PARTI TRAVAILLISTE

KANAKY

mardi 24 février 2015

50ème anniversaire de la mort de Malcolm X

Il y a 50 ans, le 21 février 1965, Malcolm X, l’une des figures les plus puissantes du mouvement noir aux USA était assassinée. Orateur de talent, doté d’un esprit brillant et intuitif, ainsi que d’une grande probité morale et intellectuelle, l’ex-leader de la « Nation of Islam » ne se contentait pas de discours incantatoires.

Il y a 50 ans, le 21 février 1965, Malcolm X, l’une des figures les plus puissantes du mouvement noir aux USA était assassinée. Orateur de talent, doté d’un esprit brillant et intuitif, ainsi que d’une grande probité morale et intellectuelle, l’ex-leader de la « Nation of Islam » ne se contentait pas de discours incantatoires. Son engagement sans relâche au service de sa communauté et des droits de l’Homme reflétait la personnalité d’un homme courageux, vertébré par de  fortes convictions et une foi inébranlable en Dieu. Nous tenterons de retracer à travers cet hommage, le parcours de ce militant exceptionnel, et d’expliquer les raisons de son assassinat.
Au crépuscule d’un jour de mai 1924, la vie intra-utérine de Malcolm fut tirée de sa douce quiétude par les violences des militants du Ku Klux Klan, abreuvés d’une haine des Noirs qu’ils dissimulaient sous la blancheur immaculée de leurs cagoules. Telle une horde sauvage, ils brisèrent les vitres de la maison familiale pour en découdre avec un père absent ce jour-ci, et dont l’épouse enceinte, terrorisée par la lâcheté de ces cavaliers, ignorait encore qu’elle portait dans son ventre les prémisses du destin fulgurant d’un fils, digne héritier de la lutte des Noirs aux USA.
Malcolm Little naîtra quelques mois plus tard, le 19 mai 1925, à Omaha, dans l’Etat du Nebraska. Il était le septième d’une famille de huit enfants. Son père Earl avait déjà trois enfants issus d’un premier mariage. Il était pasteur, militant de l’Association universelle pour le progrès fondée par Marcus Garvey qui estimait que seul un retour en Afrique des Noirs d’Amérique leur permettrait d’être de véritables hommes libres. Sa mère Louise était une Antillaise qui avait la particularité d’avoir le teint clair en raison du viol de sa mère par un blanc. D’où les cheveux roux et la peau rougeâtre de Malcolm surnommé « red » (le rouquin). Ce qui inspirait à ce dernier un sentiment de répulsion, il avait ainsi appris « à haïr chaque goutte de sang qu’il tenait de l’homme blanc qui avait violé sa grand-mère. »
Sa famille résida plusieurs années à Omaha avant de s’installer à Milwaukee. Une ville qui sera le théâtre du premier traumatisme subi par Malcolm au cours d’une nuit de cauchemar. Il avait en effet à peine 5 ans lorsque les cavaliers récidivistes du Ku Klux Klan imposèrent impunément leur terreur. Ils mirent le feu à leur maison afin de sanctionner l’engagement du père au service d’idées jugées révolutionnaires : « Je me rappelle que nous nous retrouvâmes dehors, en pleine nuit, en caleçon, pleurant et hurlant de toutes nos forces. Les policiers, les pompiers blancs étaient là ; ils regardèrent la maison brûler jusqu’à ce qu’il n’en restât rien. » Des violences qui marqueront à jamais Malcolm. De Milwaukee, la famille Little fut contrainte de déménager à Lansing, dans l’Etat du Michigan. La jeune existence de Malcolm semble être vouée à la damnation, comme pour mieux creuser le sillon d’une destinée qui lui donnera son viatique pour l’histoire.
 
