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KANAKY

dimanche 23 août 2015

Armés de lances, des Indiens affrontent la police en Équateur



De violents affrontements ont eu lieu entre Indiens et policiers à Macas, une ville située à 350 km au sud de la capitale équatorienne, mercredi 19 août. Mobilisés depuis plus d’une semaine, ces Indiens réclament la construction d’une nouvelle route, une meilleure prise en compte de leur culture à l'école et l’abandon des projets miniers et pétroliers dans la région. Des revendications hétéroclites, à l’image de celles des différents acteurs impliqués dans la grève nationale actuelle.
 


Depuis le 13 août, l'Équateur est secoué par une grève nationale de grande ampleur et d'une durée indéterminée. Lancée par des syndicats et des partis politiques de l’opposition, elle est soutenue par plusieurs organisations indigènes. Le 2 août dernier, des milliers d’Indiens ont ainsi quitté à pied la province de Zamora, dans l’extrême sud du pays, pour rejoindre la capitale et participer au mouvement. Les organisations indigènes ont d’ailleurs appelé à un "soulèvement national" contre le gouvernement du président Rafael Correa.
Ces derniers jours, des manifestations, des blocages routiers et des heurts impliquant des indigènes ont été répertoriés dans plusieurs endroits du pays. C’est le cas à Macas, la capitale de la province de Morona Santiago, située en bordure de la forêt amazonienne, où les Shuar et les Achuar – des peuples amérindiens – ont entamé un mouvement de protestation la semaine dernière.



Shuar et Achuar à Macas, le 19 août. Photo publiée sur la page Facebook de Radio Macas.

"Les policiers n’étaient pas équipés pour faire face aux manifestants"

Danilo Tayopanta est le directeur de Radio Macas, une radio indépendante locale. Il a assisté aux affrontements entre policiers et Indiens dans la ville mercredi.
Tôt dans la matinée, une centaine de manifestants Shuar et Achuar ont décidé d’aller bloquer les bâtiments du gouvernement provincial et de la direction locale du ministère de l’éducation. Au début, ils étaient simplement devant le ministère, environ 25 à 30 policiers se trouvaient à 50 mètres, mais tout était calme. Mais certains ont décidé d’entrer dans le bâtiment, donc les policiers sont intervenus.
C’est à ce moment-là que les affrontements ont commencé. Il y a eu des bousculades, des coups… Les manifestants avaient des lances, donc les policiers ont couru pour s’échapper. En fait, ils avaient seulement des casques et des boucliers, donc ils n’étaient pas vraiment équipés pour leur faire face. Huit d’entre eux ont d'ailleurs été blessés. [Tous les policiers ne portaient pas de casques, NDLR.]


Esta es la violencia que auspician. La fuerza pública ha actuado hasta ahora con profesionalismo, y de eso se han...
Posted by Javier Cortés on Wednesday, August 19, 2015
Début des tensions entre Indiens et policiers. Vidéo publiée sur Facebook par Javier Cortés.



Esta es la violencia que auspician. La fuerza pública ha actuado hasta ahora con profesionalismo, y de eso se han...
Posted by Javier Cortés on Wednesday, August 19, 2015
Fuite des policiers. Vidéo publiée sur Facebook par Javier Cortés.

L'un des policiers, blessé à la suite des heurts avec les Shuar et Achuar, le 19 août. Photo publiée sur la page Facebook de Radio Macas.

Dans l’après-midi, des militaires de l’infanterie marine et d’autres policiers sont arrivés en avion à Macas. Ils étaient environ 300. Ils ne sont pas intervenus directement, mais leur présence a mis la pression sur les manifestants. Ces derniers se sont retirés des abords du ministère de l’éducation et sont allés ailleurs.

Arrivée de renforts à Macas, le 19 août. Photo publiée sur la page Facebook de Radio Macas.


