PARTI TRAVAILLISTE

KANAKY

jeudi 26 février 2015

Opération nettoyage ?

La décision de la Cour de cassation va faire du bruit. Pour voter aux élections provinciales, il faut avoir été inscrit sur la liste générale de 1998. L’Etat a prévu de suivre sa jurisprudence. La révision des listes électorales débute dans les prochains jours.
En 2014, les représentants de l’Etat n’avaient pas suivi les critères très restrictifs de la Cour de cassation. Cette année, ils vont le faire, ce qui va changer la donne.
Photo Archives LNC
Les magistrats qui vont procéder à la révision annuelle des listes électorales arrivent à Nouméa en fin de semaine avec, dans leurs bagages, les derniers arrêts de la Cour de cassation. Des arrêts - concernant la liste spéciale (celle des provinciales) - qui sont clairs et nets : une personne non inscrite sur la liste générale en 1998 et qui ne peut, par ailleurs, attester de dix années de présence continue sur le territoire entre 1988 et 1998, ne peut figurer sur la liste permettant de voter aux élections provinciales.
Plusieurs décisions de la Cour, prises entre juin et septembre, et toutes rédigées dans le même sens, mettent donc fin aux débats et interprétations divers nés de la réforme de la Constitution de 2007. Cette année-là, à la demande du président Jacques Chirac, le corps électoral, réputé glissant (évolutif) depuis les Accords de Nouméa, est devenu figé. Cela signifie que toute personne s'étant installée en Nouvelle-Calédonie après 1998 se voyait interdite de vote pour les élections provinciales. Difficile à avaler, notamment pour Pierre Frogier, la décision a fini par être digérée, tant bien que mal.

Inquiétude. La polémique a ressurgi l'an passé, lors des élections provinciales, quand l'UC et le Parti travailliste ont tenté de faire radier plus de six mille personnes de la liste spéciale, principalement en province Sud. L'argument des requérants était simple : toute personne non inscrite sur la liste générale de février 1998 ne pouvait se retrouver ultérieurement sur la liste spéciale. La justice a majoritairement rejeté la demande, mais des milliers des Calédoniens s'étaient retrouvés dans les salles d'audience de Nouméa et de Koné, vieilles factures à la main, afin de prouver leur présence sur le sol dix ans avant la date couperet.
Ce fort mouvement d'inquiétude pour les électeurs potentiels, que le haut-commissaire de l'époque n'avait rien fait pour calmer, avait connu un apaisement avec la déclaration du premier ministre Jean-Marc Ayrault. Sa réponse, politique, avait fait de la présence en Calédonie en 1998 le critère déterminant pour être inscrit sur les listes spéciales.

Décisions. Reste qu'il y a le texte de la loi organique, précis, sur lequel viennent de s'appuyer les magistrats de la Cour de cassation.
L'article 188-1 de la loi organique de 1999 distingue trois cas : les personnes présentes sur le territoire en 1988 et avant, les personnes arrivées entre 1988 et 1998 et, enfin, les personnes non majeures en 1998. Pour le second cas, qui a été l'objet du litige en 2014, il convient d'être inscrit sur le fameux tableau annexe de 1998 pour prétendre participer au scrutin provincial. En pratique, il suffit d'être inscrit sur la liste électorale générale de 1998, puisque pour figurer au tableau annexe de 1998, il fallait d'abord être inscrit sur la liste électorale générale cette année-là. Cette première condition remplie, il fallait aussi que les personnes aient résidé 10 ans en Nouvelle-Calédonie avant d'être inscrites sur la liste électorale spéciale.
Le guide remis par l'Etat aux délégués du haut-commissaire dans les prochaines heures ira dans ce sens, car, comme le rappelle un conseiller du gouvernement conscient des remous que va provoquer une telle décision, « dans un Etat de droit, on respecte les décisions de la justice ».
La révision des listes électorales est prévue pour durer deux mois.