Louise et Earl Little, les parents de Malcolm X
De l'année 1931, il ne retiendra que l’image d’une mère nerveuse et bouleversée. Cet état psychologique fut déclenché par une vision : celle de la mort de son mari, qui se confirma au cours de cette même année. La promesse du sang des cavaliers imprécateurs du Ku Klux Klan fut tenue. Le décès du père de Malcolm, dont la famille avait déjà été décimée par le meurtre de cinq de ses six frères par ces mêmes racistes, marqua le nouvel acte d’une tragédie qui frappa la dynastie Little et que rien ne vint conjurer.
Enlevé à sa famille
Le tempérament d’une mère courage émergea alors sous le coup de ce destin funeste. Confrontée sans aide à l’éducation de ses enfants, la veuve Little en perdit le goût de la vie. L’ultime épreuve fut infligée par l’assistance sociale qui s’empressa d’arracher tous les enfants à l’affection de leur mère. Seule et sous le choc de ce drame, elle perdit la raison, avant d’être internée à l’hôpital psychiatrique de Kalamazoo.
Malcolm X se souvient en 1957 d’une de ses visites : « Je ne peux pas vous dire ce que j’éprouvai alors. La femme qui m’avait mis au monde, choyé, conseillé, puni, aimé, ne me reconnaissait pas. Je la regardais. Je l’écoutais ‘’parler.’’ Mais je ne pouvais rien pour elle. Je crois vraiment que, si jamais famille fut détruite par l’Assistance publique, c’est bien la nôtre. Cette désintégration du foyer n’était pas nécessaire. Mais les gens de l’assistance, les tribunaux et leurs médecins nous ont donné le coup de grâce. Et nous n’étions pas les seuls dans ce cas . »
Malcolm est un adolescent sans repères, dévoré par un terrible sentiment d’injustice. Il erre dans les dédales d’une vie mouvante, d’où se profile comme un déterminisme, un horizon sans énigme qui se confond avec la couleur de son épiderme. Après un passage auprès d’une famille d’accueil blanche, le jeune adolescent atterrit dans une maison de détention à Mason, dirigée par un couple de notables blancs du Michigan : les Swerling.
Cette maison de détention constituait en fait une escale avant l’entrée dans une maison de redressement. Mais grâce aux relations de Mme Swerling, Malcolm fut inscrit dans un lycée à Mason, échappant ainsi à la maison de redressement. Evoquant son séjour chez le couple Swerling, Malcolm écrivait : « Devant moi, ils parlaient de tout et de rien, comme on dit n’importe quoi devant son canari. Ils parlaient même de moi, ou des niggers, comme si je n’étais pas là, comme si je ne comprenais pas le sens de ce mot. Mais ce n’était pas par méchanceté... ils ne leur est jamais venu à l’esprit que j’étais capable de comprendre, que je n’étais pas un toutou, mais un être humain. »
Au lycée blanc de Mason, Malcolm se distingua rapidement par de brillants résultats, notamment dans ses matières de prédilection que sont la littérature et l’histoire. Son professeur d’Anglais qui l’appréciait particulièrement, interrogea un jour Malcolm (à l’occasion d’une conversation après la classe), sur la profession qu’il souhaiterait exercer plus tard. Malcolm répondit « avocat » avec la naïveté d’un adolescent pour qui le rêve et l’ambition n’avaient pas de couleur.
   
