Benoît Tangopi, l'un des preneurs d'otages de Fayaoué, à l'entrée du "Trou des guerriers", la grotte sacrée de la tribu de Gossanah. Retour sur une page noire |
de l'Histoire de la Nouvelle-Calédonie
C'était
au printemps 1994. Au téléphone, un interlocuteur anonyme proposait
de me remettre une série de documents concernant les événements
qui s'étaient déroulés en avril-mai 1988 sur l'atoll d'Ouvéa, en
Nouvelle-Calédonie. Rendez-vous fut pris. Le jour dit, il était là,
pile sous la grande horloge du hall de la gare de Lyon, à Paris. Un
homme massif, engoncé dans un imperméable mastic à col relevé et
portant chapeau mou, perruque et lunettes noires, une serviette en
cuir à la main. Comme dans un mauvais polar.
Nous
nous sommes attablés au sous-sol d'un café, désert à cette heure
matinale. Il a extrait de sa serviette une poignée de procès-verbaux
d'audition émanant de la Brigade de Recherche de gendarmerie de
Nouméa. Et deux albums au format 21x29,7cm sous couverture blanche
cartonnée contenant chacun une série de photographies réalisées
les 5 et 6 mai 1988 par les officiers de police judiciaire (OPJ)
venus de la Grande Terre.
Les
premières photos, accompagnées de croquis et brièvement légendées,
avaient été prises peu après la fin de l'«Opération
Victor», sur les lieux mêmes où s'étaient affrontés les
troupes d'élite de l'armée et de la gendarmerie et les militants
indépendantistes, à proximité du «Trou des guerriers», la grotte
sacrée de la tribu de Gossanah où étaient encore détenus
vingt-trois otages.1 On y voit des corps, des armes, des
étiquettes numérotées, comme sur ces scènes de crime que les
séries télévisées nous ont rendu familières.
Le
second album contenait l'ensemble des photos faites par les OPJ le
lendemain des combats, dans le hall de l'aérodrome d'Ouloup, lors de
l'autopsie
«foraine»
effectuée par deux
médecins-légistes acheminés par hélico, les docteurs Jean Véran
et Pierre Deconninck : des examens visuels, pratiqués à la chaîne2
sur les corps des dix-neuf indépendantistes morts pendant et après
les assauts. Dix-neuf cadavres étendus à l'abri des regards
extérieurs, derrière des baies vitrées passées à la peinture
blanche. Photographiés en gros
plans et en plans
rapprochés. Des torses, des membres, des visages. Des brûlures et
des plaies par balles. En tout, quatre-vingt neuf images assorties
des observations des légistes. Difficiles à regarder. Impossibles à
montrer. Vous ne verrez donc pas CE
QUE J'AI
VU. Sur ce point, il
faudra me croire sur parole.
Ces
documents inédits, il fallait d'abord en établir l'authenticité,
même si elle ne faisait guère de doute. Ils semblaient tout droit
sortis du dossier judiciaire. Ma première et démarche a donc
consisté à rencontrer le chef de file des avocats des Kanak
inculpés des homicides et de la prise d'otages de Fayaoué, Me
Michel Tubiana, futur président de la Ligue des Droits de
l'Homme, qui avait – non sans mal - eu accès au dossier.
Les
faits, tous les faits survenus en avril-mai 1988 à Ouvéa étaient
couverts par les lois d'amnistie adoptées en novembre 1988 et
janvier 1990 sous le gouvernement de Michel Rocard. Aucune des pièces
que je détenais n'était de nature à nuire à ses clients. Et
cependant Me Tubiana a clairement fait savoir qu'il
attaquerait en justice l'hebdomadaire qui m'employait si une seule
des images tombées en ma possession devait être publiée !
Cette attitude a eu un effet dissuasif. Elle a stoppé net l'enquête
que j'avais tout juste amorcée.
Des
vérités qui dérangent
Presque
vingt ans après, je l'ai reprise là où je l'avais abandonnée.
Parce qu'une fiction, L'Ordre et la Morale,
le film de Mathieu Kassovitz sorti en salles en novembre 2011, a
rallumé en Nouvelle-Calédonie des feux mal éteints et relancé la
polémique. Sur les circonstances dans lesquelles vingt-cinq hommes3 ont trouvé la mort. Et sur le bien-fondé d'une action militaire
inédite depuis la fin de la guerre d'Algérie : l'engagement de
l'Armée sur une partie du territoire national afin d'y combattre des
Français.
Il y
a des vérités qui dérangent, qui ébranlent les convictions,
bousculent les certitudes. Il est des mensonges qui rassurent, qui
procurent un certain confort, intellectuel ou moral, qui mettent à
l'abri du doute. J'ai entrepris de rechercher des vérités
soigneusement dissimulées, de dissiper des doutes bien entretenus et
de dénoncer des mensonges solidement établis.
En
France, le droit de savoir et le droit à l'Histoire se heurtent à
un mur. La Direction du Patrimoine, gardienne des archives
judiciaires, et le Service historique des Armées, détenteur
d'un fonds privé contenant certains éléments du dossier, ont
tous deux rejeté mes demandes de consultation de leurs dossiers. Au
nom de la Loi et en
vertu du «respect de la vie privée» et du «Secret
défense», deux
obstacles quasiment infranchissables. LA
vérité sur Ouvéa
n'est donc pas pour demain. Mais, témoignage après témoignage et
d'anecdote en confidence, je me suis efforcé de l'approcher.
JGG
-------------------------------------------------------------------------A suivre...
1.
Quinze gendarmes mobiles des
escadrons d'Antibes et de Villeneuve d'Ascq capturés le 22 avril à
Fayaoué, le lieutenant d'Infanterie de Marine Patrick
Destremau, fait prisonnier le 26 alors qu'il recherchait
l'emplacement de leur lieu de détention, un magistrat venu en
négociateur, Jean Bianconi, substitut du Procureur de la République
de Nouméa, pris lui aussi en otage le 27 ainsi que cinq
membres du Gign et un gendarme territorial mélanésien, Samy Ihage.
2.
Une autopsie classique, complète, aurait exigé entre 1 heure et
2h 30 pour chaque corps examiné.
3.
Quatre gendarmes
tués à Fayaoué, deux militaires du 11ème Choc tombés le 5 mai
lors du premier assaut donné à la grotte de Gossanah et dix-neuf indépendantistes morts pendant ou après les combats.
1. Le récit truqué du "massacre" de Fayaoué
Je
suis consterné par cette sauvagerie, par la barbarie de ces hommes, si
tant est qu'on puisse les qualifier ainsi, sans doute sous l'emprise de
la drogue et de l'alcool ...» Invité du Grand Jury RTL-Le Monde, Jacques
Chirac ne fait pas dans la nuance. Nous sommes le vendredi 22 avril au
soir. La nouvelle de l'attaque de la brigade de Fayaoué est parvenue en
métropole vers 2 heures du matin heure de Paris et son bilan tragique –
trois gendarmes tués, deux grièvement blessés et vingt-six autres pris
en otages – a été connu aux petites heures de la nuit. Il aura fallu
moins d'une journée au Premier ministre et à son gouvernement pour
tordre le cou à la vérité et accréditer la thèse d'un massacre perpétré à
l'arme blanche...
Le premier tour de l'élection présidentielle aura lieu dans moins de
48 heures. Distancé dans les sondages qui le donnent pour battu au
second tour, le Premier ministre dénonce avec virulence les «composantes extrémistes» du FLNKS1, tenues pour responsables de cet acte de «terrorisme».
Mais sa philippique s'adresse d'abord au chef de l'Etat, François
Mitterrand. L'heure n'est plus aux duels à fleurets mouchetés qui ont
émaillé la période de cohabitation. Ce sont les socialistes et, au
premier chef, le Président de la République sortant, qui se trouvent
dans la ligne de mire du candidat Chirac. «Dans la période socialiste2 il y a eu (en Nouvelle-Calédonie), énumère-t-il trente-deux morts, des centaines de blessés, des dizaines, des dizaines et des dizaines de femmes violées, des centaines de maisons, de fermes ou de biens attaqués, pillés.»
Elle
ressurgit avec ponctualité tous les 22 avril, lors de la désormais
rituelle cérémonie organisée en mémoire des gendarmes de Fayaoué.3. Elle se faufile à l'occasion dans les colonnes des journaux, comme en 2011 lors de la sortie du film de Mathieu Kassovitz. Et puis, de lien en lien,
elle se répand, s'étale et s'enracine sur la Toile : sur les sites
internet des journaux et des hebdos, sur les forums dédiés aux gendarmes
d'active ou retraités et dans les commentaires des blogs courus par les
Jacques Chirac a-t-il pesé le poids de ses mots? A-t-il mesuré leur impact auprès de tous ceux, gendarmes, soldats et officiers, à qui il va bientôt donner pour mission de libérer les otages et mettre hors d'état de nuire leurs ravisseurs ? Et pouvait-il imaginer que la rumeur qu'il avait contribué à nourrir en lui conférant un statut de vérité officielle, allait s'installer durablement dans les têtes et dans la légende calédonienne ? Car vingt-six ans plus tard, tel l'indestructible canard de Robert Lamoureux, la rumeur est toujours vivante...! «fana-mili», les amoureux de la chose militaire.
Jacques Chirac a-t-il pesé le poids de ses mots? A-t-il mesuré leur impact auprès de tous ceux, gendarmes, soldats et officiers, à qui il va bientôt donner pour mission de libérer les otages et mettre hors d'état de nuire leurs ravisseurs ? Et pouvait-il imaginer que la rumeur qu'il avait contribué à nourrir en lui conférant un statut de vérité officielle, allait s'installer durablement dans les têtes et dans la légende calédonienne ? Car vingt-six ans plus tard, tel l'indestructible canard de Robert Lamoureux, la rumeur est toujours vivante...! «fana-mili», les amoureux de la chose militaire.
Malgré les démentis4 et les multiples récits qui la contredisent, toujours elle rebondit ! Avec aplomb. En chose acquise. Indiscutable.
Des gros titres à faire frémir
La "Une" de Libération
associe le premier tour
de la présidentielle au drame
de Fayaoué et au sort
des otages français du Liban.
|
«Mes parents m'ont raconté que les Kanak5 avaient coupé la tête des gendarmes»,
écrivait il y a peu une jeune Caldoche de 20 ans sur le forum d'un site
internet calédonien. Un quart de siècle après le drame de Fayaoué,
l'idée la plus répandue à propos de cet événement n'a pas varié. Les
gendarmes ont bien été «découpés», «démembrés» voire «décapités» par «une bande de sauvages». Pour
beaucoup de Français, les gendarmes Edmond Dujardin, Daniel Leroy, Jean
Zawadzki et Georges Moulié ont été massacrés à coups de machettes, de
haches et de couteaux. Ainsi que le relataient, le lendemain du drame, Les Nouvelles Calédoniennes6 et la plupart des quotidiens nationaux, sous des gros titres éloquents : «Massacre en Calédonie, trois gendarmes tués à l'arme blanche par des indépendantistes» (Le Figaro), «Trois gendarmes sauvagement assassinés à coups de machette à Ouvéa» (Le Parisien), «Massacre à Ouvéa, quatre gendarmes tués à la hache par un commando de Kanaks» (France-Soir).
Même la presse «de gauche» donne alors le sentiment de partager
l'effroi, la répulsion manifestés par le chef du gouvernement. «CALEDONIE : TUERIE», titre Libération. Et si, comme à son habitude, Le Monde a opté pour la sobriété - «Trois gendarmes ont été tués par des indépendantistes canaques»
- le dessin de Plantu dont il agrémente sa «Une» montre un Kanak sur le
point d'abattre une lourde hache sur la nuque d'un gendarme, agenouillé
le cou tendu au-dessus d'une urne électorale, avec derrière lui trois
autres gendarmes qui attendent leur tour, et dans une bulle, cette
formule lapidaire: «A voté !»
La
rumeur, née sur le Caillou sitôt les tués et les blessés débarqués à
Nouméa, s'est propagée en seulement quelques heures. Pourquoi et
comment, alors que le 22 avril en fin de matinée la réalité était connue
de toutes les autorités du territoire et, à Paris, des principaux
responsables politiques concernés ? Pourquoi la quasi-totalité des
médias, journaux, radios et chaînes de télévision confondus, ont-ils
adopté cette version des faits alors qu'à 3h 46 heure de Paris – compte
tenu du décalage horaire, il était 12h 46, soit neuf heures de plus, à
Nouméa – l'Agence France Presse (AFP)
avait diffusé la bonne information : «Trois gendarmes ont été tués
vendredi matin par balles en Nouvelle-Calédonie peu avant 9 heures
locales, au cours de graves affrontements avec des militants
indépendantistes présumés dans l'ile d'Ouvéa, une des îles Loyauté»?
Selon l'AFP,
l'information provient de la Direction générale de la Gendarmerie
nationale (DGGN) à Paris. Elle sera confirmée de même source à 4h 24 : «Les trois gendarmes tués - deux gendarmes mobiles et un gendarme territorial - ont trouvé la mort au cours d'un échange de coups de feu dont les conditions sont encore indéterminées».
Info ou intox ?
Peu
après 8 heures, ce 22 avril, le service de presse de l'Elysée fait
savoir que le Président a demandé à son Premier ministre de lui «rendre compte de la situation». A
9 heures précises, une cellule de crise se réunit à Matignon, à
laquelle participent, outre Jacques Chirac, son ministre de la Défense,
André Giraud, celui des DOM-TOM, Bernard Pons, celui de la Justice,
Albin Chalandon, ainsi que le Directeur général de la Gendarmerie, le
haut-magistrat Régis Mourier. La nuit tombe sur Nouméa où les victimes
de Fayaoué ont été acheminées dans l'après-midi. La DGGN et Matignon ne
peuvent plus ignorer la manière dont les gendarmes ont été tués ou
blessés. Est-ce lors de cette réunion qu'a été élaborée la version revue
et corrigée qui sera délivrée aux médias? Je n'ai pas obtenu de réponse
à cette question. Mais...
... A 13h 56 heure de Paris une dépêche AFP de plus de 800 mots tombe sur les téléscripteurs. Elle rend largement compte d'un bilan officiel «publié à 13h 30 par la Direction générale de la gendarmerie». Cette fois, il n'est plus question de morts «par balles» : «Les trois gendarmes tués - deux gendarmes mobiles et un gendarme territorial - ont été massacrés à l'arme blanche». Telle sera désormais la vérité officielle sur le premier épisode sanglant du drame d'Ouvéa.
C'est vrai : la plupart des hommes qui ont investi la gendarmerie de
Fayaoué le 22 avril au matin (entre trente et soixante selon les
estimations) étaient armés de couteaux, de sabres d'abattis et de
tamiocs, ces haches légères à simple ou double tranchant dont les
Mélanésiens se servent pour débrousser, pour défricher. Une poignée
seulement disposait d'armes à feu. Il n'empêche : les trois gendarmes morts à Fayaoué ont bien été tués par balles ou par des tirs de chevrotines.
Et jusqu'à preuve du contraire, la seule victime de blessures par usage
d'arme blanche est un rescapé : le jeune lieutenant Jean Florentin,
nommé quelques jours plus tôt à la tête des deux demi-pelotons de
gendarmes mobiles venus renforcer la brigade en prévision des élections7 et de troubles éventuels.
Le colonel Florentin8 n'évoque aujourd'hui qu'avec réticence les violences qu'il a subies et dont son visage porte aujourd'hui encore la trace. «L'un
des Kanak m'a aspergé avec une bombe lacrymogène et je suis tombé à la
renverse. Une fois à terre, j'ai réussi à extraire mon arme de son étui.
Mon agresseur s'est aussitôt précipité sur moi. Pratiquement dans la
même seconde, il a abattu sa hache - je revois encore le manche rouge du tamioc ! - et je lui ai tiré une balle dans la mâchoire, qui l'a expédié trois mètres en arrière.» Le coup de tamioc asséné au lieutenant au niveau de la tempe droite a occasionné une embarrure (une fracture de la boîte crânienne avec enfoncement de la partie fracturée). « Le crâne s’est effondré bord à bord et un fragment d'os a percé la dure-mère (la membrane rigide qui protège le cerveau). A un cheveu du cerveau», précise
Jean Florentin. Au vu des résultats d'examens médicaux pratiqués à
Nouméa, il pense que les assaillants qui se sont rués dans l'enceinte de
la gendarmerie aussitôt après le coup de feu - «en rogne parce que j'avais utilisé mon arme» - lui ont arraché son pistolet en lui cassant le doigt, avant de s'acharner sur lui. A coups de pieds et à l'arme blanche, couteau ou sabre d'abattis. «J'ai été atteint au creux du coude droit, ce qui a nécessité des points de suture, et au flanc gauche : une
coupure superficielle qui n'a pas provoqué de dégâts. Au réveil,
j'avais la sensation d’avoir les deux épaules brisées... Après cet accès
de fureur, les Kanak pensaient que j'étais mort et m'ont recouvert
d'une couverture.»
La dépêche AFP de 13h 56 indiquait, sans le nommer, que Jean Florentin avait été «opéré
pour de graves blessures à la tête et aux épaules, en particulier des
fractures, faites à l'arme blanche, vraisemblablement par une hache, les
médecins estimant que sa vie n'est plus en danger». Sur ce point, la DGGN disait vrai. Comme sur l'état de l'adjudant-chef Georges Moulié : «Le gendarme le plus gravement atteint a reçu plusieurs plombs dans la tête et le pronostic des médecins est très réservé jusqu'à dimanche».
