Armés de lances, des Indiens affrontent la police en Équateur
De violents affrontements ont eu lieu entre Indiens et policiers à
Macas, une ville située à 350 km au sud de la capitale équatorienne,
mercredi 19 août. Mobilisés depuis plus d’une semaine, ces Indiens
réclament la construction d’une nouvelle route, une meilleure prise en
compte de leur culture à l'école et l’abandon des projets miniers et
pétroliers dans la région. Des revendications hétéroclites, à l’image de
celles des différents acteurs impliqués dans la grève nationale
actuelle.
Depuis le 13 août, l'Équateur est secoué par une grève nationale de
grande ampleur et d'une durée indéterminée. Lancée par des syndicats et
des partis politiques de l’opposition, elle est soutenue par plusieurs
organisations indigènes. Le 2 août dernier, des milliers d’Indiens ont
ainsi quitté à pied la
province de Zamora, dans l’extrême sud du pays, pour rejoindre la
capitale et participer au mouvement. Les organisations indigènes ont
d’ailleurs appelé à un "soulèvement national" contre le gouvernement du
président Rafael Correa.
Ces derniers jours, des manifestations, des blocages routiers et des heurts impliquant des indigènes ont été répertoriés dans plusieurs endroits
du pays. C’est le cas à Macas, la capitale de la province de Morona
Santiago, située en bordure de la forêt amazonienne, où les Shuar et les
Achuar – des peuples amérindiens – ont entamé un mouvement de
protestation la semaine dernière.
Shuar et Achuar à Macas, le 19 août. Photo publiée sur la page Facebook de Radio Macas.
"Les policiers n’étaient pas équipés pour faire face aux manifestants"
Danilo Tayopanta est le directeur de Radio Macas, une radio indépendante locale. Il a assisté aux affrontements entre policiers et Indiens dans la ville mercredi.
Tôt dans la matinée, une centaine de
manifestants Shuar et Achuar ont décidé d’aller bloquer les bâtiments du
gouvernement provincial et de la direction locale du ministère de
l’éducation. Au début, ils étaient simplement devant le ministère,
environ 25 à 30 policiers se trouvaient à 50 mètres, mais tout était
calme. Mais certains ont décidé d’entrer dans le bâtiment, donc les
policiers sont intervenus.
C’est à ce moment-là que les affrontements ont commencé. Il y a eu des
bousculades, des coups… Les manifestants avaient des lances, donc les
policiers ont couru pour s’échapper. En fait, ils avaient seulement des
casques et des boucliers, donc ils n’étaient pas vraiment équipés pour
leur faire face. Huit d’entre eux ont d'ailleurs été blessés. [Tous les
policiers ne portaient pas de casques, NDLR.]
Esta es la violencia que auspician. La fuerza pública ha actuado hasta ahora con profesionalismo, y de eso se han...
Posted by Javier Cortés on Wednesday, August 19, 2015
Début des tensions entre Indiens et policiers. Vidéo publiée sur Facebook par Javier Cortés.
Esta es la violencia que auspician. La fuerza pública ha actuado hasta ahora con profesionalismo, y de eso se han...
Posted by Javier Cortés on Wednesday, August 19, 2015
Fuite des policiers. Vidéo publiée sur Facebook par Javier Cortés.
L'un des policiers, blessé à la suite des heurts avec les Shuar et Achuar, le 19 août. Photo publiée sur la page Facebook de Radio Macas.
Dans l’après-midi, des militaires de
l’infanterie marine et d’autres policiers sont arrivés en avion à Macas.
Ils étaient environ 300. Ils ne sont pas intervenus directement, mais
leur présence a mis la pression sur les manifestants. Ces derniers se
sont retirés des abords du ministère de l’éducation et sont allés
ailleurs.
Arrivée de renforts à Macas, le 19 août. Photo publiée sur la page Facebook de Radio Macas.
Revendications locales…
À Macas, les Shuar et Achuar se mobilisent essentiellement pour réclamer
la construction d’une route reliant la ville au canton de Taisha, à
l’Est, à laquelle le gouvernement national s’oppose. Nombre d’entre eux
exploitent le bois là-bas, donc cette route faciliterait les échanges
commerciaux.