Malcolm X, jeune
Le professeur Ostrowski invita alors le jeune élève « ambitieux » à faire preuve de plus de réalisme en lui conseillant de s’orienter vers un métier manuel plus conforme à son « statut de noir ».  Malcolm comprit alors que le noir de sa peau déterminerait son futur professionnel bien plus que ses bons résultats scolaires. Il décida de quitter sans regrets le lycée pour rejoindre sa demi-sœur Ella à Boston. Paradoxalement, avec le recul, Malcolm jugera salvateurs les propos du professeur Ostrovski : « Je remercie Allah de m’avoir envoyé à Boston à ce moment- là, sinon je serais sans doute un chrétien noir au cerveau bien lavé. »
Au bout de l’arrestation, le destin
Nouvellement arrivé à Boston, « red » ne tarda pas à préférer le ghetto au quartier de la classe moyenne noire où résidait sa demi-sœur Ella. Malcolm affiche son mépris pour ces Noirs qui aspirent à être plus blancs que blanc. Il est hanté par sa négritude dont il ne parvient pas à dessiner les contours. Sa mémoire est tourmentée par les récits de l’histoire de ses ancêtres déracinés de la terre mythique d’Afrique. Il se mit à la recherche d’un emploi et rencontra Shorty qui l’introduisit dans le milieu des cabarets de nuit de la région. Il devint cireur de chaussures dans les bals du Roseland. Il astiqua les chaussures de grands « jazzmen », tels que Duke Ellington ou Lionel Hampton. Pour l’anecdote, Malcolm ne manqua jamais de rappeler avec humour que le grand musicien Duke lui doit toujours « quinze cents pour un cirage ». Ce travail était en fait une couverture.
Duke Ellington
La brosse à reluire de Malcolm dissimulait une autre activité beaucoup moins reluisante : celle de vendeur de Marijuana. Mais le rouquin dont les ambitions de délinquants se trouvaient à l’étroit à Boston, entreprit d’élire domicile dans le fameux quartier d’Harlem à New York. Sur les nouveaux lieux de ses « exploits » d’apprenti caïd, Malcolm connut la consécration. Rompu à toutes les combines de la rue, il se construisit une réputation de petit prince de la pègre, doté néanmoins d’un véritable code d’honneur. Auréolé de ce titre, Malcolm consuma sa vie entre les filles faciles et la drogue.
Mais le trône de ‘’red’’ est très convoité. La disgrâce le guette dans le ghetto. Au cœur de Harlem, Malcolm fut rapidement pris dans un règlement de comptes entre les différents gangs du milieu. Menacé dans sa vie, Malcolm se replia sur Boston où il monta, en association avec son ami de toujours Shorty, une petite équipe de cambrioleurs. Son retour à Boston ne fut que la poursuite de sa vie nihiliste. Avec sa nouvelle équipe de malandrins, Malcolm étoffa son palmarès de nageur en eaux troubles, avant que son arrestation ne lui fît boire la tasse.
Contrairement au film de Spike Lee, l’arrestation de Malcolm X n’a pas eu lieu alors qu il était en train de se défriser les cheveux. La véritable arrestation de Malcolm s’est déroulée ainsi : « J’avais donné à réparer une montre volée. Mes armes faisaient partie de mes vêtements, comme mes cravates. J’avais mis mon pistolet dans un étui accroché à mon épaule, sous mon manteau. J’appris par la suite que le propriétaire de la montre avait indiqué la réparation dont elle avait besoin. Une très belle montre, c’est pourquoi je l‘avais gardée pour moi. Et tous les horlogers de Boston étaient alertés. Le juif attendit d’être payé avant de poser la montre sur le comptoir. Puis il donna le signal. Un autre type apparut, du fond de la boutique, et se dirigea vers moi. Il avait la main droite dans la poche. C’était un flic, évidemment. 
- Passez au fond, dit-il d’une voix calme.
- Je m’apprêtais à obéir lorsqu’un autre Noir, innocent celui-là, entra dans le magasin. J’appris plus tard qu ‘il avait fini son service militaire justement ce jour-là. Le flic pensa que c’était un associé, et se tourna vers lui.
Je demeurais là, armé, immobile, pendant que l’inspecteur, me tournant le dos, interrogeait l’autre Noir. Encore aujourd'hui, je suis persuadé que même alors Allah était avec moi. Je n’ai pas essayé de le descendre. Et c’est ce qui m’a sauvé la vie. Je me souviens que l’inspecteur s’appelait Shark. Je levai les bras en l’air et lui fis signe :’’ Prenez mon pistolet’’ dis-je. Je le regardais faire. Il était comme hébété. En voyant entrer l’autre noir, il n’avait plus pensé que je pouvais être armé. Il était vraiment très ému parce que je ne l’avais pas descendu. Mon arme à la main, il donna le signal. Deux autres inspecteurs sortirent de leurs cachettes. Ils m’avaient donc tenu en joue. Un faux mouvement et ils auraient tiré. J’ai du revenir mille fois dans mon esprit sur cette journée où j’ai échappé à la mort. C’est pourquoi je suis convaincu que tout est écrit. »
La révélation en prison
Après son arrestation, Malcolm est jugé et condamné à 10 ans de prison en février 1946. Son tempérament fougueux souffre de l’enfermement. Il ne lui reste qu‘ à méditer ses rêves de liberté dans l’exiguïté de sa cellule. Dans la prison de Charleston, il se prend d’amitié avec un détenu très respecté nommé Bimbi qui le fascine par son savoir et sa grandiloquence. En 1948, Malcolm est transféré à la prison de Concord, où il reçoit une lettre de ses frères Philbert et Reginald qui lui affirment « avoir découvert la religion naturelle de l’homme noir et lui demande de ne plus manger de porc. » Ils concluent la lettre en lui annonçant : « Que Dieu venu en Amérique était apparu à un homme nommé Elijah Mohammed. »
L’année suivante, Malcolm est à nouveau transféré dans la ‘’confortable’’ prison de Norfolk dans le Massachusetts. Les détenus ont un accès sans autorisation à une bibliothèque qui avait été léguée par un millionnaire du nom de Parkhurst. Malcolm dévore tous les livres qui se présentent à lui et recopie dans son intégralité le dictionnaire.
La découverte de la lecture éveille en Malcolm « le désir profond, latent, de vivre intellectuellement. » Servi par une mémoire phénoménale et de grandes facultés d’apprentissage, Malcolm acquiert rapidement une solide culture qui lui permet d’effectuer en prison des exposés sur l’historien grec Hérodote, le philosophe Socrate, ou encore sur Shakespeare. Son esprit, qui jadis divaguait sous l’effet de la drogue, exulte désormais au rythme de ses prestations intellectuelles. Il renoue également en prison avec sa négritude.
Au service de la « Nation of Islam » 
A sa sortie de prison en 1952, Malcolm se précipite vers le bain turc afin d’enlever le relent de prison qui « lui collait à la peau. » Il s’installe à Détroit chez son frère Wilfried et occupe un poste dans le magasin de meuble de ce dernier. Le soir après le travail, Malcolm part prêcher dans le ghetto la doctrine véhiculée par Elijah Mohammed au sein de la « Nation Of Islam ». Il est nommé l’année suivante assistant pasteur du temple numéro 1 de Detroit. Le rouquin se prénomme désormais Malcolm X, abandonnant ainsi définitivement son nom d’esclave.