Une vérité fabriquée de toutes pièces
Pourquoi l'état-major parisien de la gendarmerie a-t-il ainsi varié dans ses déclarations à la presse? Etait-ce sur ordre de Matignon? «Nous avons bien évidemment cherché à comprendre, mais sans obtenir d'explication», se souvient Pierre Feuilly, principal auteur de la fameuse dépêche de 13h 56. Si la DGGN était en mesure de préciser la nature des blessures de Jean Florentin et de Georges Moulié, ainsi que de celles des trois Kanak transférés avec eux à Nouméa, pouvait-elle ignorer les causes réelles de la mort d'Edmond Dujardin, Daniel Leroy et Jean Zawadzki ? La réponse est : «non» !
Quelques
heures seulement après le coup de force de Fayaoué, le
lieutenant-colonel de gendarmerie Alain Picard, désigné pour diriger les
opérations de recherche des militants indépendantistes et de leurs
vingt-sept otages, débarque à l'aérodrome d'Ouloup, sur l'île d'Ouvéa.
Il est accompagné du chef d'escadron Claude Damoy, commandant la
compagnie de gendarmerie de Nouméa, et du lieutenant-colonel Jacques Le
Lann, médecin-chef du Commandement des forces de gendarmerie de
Nouvelle-Calédonie.
A
leur arrivée, trois des assaillants, blessés au cours de
l'affrontement, sont assis à même le tarmac où ils reçoivent les soins
du Dr Eric Degen, le jeune médecin du dispensaire de Fayaoué qui, avec
son aide-infirmier, avait évacué les morts et les blessés alors que le
commando indépendantiste occupait encore la gendarmerie. Comme le
rapportera fidèlement la fameuse dépêche de 13h 56, l'un a été gravement
blessé à l'abdomen (Léonard Faoutolo), un deuxième a été touché à la cuisse et au bras gauche (Aria Gnipate), et le troisième à la mâchoire (Augustin Poumely, l'agresseur du lieutenant Florentin).
«Les deux gendarmes blessés, le lieutenant Florentin et l'adjudant-chef Moulié, sont allongés sur des civières dans un petit avion civil réquisitionné, raconte Alain Picard9. Ils sont inconscients.» Les deux hommes sont méconnaissables et le lieutenant-colonel,
qui leur avait lui-même annoncé leur affectation à la gendarmerie
d'Ouvéa peu de temps auparavant, ne parviendra pas à les identifier !
Les corps d'Edmond Dujardin, Daniel Leroy et Jean Zawadzki reposent dans
un hélicoptère Puma tombé en rideau. Leurs dépouilles seront finalement évacuées vers la Grande Terre par avion Transall dans le courant de l'après-midi.
Deux
officiers de gendarmerie et deux médecins ont ainsi vu les morts et les
blessés avant leur transfert à l'hôpital Gaston-Bourret, à Nouméa. Et
aucun d'eux, à aucun moment, ne reprendra à son compte la version du
massacre à l'arme blanche.
«Une balle de chasse pour grand gibier»
«Je ne comprends pas pourquoi on exprime encore des doutes sur les blessures constatées sur les gendarmes, s'étonne le Dr Degen, dans un courriel qu'il m'a adressé en mars 2012. J'ai pourtant décrit les lésions aux OPJ de la Brigade de recherche. Dans le cas d'Edmond Dujardin, écrit-il, le doute tient probablement au fait que sa main n'était plus reliée à l'avant-bras que par un fin lambeau de chair. Mais on m'a expliqué qu'on aurait utilisé une balle "dum dum", qui est capable de faire de tels dégâts. De toute façon, il est mort par une autre blessure par arme à feu, au thorax, très hémorragique. Je l'ai trouvé à plat ventre dans une mare de sang.»
«Pour ce qui est de l'adjudant- chef Moulié, ajoute Eric Degen, il n'était pas mort mais dans le coma, avec une protrusion de matière cérébrale (le cerveau a été projeté vers l'avant) déclenchée par un tir de chevrotines à bout portant (…) Quant
au lieutenant Florentin, il m'a impressionné. J'ai voulu m'occuper de
lui en premier - voyant qu'il n'y avait plus rien à faire pour Dujardin -
mais il m'a dit : "Ce n'est pas si grave, occupe-toi des autres camarades", alors
qu'il avait un trauma crânien et une épaule fracassée par un coup de
tamioc ! Il est le seul qui n'ait pas été blessé par balle.»
Même son de cloche et même incompréhension chez le Dr Jacques Le Lann, dont j'ai recueilli le témoignage en juillet 2013. C'est lui qui, le 25 avril, après avoir officiellement procédé à un examen post mortem, a rédigé les certificats de cause de décès nécessaires à la délivrance des permis d'inhumer des trois premières victimes de tirs mortels. Selon ses constatations, le cadavre d'Edmond Dujardin présentait «une plaie thoracique par arme à feu, avec hémothorax massif (une perte de sang qu'il évalue à 3 litres), une plaie pulmonaire avec lésion des vaisseaux du hile gauche (le point d'entrée dans le poumon des artères et des vaisseaux lymphatiques) et une disjonction du carpe droit (les os du poignet ont été sectionnés)» et aujourd'hui comme hier, le Dr Le Lann est catégorique : «C'est une balle de chasse pour grand gibier» qui a occasionné cette blessure-là.
L'examen du corps de Daniel Leroy, 40 ans, a mis en évidence «un polycriblage par plombs de gros calibre, avec hémothorax, hémopéricarde (un épanchement sanguin dans la membrane qui enveloppe le cœur) et plaie au cœur». Quant à Jean Zawadzki, Jacques Le Lann a noté «un fracas osseux occipito-pariétal (une fracture à fragments multiples, située à l'arrière du crâne), avec plaie crânio-cérébrale». Dans ces trois cas, la qualification retenue par le médecin est identique : «Homicide volontaire par arme à feu»...
Ce que disent les rapports d'autopsie
Ce
n'est pas tout. Les rapports d'autopsie de deux médecins-légistes, les
docteurs Jean-Pierre Deconinck et Jean Véran, désignés par le Parquet de
Nouméa, viendront en effet confirmer les conclusions du
lieutenant-colonel Le Lann. Sur le corps du gendarme Dujardin, ils ont eux aussi constaté un hémothorax massif et des plaies au niveau de la main droite, «qui doivent avoir pour origine une balle tirée par une arme à feu, qui en transfixiant la région carpo-métacarpienne (en traversant le poignet de part en part) a créé deux dislocations».
La mort de Jean Zawadzki est attribuée à un « fracas osseux avec plaie cranio-cérébrale à localisation supérieure et quasi médiane en regard du vertex (le point le plus élevé du crâne)», provoquée par une arme de fort calibre
Daniel Leroy, enfin, a bien été tué par une volée de plombs. Son cadavre présente de «nombreuses plaies (une vingtaine au total) dont les caractéristiques font évoquer le diagnostic de lésions par arme à feu», concluent les deux légistes. Bref, les examens sont concordants.
Même
si l'on a pu un temps supposer qu'Edmond Dujardin avait eu le poignet
sectionné d'un coup de machette ou de tamioc, ces observations auraient
dû permettre d'écarter rapidement et définitivement la version erronée
fournie le 22 avril. Mais la position officielle n'en a pas pour autant été
rectifiée. Elle sera au contraire martelée par Jacques Chirac, le 25
avril en meeting à Marseille et le 27 à la télévision, ainsi que par
Bernard Pons depuis la Nouvelle-Calédonie.
Reste
le cas de l'adjudant-chef Moulié. Evacué vers l'Australie par avion
militaire le samedi 23 avril dans l'après-midi, Georges Moulié, 54 ans,
marié et père de trois enfants, succombera le lendemain à l'Hôpital
Royal Prince Alfred de Sydney. Dans des courriels publiés en 2010 par
Alain Picard et sur divers forums, ses filles, Diana et Patricia, ont
manifesté à de multiples reprises, et avec infiniment de dignité, leur
volonté de savoir comment et de quoi leur père était mort.
Pourquoi
ces interrogations ? Le décès de Georges Moulié a été annoncé dans la
soirée du 24 avril à Nouméa, par le Haut Commissariat de la République
en Nouvelle-Calédonie, qui a fait état de blessures à la tête, «par trois plombs de chevrotine».
C'est ce que rapporte l'AFP. C'est ce que mentionnent les journaux australiens. Et c'est ce qui figurerait dans un rapport d'autopsie attribué au
docteur Jean-Pierre Deconinck.
Un document incontestable?
Qu'importe!
Le fils de l'adjudant-chef, lui, n'en démord pas : c'est bien une
blessure par arme blanche qui a provoqué la mort de son père. Le 16
novembre 2011, invité par La Gazette de la Côte d'Or à commenter le film de Mathieu Kassovitz, L'Ordre et la Morale, Eric Moulié explique : «Un
infirmier présent ce jour-là m’a raconté la scène dans le détail. Les
Kanak ont frappé un gendarme à coup de tamioc. Mon père a couru vers
l’armurerie, il a pris un coup de fusil non mortel derrière la tête,
avant d’être achevé à coups de tamioc (…). On sait, assure-t-il, que plusieurs gendarmes ont été touchés par armes blanches».
La parole d'Eric Moulié a du poids. Ancien «supergendarme» du
Gign, il était du groupe qui, sous les ordres du capitaine Philippe
Legorjus, s'apprêtait à embarquer pour la Nouvelle-Calédonie afin de
participer à la libération des otages. Au tout dernier moment, informé
de ce que son père figurait au nombre des blessés, Philippe Legorjus lui
a demandé de rester en métropole et de se rendre auprès de sa mère.
Comment ne pas le croire ?
S'il
est avéré que le gendarme infirmier de l'escadron de Villeneuve d'Ascq a
tenté de porter secours à Georges Moulié, il semble qu'aucun des
témoignages recueillis par la Brigade de recherche de gendarmerie de
Nouméa ne fasse état d'un coup porté à l'arme blanche. Mais, à l'appui
de sa thèse, Eric Moulié produit un document selon lui incontestable :
une copie certifiée conforme d'un Extrait du Registre des constatations des blessures, infirmités et maladies survenues pendant le service. Une attestation destinée aux gendarmes et/ou à leurs familles, afin de faire valoir leurs droits. Sans valeur médico-légale.
Qui a fait quoi ?
L'extrait
en question mentionne, à la date du 22/04/1988 - alors que
l'adjudant-chef est encore hospitalisé à Nouméa - les constations
suivantes : «Blessure intracrânienne par arme à feu. Traumatisme crânien par arme blanche ayant entraîné la mort le 24/04/1988.» A
la rubrique «Documents et pièces établis par ailleurs et portant
également constatation», il signale l'existence d'un Certificat de
visite - un formulaire spécifique aux forces armées - en date du
26/04/1988... Soit deux jours après la mort de Georges Moulié dont la
dépouille est déjà en route pour la France dans un cercueil plombé...
La procédure suivie en pareil cas par les autorités australiennes
consiste à joindre un rapport médical précisant les soins reçus et les
causes de la mort. Or, ici, rien de tel. Et pas de mention non plus du
rapport d'autopsie attribuant le décès de Georges Moulié à un tir de
chevrotine...
Qui
a établi ce rapport ? Qui a procédé aux constatations du 22 avril ? Qui
a rempli le certificat de visite du 26 ? Signé le 15 juin 1988 à
Marseille par le général Iban, commandant la Légion de gendarmerie
Provence-Alpes Côte d'Azur, le document reproduit par La Gazette de la Côte d'Or comporte
le nom de l'auteur des constatations, le Dr Emery, médecin-chef de la
Légion PACA. Mais le docteur Le Lann, dont dépendaient alors les
médecins détachés sur le Caillou, est catégorique : le Dr Emery n'en
faisait pas partie ! Alors, où et par qui a été élaboré ce document venu
contredire les conclusions des examens médico-légaux ?
«Il y a eu une falsification volontaire»
Joint par téléphone, Eric Moulié raconte comment, durant près de deux
jours, il est resté en contact avec les médecins australien depuis les
locaux de l'escadron d'Antibes, l'unité à laquelle appartenait
l'adjudant-chef : «Je
ne parle pas anglais et j'ai fait appel à un ami gendarme qui m'a
traduit les propos des médecins. Ceux-ci nous ont rendu compte de son
état presque heure par heure,
alors qu'il se trouvait sur la table d'opération. Il fallait découper
la calotte crânienne pour tenter d'extraire les trois plombs logés dans
le cerveau et ils ont finalement renoncé à opérer. Il était dans le
coma, puis il est décédé après plusieurs heures passées en état de mort
clinique. Et en tous cas, ajoute-t-il, je suis à peu près sûr qu'ils ont aussi parlé de blessure par arme blanche.» Il
assure enfin qu'il à aucun moment il ne lui a été proposé de
s'entretenir avec un médecin français. Alors même qu'en cas d'Evasan (évacuation sanitaire) un médecin accompagnateur fait systématiquement partie du voyage.
«Sauf celui de mon père qui n’a pas pu être modifié, il y a eu une
falsification volontaire des documents pour cacher la barbarie de
l’assaut!», accuse Eric Moulié.
Et
si c'était précisément l'inverse ? Si l'on avait, par le biais de ce
certificat, tenté de conforter la thèse de la barbarie ? A ce stade,
l'unique moyen de trancher la question consisterait à produire le
rapport évoqué par le Haut- Commissariat. Le médecin-légiste y ferait
état de «plaies crânio-cérébrales avec projectiles inclus» et
attribuerait bien le décès de l'adjudant-chef aux blessures occasionnées
par ces «trois plombs de chevrotine». Ce qui viendrait corroborer les
toutes premières informations fournies dès le 22 avril par la DGGN.
Le
conditionnel reste cependant de rigueur. Par ses silences obstinés,
son refus absolu d'infirmer ou confirmer, Jean-Pierre Deconinck, élevé
au rang de médecin-général de réserve, laisse subsister un doute vieux
de plus de vingt-cinq ans. Au seul bénéfice de ceux qui continuent de
véhiculer la rumeur ou qui, dans le passé, s'en sont emparé à des fins
politiques...
. Le
Front de Libération nationale kanak socialiste, dont la tendance "dure"
est représentée par le FULK (Front uni de Libération kanak) et le
Palika (Parti de Libération kanak).
3. A
l'initiative du Comité du 22 Avril, créé à Villeneuve d'Ascq (Nord) en
mémoire des gendarmes tués à Ouvéa. Cette association et son discours,
très "marqués" à droite, ont évolué au fil des années, sous l'influence
notamment des proches des victimes. Elle défend aujourd'hui les droits
des gendarmes et militaires morts en service et de leurs familles. Elle
prône l'apaisement et a été partie prenante des cérémonies de
réconciliation qui se sont tenues en Nouvelle-Calédonie à l'occasion des
vingtième et vingt-cinquième anniversaires des événements de 1988.
4. Ceux,
en particulier, de Jean-Paul Lacroix, le chef de poste de la brigade de
Fayaoué, désarmé et pris en otage le 22 avril. Sous le pseudonyme de
Bulldog, cet homme scrupuleux a tenté de rectifier les faits sur les
principaux sites dédiés à la gendarmerie. Puis dans un livre publié en
auto-édition: "OUVEA 97 ne répond plus".
5. Le
terme s'est substitué à celui de Canaque, employé par les colonisateurs
et avec un sens péjoratif. Kanak est un mot invariable.
6. Journal
du groupe Hersant. Très proche du RCPR (Rassemblement calédonien pour
la République) du député chiraquien Jacques Lafleur, futur signataire
des accords de Matignon, avec Jean-Marie Tjibaou.
7. Le gouvernement a choisi de coupler élection présidentielle et élections régionales. Le FLNKS a lancé un appel au boycott et organisé des actions de protestation.
8. Jean
Florentin, promu en 2009 au grade de colonel, était en 2013 chef
d'état-major au sein de la Région de gendarmerie de Champagne-Ardenne.
9. Lieutenant-colonel en 1988 et aujourd'hui général de réserve, auteur de : "OUVEA Quelle vérité ," aux Editions LMB.
- Patrick Aben, Charlie Aéma, Pascal Bali, Sébastien Bali, Justin Faoutolo, Samuel Gogny, Louis Méaou et Célestin Wégué. Deux autres membres des tribus du Sud, Augustin Poumely et Léonard Faoutolo font partie des trois blessés kanak hospitalisés (et entendus) à Nouméa.
- Ouvéa compte dix-neuf tribus réparties en autant de villages et dont les territoires composent quatre districts coutumiers : Mouli au Sud, Fayaoué au centre de l'île, Saint-Joseph et Takedji au Nord.
- La loi du 22 janvier 1988 dite du statut Pons II, adoptée après le rejet de l'indépendance au référendum d'autodétermination du 13 septembre 1987, boycotté par les indépendantistes, restreignait l'autonomie accordée au territoire sous le gouvernement Fabius et modifiait le découpage des régions. C'est le scrutin régional que visaient les actions du FLNKS d'avril 1988 et non l'élection présidentielle.
- Lors de la réunion des tribus du Nord, la question de l'usage des armes aurait été posée à Alphonse Dianou qui, lui, aurait donné pour consigne de riposter en cas de résistance.
- Une seule arme de chasse a été saisie lors de la fouille des cases des militants de Lékine et de Mouli. Plusieurs autres – six ou sept - seront retrouvées à l'intérieur de la grotte des Anciens, dont la carabine à lunette de Wenceslas Lavelloi et la chevrotine d'Hilaire Dianou.