Ils réclament également une meilleure prise en compte de leur culture à
l'école. En fait, depuis l’arrivée de Rafael Correa au pouvoir il y a
huit ans, le gouvernement national a repris le contrôle de l’éducation
bilingue interculturelle – en espagnol et en shuar – car elle était de
mauvaise qualité. [Le shuar est l’une des langues officielles du pays,
selon la Constitution, NDLR.] Par exemple, à Macas, le président a inauguré un
nouvel établissement scolaire en 2013, qui rassemble un millier
d’élèves environ, ce qui a entraîné la fermeture de plusieurs petites
écoles bilingues. Cet établissement est également bilingue, mais les
Shuar estiment que leur langue et leur culture n'y sont pas assez
valorisées, comme elles pouvaient l'être dans les petites écoles.
Par ailleurs, les Shuar et Achuar s’opposent à l’exploitation pétrolière
et minière sur leurs terres traditionnelles. Concernant le pétrole,
aucun projet n’a pour l’instant été lancé. Mais la compagnie minière
EcuaCorriente S.A. exploite déjà le cuivre et l’or dans la cordillère du
Condor, dans le sud de la province. [Il s’agit d’une filiale de l’entreprise chinoise CRCC-Tongguan Investment, NDLR.]
De plus, ça fait des années que cette même entreprise projette d’ouvrir
une immense mine de cuivre à Panantza-San Carlos, à deux heures au sud
de Macas. Depuis l’arrivée de Rafael Correa au pouvoir, les activités
d’exploration s’y sont d’ailleurs intensifiées. Si ce projet
aboutissait, il s’agirait alors de la deuxième plus grande mine de
cuivre à ciel ouvert d’Amérique latine. Mais les autorités provinciales
s’y opposent, contrairement au gouvernement national.
... et nationales
Outre ces revendications locales, les Shuar et Achuar partagent
également les critiques exprimées au niveau national vis-à-vis de Rafael
Correa. Ce dernier aimerait changer la Constitution pour rester plus
longtemps au pouvoir, ce qui déplait aux gens. Il recourt trop souvent
aux "cadenas" [messages officiels ponctuels interrompant les programmes
de radio et de télévision, NDLR], qui sont souvent offensants à l'égard
des personnes critiques du gouvernement. Des médias privés ferment
régulièrement... [Certains ont par exemple été fermés officiellement
pour des retards de paiement, mais il s'agirait de représailles d'ordre
politique selon les médias concernés, comme l'indique Reporters sans frontières, NDLR.] Enfin, le contrôle de l'eau demeure une question épineuse pour les communautés indigènes.
Le Parlement étudie actuellement une série d’amendements de la Constitution – autorisés par
la Cour constitutionnelle en octobre dernier – dont l'un porte sur la
"réélection indéfinie" du président de la République. Il permettrait à
Rafael Correa d’être candidat à un nouveau mandat en 2017, alors que
l’opposition réclame que cette question soit soumise à un référendum.
C’est cette mesure qui cristallise la colère au niveau national, bien
que les secteurs mobilisés et leurs revendications soient extrêmement
hétéroclites.
Manifestation à Quito, le 19 août. Photo publiée sur Twitter par Darío Terán Pazmiño.
"C’est la première fois qu’il y a un mouvement d’une telle ampleur contre Rafael Correa"
Darío Terán Pazmiño,
étudiant en sociologie à Quito, a manifesté à plusieurs reprises depuis
le lancement de la grève nationale le 13 août.
C’est la première fois qu’il y a un mouvement
d’une telle ampleur contre le président. Outre les revendications des
indigènes, qui demandent à être davantage consultés concernant les
projets miniers et pétroliers et la gestion de l’eau sur leurs terres
ancestrales, plusieurs secteurs de la société sont mobilisés. Les
syndicats s’opposent à une réforme de la loi du travail, les femmes se
mobilisent pour que l’avortement soit dépénalisé en cas de viol, les
étudiants manifestent contre une réforme de l’éducation supérieure…
[Les avocats déplorent
également un contrôle des pouvoirs législatifs et judiciaires par
l’exécutif, les retraités dénoncent les coupes dans les retraites,
tandis que plusieurs groupes de droite ont récemment protesté contre les hausses d’impôts sur les plus-values immobilières et les héritages, NDLR.]
D’une manière générale, on aimerait que le gouvernement consulte davantage les citoyens et qu’il soit plus ouvert au dialogue.