Elijah Muhammad, dirigeant de la Nation of Islam
Ce X, symbole de l’inconnu en mathématique, enclenche la quête identitaire de Malcolm dont l’anonymat est compté. Le recrutement de Malcolm par les Blacks Muslimsconstitue une véritable aubaine. Il contribue rapidement au prestige et au développement de cette organisation. La « Nation of Islam » fut véritablement créée en 1930 à Detroit par un commerçant du nom de W D. FARD qui mourut en 1934. Un autre hurluberlu, Elijah Poole succède à Fard, et substitue son nom d’esclave Poole par celui de Mohammed.
La « Nation of Islam » insiste sur le comportement moral de ses adeptes et prône la séparation des races blanches et noires. Les origines de L’Islam aux Etats-Unis remontent en fait à l’arrivée des premiers esclaves d’Afrique, parmi lesquels certains étaient musulmans. En août 1966, dans sa préface du livre de Georges Breintman, Malcolm X, le pouvoir noir, Claude Julien rapporte le témoignage d’un correspondant du TIMES qui relate sa réception chez un riche blanc où le service domestique était assuré par des esclaves musulmans : « James Cooper (1794-1866) possédait en Géorgie cinq cents esclaves dont une douzaine au moins étaient musulmans. »
Il écrivit à propos de l’un deux : « Sali Bul Ali est un strict mahométan ; il ne boit pas d’alcool, respecte certains jeûnes, en particulier celui du Ramadan. » Claude Julien poursuit en signalant  « qu‘un esclave musulman atteignit une incontestable notoriété : un certain Job, né en 1701 ou 1702 sur les rives de la Gambie, fut capturé en 1730 et expédié au Maryland où il travailla dans une plantation de tabac, s’évada, fut capturé et emprisonné. Des abolitionnistes achetèrent sa liberté et lui payèrent le voyage jusqu’en Angleterre, où il fut reçu à la Cour royale. Il rentra chez lui vers 1735 et s’adonna au commerce. Il savait le Coran par cœur. »
Le dévouement de Malcolm X et ses qualités de tribun font merveille. Il connaît une ascension fulgurante au sein de la « Nation of Islam » devenant l’objet de sollicitations régulières de la presse américaine.
En 1958, il se marie avec Betty X dans l’Indiana. De cette union naîtront 4 filles : Atilah, Kubilah, Ilyasah, et Amilah. Betty disparaîtra (ironie d’un sort cruel) en 1997, suite à un incendie provoqué dans sa maison par son petit-fils prénommé Malcolm !
Trahi par les siens
La popularité de Malcolm X fait alors beaucoup d’envieux et suscite la jalousie parmi les dirigeants de la « Nation of Islam », certains allant jusqu'à le discréditer en faisant circuler des rumeurs d’enrichissement personnel.
Durant l’automne 1963, Elijah Mohammed profite d’une déclaration ambiguë de Malcolm X sur la mort du président Kennedy pour le suspendre de la « Nation of Islam » pendant 90 longs jours. Malcolm X transforme cette suspension en une rupture. Il crée la « Muslim Mosque » (La Mosquée Musulmane) en 1964, avant de programmer son départ pour la Mecque afin de s’initier à la connaissance d’un Islam authentique. Il rencontre le docteur Chawarbi, un imminent savant musulman en poste à l’ONU, qui lui remet une lettre approuvant sa candidature au pèlerinage, facilitant ainsi l’obtention d’un visa pour l’Arabie saoudite.
Malcolm X avec  le grand boxeur Mohammed Ali
Au cours de ce voyage, il rédige une lettre, le 20 avril 1964, à Djeddah (Arabie saoudite), qui dépeint l’atmosphère chaleureuse et fraternelle entre toutes les races unies autour de L’Islam : « Dans le monde musulman, je venais de voir pour la première fois de ma vie des hommes à la peau blanche se conduire avec moi comme des frères. » Il est également surpris de sa notoriété et du prestige que rencontre dans le monde son combat. Il est l’hôte du prince Faycal d’Arabie saoudite, ainsi que de prestigieux chefs d’Etats africains.
A son retour de la Mecque, Malcolm X fonde l’organisation pour l’unité afro-américaine. Il prend conscience de l’intérêt de donner une dimension internationale à la lutte des Noirs aux USA. Il entreprend une autre tournée en Afrique, ponctuée par des visites de la casbah de Casablanca et de celle d’Alger, suivie d’une autre tournée au Proche-Orient. La pensée de Malcolm s’enrichit et s’ouvre sur l’universalisme. Il abandonne définitivement le projet séparatiste avec la société américaine, au profit d’une transformation du système américain à même d’assurer l’émancipation de la communauté noire.
Sa rupture avec la « Nation of Islam » était en fait prévisible. Le 1er juin 1964, il déclare au magazine Jeune Afrique : « Si j’ai quitté le mouvement des Blacks Muslims, c’est parce que j’estimais qu’il était trop sectaire et que ce sectarisme finissait par paralyser son action militante ». Cette évolution idéologique forgera en partie la grandeur de Malcolm X, dont la disparition précoce annihilera la nécessaire maturation d’une pensée encore naissante.
Le 13 février 1965, il regagne les USA après un long périple en Europe marqué par une interdiction d’accès du territoire français par les autorités françaises qui ont agi visiblement sous la pression du gouvernement américain. Cette décision a provoqué l’indignation de Malcolm X, qui devait s’exprimer dans un rassemblement en faveur de la lutte des Noirs aux USA, organisé par des parisiens, des Afro-américains, ainsi que des militants des Caraïbes, et d’Afrique. Une interdiction d’autant plus scandaleuse, que Malcolm X avait effectué un séjour plutôt réussi en France en novembre 1964.
Il sera assassiné le 21 février 1965 dans la salle de bal Audubon. Son corps sera criblé de 13 chevrotines et de plusieurs balles : « J’ai toujours pensé que je mourrais de mort violente et j’ai fait mon possible pour m’y préparer » pressentait Malcolm X. Trois membres des Black Muslims, Norman 3x Butler, Thomas 15 X Johnson, et Talmadge Hayer seront condamnés à la prison à vie, le 14 avril 1966, pour le meurtre de Malcolm X. Ses obsèques se déroulèrent devant une foule immense. Malcolm X fut enterré au cimetière de Farncliff à New-York. Sur la plaque de son cercueil fut gravé : « El Hadj Malik ‘’El-Shabazz-19mai1925-21février1965. » Sa fille de 6 ans, Attilah, exprima avec candeur son chagrin dans une lettre : « Cher papa, je t’aime tant, mon Dieu, mon Dieu, comme je voudrais que tu ne sois pas mort. »
Qui sont les véritables commanditaires de l’assassinat de Malcolm X ?
Jusqu’à ce jour les commanditaires de l’assassinat de Malcolm X n’ont jamais été clairement identifiés. Cependant, l’hypothèse d’une action concertée entre Le « FBI » et la « Nation Of Islam » n’est pas à exclure. Ces deux milieux avaient en effet quelques intérêts à la liquidation de Malcolm X.
 