- Chanel Kapoeri sera appréhendé le 19 mai à 6heures du matin. C'est Jean-Paul Lacroix qui pénétrera le premier dans sa case, couvert par trois hommes du GIGN. «Il ne fait aucune difficulté à nous suivre», écrit l'ancien chef de poste.
- Le plus jeune de ces gardiens, Charlie Aéma, n'avait que 17 ans. D'autres n'étaient guère plus âgés. Charlie travaille aujourd'hui à la promotion touristique d'Ouvéa où il a aménagé un ensemble de gîtes qui s'inspirent de l'architecture traditionnelle.
2.
Touche pas à la femme blanche !
«Les
gendarmes de Fayaoué ont été tués devant leurs femmes et leurs
enfants.» «Les
épouses ont été violées sous les yeux de leurs hommes...»
Deux variantes - parmi beaucoup d'autres - d'une même vision
fantasmée, hallucinée, de l'événement, et qui montrent que la
mécanique infernale enclenchée par Jacques Chirac et Bernard Pons
continue en 2014 de générer ou de reproduire des énormités, des
monstruosités. Comme si quatre meurtres et une prise d'otages ne
suffisaient pas, comme si l'horreur devait être portée à son
comble afin de mieux souligner l'indignité de leurs auteurs : des
«sauvages»
qui ne reculent devant rien...
La
vox
populi
se trompe et la vérité tient ici en quelques mots. Aucun
enfant ne se trouvait dans les locaux de la gendarmerie lors de
l'attaque. Aucune femme n'a été violée.
Et
les maisons des gendarmes n'ont pas été «pillées
et saccagées».
Trois
témoignages clés
Le
lendemain du drame, à 8h 15, Josie Lacroix, 35 ans, l'épouse du
chef de poste de Fayaoué, est entendue par les gendarmes Patrick
Guérin et Philippe Serrier, officiers de police judiciaire (OPJ) à
la Brigade de recherche de Nouméa. Et voici ce qui figure sur son PV
d'audition (pièce
N°28 du
dossier d'instruction) : «A
7h 15 j'ai conduit conduit mon fils Fabien (6
ans)
à l'école primaire située en face de la brigade. A mon retour à
la maison, quelques minutes après, mon époux était parti au
travail. Il était en tenue. Vers 7h 45, alors que Laurence
(Grezlak), une amie professeur de musique qui avait passé la nuit
chez moi, me disait au revoir, nous avons entendu courir. Nous avons
regardé par la fenêtre de la cuisine et vu un gendarme mobile
courir en direction de son campement (…) A mon avis, il devait
aller donner l'alerte car, simultanément, nous avons vu un groupe de
dix à quinze Mélanésiens qui passait le portail d'entrée. Ils se
sont divisés et alors que je tentais de refermer ma porte, cinq ou
six individus ont réussi à pénétrer dans mon domicile. Avec mon
amie, nous avons essayé de parlementer. Ils nous ont aussitôt fait
taire et fait asseoir au salon».
Une
longue attente
Josie
Lacroix esquisse ensuite une description de quatre de ses agresseurs
dont, précise-t-elle,
«certains
étaient armés de couteaux et de machettes».
«Un
n'était pas armé. Un autre est sorti de la cuisine après y avoir
dérobé
un petit couteau de cuisine et
un
torchon à carreaux
rouges et blancs, qu'il portait sur la tête.»
«Alors
que nous étions gardées (…)
nous
avons entendu des coups de
feu
(…) Il
me semble qu'il y a eu deux
séries de coups de feu.
Les premiers étaient des tirs de carabine ou de fusil. Ensuite, il y
a eu des rafales. Par la suite, vers 8h30, nous avons vu arriver Mme
Dujardin. Elle était affolée et nous a tout de suite dit avoir
reconnu son mari allongé sur le sol et recouvert en partie d'une
couverture. Nous avons essayé de la réconforter et, peu de temps
après, par deux fois, l'ambulance est venue à la brigade.»
«Nous
sommes restées environ une heure dans le salon,
raconte l'épouse de Jean-Paul Lacroix. Pendant
ce temps, deux Mélanésiens d'une vingtaine d'années sont entrés
dans la pièce. Ils étaient vêtus d'imperméables kaki des mobiles
et portaient sur eux des armes que je suppose être des
pistolets-mitrailleurs (…)
Ensuite,
il y a eu des mouvements de camions puis deux Mélanésiens sont
venus nous chercher et nous ont dit que nous pouvions partir avec la
directrice de l'école, qui se trouvait à l'entrée de
la cuisine. Lorsque nous y sommes allées, tous les Mélanésiens
étaient partis.»
«J'ai
entendu mon mari crier : Au secours !»
Le
23 avril toujours, à 10h 15, les deux mêmes OPJ procèdent à
l'audition de Laurence Dujardin, 29 ans. Qui leur déclare ceci :
«Mon
mari a pris son poste de planton à 7 heures. Comme il ne sort pas du bureau,
il était vêtu d'un short blanc et d'une chemisette mauve. Vers 7h
15, j'ai emmené mon fils (Charles,
7 ans)
à l'école catholique Saint-Michel, distante de 800 mètres environ
de la brigade. J'étais de retour chez moi cinq minutes après. Vers
7h 45, alors que je me trouvais dans la cuisine, mon mari est venu en
courant et m'a dit de me cacher car la brigade était attaquée. J'ai
tout de suite placé la table de la cuisine contre la porte et je me
suis accroupie. J'entendais déjà des coups de feu dans la cour et
j'ai entendu mon mari crier dans le hall:
«Oh! Les
salauds!»
Il devait être touché par un tir d'arme à feu. Je l'ai vu s'enfuir
par la fenêtre
et il criait : «Au
secours!»
Puis il a disparu.»
PV d'audition de Laurence Dujardin |
Aux
gendarmes de Nouméa, Laurence Dujardin précise avoir vu depuis la
cuisine où elle s'était enfermée «une
bonne vingtaine de Mélanésiens»
fouiller les tentes des mobiles et d'autres franchir le mur
d'enceinte de la brigade. «Je
suis restée environ 30 minutes dans la cuisine
(…) Il
y avait toujours des tirs à l'extérieur
(…) Après
ce laps de temps, j'ai entendu fouiller dans la maison et quelqu'un a
essayé d'ouvrir la porte de la cuisine. J'ai dit : «Ne
tirez pas, je vais sortir».
J'ai
donc ouvert. J'ai vu un Mélanésien derrière la porte, puis un
autre qui se trouvait sur le palier. Ils étaient tous les deux
masqués d'un foulard sur le nez et d'un fichu sur la tête
(…). Celui
qui m'a fait sortir de la cuisine était armé d'une carabine sans
lunette qui pouvait être celle de mon mari – mon mari était
chasseur et avait deux carabines dont une avec lunette, entreposées
dans une chambre inoccupée de la maison.»
Lorsque
Laurence Dujardin sort de chez elle pour être conduite au domicile
des Lacroix, elle aperçoit, «sur
la
gauche, à environ 5 mètres»,
son
mari allongé sur le sol.
«Il
était recouvert, et je l'ai reconnu à la manche de sa chemin. Les
mobiles étaient prisonniers, les mains sur la tête. Ils étaient à
genoux.»
«Nous
n'avons été ni frappées, ni menacées»
Laurence
Grezlak, 26 ans, est professeur de musique. Elle vit à Nouméa mais,
deux jours par semaine, elle vient sur l'île donner des cours à la
mission de Fayaoué. Patrick Guérin et Philippe Serrier l'ont
questionnée un peu plus tard, en début d'après-midi (son PV
d'audition constitue la pièce n°34). Son témoignage recoupe, à de
rares détails près, ceux des deux femmes de gendarmes. Mais,
surtout, il fournit aux enquêteurs quelques précisions de nature à
faire progresser l'enquête. L'enseignante décrit avec soin quatre
des Mélanésiens qui ont investi le logement des Lacroix. Mais elle
n'a pas le souvenir d'autres armes qu'une machette et un couteau de
cuisine. Parmi ses «gardiens», deux ne lui sont pas inconnus. Un de
ses anciens élèves, «renvoyé
du collège en cours d'année»,
en 1986 (…) Et un autre jeune, «aux
cheveux blonds décolorés»
(...)
Après
que Mme Dujardin ait été conduite chez les Lacroix, et alors que le
commando a vidé l'armurerie - deux autres Mélanésiens ont rejoint
le groupe qui les séquestrait : «Ils étaient vêtus de
pantalons de treillis et avaient le visage masqué. En outre, ils
étaient armés d'un pistolet-mitrailleur chacun et l'un avait, me
semble-t-il, un appareil radio genre TRPP 11».
En
toute fin d'audition, Laurence Grezlak ajoutera cette ultime
précision :«A
aucun moment nous n'avons été menacées ou frappées par les
Mélanésiens.»
Et lors de notre premier entretien, vingt-cinq ans après les faits,
Jean-Paul Lacroix mentionnera ce minuscule détail :«Ils
ont même demandé à ma femme la
permission de faire chauffer de l'eau pour préparer du thé».
Tout
est bon pour noircir le tableau
Il y a les affabulations grossières, d'autant plus convaincantes que
façonnées à l'emporte-pièce. Et il y a les mensonges accessoires,
qui sont autant de touches destinées à noircir le tableau. A deux
reprises, sur RTL
puis lors de son face-à-face télévisé avec François Mitterrand,
Jacques Chirac a ainsi évoqué, en les mettant sur le compte des
gouvernements socialistes qui l'ont précédé, les morts, les maisons
incendiées et les femmes violées par dizaines. En
omettant de préciser
que les trente-deux morts recensés appartenaient aux deux camps.
Celui des «loyalistes»
-
hostiles à l'indépendance -
et des forces de l'ordre affectées à leur protection (les gendarmes
Morice et Galardon, tués à Koindé en 1983 , le gendarme Comte,
tombé à Bourail en 1984, et le major Leconte, mort à Pouébo en
1985)1.
Et celui des «indépendantistes», parmi lesquels deux dirigeants de
l'Union calédonienne, Pierre Declercq, assassiné en 1981, et Eloi
Machoro, «éliminé» à Thio en janvier 1985 par un tireur d'élite
du Gign, ainsi que Daniel Nonnaro, et dix Kanak de la tribu de
Tiendanite, dont deux frères de Jean-Marie Tjibaou, abattus en 1984
à Hienghène dans une embuscade tendue par des militants du RCPR2
qui seront acquittés en 1987.3
En
oubliant de dire
qu'incendier la case d'un adversaire politique relève d'un mode de
règlement de comptes qui restera longtemps encore en vigueur. Et en
feignant
d'ignorer
que les viols n'avaient pas cessé avec l'arrivée de la droite au
pouvoir.
Drogue,
whisky, etc.
Dans
«Enquête sur Ouvéa», le dossier d'information publié à
l'été 1989 par la Ligue des Droits de l'Homme, les auteurs
contestent fortement la réalité «des dizaines, des dizaines et
des dizaines de viols», en s'appuyant sur un article du
Monde selon qui «ces accusations n'ont à ce jour trouvé
aucune confirmation». Le quotidien écrivait le 9 mai 1988 que
«les rapports de gendarmerie n'avaient signalé aucun viol»
durant la période de troubles de l'hiver 1984-1985, et «qu'aucune
plainte n'avait jamais été déposée non plus auprès de la
Justice».
Le
«politiquement correct» voudrait que l'on s'en tienne là. Mais,
s'il est clair que les paroles de Jacques Chirac n'ont eu pour but -
et il a été atteint ! - que d'assimiler tous les preneurs d'otages
de Fayaoué aux assassins et aux violeurs, cela ne justifie pas que
l'on nie une réalité qui continue aujourd'hui encore d'empoisonner
la société calédonienne. En 1991, au congrès de Koïndé, le
FLNKSL s'est saisi de la question. Et l'année suivante, Marie-Claude
Tjibaou, la veuve du leader assassiné un an après les événements
d'Ouvéa, créait l'association SOS Violences sexuelles qui allait inciter les femmes à porter plainte. Jusqu'alors,
les actions en Justice étaient en effet rarissimes4,
les
affaires de viol étant par tradition portées devant les conseils
des Anciens et réglées de manière coutumière, la sanction
infligée aux coupables se limitant le plus souvent à une bastonnade
administrée en public.
Au rayon des mensonges accessoires, il y a d'abord l'insinuation selon laquelle les assaillants étaient «sans doute sous l'emprise de la drogue et de l'alcool». Le Premier ministre de l'époque procède par suggestion. C'est vrai : l'alcool et la drogue sont deux fléaux endémiques en Nouvelle-Calédonie. Interdit à la vente aux Kanak jusqu'au début des années 1970, l'alcool a vu sa consommation progresser de façon inquiétante; quant au cannabis, «les plantations sont nombreuses dans les tribus», explique le Dr Caillon sur le blog «Médecin de brousse en Kanaky»5 Mais, que ce soit lors des auditions ou dans les témoignages spontanés recueillis altérieurement, rien n'est venu étayer le soupçon formulé à l'encontre des hommes mis en cause dans l'affaire de Fayaoué. Jean-Paul Lacroix, le chef de poste, écrit tout le contraire et explique qu'il préférait de beaucoup traiter avec les gens du FLNKS plutôt qu'avec certains notables locaux un peu trop portés sur «la bouteille carrée» (appellation locale du whisky). Et le substitut Bianconi, au fait de la société calédonienne et qui passera huit jours au contact des ravisseurs, est tout aussi catégorique : «On ne peut pas les accuser de ça !»
Des
guérilleros formés en Libye?
Même
procédé, même intention : le duo constitué par Jacques
Chirac et son ministre des DOM-TOM, Bernard Pons, tente
d'accréditer
l'hypothèse d'une «aide
extérieure»,
d'une intervention étrangère, en l'occurrence celle de la Libye du
colonel Khadafi. Et cela marche! En Nouvelle-Calédonie, où la
rumeur affirme que les preneurs d'otages avaient tous en poche le
petit Livre
vert
de Khadafi appelant au soulèvement des peuples opprimés. Mais aussi
en métropole où elle sera relayée, entre autres, par le
journaliste Gilbert Picard, dans son livre, «L'affaire
d'Ouvéa».6.
«C'est
en Libye que tout a commencé. A Tripoli. Dans le bureau de Mohamar
el-Kadhafi. »,
assure l'auteur, dont le récit doit beaucoup à sa proximité avec
les services spéciaux.
Il
est avéré, et le FLNKS l'a officiellement admis, qu'un groupe de
dix-sept militants avait passé trois semaines à Tripoli en 1987.
«Pour un
stage intensif de
formation
à la guérilla»,
selon Gilbert Picard. Pour un stage «de
formation
idéologique», dixit les indépendantistes. Un unique exemplaire du Livre
vert
a été saisi dans une case de Gossanah. Et un seul des dix-sept stagiaires figurait au nombre des occupants de la grotte des Anciens, Martin Haïwé, tué le 5
mai d'une balle dans le dos, alors qu'aux dires de certains de ses
compagnons, il tentait de fuir la zone des combats.
Jamais
la théorie du complot libyen ne sera démontrée. Mais elle aura
permis d'accoler sur l'étiquette la mention «terroristes»
à
celle de
«sauvages». Ce qui justifiera le recours aux grands moyens...
-------------------------------------------------------------------------
1.
Trois autres gendarmes trouveront la mort en 1987 à Koné, en
Nouvelle-Calédonie, sous un gouvernement de droite : le
gendarme Maréchal, le 28 avril, et, en septembre, l'adjudant Berne
et le gendarme Robert.
2.
Le Rassemblement calédonien pour la République, émanation du RPR.
3
Aucun Kanak ne figurait au sein du jury.
4.
Dans un article intitulé «Quand
les filles ne se taisent plus»,
publié dans la Revue d'ethnologie
Terrain, Christine
Salomon , chercheuse à l'Inserm (Institut national de la santé et
de la recherche médicale). écrit : «Depuis
1982 les dénonciations se sont multipliées et maintenant les
affaires de viol occupent régulièrement 80% des rôles d’Assises
du territoire (…) De ce fait, les crimes sexuels sont devenus la
première cause de comparution des Kanak devant la Cour
d’Assises».
http://terrain.revues.org/1573 ; DOI : 10.4000/terrain.1573
5. jpcaillon.canalblog.com
6.
Gilbert Picard : L'Affaire d'Ouvéa, Editions du Rocher, 1988.
Photo extraite du film de Mathieu Kassovitz. Au centre, massue
en main: le chef du commando indépendantiste, Alphonse Dianou. |
Trois
témoignages pour un drame en trois actes
1. Le récit du chef de poste
Le
premier est un ancien sous-officier de gendarmerie qui, vingt-cinq
ans après, se pose encore la question de sa propre responsabilité
dans le drame d'Ouvéa. Le deuxième exerce toujours la médecine en
Nouvelle-Calédonie et, le 22 avril 1988, n'avait pas hésité à se
porter au secours des blessés à l'intérieur de la brigade de
Fayaoué occupée par les indépendantistes. Le troisième est
enseignant et faisait partie des militants kanak chargés d'investir
les lieux. Indépendantiste modéré, partisan du «vivre
ensemble»,
en mai 2013, accompagné par une équipe de la chaîne
Nouvelle-Calédonie
1ère,
il est retourné pour la première fois à la gendarmerie où il
s'est recueilli devant la stèle érigée en mémoire des six
gendarmes et soldats morts à Ouvéa. C'est à ces trois hommes, à
la fois acteurs et témoins, que j'ai choisi d'emprunter les éléments
de ces récits
croisés.