Itinéraire d’un corps glissant, puis gelé

Lorsque l’accord de Nouméa a été adopté par référendum le 8 novembre 1998, les électeurs se sont prononcés en faveur d’un texte qui prévoyait un corps électoral restreint, mais glissant pour les élections provinciales. Pour y figurer, il fallait justifier d’au moins dix ans de résidence en Calédonie.
Mais très vite, les indépendantistes ont fait valoir que ce n’était pas conforme à l’esprit qui avait prévalu lors des négociations de l’accord, et ont demandé à l’Etat de rendre ce corps électoral gelé. En 2003, lors de sa venue chahutée en Calédonie, le président de la République Jacques Chirac s’est engagé dans ce sens. C’était aussi un retour à l’envoyeur envers Jacques Lafleur qui avait soutenu, en 1995, la candidature de son rival Edouard Balladur à l’élection présidentielle.
La promesse a été tenue en 2007, par une réunion du Congrès à Versailles, où la Constitution a été modifiée. Depuis lors, on considérait qu’il fallait être arrivé avant novembre 1998 pour prétendre, dix ans après, figurer sur la liste spéciale. Après, la porte était fermée.
Mais la Cour de cassation, saisie de plusieurs contentieux, a régulièrement posé ensuite comme condition d’inscription sur la liste spéciale le fait d’avoir été inscrit sur la liste générale de février 1998.


Le branle-bas de combat chez les partis loyalistes

Cette année, la position de l’Etat, qui est de suivre la jurisprudence de la cour de cassation, risque d’aboutir à des milliers de radiations.
Chez les partis loyalistes, c’est le branle-bas de combat. Pierre Frogier annonce qu’il va intervenir au Sénat, il estime que ce n’est pas à la justice de trancher la question, mais au pouvoir politique de clarifier les choses par la loi. Gaël Yanno va demander précisément que la modification de la loi organique qui se prépare, inclut une réécriture de l’article 188 qui précise les critères d’inscription, mais « dont la rédaction remonte à l’époque du corps glissant » et estime que la Cour de cassation ajoute une restriction qui n’est pas dans le texte. Philippe Gomès rappelle qu’en 2014, le Premier ministre a fixé la ligne de conduite des représentants de l’Etat devant la représentation nationale, à l’Assemblée. « S’il devait y avoir volte-face, ce serait inacceptable. »


Ph.F.
 

6 700

C’est le nombre de personnes visées par l’opération de radiation, lancée à quelques semaines des élections provinciales de mai 2014, par l’Union calédonienne et le Parti travailliste. L’Onu avait été appelée à la rescousse.
 

Repères

Commissions en évolution
Les commissions administratives spéciales de révision des listes électorales spéciales sont actuellement composées de cinq membres. Un magistrat de l’ordre judiciaire désigné par la Cour de cassation, un représentant de l’Etat désigné par le haut-commissaire, un représentant du maire de la commune concernée, désigné par le maire, et deux représentants des électeurs, un indépendantiste et un non-indépendantiste.
Les décisions des commissions sont donc prises à une majorité de trois voix au moins.
Au cours des deux dernières années, les magistrats appliquaient la jurisprudence de la cour de cassation, mais les représentants de l’Etat suivaient les consignes de Matignon. D’où les rejets massifs des demandes de radiation faites par la commission citoyenneté du FLNKS et du parti travailliste.
Cette année, les représentants de l’Etat ont reçu la consigne d’appliquer la jurisprudence de la Cour de cassation. Les majorités ne seront plus les mêmes.

Liste référendaire gelée
L’accord de Nouméa n’avait pas initialement prévu des listes gelées pour les élections provinciales. En revanche, il l’avait prévu pour la liste de ceux qui pourront voter aux référendums. Pour être inscrit, il faut résider en Nouvelle-Calédonie depuis 1994. Ce point n’a jamais été source de polémique entre indépendantistes et loyalistes.