Egar Hoover,  directeur du FBI de 1935 à 1972
Depuis 1964, date de sa rupture avec la « Nation of Islam », Malcolm X ne se privait pas de dénoncer la corruption et le charlatanisme des dirigeants de cette organisation. Dans un entretien accordé, le 8 janvier 1965, au Young Socialist, il déclara que : « La « Nation Of Islam » ne prend aucune autre part dans la lutte des noirs de ce pays pour changer leurs conditions, si ce n’est celle d’offrir une force morale pour amener nos gens à cesser de se saouler ou de se droguer. C’est insuffisant une fois sobre, vous restez pauvre (...) Tous ces militants déterminés ont été paralysés par une organisation qui ne prend aucune part active dans aucun combat. »
Pire encore pour la « Nation of Islam », dans un discours daté du 3 avril 1964, prononcé à l’église méthodiste de Cory, Malcolm X soulignait son impuissance en offrant une alternative politique crédible à la lutte des Noirs : « Pour terminer, j’aimerais vous dire quelques mots de la « Muslim Mosque » que nous avons récemment fondée à New-York. C’est vrai nous sommes musulmans, notre religion est l’Islam, mais nous ne mélangeons pas notre religion et notre politique (nous ne les mélangerons plus). Une fois nos offices terminés, nous nous engageons, en tant que musulmans, dans l’action politique, l’action économique et l’action sociale et civique. Nous y participons en tous lieux, en tous temps, et de toutes les façons aux côtés de tous ceux qui luttent pour mettre un terme aux maux politiques, économiques et sociaux, qui affligent notre communauté. »
D’autre part, quelques jours avant son assassinat, Malcolm X menaça au cours d’un meeting à Détroit, organisé par l’Afro-American Broadcasting Compagny, de faire des révélations sur les dirigeants de la « Nation of Islam » : « Ils ont ouvert la polémique contre moi et, qui plus est, tenté de me réduire au silence, parce qu’ils n’ignorent pas ce que je sais sur leur compte. A mon avis, ils devraient me connaître assez bien pour savoir qu’ils ne parviendront sûrement pas à me faire peur. Mais lorsque je révèlerai ce que je sais, il est des faits relatifs à la Nation of Islam qui vous scandaliseront, lorsque vous en aurez connaissance. »
Elijah Muhammad, dirigeant  de  la Nation of Islam vivait dans le luxe  et  multipliait les frasques sexuelles. 