Le
22 avril 1988, le maréchal des logis-chef Jean-Paul
Lacroix
assurait le commandement de la Brigade de Fayaoué. Il a attendu 2012
pour livrer sa propre version des faits. Dans un modeste ouvrage
édité à compte d'auteur1.
Avec ses mots à lui. Sans forfanterie. Sans enjolivures.
Il
est 7h 45. Le chef de poste s'apprête à partir en patrouille et
porte son arme de dotation, un pistolet automatique MAC 50. Devant
les bureaux, il aperçoit Chanel Kapoeri et deux autres Mélanésiens
qu'il ne connaît pas (Augustin Poumely et Célestin Wégue). Chanel
est conseiller FLNKS et vice-président du conseil régional des Iles
Loyauté. La veille, dans le courant de l'après-midi, Jean-Paul
Lacroix l'a croisé à proximité de la brigade en compagnie de son
frère Robert. Les deux hommes s'apprécient. Ils se tutoient et
s'appellent par leurs prénoms, comme c'est la règle sur l'archipel.
Ils ont échangé quelques mots parfaitement anodins :
-
«Salut Chanel, tu vas bien ? Tu veux me voir ?
-
Salut Jean-Paul. Non, je cherche Samy.
- Reviens
demain matin, tu seras sûr de le trouver...»
Le
prétexte d'une commande de langoustes...
Originaire
de l'Ile de Lifou, Samy Ihage appartient au cadre d'Outre-mer. C'est
l'un des trois hommes qui, avec Jean-Paul Lacroix et le gendarme
Edmond Dujardin, composent l'effectif habituel de la brigade. Chanel
souhaite s'entretenir avec lui au sujet d'une commande de langoustes.
En attendant, il s'applique à peler une pomme avec un couteau et,
sur le ton de la plaisanterie, il propose au chef Lacroix d'échanger
son fruit contre son arme de service. «Je
lui dis :
«Pourquoi pas. D'ailleurs elle n'est pas à moi.»,
et je fais mine de la lui donner»,
raconte Jean-Paul Lacroix. «La
conversation s'arrête là et j'entre dans le bureau planton sans
prêter plus d'attention au groupe qui n'est pas là pour moi.
D'ailleurs, Samy sort à cet instant de son logement, situé tout à
côté.»
Armes
blanches et bombes lacrymogènes
Le
bureau d'accueil de la gendarmerie mesure à peine 12m2.
En
plus d'Edmond Dujardin, qui assure la permanence, il y a là le
lieutenant Jean Florentin et deux «moblots», les gendarmes mobiles
Alengrin et Guichard, mis à disposition de la brigade le temps de
leur quatre mois de séjour en Nouvelle-Calédonie. Avant même
d'avoir eu le temps de saluer tout le monde, Jean-Paul Lacroix
réalise soudain que Chanel et ses compagnons lui ont emboîté le
pas. Tout va très vite. «Chanel
a toujours son couteau à la main et le met sur mon ventre en
disant :
«Bouge
pas ou je te tue !»
Les trois «visiteurs», rejoints par un quatrième homme, Casimir
Bolo, disposent d'armes blanches et de bombes de gaz lacrymogène
dissimulées dans leurs vêtements. C'est la bousculade. «J'essaye
de sortir mon arme. Un deuxième agresseur m'agrippe et me met un
couteau sur la gorge. Samy tente de ceinturer Chanel en lui criant
d'arrêter. Dans la bagarre, nous nous retrouvons tous à
l'extérieur. Je tombe à terre sans pouvoir extraire mon arme et les
agresseurs réussissent à s'en emparer.»
Le lieutenant Florentin, lui, est parvenu à dégainer et a ouvert le
feu sur Augustin Poumely qui lui assène un coup de tamioc dont il
réchappera de justesse. «Trente
secondes à l'intérieur, trente secondes à l'extérieur : le
tout n'a pas duré plus d'une minute !»,
commente Jean Florentin.
Au
coup de feu, les groupes indépendantistes qui avaient discrètement
pris position autour de la gendarmerie franchissent le portail
d'entrée et escaladent la clôture de trois côtés à la fois. Le
factionnaire, David Jumetz, donne aussitôt l'alerte. Mais c'est déjà
trop tard.
La
gendarmerie occupe un terrain d'environ 2 500m2.
Avec des bâtiments répartis sur les quatre côtés. A gauche de
l'allée ombragée qui conduit à l'accueil, les maisons des Lacroix
et des Dujardin. Au fond, les bureaux, le domicile de Samy Ihage et
la réserve de carburant. A droite, le long de l'enceinte,
l'armurerie et les chambres de sûreté et, côté rue, une baraque
Filliod désaffectée. Au centre, enfin, une cour bordée de pins et
de cocotiers, encombrée par quatre tentes Marabout faisant office de
dortoirs et de cantine pour la trentaine de gendarmes mobiles venus
renforcer l'effectif de la brigade. Sans compter les jeeps et les
4x4.
Au
moment de l'attaque, la plupart des «mobiles» se trouvent sous les
tentes. Les uns dorment encore, ceux qui assuraient la garde de nuit
viennent de se recoucher tandis que d'autres prennent leur
petit-déjeuner ou font la queue pour effectuer leur toilette à
l'unique lavabo ou sous la seule douche du cantonnement. Presque
toutes les armes sont enchaînées et cadenassées à l'armurerie. La
confusion est totale.
Des
accusations contradictoires
La
disposition des lieux est telle que personne n'assistera à toutes
les scènes rapportées plus tard aux enquêteurs. Les témoignages
directs ne pourront être que fragmentaires, incomplets. L'action est
pratiquement impossible à raconter de bout en bout de façon
chronologique et avec toute la précision requise. La reconstitution
ne peut se faire que par juxtaposition, par assemblage, un peu à la
manière d'un puzzle. Mais les pièces ne s'ajustent pas toujours,
certaines observations se révélant contradictoires2,
y compris lorsqu'il s'agit de la façon dont ont été tués ou
blessés les victimes de l'attaque.
Edmond
Dujardin s'est esquivé du bureau d'accueil par une porte latérale
et s'est précipité chez lui pour prendre son arme de service. Il en
ressort par la fenêtre de la cuisine après avoir demandé à sa
femme de se barricader. Une première balle lui déchiquète le
poignet. Une seconde l'atteint en pleine poitrine. Qui est
responsable de sa mort ? Certains désigneront Wenceslas Lavelloi, un
ancien sergent-chef qui apparaîtra comme le stratège et le chef
militaire des preneurs d'otages réfugiés à la grotte des Anciens.
D'autres en feront porter la responsabilité à tel ou tel autre
membre du commando, muni d'une arme de chasse sans lunette.
Du
côté opposé de la cour, Jean Zawadzki a réussi à récupérer son
Famas3
à
l'armurerie. A peine est-il ressorti du local qu'il est tué d'une
balle dans la tête. Là, les témoignages concordent : le tireur,
cette fois, est bien Wenceslas Lavelloi, un colosse aisément
identifiable et qui, de surcroît, est le seul à manier une
carabine
à lunette de visée.
Alors
que les coups de feu claquent, Jean-Paul Lacroix profite d'un moment
d'inattention de ses gardiens, se précipite dans les bureaux où il
n'a le temps de lancer, avant d'être neutralisé, qu'un unique appel
radio : «60
de 97 nous sommes attaqués, je répète : 60
de 97 nous sommes
attaqués!»
«Je
n'ai
pas
le temps d'en dire plus,
écrit Jean-Paul Lacroix. La
radio est coupée. Nous ressortons et j'aperçois l'adjudant-chef
Moulié debout près de moi. Il y a aussi l'adjudant Delahaye, tenu
en respect par un kanak armé d'un fusil de chasse (…). Dans la
confusion, j'ai perdu mes lunettes. Je ne sais pas ce qui se passe
ailleurs. Je tente d'aller voir mais Chanel et son frère Robert m'en
empêchent :
«Reste
là, c'est dangereux là-bas !».
«Arrêtez de déconner!»
Là-bas,
quelques gendarmes tentent de résister. Deux autres kanak (Léonard
Faoutolo et Aria Gnipate) sont blessés au cours de brefs échanges
de tirs, sans que l'on sache précisément qui a fait feu. Au sortir
des tentes, la plupart des mobiles ont été contraints de s'allonger
face contre terre. Ceux qui se sont réfugiés à l'intérieur de
l'armurerie ou dans le local abritant le groupe électrogène se
rendent par crainte de voir leurs camarades exécutés.
L'adjudant-chef Moulié, de l'escadron d'Antibes, s'adresse à un
groupe de kanak : «Cela
suffit! Arrêtez de déconner !»
Un gendarme de Villeneuve d'Ascq, Daniel Leroy, se relève et à
genoux, les bras levés, tente lui aussi de calmer les assaillants.
Un
homme cagoulé,
armé d'un fusil de chasse à canon long, lui intime l'ordre de se
coucher, et tire. Georges Moulié s'est retourné : une seconde
décharge de chevrotine l'atteint par-derrière, au sommet du crâne.
Les deux gendarmes ont été tués de sang-froid. Par l'un des
organisateurs et le meneur évident du commando, Alphonse Dianou,
comme l'affirmeront plusieurs témoins, y compris dans ses propres
rangs. Ou, plus vraisemblablement, par son frère Hilaire, ainsi que
plusieurs gendarmes l'assureront sur procès-verbal après leur
libération4.
Par
la suite, l'un comme l'autre des frères Dianou se vanteront devant
leurs otages d'avoir tué deux mobiles. «Des
rodomontades, de la simple
intimidation. Alphonse n'était pas un
meurtrier»,
estime Philippe Legorjus, le commandant du GIGN, qui sera son
interlocuteur privilégié jusqu'au moment de l'assaut.
Alphonse
Dianou ne portait pas de cagoule mais un foulard à carreaux rouges
et blancs, ce qui semblerait en effet le disculper. Et il se
distinguait aussi par la massue de cérémonie de forme phallique, au
manche orné de tresses aux couleurs du drapeau kanak et prolongé
d'un chiffon rouge, qu'il brandissait ou portait sous le bras, ou
encore accrochée à la ceinture... au gré des témoignages.
…/...
-----------------------------------------------------------------------------------------
1.
OUVEA «97
ne répond plus»,
par Jean-Paul Lacroix. Disponible seulement auprès de l'auteur.
jeanpaul.lacroix@laposte.net
2.
Certains ont vu Chanel Kapoeri manger une orange alors que Jean-Paul
Lacroix parle d'une pomme... d'autres disent qu'il a emprunté un
couteau à Samy Ihage. Des gendarmes parlent d'un grillage de 70 cm
ou de 150 cm voire de 2m, d'autres de barbelés (alors
inexistants)... Les descriptions des scènes violentes diffèrent
elles aussi, et pas seulement quant à la manière dont été tués
ou blessés leurs camarades.
3.
Le fusil automatique de la Manufacture d'armes de Saint-Etienne mis en
service dans les années 70 et qui n'a équipé que très
progressivement les forces de gendarmerie. La moitié au moins des
mobiles présents à Fayaoué ne disposaient que de fusils MAS 36.
Nouméa. Le corps d'un des gendarmes tués à Fayaoué vient d'être descendu de l'avion qui le ramène d'Ouvéa. AFP/Rémy Moyen |
Trois
témoignages pour un drame en trois actes
2.
Les déclarations du Dr Eric Degen
Eric
Degen, 31 ans, est le médecin-chef du
dispensaire de Fayaoué. Il est entendu le 23 avril à 8
heures du matin par l'adjudant Lionel Da Silva, de la Brigade de
recherches de Nouméa. Son PV d'audition constitue la pièce n°7 de
la procédure de crime flagrant ouverte par le procureur de la
République, Jean-Pierre Belloli.
A
l'officier de police judiciaire, le Dr Degen explique que le 22 vers
7h 55, le premier adjoint au maire d'Ouvéa (l'île forme une seule
commune), Gérard Ouckewene, s'est présenté à pied à son
domicile, visiblement «affolé»: «Venez
vite, docteur, il y a des blessés à la gendarmerie !»
«Je
n'ai
pas
réfléchi,
raconte Eric Degen. Je
suis monté dans ma Renault
4,
j'ai déposé ma fille chez la directrice d'école
(…) et
suis arrivé devant la porte sud de la gendarmerie qui était grande
ouverte mais obstruée par un minibus japonais blanc. Constatant
qu'il y avait un
cadavre allongé sur le sol
en lequel j'ai reconnu mon ami Edmond Dujardin, je me suis rendu au
dispensaire le plus vite possible pour prendre l'ambulance, en même
temps que je recommandais à un employé de prendre la 504
pick-up avec un matelas. Cela m'a pris dix minutes.»
«La
première fois que je suis arrivé à la gendarmerie, outre le
cadavre de Dujardin, qui avait une main sectionnée, j'ai vu, dit-il, une
quantité importante d'hommes allongés par terre. J'ai
vu également une vingtaine de Mélanésiens, dont beaucoup étaient
armés et certains même avec plusieurs armes: fusils automatiques,
pistolets. J'ai vu que l'un d'eux était porteur d'un fusil à
lunette. (...) Beaucoup
étaient ausi armés de machettes et de petites hachettes au côté.
J'ai
remarqué également que pratiquement tous étaient masqués
(…) Certains
avec des cagoules du genre de celles que mettent les pilotes de
formule 1. D'autres avaient des foulards autour de la bouche et du
nez, genre cow-boy
(…) »
«J'ai supplié qu'on me laisse évacuer les blessés»
«A
mon retour,
reprend le jeune médecin, je
suis entré directement dans l'enceinte de la brigade avec
l'ambulance, seul. (…) Je me suis penché sur un blessé, un
gendarme (le lieutenant Florentin) qui m'a chuchoté à l'oreille:
«Ne
t'occupe pas de moi,
je suis blessé légèrement, occupe-toi des autres avant». J'ai
voulu m'occuper des autres mais à ce moment, celui qui paraissait
être le chef (Alphonse
Dianou, qu'il décrit avec précison et dont le visage est en partie
dissimulé par un foulard rouge et blanc)
s'est
tourné vers moi assez brusquement en me braquant avec un Famas et en
me disant
: «Bouge
pas !» *
«J'ai
supplié à plusieurs reprises que l'on me laisse évacuer les
blessés, vainement. Puis je me suis adressé à un Mélanésien
proche de moi qui est allé convaincre le chef de bande en arguant
du fait que les blessés se trouvaient des deux côtés». Le
témoignage du médecin, encore sous le choc, est heurté. Haché au
rythme des questions incidentes et des relances. «Peut-être
pensaient-ils que j'étais indépendantiste pour avoir accepté un
poste aussi difficile... Toujours est-il que j'ai trouvé
l'interrogatoire long et pénible (il
a
duré
exactement deux heures).
Pour un peu, je me serais cru en garde à vue»,
se souvient Eric Degen. Qui peine à retrouver l'ordre dans lequel il
a procédé, en plusieurs allers-retours, à l'évacuation en
ambulance des blessés dont deux seront emmenés en 504
par l'employé du dispensaire Christian Honème, qui transportera
également les corps d'Edmond Dujardin et Daniel Leroy. L'audition se
termine sur ces mots : «Lorsque
j'étais là, j'ai vu que les prisonniers étaient constamment
menacés mais ils
n'ont pas été frappés en ma présence».
«J'ai croisé les véhicules des preneurs d'otages»
Les
lignes téléphoniques avaient été coupées avant l'attaque et le
Dr Degen est allé trouver Moka, le receveur des Postes d'Ouvéa, qui l'a
introduit à l'intérieur du pylône de l'île d'où il a pu appeler
l'Hôpital Gaston-Bourret, à Nouméa, en demandant d'alerter les
autorités. Quand j'ai su qu'un avion allait arriver, j'ai assuré une rotation
vers l'aérodrome,
a-t-il indiqué lors de son audition.
C'est au retour que j'ai croisé, se dirigeant vers Saint-Joseph (au
nord de l'île),
la Land Rover bleue de la brigade, le camion-citerne rouge de la
municipalité et le minibus blanc de la Région, tout cela rempli
d'hommes armés.»
Eric Degen sortira épuisé de cette difficile audition. Placé
en garde à vue, le militant indépendantiste Robert Kapoeri sera, lui,
entendu peu après son arrestation le 25 avril, de 11 heures à 20 heures
et le lendemain de 11 heures à 15 heures, avant d'être déféré au parquet
de Nouméa. Il sera mon troisième témoin.
.../...