Revendications locales…

À Macas, les Shuar et Achuar se mobilisent essentiellement pour réclamer la construction d’une route reliant la ville au canton de Taisha, à l’Est, à laquelle le gouvernement national s’oppose. Nombre d’entre eux exploitent le bois là-bas, donc cette route faciliterait les échanges commerciaux.
Ils réclament également une meilleure prise en compte de leur culture à l'école. En fait, depuis l’arrivée de Rafael Correa au pouvoir il y a huit ans, le gouvernement national a repris le contrôle de l’éducation bilingue interculturelle – en espagnol et en shuar – car elle était de mauvaise qualité. [Le shuar est l’une des langues officielles du pays, selon la Constitution, NDLR.] Par exemple, à Macas, le président a inauguré un nouvel établissement scolaire en 2013, qui rassemble un millier d’élèves environ, ce qui a entraîné la fermeture de plusieurs petites écoles bilingues. Cet établissement est également bilingue, mais les Shuar estiment que leur langue et leur culture n'y sont pas assez valorisées, comme elles pouvaient l'être dans les petites écoles.

Par ailleurs, les Shuar et Achuar s’opposent à l’exploitation pétrolière et minière sur leurs terres traditionnelles. Concernant le pétrole, aucun projet n’a pour l’instant été lancé. Mais la compagnie minière EcuaCorriente S.A. exploite déjà le cuivre et l’or dans la cordillère du Condor, dans le sud de la province. [Il s’agit d’une filiale de l’entreprise chinoise CRCC-Tongguan Investment, NDLR.]

De plus, ça fait des années que cette même entreprise projette d’ouvrir une immense mine de cuivre à Panantza-San Carlos, à deux heures au sud de Macas. Depuis l’arrivée de Rafael Correa au pouvoir, les activités d’exploration s’y sont d’ailleurs intensifiées. Si ce projet aboutissait, il s’agirait alors de la deuxième plus grande mine de cuivre à ciel ouvert d’Amérique latine. Mais les autorités provinciales s’y opposent, contrairement au gouvernement national.


... et nationales

Outre ces revendications locales, les Shuar et Achuar partagent également les critiques exprimées au niveau national vis-à-vis de Rafael Correa. Ce dernier aimerait changer la Constitution pour rester plus longtemps au pouvoir, ce qui déplait aux gens. Il recourt trop souvent aux "cadenas" [messages officiels ponctuels interrompant les programmes de radio et de télévision, NDLR], qui sont souvent offensants à l'égard des personnes critiques du gouvernement. Des médias privés ferment régulièrement... [Certains ont par exemple été fermés officiellement pour des retards de paiement, mais il s'agirait de représailles d'ordre politique selon les médias concernés, comme l'indique Reporters sans frontières, NDLR.] Enfin, le contrôle de l'eau demeure une question épineuse pour les communautés indigènes.

Le Parlement étudie actuellement une série d’amendements de la Constitution – autorisés par la Cour constitutionnelle en octobre dernier – dont l'un porte sur la "réélection indéfinie" du président de la République. Il permettrait à Rafael Correa d’être candidat à un nouveau mandat en 2017, alors que l’opposition réclame que cette question soit soumise à un référendum. C’est cette mesure qui cristallise la colère au niveau national, bien que les secteurs mobilisés et leurs revendications soient extrêmement hétéroclites.


Manifestation à Quito, le 19 août. Photo publiée sur Twitter par Darío Terán Pazmiño.

"C’est la première fois qu’il y a un mouvement d’une telle ampleur contre Rafael Correa"
Darío Terán Pazmiño, étudiant en sociologie à Quito, a manifesté à plusieurs reprises depuis le lancement de la grève nationale le 13 août.
C’est la première fois qu’il y a un mouvement d’une telle ampleur contre le président. Outre les revendications des indigènes, qui demandent à être davantage consultés concernant les projets miniers et pétroliers et la gestion de l’eau sur leurs terres ancestrales, plusieurs secteurs de la société sont mobilisés. Les syndicats s’opposent à une réforme de la loi du travail, les femmes se mobilisent pour que l’avortement soit dépénalisé en cas de viol, les étudiants manifestent contre une réforme de l’éducation supérieure…
[Les avocats déplorent également un contrôle des pouvoirs législatifs et judiciaires par l’exécutif, les retraités dénoncent les coupes dans les retraites, tandis que plusieurs groupes de droite ont récemment protesté contre les hausses d’impôts sur les plus-values immobilières et les héritages, NDLR.]

D’une manière générale, on aimerait que le gouvernement consulte davantage les citoyens et qu’il soit plus ouvert au dialogue.
De son côté, le président Rafael Correa affirme être victime d’une campagne de déstabilisation et que la grève nationale est un "échec".

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