Le tournant idéologique de Malcolm X dérange
Dans une correspondance rédigée depuis Lagos (capitale du Nigéria) le 10 mai 1964, Malcolm X confirme clairement son évolution qui l’amène à transcender le clivage racial entre Noirs et Blancs : « Le Coran fait au monde et au musulman une obligation de prendre le parti de ceux dont les droits humains sont violés, quelle que soit la conviction religieuse des victimes. La religion de l’Islam tient à cœur les droits de tout le genre humain, sans distinction de race, de couleur ou de croyance. Pour elle, tous (et chacun) sont membres d’une seule et même famille, la famille humaine. »
Cette évolution de la pensée de Malcolm X s’accompagne d’une nouvelle stratégie politique. Il décide de projeter la question du statut des Noirs américains au-delà des frontières américaines, à travers la recherche de soutiens et de relais à son combat sur une scène internationale marquée, alors, par l’émergence de nouvelles nations en lutte contre toutes les formes d’impérialisme et de colonialisme : « La seule façon dont nous nous libérerons passe par notre identification avec les peuples opprimés du tiers monde.(...) quand les 22 millions d’Américains noirs s’apercevront que nous avons le même problème que les opprimés du Vietnam du Sud, du Congo et de l’Amérique Latine - étant donné que les opprimés constituent la majorité et non la minorité sur cette terre, nous serons amenés à envisager notre problème en majorité capable de revendiquer et non plus en minorité réduite à la mendicité. » (Meeting à New-York, salle Audubon, le 20 décembre 1964)
   