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------
*
Le Dr Degen, à qui j'ai soumis ce texte, a souhaité y ajouter les
précisions suivantes:
"Dès
que je suis sorti de l'ambulance, je me suis fait mettre en joue
mais je peux affirmer qu'il ne s'agissait pas de Dianou, qui était
au centre de la cour, assez loin de l'entrée où l'ambulance était
garée. Je me suis adressé au Mélanésien proche de moi qui me
visait mais c'est le gendarme Samuel Ihage, dit "Samy",
allongé au sol avec tous ses collègues, qui a parlé en langage
iaai avec Dianou. A la fin de l'échange, Dianou m'a fait un signe de
la tête et j'ai compris que je pouvais commencer l'évacuation des
blessés. C'est seulement à ce moment que Florentin m'a dit de
commencer par les autres.
source
3. «Moi, Robert Kapoeri, persiste et signe»
Retour à la gendarmerie de Fayaoué. Vingt-cinq ans après, Robert Kapoeri se souvient. Image extraite du reportage de Gwen Quéméner et Cédric Michaut de NC 1ère. |
Pour ceux qui espéraient
encore un dénouement rapide et sans
drame de la prise d'otages de Fayaoué, la journée du lundi 25 avril
sera marquée d'une pierre blanche. Il est 7h 30 lorsque le capitaine
Mammi, de l'escadron de Drancy, annonce la nouvelle au
lieutenant-colonel Picard, qui a pris ses quartiers à la brigade,
dans la maison de Jean-Paul Lacroix : les onze gendarmes
prisonniers des tribus du sud viennent de débarquer des trois 4x4 à
bord desquels leurs ravisseurs les avaient conduits trois jours plus
tôt jusqu'à la presqu'île de Mouli. Tous sont sains et saufs. Une
partie des armes saisies à la brigade leur ont été restituées,
mais sans les munitions. Jean-Paul Lacroix et Samy Ihage sont libres.
L'aventure, pour eux, ne s'achèvera pas là. Mais pour Robert
Kapoeri, elle vient de se terminer.
Le
plan a été mis au point la veille au soir
Robert
Kapoeri, 34 ans, est instituteur. Avec huit de ses compagnons de la
tribu de Mouli1,
il a été arrêté à l'heure du petit-déjeuner, moins de deux
heures après le retour des otages, par le lieutenant-colonel Picard
et le commandant de la Brigade des recherches de Nouméa, l'adjudant
Da Silva, qui notera dans son premier procès-verbal de synthèse que
les neuf hommes n'ont «pas tenté de se soustraire
à l'action de
la Justice».
Membre
du Comité de lutte de Mouli, il explique sur procès-verbal qu'il a
été délégué le 16 avril, avec son frère Chanel, à une réunion
de dirigeants du FLNKS à laquelle participaient des représentants
de
toutes les
tribus de l'archipel2.
En plus des gens de Mouli, il y avait là des militants des comités
de Lékine, Wadrilla, Gossanah, Eot, Téouta et Ognat. «Cette
réunion avait pour but, dit-il,
d'organiser quelque chose ayant un impact politique et cela à la
suite du mot d'ordre du Congrès FLKS de Poindimié, qui nous
laissait l'initiative d'éventuelles manifestations, pour faire échec
au statut Pons3.
Ce jour-là il y a eu plusieurs propositions. En particulier, nous
avions pensé à un meeting dans l'île, à des barrages ou à une
mobilisation devant la gendarmerie.»
Pas
un mot sur le rôle des leaders du FLNKS
Une
seconde réunion a lieu le jeudi 21 avril 1988 à Wadrilla (où est installée la mairie
d'Ouvéa). Au nombre des participants figurent notamment, selon
Robert Kapoeri, son frère Chanel, l'adjoint au maire Gérard
Ouckewen (celui-là même qui ira prévenir le Dr Degen après les
échanges de tirs à la brigade) mais aussi Alphonse
Dianou et Wenceslas Lavelloi, des tribus du Nord.
«Sur proposition des tribus du Nord, il a été décidé d'occuper
la gendarmerie. Nous devions nous armer pour impressionner mais il
avait été dit qu'il ne devait pas y avoir effusion de sang. Une
fois dans la brigade, nous devions nous emparer des armes pour ne pas
être attaqués», assure
Robert Kapoeri. Qui passe sous silence le rôle du bureau politique
du FLNKS dont, selon des dépositions ultérieures, deux dirigeants
auraient assisté à cette réunion : Yeiwéné Yeiwéné,
numéro 2 du Front et président du Conseil régional des Iles
Loyauté, et Franck Wahuzue, un transfuge du RCPR, rallié à la cause
indépendantiste et élu de l'île voisine de Lifou. Le Dr Degen,
pour sa part, m'a écrit avoir vu Yeiwéné Yeiwéné parcourir les
tribus à bord du Combi
de la région, qui transportait deux cantines. Celles-ci
contenaient-elles les fusils de chasse dont plusieurs participants
ont déclaré qu'ils leur avaient remis par Alphonse Dianou ?
Robert Kapoeri expose en
revanche dans le détail la tactique qui sera effectivement mise en
oeuvre le 22 avril : «La tribu de
Mouli devait franchir le portail. La tribu du Nord entrait côté
poste et donc par derrière la brigade. A gauche, il y aurait Chanel
et à droite, la tribu de Lékine. L'heure était fixée le vendredi
matin à 7h 30 ou plus précisément entre 7h 30 et 8 heures. (…)
Nous avions décidé
d'entrer de la façon suivante: Chanel devait pénétrer le premier
par la gauche par rapport au portail d'entrée et investir la
brigade. Les autres équipes (…)
devaient ensuite immobiliser les autres gendarmes, en particulier
ceux dans les tentes. Nous avions adopté ce principe car nous nous
étions dit que les chefs devaient être dans les bureaux de la
brigade et qu'une fois ceux-là arrêtés, les autres auraient reçu
l'ordre de se rendre.»
Le
même jour, vers 19 heures, les frères Kapoeri rassemblent au
domicile d'Augustin Poumely tous les militants de la tribu de Mouli
mobilisés pour participer à l'attaque, afin de leur préciser le
«timing» et le déroulement de l'opération. «Nous
leur avons dit également de se munir d'armes dans le but de faire
peur aux gendarmes mais que nous ne devions pas tirer4.»
Chanel
Kapoeri, Augustin Poumely, Célestin Wegué et Louis Méaou ont prévu
de se rendre à Fayaoué à 7h 30 à bord du véhicule de Chanel, une
504
break vert clair, sur la route principale à hauteur de la
gendarmerie, détaille
Robert Kapoeri.
«Pour ma part, dit-il,
je devais prendre le Combi
de la Région avec à bord les autres présents à la réunion, me
rendre à proximité du portail de la brigade et pénétrer dans la
cour avec le véhicule. (…)
La réunion s'est terminée une heure après environ. Le soir,
certains ont allés dormir chez Chanel, d'autres nous ont rejoint le
matin devant chez lui.»
«Notre
intention n'était pas de tirer»
«Le
lendemain matin. comme prévu, nous nous sommes répartis dans les
deux véhicules. Je me rappelle que Charlie Aéma avait un fusil de
chasse à un canon. Nous nous sommes rendus à proximité de la
gendarmerie. (...)
Vers 7 heures et demie, Chanel et les trois autres passagers sont
entrés dans la brigade. Conduisant le Combi de la Région, je me
suis rendu au portail qu'un Mélanésien cagoulé avait ouvert. Je
précise que je n'étais
pas armé, à aucun
moment, et que certains d'entre nous dans le Combi
n'avaient que des tamiocs. Je suis rentré dans la cour et nous avons
fait trois mètres environ. Nous avons entendu des coups de feu et
j'ai fait aussitôt marche arrière. J'ai arrêté le véhicule près
du portail et je me suis caché derrière. J'ai regardé ce qu'il se
passait et j'ai vu un gendarme en civil sortir de chez lui (il
s'agit
d'Edmond Dujardin).
Il a descendu les escaliers et a pointé son arme de poing en
direction du Mélanésien qui nous a ouvert la porte. Ce dernier a
filé vers le portail et s'est sauvé. Le gendarme est alors retourné
chez lui. Deux minutes plus tard il ressortait en courant et en bas
de ses escaliers il s'est effondré.» (…)
C'est
seulement lorsque les armes se seront tues que Robert Kapoeri se
décidera, dit-il, à pénétrer
dans la cour. Là,
il voit des «mobiles» couchés devant l'antenne radio. Certains en treillis, d'autres torse
nu, «gardés par des
Mélanésiens qui détenaient déjà des armes des gendarmes.»
Philippe
Serrier, l'OPJ qui procède à l'audition, ne rompt pas le fil du
récit : «J'ai
fait le tour de la brigade et j'ai vu un gendarme blessé à la tête
à proximité de ceux qui étaient allongés. L'ambulance est arrivée
et j'ai aidé le docteur
à emmener le gendarme
en civil que j'avais vu tomber, raconte
Robert Kapoeri. C'est
alors que quelqu'un a dit qu'il fallait aller à l'armurerie pour
empêcher les gendarmes de prendre les armes. La porte était fermée.
Un de nous a pris une barre de fer et a commencé à enfoncer les
agglos. On a entendu crier de l'intérieur et quelqu'un a été
chercher Samy, le gendarme local, pour leur dire de sortir. C'est ce
qu'ils ont fait.» Une
version corroborée par Samy Ihage.
«Je
précise qu'à côté de l'armurerie, il y avait un gendarme de mort.
Il avait une plaie à la tête (il
s'agit cette fois de Jean Zawadzki).
J'ai participé à la sortie des armes de l'armurerie. Nous les avons
mises près des hangars. Ensuite j'ai été voir le chef de la
brigade pour lui dire que notre
intention n'était pas de tirer.
Après, je suis retourné au véhicule de Chanel
et avec Louis Méaou et Samuel Gogny, nous sommes rentrés à la
tribu. »
Les prisonniers ont été bien traités
Questionné
au sujet des armes utilisées par les membres du commando, Robert
Kapoeri est imprécis. Hormis Charlie Aéma, déjà cité, il
confirme qu'Alphonse Dianou et Wenceslas Lavelloi étaient armés de
fusils mais que la plupart étaient munis d'armes blanches du moins
jusqu'au pillage de l'armurerie5.
Ce premier interrogatoire se terminera à 1 heure du matin, après
que Robert Kapoeri ait relaté son départ de la gendarmerie. «Je
suis parti au moment ou les gendarmes étaient répartis dans les
différents camions. (...) Sur la route, ils m'ont suivi un moment
jusqu'à Lékine. Là, Chanel m'a demandé où il devait les emmener
mais comme ce n'était pas prévu, j'ai dit que je ne savais pas. Il
a alors décidé de les emmener dans
les grottes de
Lékine. (…)
Moi, je suis parti à la tribu de Mouli et j'y suis resté.»
Robert Kapoeri n'en a pas
fini avec les enquêteurs. Sa garde à vue prolongée de 24 heures,
une deuxième audition a lieu le lendemain matin. Elle se concentre
sur les suites de l'attaque.
«Quand j'étais à la
tribu, je me suis occupé de faire à manger pour les gardiens et tes
otages. Je ne savais pas exactement où ils s'étaient terrés,
je sais seulement que c'est dans une
grotte mais là-bas il y en a beaucoup. Je me rappelle avoir
vu venir à la tribu Charlie Aéma et Justin Faoutolo. Ils venaient
chercher la nourriture et des vêtements. Ils me disaient que tout
se passait bien. Je ne suis allé
à aucun moment rejoindre mes camarades dans les grottes. Je ne sais
pas qui y était. Je suppose que c'est les mêmes que ceux qui
étaient avec moi lorsque nous avons occupé la brigade.» Après
une nuit passée à la belle étoile, dans le froid, les otages ont
été conduits dans une grotte de la presqu'île de Mouli, à la
pointe de l'archipel. Là, leurs «gardiens» leur ont fourni des
vêtements et des couvertures, et leur ont apporté des repas. La
veille de leur libération, ils auront droit, selon Jean-Paul
Lacroix, à des langoustes et à une demi-bouteille de whisky.
Les
gardiens ont dit qu'ils voulaient se rendre
C'est au lieutenant-colonel
Alain Benson qu'a été confiée la recherche des otages dans le sud
de l'île. Depuis l'affaire de Poindimié, celui-ci «connaît la
musique». Sitôt déposé en tribu par hélico, il a noué un
dialogue «musclé» avec les autorités coutumières. En agitant,
non sans raison, la menace d'une intervention de l'armée.
«Dans
la journée du dimanche les
anciens de la tribu ont parlé,
relate
Robert Kapoeri, et ils
disaient qu'il fallait libérer les prisonniers car d'une part ils
avaient un peu peur
de représailles
et d'autre part car le but de notre occupation de la brigade était
largement dépassé. Lorsque les gardiens sont venus chercher la
nourriture, nous leur en avons parlé et ils ont été d'accord. Le
lendemain matin, comme convenu, les otages ont été libérés et ils
ont pu retourner à Fayaoué. Les gardiens ont dit à Samy qu'ils
voulaient se rendre et qu'ils attendaient la venue des gendarmes à
la tribu pour aller avec eux. Comme j'étais d'accord sur ce point,
je me suis joint à eux. Les gendarmes (guidés
par Samy Ihage) sont
revenus et nous nous sommes rendus.»
«Nous
ne voulions pas la mort des gendarmes»
Quid
de son frère Chanel, le conseiller régional ? «Le
dimanche soir il était présent lorsque nous avons décidé de nous
rendre. Lui a refusé et depuis je ne l'ai plus revu6»,
affirme Robert Kapoeri qui dit
également ignorer où se trouvent les otages emmenés dans le Nord.
«Je n'en sais rien. Rien n'était prévu
à ce sujet puisque nous devions uniquement occuper la brigade.»
Avant d'apposer sa signature au
bas du procès-verbal d'audition et d'être «mis en route» vers
Nouméa, il y insistera une toute dernière fois :« Je
tiens à dire que nous, la tribu de Mouli, nous avons été dépassés
par les événements. Nous ne nous sommes pas servi de nos armes et
nous ne voulions pas la mort des gendarmes. Notre but était
d'occuper la brigade, c'est tout.» Comme
en novembre 1984 où une journée durant le drapeau de la Kanaky
avait remplacé le drapeau tricolore au mât de la gendarmerie de
Fayaoué, occupée sans heurts et sans victimes...
En
1988, les choses ont tourné tout autrement. Mais, peut-on pour
autant parler, comme l'a fait à l'époque la Direction générale de
la gendarmerie, d'«une
action de guerre, une
véritable
opération
de commando, exécutée avec maîtrise et sauvagerie par des
individus entraînés»,
thèse inspirée ou à tout le moins adoptée par le gouvernement ?
«Enrôlés
dans une aventure qui les dépasse»
«Deux
choses semblents acquises, écrit
Jean-Paul Lacroix lorsqu'il évoque sa détention dans la grotte de
Mouli. Nous n'avons pas en face de nous de vrais
guerriers entraînés (l'un
manipule un pistolet MAC 50 désapprovisionné, un autre abandonne
son poste en laissant son fusil),
ce sont de simples citoyens enrôlés avec ou sans leur consentement
dans une aventure qui les amuse un peu mais qui les dépasse7.
Deuxième point, nous avons changé plusieurs fois d'endroits, preuve
que le repli et le lieu de détention n'étaient pas programmés mais
ont été improvisés.»
de la chaîne de télévision Nouvelle-Calédonie 1ère.
«Nous avons sous-estimé les risques», a
reconnu Robert Kapoeri avant d'exprimer ses regrets et sa conviction
que l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie se fera par des voies
pacifiques.
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L'armée
prend le contrôle des opérations
«Les
gendarmes ont-été les cocus de l'affaire d'Ouvéa.» Ce
commentaire abrupt d'un officier supérieur de gendarmerie résume
bien le sentiment de tous ceux qui aujourd'hui encore considèrent
qu'un autre dénouement était possible et que sans l'intervention de
l'armée, la libération des otages aurait pu s'effectuer sans avoir
à payer le prix fort. Mais on ne récrit pas l'Histoire. «Cocus»,
vous avez dit :«cocus»?
C'est le 1er mars 1988
que le général de brigade Jacques Vidal a officiellement pris ses
fonctions de commandant supérieur
des Forces armées de Nouvelle-Calédonie, les FANC.
Le 23 avril, le «Comsup» a rendez-vous à 9 heures du matin avec le
délégué du gouvernement, le
haut-commissaire Clément Bouhin. «Je
lui propose l'aide des forces armées. Il est d'abord un peu
réticent, pour
des raisons
juridiques et par
crainte de dramatiser encore l'affaire, puis après discussion, il
accepte ma proposition»,
explique le général Vidal dans un livre publié en 20101.
Toujours selon Jacques Vidal, les
deux hommes conviennent de soumettre cette proposition à leurs
hiérarchies respectives.
Un
scénario signé Vidal
Les choses ne traînent
pas. Une heure plus tard, le «patron» des FANC expédie à Paris un
message à l'intention du chef d'état-major des armées, le général
Maurice Schmitt. Il lui fait part du «peu
de résultats obtenus par l'opération actuellement en
cours à Ouvéa» et suggère une intervention de l'armée de
terre, avec une force limitée à «deux compagnies réduites
(total : 170 hommes)», dans le
cadre d'une opération conjointe gendarmerie/armée, placée sous
commandement de l'un de ses adjoints, le colonel Fevai.
Ouvéa, le 6 mai, au lendemain de l'assaut. Le général Vidal face aux micros. DR |
«Le but de cette
opération serait de préciser le renseignement et si possible
d'encercler les ravisseurs, explique
le général Vidal. Le
choc psychologique provoqué par l'intervention de l'armée pourrait
peut-être inciter ceux-ci à traiter sinon l'opération prendrait
davantage la forme d'une
opération de guerre
que d'une opération de police, avec les risques correspondants pour
la troupe et les otages.» Ce
23 avril au matin, le
scénario de la tragédie d'Ouéva est en partie écrit...
Clément Bouhin n'a rien
d'un va-t-en-guerre et passe au contraire pour être plutôt frileux.
Le général lui aurait-il un peu «tordu le bras»? Vers 11 heures,
le «haussaire» (raccourci familier employé pour désigner le
délégué du gouvernement) appelle le chef des FANC au téléphone
pour lui signifier que, tout bien réfléchi, il préfère dans
l'immédiat renoncer à utiliser l'armée «qui doit rester le
dernier recours».
