de Malcolm X sur la mort du président Kennedy
pour le suspendre de la « Nation of Islam » pendant 90 longs jours.
Malcolm X transforme cette suspension en une rupture. Il crée la
« Muslim Mosque » (La Mosquée Musulmane) en 1964, avant de programmer
son départ pour la Mecque afin de s’initier à la connaissance d’un Islam
authentique. Il rencontre le docteur Chawarbi, un imminent savant
musulman en poste à l’ONU, qui lui remet une lettre approuvant sa
candidature au pèlerinage, facilitant ainsi l’obtention d’un visa pour
l’Arabie saoudite.
Malcolm X avec le grand boxeur Mohammed Ali
Au cours de ce voyage, il rédige une lettre, le 20
avril 1964, à Djeddah (Arabie saoudite), qui dépeint l’atmosphère
chaleureuse et fraternelle entre toutes les races unies autour de
L’Islam : « Dans le monde musulman, je venais de voir pour la
première fois de ma vie des hommes à la peau blanche se conduire avec
moi comme des frères. » Il est également surpris de sa notoriété et
du prestige que rencontre dans le monde son combat. Il est l’hôte du
prince Faycal d’Arabie saoudite, ainsi que de prestigieux chefs d’Etats
africains.
A son retour de la Mecque, Malcolm X fonde
l’organisation pour l’unité afro-américaine. Il prend conscience de
l’intérêt de donner une dimension internationale à la lutte des Noirs
aux USA. Il entreprend une autre tournée en Afrique, ponctuée par des
visites de la casbah de Casablanca et de celle d’Alger, suivie d’une
autre tournée au Proche-Orient. La pensée de Malcolm s’enrichit et
s’ouvre sur l’universalisme. Il abandonne définitivement le projet
séparatiste avec la société américaine, au profit d’une transformation
du système américain à même d’assurer l’émancipation de la communauté
noire.
Sa rupture avec la « Nation of Islam » était en fait prévisible. Le 1er juin 1964, il déclare au magazine Jeune Afrique : « Si
j’ai quitté le mouvement des Blacks Muslims, c’est parce que j’estimais
qu’il était trop sectaire et que ce sectarisme finissait par paralyser
son action militante ». Cette évolution idéologique forgera en
partie la grandeur de Malcolm X, dont la disparition précoce annihilera
la nécessaire maturation d’une pensée encore naissante.
Le 13 février 1965, il regagne les USA après un
long périple en Europe marqué par une interdiction d’accès du territoire
français par les autorités françaises qui ont agi visiblement sous la
pression du gouvernement américain. Cette décision a provoqué
l’indignation de Malcolm X, qui devait s’exprimer dans un rassemblement
en faveur de la lutte des Noirs aux USA, organisé par des parisiens, des
Afro-américains, ainsi que des militants des Caraïbes, et d’Afrique.
Une interdiction d’autant plus scandaleuse, que Malcolm X avait effectué
un séjour plutôt réussi en France en novembre 1964.
Il sera assassiné le 21 février 1965 dans la salle
de bal Audubon. Son corps sera criblé de 13 chevrotines et de plusieurs
balles : « J’ai toujours pensé que je mourrais de mort violente et j’ai fait mon possible pour m’y préparer » pressentait
Malcolm X. Trois membres des Black Muslims, Norman 3x Butler, Thomas 15
X Johnson, et Talmadge Hayer seront condamnés à la prison à vie, le 14
avril 1966, pour le meurtre de Malcolm X. Ses obsèques se déroulèrent
devant une foule immense. Malcolm X fut enterré au cimetière de
Farncliff à New-York. Sur la plaque de son cercueil fut gravé : « El Hadj Malik ‘’El-Shabazz-19mai1925-21février1965. » Sa fille de 6 ans, Attilah, exprima avec candeur son chagrin dans une lettre : « Cher papa, je t’aime tant, mon Dieu, mon Dieu, comme je voudrais que tu ne sois pas mort. »
Qui sont les véritables commanditaires de l’assassinat de Malcolm X ?
Jusqu’à ce jour les commanditaires de l’assassinat
de Malcolm X n’ont jamais été clairement identifiés. Cependant,
l’hypothèse d’une action concertée entre Le « FBI » et la « Nation Of
Islam » n’est pas à exclure. Ces deux milieux avaient en effet quelques
intérêts à la liquidation de Malcolm X.