Rencontre entre Malcolm X et Fidel Castro
Le tournant idéologique opéré par Malcolm X (abandon du projet fantaisiste de séparatisme, passage du nationalisme noir à l’universalisme, déplacement de la lutte des Noirs à un niveau plus politique) conférait à son combat une efficacité et un réalisme qui faisaient de lui un opposant redoutable à certains cercles du gouvernement américain.
Malcolm X ne manquait jamais de fustiger la politique étrangère américaine. Sur le plan intérieur, il renvoyait dos à dos les partis républicain et démocrate en plaidant pour un vote noir indépendant, ainsi qu ‘il a annoncé au cours du Harvard Law School Forum, le 16 décembre 1964 : « Il faut que nous acquérions une meilleure compréhension de la science politique et que nous nous fassions inscrire sur les listes électorales. Nous ne devons pas prendre, de quelque façon que ce soit, fait et cause pour l’un quelconque de ces partis. A mon avis, nous devrions limiter notre action politique à la situation donnée, sans du tout chercher à nous identifier ou à nous vendre à l’un des deux partis, mais en nous engageant dans une action politique consacrée au bien des êtres humains et destinée à en finir avec toutes ces injustices. »
 
Malcolm X et Martin Luther King
L’évolution idéologique de Malcolm X enlevait en fait tout argument de « diabolisation » à ses ennemis qui souhaitaient le confiner dans une marginalisation stérile. Bénéficiant d’une aura internationale, il devenait un interlocuteur et un acteur politique crédible de la société américaine.
Ce qui explique qu’il était sous la surveillance permanente du FBI et de la CIA, dont il n’avait de cesse de dénoncer l'espionite aiguë : « On nous surveillait. Nos téléphones étaient sur table d’écoute. Aujourd’hui encore, si je devais parler au téléphone de bombarder l’empire State Building, je vous garantis que ce gratte-ciel serait cerné dans les cinq minutes ». Le journaliste Alex Haley (auteur du fameux roman Racines transposé en feuilleton à l’écran) avec qui il rédigea son autobiographie, rappelait qu’avant de rentrer chez lui, Malcom X prononçait la formule rituelle « Allo ! allo ! le FBI, vous êtes branchés ? Parfait, ici Malcolm X. »
Alex Haley
Cette surveillance du FBI n’est que le compartiment d’un programme de contre-espionnage mis en place en 1956 et surnommé le Cointelpro.Ce programme, qui avait été initialement élaboré en direction des sympathisants et militants du parti communiste américain, sera prioritairement orienté en 1967 vers les mouvements noirs.
Le FBI a ainsi défini en des termes pour le moins explicites la mission du Cointelpro qui  consiste à «  démasquer, briser, fourvoyer, discréditer, ou au moins neutraliser les activités des organisations nationalistes noires qui prêchent la haine ». L’objectif du Cointelpro, tel qu‘il a été assigné en 1967, visait à l’époque un des principaux mouvements nationalistes noirs influencé par Malcolm X : les Blacks Panthers, (Blacks Panthers Party fondé en Californie par deux étudiants en droit : Huey P.Newton et M.Bobby Seale).
Huey Newton & Bobby Seale
Certes, ce programme intervient deux années après la mort de Malcolm X, mais il démontre la volonté notoire du FBI de recourir à toutes les méthodes de répression y compris le crime pour étouffer toute voix contestataire noire du système américain.
L’ignoble Hoover, responsable du FBI durant cette période, n’avait-il pas rédigé une note qui annonçait clairement que « Le Cointelpro doit empêcher la naissance d’un messie qui pourrait unifier et électriser le mouvement nationaliste noir (...) Il faut faire comprendre aux jeunes Noirs modérés que, s’ils succombent à l’enseignement révolutionnaire, ils seront des révolutionnaires morts (...) ne vaut-il pas mieux être une vedette sportive, un athlète bien payé ou un artiste, un employé ou un ouvrier plutôt qu‘un Noir qui ne pense qu’à détruire l’establishment et qui, ce faisant, détruit sa propre maison, ne gagnant pour lui et son peuple que la haine et le soupçon des Blancs ! »
Malcolm X, qui se définissait comme le Noir « le plus en colère de l’Amérique », reste une des figures les plus emblématiques de la lutte des Noirs contre l’oppression et le racisme. Il a inscrit son nom dans le panthéon des personnalités musulmanes du siècle précèdent. Sa méfiance viscérale de tous les pouvoirs honorait un homme pour qui la défense de son idéal avait le prix du sacrifice. Son combat désintéressé et sans compromission était marqué du sceau de la foi en Dieu.
Ainsi dans son autobiographie, il concluait le dernier chapitre sur ces paroles : « Si je meurs en ayant apporté la plus petite lumière, la plus petite parcelle de vérité, si je meurs en ayant pu contribuer à détruire le cancer raciste qui ronge la chair américaine, alors, tout le mérite en revient à Allah. Ne m’imputez que les erreurs. » Rien, pas même l’ombre de la mort, ne venait altérer la détermination d’un homme mû par de puissantes convictions et dont la bravoure n’avait d’égal que son immense humilité.


  


  
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