Chirac
choisit la solution de force
Le général Vidal assure
avoir informé sa hiérarchie de ce revirement. «Cependant,
écrit-il, comme nous en avons l'habitude, je prépare avec mon
état-major les dispositions à prendre au cas où Paris déciderait
de faire appel à nous.» A 21 heures, c'est chose faite :
Clément Bouhin lui annonce que le Premier ministre, en accord avec
le ministre de la Défense, André Giraud, a choisi de faire
intervenir l'armée à Ouvéa, sous le commandement direct du Comsup.
Une décision que Jacques Chirac lui-même confirmera à Jacques
Vidal par téléphone, avant que ne lui parviennent les instructions
écrites du général Schmitt.
L'armée a brusquement
pris le pas sur la gendarmerie. Parti la veille de Paris, le général
de division Antonio Jérôme, désigné par le ministre de la Défense
et l'état-major de la gendarmerie pour prendre la direction des
opérations, et qui, lui, connaît bien
le terrain, apprendra la nouvelle lors de l'escale technique de
Fa'a'ā,
à Tahiti :
hors-jeu dans l'affaire d'Ouvéa, il n'exercera finalement son
autorité que sur les gendarmes de la Grande Terre. «J'ai
été informé à ma descente d'avion que Vidal avait pris le
commandement et que j'étais cantonné au maintien de l'ordre public.
Par la suite, je serai
constamment marginalisé»,
confie Antonio Jérôme qui, à 83 ans, n'a toujours pas digéré ce
camouflet.
Jacques Vidal a-t-il joué
franc jeu ? Il a pour le moins fait preuve d'un bel
opportunisme. Prenant prétexte des demandes de soutien logistique
formulées par la gendarmerie, il a très vite mis le pied dans la
porte. Et il n'a pas tardé à forcer le passage.
Les
gendarmes n'ont pas perdu de temps
A Nouméa, on n'a
pourtant pas perdu de temps. Sitôt informé de l'attaque de la
brigade de Fayaoué, le colonel Jean-François Allès, «patron» de
la gendarmerie en Nouvelle-Calédonie, a décidé l'envoi à Ouvéa
d'un détachement en alerte permanente à
l'aéroport de La Tontouta. Le capitaine Yannick de Salvador et une
quarantaine de gendarmes s'envolent immédiatement à bord de quatre
hélicoptères Puma
qui se poseront sur l'aéroport d'Ouloup à 10h 20. Moins d'une heure
et demie après le départ du commando de Fayaoué et de ses
vingt-sept otages!
De
son côté, le colonel Eric Baustert, commandant du Groupement
opérationnel de maintien de l'ordre (le GOMO), a rédigé un «Ordre
d'opérations» et pris toutes les dispositions nécessaires pour que
celui-ci puisse être exécuté. La mission est clairement fixée :
«libérer otages dans les meilleurs délais par opération
de police judiciaire».
Les «moyens» sont loin d'être négligeables : deux escadrons
de gendarmerie mobile (le 1/22 de Marseille et le 2/3 de Drancy) et
un groupe de l'EPIGN (l'Escadron parachutiste d'intervention de la
Gendarmerie nationale, pendant du GIGN) auxquels s'ajoute
l'équipe légère d'intervention du Groupe de pelotons mobiles
(ELI/GPR). Soit environ 200 hommes, susceptibles d'être renforcés
par un troisième escadron de gendarmes mobiles (celui de Luçon, le
3/10) tenu en réserve à l'aérodrome d'Ouloup. Un déploiement de
forces irréalisable sans le soutien logistique de l'armée et la
mise à disposition de ses hélicos et de ses avions de transport
tactique.
Tout au long de la
journée du 22 avril, les Puma et les Transall
vont se succèder sur l'aéroport d'Ouloup, situé à une heure de
vol de La Tontouta et désormais fermé à
l'aviation civile. Les toutes premières informations
recueillies à Ouvéa indiquent qu'une partie des otages ont été
emmenés au sud de l'île et que deux groupes de ravisseurs et de
prisonniers sont partis vers le nord. Pour mener à bien la mission
assignée aux gendarmes, le colonel Baustert a donc scindé les
forces en deux. Une centaine d'hommes placés sous les ordres du
lieutenant-colonel Alain Benson, l'adjoint territorial du colonel
Allès, un homme à poigne mais aussi un pragmatique qui, deux mois
plus tôt, avait mis fin à la prise d'otages de Tiéti2
sans qu'un coup de feu soit tiré. Et un effectif équivalent dont il
a confié le commandement à son numéro deux, le lieutenant-colonel
Alain Picard, un homme de dialogue,
responsable du sous-groupement opérationnel-(SGO) sud, qui sera à
pied d'oeuvre en fin de matinée.
Des
renforts sont en route
Lorsqu'il dénonce le 23
avril au matin le peu de résultats obtenus par la gendarmerie, le
général est-il de bonne foi ou son jugement est-il altéré par sa
méconnaissance de la situation dans l'archipel et de la nature du
terrain ? Pensait-il sérieusement que la recherche des otages allait
aboutir en quelques heures ? Il n'est pas sans savoir - le colonel
Allès n'a pas manqué de l'en informer --que d'importants renforts
font route vers Nouméa3.
A-t-il en retour tenu le «patron» de la gendarmerie au courant de sa
démarche ? A ces questions, je n'ai pu obtenir de réponses. Silence
radio !
Jacques Vidal n'a rien
d'un militaire obtus. Il a l'intelligence de la situation et des
enjeux politiques que représente cette spectaculaire prise d'otages.
Il mesure bien l'impatience du candidat Chirac et de son entourage,
convaincus qu'un dénouement rapide lui permettrait de grappiller des
voix. Il a le «sentiment personnel» - exprimé sans détour
au dernier paragraphe de son message au général Schmitt - «que
sauf opération de force, (les) ravisseurs chercheront à garder
leurs otages au moins jusqu'au lendemain des élections». Et il
évalue parfaitement les risques inhérents à une telle opération.
Une équation complexe qui sera résolue de la manière que l'on
sait : par une opération de «vive force», avec vingt-et-un
morts à la clé.
«Sorti
du devoir de réserve, le
Général Vidal parle» :
c'est le sous-titre de l'ouvrage publié par celui que Le Figaro
baptisera «le héros d'Ouvéa». Il l'a
écrit, dit-il pour «dire enfin LA vérité».
Il parle et, surtout, il règle ses comptes. Quant à la vérité, il
prend avec elle de nombreuses libertés et dès les tout premiers
chapitres, il n'hésite pas à la travestir.
Une
réquisition passée sous silence
C'est ainsi qu'il omet de
mentionner une première réquisition signée le 22 avril, le jour
même de la prise d'otages. «Le
haut-commissaire avait au départ le choix entre deux options
:
l’appel à la police judiciaire sous l’autorité du Parquet,
pour infraction au code pénal,
et le recours à l’armée sous
l’autorité de l’exécutif, pour trouble à l’ordre public.»,
explique
le juriste et criminologue Cédric Michalski, qui a consacré sa
thèse de doctorat à
l'affaire
d'Ouvéa.4 «A-t-il privilégié la
seconde option de sa propre volonté ou bien a-t-il subi des
pressions de la part de sa hiérarchie, à savoir le ministre des
DOM-TOM ? s'interroge
Cédric Michalski. J’ai
tenté, sans succès, de joindre Clément Bouhin pour connaître sa
version des faits.»
Selon Patrick Forestier,
grand reporter à Paris-Match,
c'est bien à la demande de Bernard Pons, le ministre des DOM-TOM,
que Clément Bouhin a rédigé sa réquisition du 22 avril.5
Le général
commandant les Forces armées de Nouvelle-Calédonie est requis «de
prêter
le secours des
troupes
nécessaires pour contribuer sur l'île d'Ouvéa à un maintien de
l'ordre public, à la libération des personnes détenues
illégalement et à l'arrestation des fauteurs de troubles».
Le document autorise «l'emploi
de la force, comportant l'usage des armes»
et précise que «l'autorité
reste libre d'en régler l'emploi».
Edwy Plénel et Alain
Rollat, du Monde, évoquent pour leur part deux réquisitions
distinctes signées «sur
ordre du Premier ministre Jacques Chirac
: l'une particulière et l'autre complémentaire spéciale,
toutes deux chargeant l'armée du maintien de l'ordre en
Nouvelle-Calédonie (…) en vertu d'une loi du 14 décembre 1791,
jamais rapportée depuis :
«Aucun corps
ou détachement de troupes de ligne ne peut agir dans l'intérieur du
royaume sans une réquisition légale.»6
Tout porte à croire que
le général a lu avec attention les ouvrages des journalistes
précités, ceux du Monde en particulier dont il dénonce à
de multiples reprises «les mensonges et les
outrances». Mais, sur ce point précis, il n'a pas jugé bon
de démentir …
Si le «patron» des FANC
a bien été requis le 22 avril, cela
signifie qu'il avait déjà obtenu l'emploi des forces armées. Alors
pourquoi écrit-il qu'il a proposé son aide le lendemain au délégué
du gouvernement ? Et pourquoi cette missive adressée à
l'état-major, où il laisse entendre que le haussaire va, de
son côté, demander le feu vert à une intervention de l'armée ?
Clément Bouhin est mort
en janvier 2010, avant la parution du livre de Jacques Vidal, et ne
saurait le contredire.Mais il semble bien que non content de prêter
son concours à la gendarmerie, le général Vidal ait voulu
s'assurer le
contrôle des opérations.7
Un vœu exaucé, avec la bénédiction personnelle de Jacques Chirac.
Exit donc le général
Jérôme. A
Ouvéa, le Comsup aura les
coudées franches.
En 24 heures, la gendarmerie n'était pas parvenue à localiser les
otages. Avec plus de 450 hommes sur le terrain8
placés sous commandement militaire, il faudra attendre le 26 avril,
soit près de quatre jours de plus, pour repérer la grotte où ils
sont détenus.
------------------------------------------------------------------------------------------
1.
Grotte d'Ouvéa, La libération des otages. Chez Volum Editions.
227 pages.
2.
Le 22 février 1988, près de Poindimié, une centaine
d'indépendantistes ont attaqué et capturé dix-huit gendarmes
mobiles qui gardaient un terrain de 54 hectares revendiqué par deux
clans de la tribu de Tiéti et sur lequel il était prévu d'édifier
un hôpital. Les gendarmes seront libérés
au terme d'une longue négociation menée par le lieutenant-colonel
Benson, avec l'aval des autorités judiciaires.
3.
Un groupe d'une vingtaine d'hommes du GIGN commandés par le
capitaine Philippe Legorjus, un groupe de l'EPIGN conduit par le
capitaine Michel Pattin, et trois escadrons supplémentaires de
gendarmes mobiles, dont celui de Decize, placé sous le commandement
du capitaine Alain Belhadj.
4.
L'Assaut de la grotte d'Ouvéa : une analyse juridique de
l'opération Victor. Aux Editions L'harmattan. 322 pages.
5.
Les Mystères d'Ouvéa. Aux Editions Filipacchi. 268 pages.
6.
Mourir à Ouvéa, le tournant calédonien. Aux Editions La
Découverte.
7.
A
la rubrique «Conduite à tenir», le colonel Eric Baustert avait
donné pour consignes :
«Ouverture du feu si légitime défense dans cas isolés. Ouverture
du feu aux ordres chef détachement si action militaire engagée
contre nos forces ». Avec
la réquisition, ce sera au bon vouloir des officiers ! …
8.
C'est
le nombre le plus souvent évoqué, notamment par le général
Vidal. Mais il ne prend pas en compte l'intégralité des renforts
acheminés après sa prise de commandement. Comme
par exemple ces sections du 3è RPIMa - le 3è Régiment
parachutiste d'infanterie de marine, celui-là même avec lequel il
a fait ses premières armes en Algérie au tout début des années
60 - dont la mission sur Ouvéa reste à ce jour inexpliquée.
source
2. Une amorce de négociation est engagée le 27 avril par Philippe Legorjus. Le général Vidal donne un gage important en ordonnant, le 28 avril, le retrait des troupes de Gossanah et leur repli sur la tribu loyaliste de Saint-Joseph. Un accord est conclu afin de permettre le ravitaillement de tous les occupants de la grotte de Watetö, par les villageois et par l'armée.
24 AVRIL-6 MAI. L'ETAT DE SIEGE
2.
Les Kanak accusent le GIGN
«Si
on avait laissé les autorités de gendarmerie travailler selon
leurs règles et leurs habitudes, il est évident que ces dérapages
n'auraient pas eu lieu.»
Propos
de Philippe Legorjus, extraits de
La morale et l'action,
publié en 199o.
L'armée
et la gendarmerie ont-elles ou non pratiqué la torture à Ouvéa ?
Les accusations portées par le FLNKS étaient-elles ou non fondées?
La presse de gauche, aveuglée par son anti-militarisme, a-t-elle
pris prétexte de ces «allégations scandaleuses» pour
chercher à flétrir l'honneur de l'armée, cet honneur si souvent
invoqué au lendemain des événements ?L'indignation suscitée par
ces dénonciations, à droite et au sein des institutions militaires,
était-elle justifiée ou relevait-elle d'un pur réflexe pavlovien ?
Enfin, que valent les paroles d'indépendantistes Kanak face aux
démentis officiels et aux dénégations des brillants officiers
embringués dans cette tragique opération de maintien de l'ordre? 1
Au
lever du jour, ce 25 avril 1988, alors que les onze gendarmes-otages
détenus dans le Sud sont libérés par leurs gardiens et prennent
place à bord des 4x4 qui les ramèneront à Fayaoué, les hommes de
Gossanah sont rassemblés manu militari devant le temple du
pasteur Tom Tchacko. Tous, jeunes et «vieux»
(un terme qui, dans la société kanak, englobe les
quinquagénaires). Depuis les adolescents comme Alain Mataou, qui n'a
que 16 ans, jusqu'au chef Imwone et au doyen du clan Wéa, âgé de
85 ans.2
Vidal
estompe, gomme, escamote ce qui fait tache
La
veille au soir, Jacques Vidal a réuni son état-major et décidé de
«mettre l'accent sur le renseignement».
Il a, dit-il, demandé au
lieutenant-colonel Benson et au capitaine Legorjus
«d'interroger quelques
individus, connus pour
leur militantisme indépendantiste ou signalés par des Mélanésiens
loyalistes». «Ses
ordres vont être strictement appliqués, relate
Philippe Legorjus. Le gros problème qui se pose alors est
d'interroger individuellement tous les
habitants sans qu'ils puissent communiquer entre eux et
d'obtenir des renseignements rapidement.» «La solution retenue par
le général consiste à créer plusieurs
centres d'interrogatoires sur le campement, confiés à
la troupe et aux gendarmes, qui auditionnent de petits groupes de
Mélanésiens, explique l'ancien
«patron» du GIGN. Des officiers de PJ locaux feront la
navette entre ces centres pour recueillir
les dépositions et collationner les renseignements.»
Une version contre laquelle le
général Vidal s'inscrit en faux : la mention de «centres
d'interrogatoire» est par trop évocatrice du passé algérien de
l'armée française.3
Sur ce chapitre des
événements comme dans les épisodes suivants, il estompe, il gomme;
il minimise, quant il n'escamote pas ce qui fait tache : «Certains
Mélanésiens affirmeront plus tard avoir été malmenés (...)
J'affirme être resté presque en permanence sur la place de Gossanah
avec les lieutenants-colonels Benson et Picard (…) Or jamais un
habitant n'est venu se plaindre à nous de mauvais traitements. Qu'il
y ait eu parfois une certaine pression
psychologique, voire exceptionnellement un
geste d'impatience de la part d'un gendarme, on ne peut
totalement l'exclure mais cela n'autorise pas à parler de tortures.»
Bref, selon le général,
les
interrogatoires auraient été conduits dans des limites acceptables.
Mais, une cinquantaine de plaintes n'en sera pas moins déposée
ultérieurement par des habitants de Gossanah pour «violences
et voies de faits».4
Des
simulacres d'exécution et d'étranglement
Dix
des Kanak interrogés livreront un récit plus ou moins détaillé de
leur «audition» (sic). Leurs témoignages, enregistrés par le
Comité Pierre-Declercq,5
permettent
de retracer assez précisément la singulière procédure mise en
œuvre ce jour-là. Il est environ 5h 30. Des gendarmes disposent
d'une liste de noms dressée avec l'aide de ceux que les habitants de
Gossanah n'appellent pas autrement que «les indicateurs».6
Ils sont ainsi plusieurs dizaines de «suspects». Les plus jeunes
sont emmenés trois par trois derrière le temple et contraints de se
déshabiller dans le froid du petit matin avant de s'agenouiller ou
de s'allonger dans l'herbe trempée de rosée. Les questions portent
sur les noms des participants à l'attaque de Fayaoué et sur les
grottes où les otages sont susceptibles d'être détenus: «Où
sont nos camarades ? Où est la grotte ? Où sont cachés les otages?»
On leur fournit un crayon, une feuille de papier ou un cahier pour en
dessiner l'emplacement. En cas de refus ou lorsque les réponses
attendues n'arrivent pas, c'est l'escalade : les gifles, les coups de
poing, les coups de rangers ou les coups de crosse. Plusieurs témoins
récalcitrants feront aussi état de menaces voire de simulacres
d'exécution : canon de l'arme posé sur la poitrine ou sur la tempe,
ou tirs de coups de feu rasants. «Il
a tiré trois coups de feu, sur les deux côtés au ras de mon corps
et un à côté de la gorge en la rasant de près», raconte
ainsi Paoulo Wéa. Une scène qui figurera dans le film de Mathieu
Kassovitz.