Egar Hoover, directeur du FBI de 1935 à 1972
Depuis 1964, date de sa rupture avec la « Nation
of Islam », Malcolm X ne se privait pas de dénoncer la corruption et le
charlatanisme des dirigeants de cette organisation. Dans un entretien
accordé, le 8 janvier 1965, au Young Socialist, il déclara que : « La
« Nation Of Islam » ne prend aucune autre part dans la lutte des noirs
de ce pays pour changer leurs conditions, si ce n’est celle d’offrir une
force morale pour amener nos gens à cesser de se saouler ou de se
droguer. C’est insuffisant une fois sobre, vous restez pauvre (...) Tous
ces militants déterminés ont été paralysés par une organisation qui ne
prend aucune part active dans aucun combat. »
Pire encore pour la « Nation of Islam », dans un
discours daté du 3 avril 1964, prononcé à l’église méthodiste de Cory,
Malcolm X soulignait son impuissance en offrant une alternative
politique crédible à la lutte des Noirs : « Pour terminer,
j’aimerais vous dire quelques mots de la « Muslim Mosque » que nous
avons récemment fondée à New-York. C’est vrai nous sommes musulmans,
notre religion est l’Islam, mais nous ne mélangeons pas notre religion
et notre politique (nous ne les mélangerons plus). Une fois nos offices
terminés, nous nous engageons, en tant que musulmans, dans l’action
politique, l’action économique et l’action sociale et civique. Nous y
participons en tous lieux, en tous temps, et de toutes les façons aux
côtés de tous ceux qui luttent pour mettre un terme aux maux politiques, économiques et sociaux, qui affligent notre communauté. »
D’autre part, quelques jours avant son assassinat, Malcolm
X menaça au cours d’un meeting à Détroit, organisé par l’Afro-American
Broadcasting Compagny, de faire des révélations sur les dirigeants de la
« Nation of Islam » : « Ils ont ouvert la polémique contre moi et,
qui plus est, tenté de me réduire au silence, parce qu’ils n’ignorent
pas ce que je sais sur leur compte. A mon avis, ils devraient me
connaître assez bien pour savoir qu’ils ne parviendront sûrement pas à
me faire peur. Mais lorsque je révèlerai ce que je sais, il est
des faits relatifs à la Nation of Islam qui vous scandaliseront, lorsque
vous en aurez connaissance. »
Elijah Muhammad, dirigeant de la Nation of Islam vivait dans le luxe et multipliait les frasques sexuelles.
Le tournant idéologique de Malcolm X dérange
Dans une correspondance rédigée depuis Lagos
(capitale du Nigéria) le 10 mai 1964, Malcolm X confirme clairement son
évolution qui l’amène à transcender le clivage racial entre Noirs et
Blancs : « Le Coran fait au monde et au musulman une obligation de
prendre le parti de ceux dont les droits humains sont violés, quelle que
soit la conviction religieuse des victimes. La religion de l’Islam
tient à cœur les droits de tout le genre humain, sans distinction de
race, de couleur ou de croyance. Pour elle, tous (et chacun) sont
membres d’une seule et même famille, la famille humaine. »
Cette évolution de la pensée de Malcolm X
s’accompagne d’une nouvelle stratégie politique. Il décide de projeter
la question du statut des Noirs américains au-delà des frontières
américaines, à travers la recherche de soutiens et de relais à son
combat sur une scène internationale marquée, alors, par l’émergence de
nouvelles nations en lutte contre toutes les formes d’impérialisme et de
colonialisme : « La seule façon dont nous nous libérerons passe par
notre identification avec les peuples opprimés du tiers monde.(...)
quand les 22 millions d’Américains noirs s’apercevront que nous avons le
même problème que les opprimés du Vietnam du Sud, du Congo et de
l’Amérique Latine - étant donné que les opprimés constituent la majorité
et non la minorité sur cette terre, nous serons amenés à envisager
notre problème en majorité capable de revendiquer et non plus en
minorité réduite à la mendicité. » (Meeting à New-York, salle Audubon, le 20 décembre 1964)
Rencontre entre Malcolm X et Fidel Castro
Le tournant idéologique opéré par Malcolm X (abandon du projet
fantaisiste de séparatisme, passage du nationalisme noir à
l’universalisme, déplacement de la lutte des Noirs à un niveau plus
politique) conférait à son combat une efficacité et un réalisme qui
faisaient de lui un opposant redoutable à certains cercles du
gouvernement américain.
Malcolm X ne manquait jamais de fustiger la
politique étrangère américaine. Sur le plan intérieur, il renvoyait dos à
dos les partis républicain et démocrate en plaidant pour un vote noir
indépendant, ainsi qu ‘il a annoncé au cours du Harvard Law School
Forum, le 16 décembre 1964 : « Il faut que nous acquérions une
meilleure compréhension de la science politique et que nous nous
fassions inscrire sur les listes électorales. Nous ne devons pas
prendre, de quelque façon que ce soit, fait et cause pour l’un
quelconque de ces partis. A mon avis, nous devrions limiter notre action
politique à la situation donnée, sans du tout chercher à nous
identifier ou à nous vendre à l’un des deux partis, mais en nous
engageant dans une action politique consacrée au bien des êtres humains
et destinée à en finir avec toutes ces injustices. »
Malcolm X et Martin Luther King
L’évolution idéologique de Malcolm X enlevait en
fait tout argument de « diabolisation » à ses ennemis qui souhaitaient
le confiner dans une marginalisation stérile. Bénéficiant d’une aura
internationale, il devenait un interlocuteur et un acteur politique
crédible de la société américaine.
Ce qui explique qu’il était sous la surveillance
permanente du FBI et de la CIA, dont il n’avait de cesse de dénoncer
l'espionite aiguë : « On nous surveillait. Nos téléphones étaient
sur table d’écoute. Aujourd’hui encore, si je devais parler au téléphone
de bombarder l’empire State Building, je vous garantis que ce
gratte-ciel serait cerné dans les cinq minutes ». Le journaliste Alex Haley (auteur du fameux roman Racines transposé en feuilleton à l’écran) avec qui il rédigea son autobiographie, rappelait qu’avant de rentrer chez lui, Malcom X prononçait la formule rituelle « Allo ! allo ! le FBI, vous êtes branchés ? Parfait, ici Malcolm X. »
Alex Haley
Cette surveillance du FBI n’est que le compartiment d’un programme de contre-espionnage mis en place en 1956 et surnommé le Cointelpro.Ce
programme, qui avait été initialement élaboré en direction des
sympathisants et militants du parti communiste américain, sera
prioritairement orienté en 1967 vers les mouvements noirs.
Le FBI a ainsi défini en des termes pour le moins explicites la mission du Cointelpro qui consiste à « démasquer,
briser, fourvoyer, discréditer, ou au moins neutraliser les activités
des organisations nationalistes noires qui prêchent la haine ». L’objectif
du Cointelpro, tel qu‘il a été assigné en 1967, visait à l’époque un
des principaux mouvements nationalistes noirs influencé par Malcolm X : les Blacks Panthers, (Blacks Panthers Party fondé en Californie par deux étudiants en droit : Huey P.Newton et M.Bobby Seale).
Huey Newton & Bobby Seale
Certes, ce programme intervient deux années après
la mort de Malcolm X, mais il démontre la volonté notoire du FBI de
recourir à toutes les méthodes de répression y compris le crime pour étouffer toute voix contestataire noire du système américain.
L’ignoble Hoover, responsable du FBI durant cette période, n’avait-il pas rédigé une note qui annonçait clairement que « Le
Cointelpro doit empêcher la naissance d’un messie qui pourrait unifier
et électriser le mouvement nationaliste noir (...) Il faut faire
comprendre aux jeunes Noirs modérés que, s’ils succombent à
l’enseignement révolutionnaire, ils seront des révolutionnaires morts (...) ne vaut-il pas mieux être une vedette sportive, un athlète bien payé ou un artiste,
un employé ou un ouvrier plutôt qu‘un Noir qui ne pense qu’à détruire
l’establishment et qui, ce faisant, détruit sa propre maison, ne gagnant
pour lui et son peuple que la haine et le soupçon des Blancs ! »
Malcolm X, qui se définissait comme le Noir « le plus en colère de l’Amérique », reste
une des figures les plus emblématiques de la lutte des Noirs contre
l’oppression et le racisme. Il a inscrit son nom dans le panthéon des
personnalités musulmanes du siècle précèdent. Sa méfiance viscérale de
tous les pouvoirs honorait un homme pour qui la défense de son idéal
avait le prix du sacrifice. Son combat désintéressé et sans
compromission était marqué du sceau de la foi en Dieu.
Ainsi dans son autobiographie, il concluait le dernier chapitre sur ces paroles : « Si
je meurs en ayant apporté la plus petite lumière, la plus petite
parcelle de vérité, si je meurs en ayant pu contribuer à détruire le
cancer raciste qui ronge la chair américaine, alors, tout le mérite en
revient à Allah. Ne m’imputez que les erreurs. » Rien, pas même
l’ombre de la mort, ne venait altérer la détermination d’un homme mû par
de puissantes convictions et dont la bravoure n’avait d’égal que son
immense humilité.
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