«Chaque
fois qu'il branche, on tombe par terre»
Un
autre type de simulacre sera rapporté par plusieurs Kanak. Le
«vieux» Camine Adeda, interrogé derrière le temple avec les
jeunes, l'a subi le premier : «Ils
m'ont attaché le cou avec un manou (une
pièce de tissu) et m'ont
étranglé. Ils serraient fort. Je
ne pouvais plus respirer et je me suis évanoui».
Un autre «vieux», Bruno Mataou, connaîtra le même traitement le
lendemain matin jusqu'à ce qu'il perde connaissance.
Image extraite du film de M. Kassovitz, L'ordre et la morale. |
Si
la plupart des jeunes gens sont questionnés à l'extérieur, des
interrogatoires plus poussés se déroulent parallèlement ou se
prolongent ensuite dans «la maison en dur». Selon les témoignages,
c'est là, à l'abri des regards, que l'on fera usage de la très
controversée matraque électrique. «Le
gars qui nous posait des questions avait dans sa main une baguette,
une espèce de matraque avec une décharge électrique au bout,
décrit Georges Omniwack. «Chaque fois que je ne répondais pas,
il me piquait avec la matraque électrique, au cou et ensuite à la
poitrine, au ventre. J'ai compté, j'ai
reçu au moins six à sept décharges. Chaque fois
qu'il branche, on tombe par terre parce que c'est trop fort»,
explique Maki Wéa dont l'un des neveux a fait la même expérience
un peu plus tôt.
Après
leur interrogatoire, une partie des jeunes seront condamnés à
rester assis durant des heures, les mains
entravées et les pieds menottés aux poteaux de la grande
tonnelle de la maison commune. D'autres resteront un long moment
agenouillés devant la cantine de l'EPK, obligés à soulever de
grosses pierres, les bras levés au-dessus de la tête ou largement
écartés. Les plus chanceux seront réquisitionnés pour décharger
les vivres et le matériel destinés aux troupes ou pour démanteler
les barrages qui interdisent encore la circulation des véhicules
militaires. Menottés ou non, leurs aînés seront regroupés, en
plein soleil sur le terrain de football ou à l'abri des flamboyants.
A midi, ils auront droit à un verre d'eau puisée dans un seau. Et à
17 heures, ces hommes, de même que les femmes enfermées dans les
cases et qui observent à travers les interstices, assistent à
l'arrivée de Bernard Pons, «pantalon et chemise bleu ciel»,
se souvient Denise Adéda.
«Pons
est venu à côté, nous a regardés, puis il est reparti.»
Le
ministre des DOM/TOM est accompagné du général Bernard Norlain, le
chef du cabinet militaire de Jacques Chirac, ainsi que du général
Jérôme et de son adjoint, le colonel Gérard Desjardins. Bernard
Pons affirmera plus tard qu'il n'a pas vu les groupes de «suspects»
qui se tiennent à 20-25 mètres du PC du général Vidal.7
Le vieil Ignace Nine, lui, a bien vu le ministre, «les
mains dans les poches en train de nous regarder, nous qui étions
rassemblés sur le terrain et les autres jeunes qui étaient attachés
sur les poteaux». «Il
était là, il est venu à côté, nous a regardés puis il est
reparti.» Les deux officiers de gendarmerie feront preuve de
moins de détachement. Ils vont s'entretenir un instant avec l'un des
hommes menottés près du terrain de foot, Cyril Wéa, le secrétaire
de mairie d'Ouvéa. Ce dernier raconte - ce que m'a confirmé le
général - qu'Antonio Jérôme lui aurait fait part de son
sentiment, selon lequel la revendication d'indépendance allait dans
le sens de l'Histoire mais que le drame de Fayaoué et la prise
d'otages ne pouvaient que freiner le processus.
«Les
interrogatoires ont pris une sale tournure»
Philippe Legorjus, lors de la conférence de presse |
donnée le 5 mai 1988 à Nouméa. DR. |
Parole
de général contre parole de Kanak. Qui dit vrai ? Philippe Legorjus
confirme pour partie les «allégations»
des «rebelles» de Gossanah. Tout en mariant le vrai et le flou.
«Lorsque je quitte Gossanah pour Fayaoué afin de
rencontrer les gendarmes libérés, les interrogatoires ont déjà
commencé, raconte l'ancien capitaine. Ils sont énergiques
mais sans brutalité : la violence reste verbale
et uniquement au niveau de la menace. Lorsque je reviens quelques
heures plus tard avec le colonel Benson, nous sommes désagréablement
surpris par ce que nous découvrons. Les interrogatoires ont pris une
sale tournure, des coups ont succédé
aux menaces.
Certains gendarmes, pour impressionner les suspects, ont mis des
cagoules et, sous couvert de ce masque, tentent de les faire craquer.
Benson et moi nous investissons personnellement en
ordonnant aux gendarmes de reprendre un mode d'interrogatoire
respectueux de la personne humaine.» Voici pour le vrai. «Les
Kanak prétendront plus tard avoir été torturés avec des matraques
électriques. Je n'ai été témoin d'aucun supplice de ce genre.
Quant à ce type de matériel, il ne fait plus partie de l'armement
du GIGN, même s'il existait autrefois pour faire réintégrer les
détenus récalcitrants dans leur cellule en cas de mutinerie.»
Voilà pour le flou. Philippe Legorjus, en effet, n'a pas
assisté au maniement de la matraque. Qu'il n'ait pas été informé
de son utilisation, c'est une autre affaire. Quant à l'existence
même de cette arme d'un emploi peu commun, elle ne fait plus de
doute, quoiqu'il en dise. Mais, nous y reviendrons. Relevons d'abord
que, sous couvert d'explication, il évoque indirectement le rôle
joué par le GIGN. Nulle part dans son livre il n'a jugé bon de
mentionner autrement que de manière allusive que c'est sa propre
unité qui avait été chargée d'obtenir les renseignements voulus
par le général Vidal. Et qu'à de rares exceptions près, ce sont
ses hommes à lui que les Kanak incriminent. Ce ne sont pas «des
gendarmes» comme les autres mais bien des membres du groupe d'élite
de la gendarmerie qui, certains cagoulés, se sont livrés à des
violences inacceptables. Des violences qui, en dépit de son
«recadrage», se reproduiront à l'identique le lendemain matin...
«En
tout état de cause, les coups - même s'ils sont inadmissibles - ne
peuvent être qualifiés de tortures à la française, comme on
l'écrira plus tard,
commente l'ex-patron du GIGN.
Après ces interrogatoires, même les plus musclés, on ne relèvera
aucune fracture, ni aucun traumatisme interne sur les victimes. Ce
qui n'excuse rien mais relativise les accusations.» Solidarité
gendarmesque oblige? Dix ans plus tard, le général de réserve
Alain Picard, lauréat du prestigieux Prix Moncey,8
reprendra presque mot pour mot sa version et son argumentation. Cet
officier exemplaire, profondément catholique, humain, trop humain -
«Il offrait du tabac aux
vieux, distribuait des biscuits et des bonbons aux gosses, il
nourrissait les chats : j'avais l'impression d'avoir affaire à un
curé plutôt qu'à un officier de gendarmerie»,
me confiera Jean-Paul Lacroix, qui l'accompagnera jusqu'à la fin des
opérations - ce pur gendarme dont la réputation fait office de
caution pour Jacques Vidal, n'en décroche pas moins haut la main la
palme du jésuitisme, avec cette petite phrase sinueuse, insidieuse :
«Il est probable que les
parachutistes, à Téouta où ils interrogent les habitants, prennent
encore moins de précautions que les gendarmes, mais je reste
persuadé que l'on a beaucoup exagéré ce qui s'est passé.» A
savoir ces supposés «sévices», ces prétendues tortures dont il
n'entendra parler, assure-t-il, qu'à son retour en métropole...
«Ce
sont des GIGN qui ont fait les tortures»
A
Téouta évacuée par la plupart de ses habitants, Christophe Dianou
y était, l'après-midi du 25 avril. «On était sept
hommes, sept femmes, une jeune fille et puis les gosses. Nous étions
restés dans la tribu pour garder une vieille qui était malade»,
raconte ce cousin germain d'Alphonse Dianou. «Ils nous ont
emmenés devant la chapelle et ont demandé un responsable. J'ai dit
que c'était moi et ils ont commencé à me poser des questions
(...) Le chef était devant moi, il tapait dans la
poitrine, les deux autres derrière avec le cordon essayaient de
m'étrangler. Puis ils ont vu qu'ils ne pouvaient rien tirer et ils
m'ont fait coucher par terre.»
Un des trois hommes le frappe alors à coups de crosse sur la tête,
tandis qu'un autre lui enfonce le canon de son arme sur la main et
que le dernier lui serre le cou. «Ce sont des GIGN qui ont
fait les tortures», assure
Christophe Dianou qui, comme les neuf autres témoins entendus par le
Comité Pierre-Declercq, ne parle nullement de mauvais traitements
infligés par des parachutistes.
Dans
leurs récits, même maladroits, les Kanak distinguent clairement les
comportements des uns et des autres. Ils ne confondent pas les
menaces outrancières mais purement verbales de certains officiers
paras et les tentatives brutales d'extorsion d'aveux. Et ils se
gardent de mettre tous les représentants de l'ordre dans le même
panier.
En
dehors des gendarmes, le seul militaire à participer aux «auditions»
est le lieutenant Patrick Destremau, du RIMaP, qui a interrogé en
particulier Cyrille Wéa dans la case duquel avaient été saisis une
collection de la revue Bwenando
et le petit Livre vert de Khadafi. Mais il intervient à visage
découvert et sans que ses questions s'accompagnent de violences. Le
secrétaire de mairie d'Ouvéa rapporte qu'après la visite de
Bernard Pons et son bref échange avec le général Jérôme, on lui
a «botté un peu les flancs»
mais que «Destremau disait aux gens de ne pas trop (le)
bousculer». «J'ai su
après qu'entretemps Picard faisait ses petits allers-retours, que
Picard regardait et leur a dit de se calmer».
Lors d'un entretien téléphonique, celui-ci a admis que Cyrille Wéa
disait vrai. Lui aussi est intervenu pour rappeler à l'ordre les
auteurs de débordements. Dans son livre cependant, il ne dit pas un
mot à ce sujet. Il y avait là, pourtant, matière à ajouter une
touche supplémentaire d'humanité à l'autoportrait flatteur qu'il a mis tant de soin à dresser. Mais c’eut été reconnaître
les comportements inadaptés de certains gendarmes et faire ainsi un
accroc dans le tissu de mensonges soigneusement ravaudé depuis plus
de vingt-cinq ans afin d'épargner à l'armée et à la gendarmerie
le poids du déshonneur.
.../...
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1.
Les accusations portées par le FLNK reposent semble-t-il sur le
récit fait au téléphone par le pasteur de Gossanah, Tom Tchacko,
qui le 25 au soir aurait réussi à joindre des représentants de
l’Église évangélique à Nouméa. Le
premier démenti est venu de Bernard Pons, le ministre des DOM/TOM,
à l'occasion d'une conférence de presse tenue le 27 avril à
Nouméa devant un parterre de correspondants et d'envoyés spéciaux
interdits d'accès à Ouvéa : «Rassurez-vous, on n'a
torturé personne !». Le
même jour, à Paris, la Direction générale de la gendarmerie
réfutait à son tour la version du FLNKS. «Elle dément,
dixit Le Monde, avoir procédé à des interrogatoires violents,
avoir déplacé des tribus et avoir détenu des personnes dans les
conditions dénoncées par le FLNKS.»
2.
Cogny Wéa mourra le 6 mai, au lendemain de l'Opération Victor. Les
habitants de Gossanah restent aujourd'hui encore convaincus que sa
mort est la conséquence directe de ce qu'il a vu et subi le 25
avril.
3.
Dans son second livre, L'Ordre et la Morale, qui doit
beaucoup au précédent, Philippe Legorjus s'abstiendra de reparler
de «centres d'interrogatoires».
4.
Où s'arrêtent les sévices et où commence la torture : dans son
rapport, La Ligue des Droits de l'Homme s'efforce de distinguer ce
qui, dans les violences infligées aux hommes de
Gossanah,
relève des uns et de l'autre. Les avocats des Kanak n'ont pas
retenu la qualification de «tortures».
5.
Tous ont été publiés dans la revue Bwenando. Le Comité a
également procédé à une reconstitution filmée dans la tribu
Gossanah et à la grotte de Watetö.
6.
Le premier d'entre eux est Mathias Nazère, le loyaliste de Téouta
recruté dès le 22 avril à Wénéki
par le lieutenant-colonel Picard, qui se comportera en véritable
auxiliaire des forces de l'ordre en fournissant les noms et en
désignant les maisons des familles les plus «engagées». Un ou
plusieurs autres, dont les gendarmes du GIGN s'efforceront de
préserver l'anonymat en leur fournissant une cagoule, participeront
à cette chasse aux militants.
7.
Dans le documentaire d'Elizabeth Drévillon, Autopsie d'un
massacre, diffusé en 2008 par France 2, Bernard Pons,
qui n'en est plus alors à un mensonge près, affirmera face caméra
qu'il n'a jamais mis les pieds à Gossanah ! Une affirmation
que le général Vidal se sentira tenu de démentir.
8.
Ce prix, devenu le Prix littéraire de la gendarmerie, est attribué
chaque année par un jury composé de gendarmes. Il récompense
aussi bien des romans policiers que des ouvrages historiques. C'est
dans la catégorie Histoire qu'a été primé Ouvéa. Quelle vérité?
Dense, très documenté, illustré de photos inédites, ce livre
d'Alain Picard, qui est aussi un solide plaidoyer pro domo, est
devenu une référence pour tous ceux qui rejettent la version
donnée par les journalistes du Monde, Edwy Plénel et Alain Rollat
dont l'ouvrage, Mourir à Ouvéa, édité en 1988 et devenu
introuvable.. Une version, on le verra, infiniment plus proche de la
vérité.
L'ETAT DE SIEGE
3. Des «GIGN» brisent la loi du silence
«Ce
n'était pas l'Algérie, avec salle d'interrogatoires, gégène et
bassines d'eau...»
Propos tenus au téléphone
par Michel Bernard, ancien membre du GIGN, qui a participé aux
interrogatoires des 25 et 26 mai à Gossanah.
Après
la fable des gendarmes massacrés «à
coups de haches et de sabres d'abattis»,
la version mensongère des interrogatoires menés à Gossanah. Il
faut à tout prix laver le GIGN des soupçons que font peser les
récits rassemblés par le Comité Pierre-Declercq. La réfutation de
la DGGN (Direction générale de la gendarmerie) n'y suffit pas. Et
c'est le très talentueux Françis
Szpiner qui s'y colle, à la demande de Philippe Legorjus. «Le
GIGN n'était pas pourvu de matraques électriques, arme qu'il n'a
pas en dotation, proteste
l'avocat des «supergendarmes».1
Il n'a pas participé aux interrogatoires, qui étaient menés par
d'autres unités. Aucun de mes clients n'a participé à des
sévices.»
Alors qui ?
Les
journalistes du Monde
ont bien cherché à le savoir mais, constatent-ils,
les
militaires se refusent à se comporter «comme
des balances»
: ils ne donneront pas les noms de ceux qui «se
sont laissés aller».
Ils ne nient pas en bloc l'existence de sévices, ils assurent
simplement que ce n'était pas leur unité, sans vouloir préciser
pour autant quel était le corps d'appartenance de ceux qui en furent
les auteurs.».
Contrairement
au déni, le mensonge ne résiste pas toujours à l'usure du temps.
Tantôt il se fait moins assuré et s'effiloche peu à peu à force
de ressassement, de justifications embarrassées et d'infimes
variations. Et tantôt il cède, sans prévenir, par lassitude, comme
s'il était soudain devenu trop lourd à porter. Dans les semaines
qui ont suivi les événements, le GIGN a fait bloc et s'est fabriqué
une version soft des
interrogatoires menés à Gossanah et de la fin des combats à la
grotte des Anciens. Ses hommes présents à Ouvéa, coupables ou
innocents mais tous solidaires, s'y sont accrochés envers et contre
tout pendant un quart de siècle. Elle ne tient plus aujourd'hui qu'à
un fil prêt à rompre.
Des matraques électriques dans les bagages
Dix-neuf
«opérationnels» du GIGN ont participé aux recherches et/ou aux
combats.2
Au cours des deux années écoulées, je me suis entretenu plus ou
moins longuement avec la moitié d'entre eux, parfois à plusieurs
reprises.3
Certains
échanges ont été tendus voire houleux. Mais aucun de ceux que j'ai
pu contacter ne s'est défilé. Confidences ou demi-aveux,
quelques-uns ont vaincu leurs réticences et m'ont permis de
progresser dans ma tentative de recherche de la vérité. Comme
Jean-Jacques Marlière, actuellement responsable de la sécurité
d'un Grand hôtel parisien, qui le premier m'a confirmé l'existence
des matraques électriques : «Ce sont des armes non
létales que nous utilisions lors des émeutes de prison (par
exemple en 1987 à la maison centrale de Saint-Maur et à
Fleury-Mérogis). Oui, il y en avait dans certains bagages
lorsque nous sommes partis pour Ouvéa. Mais j'étais affecté aux
recherches sur le terrain et je ne sais pas qui les a employées.».
Ou comme Michel Bernard, reconverti dans la sécurité au sein d'un
groupe pétrolier et qui, lui, admet avoir participé aux
interrogatoires.
«Je
me suis dit : «Mais
t'es complètement con !»
«On glanait des
renseignements, c'était comme une sorte de jeu de piste entre armée
et gendarmerie, à celui qui trouverait en premier le lieu de
détention des otages, raconte
Michel Bernard. On était sous
pression. On nous disait :
«Dépêchez-vous, dépêchez-vous!». Des
informateurs qui venaient de tribus loyalistes et qu'on amenait
cagoulés nous ont donné des noms et montré les cases.» «Nous
avons interrogé ceux qui avaient été dénoncés. C'est un
exercice dont on ne maîtrise pas l'action, où on peut laisser
surgir une certaine forme de bestialité»,
dit-il, une
violence insoupçonnée
à laquelle il se serait lui-même laissé aller. «Une
seule fois.» «Un
gars avait suspendu à l'intérieur de sa case le t-shirt d'un
gendarme d'Antibes et une paire de pataugas. Malgré ça, il nous
disait : "Je sais rien !", alors je
lui ai flanqué des baffes. C'était un grand
gaillard mais il a commencé à pleurer et là j'ai compris, je me
suis dit : « Mais t'es complètement con !» «Un
geste malheureux». Qu'il a
aussitôt regretté, dit-il. Au point d'aller le confesser la veille
de l'assaut auprès du père Jean-Pierre Brard, l'aumônier militaire
avec lequel Alain Picard nouera une longue amitié.
«Combien
tu veux que je te coupe de doigts ?»
«Les interrogatoires
musclés, ça a été rapporté le soir à Legorjus qui nous avait
réunis. Il a alors remis les pendules à l'heure», assure celui
qu'en raison de son 1m90 ses camarades appellent «le
grand Michel Bernard».
Mais, dans le documentaire de 56' réalisé en 2002 par Christophe de
Ponfilly, GIGN, le temps des secrets, dans lequel il retrace
longuement ses faits d'armes, l'ancien «supergendarme» rapporte
aussi une autre anecdote. Il explique
comment, lors d'une séance d'interrogatoire, le lendemain même de
ce rappel à l'ordre, il s'est saisi d'un tamioc et a contraint un
Kanak qui refusait de parler à poser la main sur le rebord de la
fenêtre en menaçant de lui couper un ou plusieurs doigts. Réplique
de l'intéressé, Bruno Mataou : «Tu peux couper la
main si tu veux. Je ne sais rien...» «Il
était couillu le mec,
hein ?» ajoute avec le sourire l'ex-sous-officier du
GIGN, en se tournant vers son ami Hervé Quaetaert qui visiblement a
assisté à la séance. Simple intimidation ? Sans doute. «Tout
le reste, ce sont des conneries !»,
conclut le héros du film de Christophe de Ponfilly... (voir youtube http://youtu.be/0sQcLWfWiEU). A ceci près que la victime, si elle
décrit cette scène-là à peu près dans les mêmes termes, fait
d'abord état de la longue séquence de traitements variés qui l'a
précédée : menace d'exécution, usage répété de la
matraque électrique et étranglements.4
«On
avait la haine du Kanak!»
Lorsque
Michel Bernard pénètre dans la case où est interrogé Bruno
Mataou, celui-ci vient tout juste de reprendre connaissance après
qu'un autre gendarme du GIGN lui ait «serré
le cou avec une
ceinture qui pendait
sur une corde». «A
chaque fois, quand je ne peux plus parler, il
relâche et me dit :
«Parle !» (…) - ça s'est passé
trois ou quatre fois comme ça et puis à la cinquième fois, il a
serré complètement et je voyais tout noir, je me suis retrouvé par
terre évanoui.»
Après
avoir enregistré les déclarations des Kanak interrogés à Gossanah
et Téouta, le Comité Pierre-Declercq a soumis à chacun la fameuse
photo publiée le 27 mai 1988 par Paris-Match,
où l'on voit Alphonse Dianou sur sa civière au milieu de ses
compagnons preneurs d'otages qui ont survécu aux assauts. Sur la
gauche de l'image figure une rangée de militaires, principalement
des membres du GIGN revenus d'opération. Deux d'entre eux seulement
sont reconnaissables, que le Comité a désignés par les premières
lettres de l'alphabet. Aucun de ceux qui ont dénoncé de mauvais
traitement ne désigne le premier, Philippe Raitière, dit
«L'écureuil». Mais trois montrent du doigt «celui
qui porte la lettre B au-dessus de la tête» :
Christophe Dianou, Raphaël Wéa, qui dit reconnaître «celui
qui est long», qui montait la garde à la
porte durant son interrogatoire, et Bruno Mataou qui distingue le
même homme comme «l'un de ceux qui (l') ont
torturé à l'électricité». Cet
homme qui domine tout le groupe d'une tête, c'est «le grand Michel
Bernard». Le dernier accusateur a-t-il procédé à un amalgame
entre les trois ou quatre gendarmes qui l'ont interrogé ?
L'ancien sous-officier est catégorique : «La
matraque, ça fait partie des conneries qui ont été commises, mais
ce n'est pas moi qui l'ai utilisée!»
Michel
Bernard se défend de pied ferme mais ne cherche
pas à se justifier, pas plus qu'à «dédouaner» ses camarades. Il
n'en souligne pas moins l'importance du «facteur
émotionnel, lié à tout ce qu'on avait entendu avant notre départ
et à notre arrivée sur les lieux». Ce que
plusieurs autres interlocuteurs résumeront d'une formule plus
abrupte : «On avait la haine du Kanak !»
«J'ai
juste posé le canon de mon fusil sur sa tempe.»
Sur
le site internet gign.org,
consacré à l'histoire passée et présente du groupe
d'intervention, Bernard Meunier dit «Nanard», autre acteur du drame
d'Ouvéa, figure avec Michel Bernard parmi les «Grands
noms»
de l'unité d'élite de la gendarmerie. Je l'ai questionné peu de
temps après la sortie du film de Mathieu Kassovitz et la critique
qu'il en avait dressée dans La
Gazette de la
Côte d'Or. Un
article dans lequel il reconnaissait avoir lui aussi conduit des
interrogatoires.
Bernard Meunier reconnaît avoir menacé d'exécuter
un Kanak pour obtenir des renseignements. DR
|
C'est sorti tout à trac.
L'entretien avait à peine commencé. «Celui qu'on voit simuler
une exécution dans le film, c'est moi, déclare d'emblée
Bernard Meunier. Je ne l'ai jamais dit à personne. Mais ça ne
s'est pas du tout passé comme ça. On avait chopé une demi-douzaine
de jeunes qui ravitaillaient les preneurs d'otages. On a
simplement exercé une pression psychologique pour qu'ils nous
indiquent l'emplacement de la grotte. Il y avait un Kanak plus âgé.
Avec un autre commando, on
le tenait en joue. Je n'ai pas tiré. J'ai
juste posé le canon de
mon fusil à pompe sur sa tempe puis sur sa poitrine et j'ai
menacé :«On
va tuer le vieux!»
L'autre jeune s'est
assis. On lui a demandé de faire un dessin et il a fini par dire :
«La grotte est là».
Deux jours après cet
interrogatoire, Bernard Meunier allait à son tour devenir otage des
indépendantistes kanak avec Philippe Legorjus et cinq autres membres
du GIGN. Des otages «de choix» dont les conditions de détention
seront durcies lorsque Alphonse Dianou aura connaissance des méthodes
employées pour faire parler les gens de Gossanah5
...
«C'est
moi qu'ils recherchaient.»
«Un jour, Dianou et
les autres ont fait monter une dizaine de Kanak à la grotte pour
nous identifier. Quatre ou cinq sont descendus dans le trou où nous
étions menottés. C'est moi qu'ils recherchaient, confesse
Bernard Meunier. Je me tenais accroupi dans un coin. Je
m'étais barbouillé le visage avec de la terre.» Il ne sera pas
identifié. Contrairement à son camarade Jean-Guy Pichegru, reconnu
la veille par un porteur de thé,6
Gervais Nahiet, et qui faillit payer de sa vie les mauvais
traitements appliqués à Gossanah. Jean-Guy Pichegru que plusieurs
interlocuteurs me désigneront, sous couvert d'anonymat, comme
l'utilisateur de la matraque électrique, mais qui a trouvé la mort
en 2000 dans un accident de moto et n'est donc plus là pour s'en
défendre.
Contrairement
au «grand Michel Bernard»,
Bernard Meunier, qui fut dix ans durant négociateur-expert au GIGN
et qui dirige aujourd'hui sa propre entreprise de sécurité, n'a
toujours rien pardonné.
Ni aux Kanak ni à Philippe Legorjus, le «faux-héros» d'Ouvéa, ni
à son adjoint Jean-Pierre Picon qui le 5 mai «est sorti
le premier de la grotte par une cheminée en laissant les autres
otages en bas», ni
aux autorités militaires et politiques qui ont lésiné sur les
récompenses.7
«En
fait, nos interrogatoires n'étaient pas assez musclés.»
Le manque de
reconnaissance, le temps passé dans l'ombre d'un Philippe Legorjus
promu commandant sitôt débarqué de Nouméa et proclamé figure
emblématique du GIGN, un Legorjus qui par la grâce du Septième art
devient l'incarnation du courage et de la morale : pour Michel
Lefèvre, c'en est trop. Le «chef Lefèvre», celui que ses hommes
appellent affectueusement «le gros Michel» et que le général
Vidal a désigné pour conduire l'ultime assaut de la grotte de
Watetö, va revendiquer sa juste place dans l'histoire de l'Opération
Victor. Il décide de «clamer la vérité». Et en 2012, il
publie sa propre version des faits sous le titre : «Ouvéa.
L'histoire vraie».8
Il
y évoque «la pêche
aux renseignements»
auprès de la population de Gossanah. C'est à son groupe - et à
aucune autre unité - que cette mission a été dévolue. «Cet
épisode a donné lieu à toutes sortes de polémiques, écrit
Michel Lefèvre. S'il est vrai qu'il y a eu des brutalités (pour
ma part je n'ai rien vu) concernant ces fameux interrogatoires, ces
soi-disant violences sont sans commune mesure avec l'attaque de la
gendarmerie. Nous n'avons tué ni blessé ni torturé personne.» Et
d'argumenter : «Le capitaine Legorjus, avec qui je suis bien
loin d'être toujours d'accord, n'a jamais admis ce genre de pratique
au sein de son unité». En effet. Sauf que, selon Philippe
Legorjus, Michel Lefèvre est précisément l'un de ceux qu'il a
rappelé à des méthodes plus orthodoxes le 25 avril au soir...
«Le fait est que
nos interrogatoires ne sont pas assez musclés, estime
pourtant le «gros Michel»
Les menaces verbales, les «Dis-moi
où est la grotte ? Où sont cachés les otages ?
(...) Si
tu ne réponds pas
je vais te filer un
coup
de matraque électrique,
alors tu vas parler ?
ne donnent rien.»
Et
d'expliquer à l'intention du non-initié que la matraque en question
produit «un
courant d'une très faible intensité qui procure juste
une sensation
désagréable.»9
«A
l'entraînement, on tenait une ou deux minutes», précisera-t-il
lors de notre second entretien téléphonique. Champion du monde
d'haltérophilie et détenteur du record mondial de développé
couché dans la catégorie sapeurs-pompiers et policiers, Michel
Lefèvre est une armoire à glace bardée de muscles. Lorsque je
ferai remarquer à cet habitué des gymnases qu'une matraque
électrique - dont il admet cette fois qu'elle a bien été utilisée
- peut provoquer chez un Kanak, jeune ou vieux, un tout autre effet
que celui qu'il décrit, il finit cependant par en convenir.
Philippe Legorjus a rappelé certains de ses hommes
à des pratiques plus respectueuses de l'éthique
du GIGN. Photo DR
|
«Tout
cela a été une grande déception pour Philippe (Legorjus), avec la
présomption très forte que beaucoup avaient participé»,
a confié Michel Bernard à l'occasion de notre premier entretien,
sans préciser pour autant si ce dernier sentiment était ou non
justifié. En plus des hommes déjà cités, combien d'autres ont été
impliqués dans cette quête brutale du renseignement ? «Un
militaire se nomme Dubois, on a vu sur sa veste, c'était marqué
Dubois,
a témoigné Christophe Dianou. C'est
pas lui qui faisait les tortures mais il est resté là, c'est tout
le temps avec lui qu'on parlait.»
Le maréchal des logis-chef Jean-Claude Dubois, trahi par la bande
velcro patronymique fixée à hauteur de poitrine, fera également
partie des six membres du GIGN venus grossir les rangs des otages le
27 avril au matin. Il est de ceux que je n'ai pas réussi à
contacter.
Les
Kanak ont dit vrai. Françis
Szpiner et le GIGN ont menti.
A Satory où est basé l'ensemble des groupes d'intervention de la
gendarmerie, les méthodes musclées employées à Ouvéa deviendront
vite «un secret de Polichinelle». Mais il n'y aura ni enquête
interne ni sanction. Ceux qui se sont «laissés aller» poursuivront
leur carrière au GIGN ou ailleurs en gendarmerie. En d'autres
occasions, lors des assauts du 5 mai ou encore avant ou après Ouvéa,
ces mêmes hommes ont risqué leur vie pour en préserver d'autres,
c'est vrai. Mais devait-on pour autant masquer leur part d'ombre et
passer sous silence les excès commis à Gossanah ? Après
Jean-Claude Dubois, décoré sitôt après les événements, Michel
Bernard, Hervé Quaetaert, Bernard Meunier et Jean-Guy Pichegru
recevront à leur tour la Médaille militaire et Michel Lefèvre sera
fait chevalier de la Légion d'honneur en 1996...
Une
hiérarchie aveugle ou consentante
Entre sévices et
torture, la frontière est ténue. Au vu des divers témoignages,
chacun décidera si elle a ou non été franchie. Reste que des actes
intolérables ont bel et bien eu lieu, dont la responsabilité
incombe d'abord et avant tout à une hiérarchie aveugle ou
consentante.
Dans son livre-plaidoyer,
Jacques Vidal se défausse. S'il a confié la recherche du
renseignement aux hommes du GIGN, c'est, dit-il, parce qu'il a estimé
«que leur qualité de
gendarmes offr(ait) des garanties suffisantes pour mener ce type
d'investigations» «En aucun cas,
écrit-il, je ne leur
ai demandé de conduire des interrogatoires «musclés».
Ces hommes avaient selon lui «la
compétence nécessaire pour réaliser ces interrogatoires selon leur
propre organisation.». C'est
inexact. Le GIGN n'est pas un service de police judiciaire, un groupe
d'investigation, mais une unité d'intervention. Et quand bien même
quelques-uns de ses sous-officiers auraient obtenu la qualification
d'OPJ, ils n'étaient nullement autorisés à exercer cette fonction
à Ouvéa. Il aurait pour cela fallu qu'ils aient été habilités
dans le ressort de la Cour d'appel de Nouméa, ce qui n'était pas le
cas.
Michel
Lefèvre, le «Monsieur Muscle» venu de la Garde républicaine,
avait-il l'expérience requise pour procéder à des auditions ?
Les quelques gendarmes territoriaux présents à Gossanah étaient-ils
habilités et si oui, comment se fait-il que pas un seul Kanak n'ait
mentionné leur participation aux séances d'interrogatoire ?
Pourquoi celles-ci ont-elles lieu sans instructions et sans contrôle
d'un magistrat ? A supposer que le général ait ignoré les
règles de droit qui encadrent les auditions, Alain Benson, son
«adjoint gendarmerie», ou encore le lieutenant-colonel Picard
étaient là pour les lui rappeler. De même que Philippe Legorjus,
conscient que des interrogatoires se déroulaient hors procédure. Et
qui, en dépit de ses états d'âme, a cautionné des «pratiques
qui (le) révoltaient».
Jacques
Chirac, enfin, n'est pas pour rien dans ces détestables «bavures».
En allant jusqu'à dénier la qualité d'êtres humains aux
assaillants de la gendarmerie de Fayaoué, le premier ministre
candidat a largement contribué à nourrir cette «haine du Kanak»
qui se manifestera jusqu'à l'épisode final du drame d'Ouvéa.
À
suivre…
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
1.
Francis Szpiner défendra, outre le capitaine Legorjus, les six
membres du GIGN qui au lendemain de la découverte de la «grotte
des Anciens» -
aussi appelée le «trou des Guerriers» - se retrouveront otages à
leur tour et décideront, une fois rentrés en métropole, de se
constituer partie civile. Avocat d’Alain Juppé dans l’affaire
des emplois fictifs de la mairie de Paris, Me
Szpiner défendra également Jacques Chirac dans les dossiers de
financement politique du RPR et des HLM de Paris. Il avait
participé à la campagne de celui-ci en 1981 et se présentera en
2002 contre Arnaud Montebourg avant de devenir suppléant d'Eric
Raoult, député de Seine Saint-Denis déchu en 2012.
2.
Les dix-neuf hommes engagés sur le terrain à Ouvéa étaient
accompagnés d'un mécanicien, d'un magasinier, du médecin du GSIGN
(le Groupement de sécurité et d'intervention, regroupant le GIGN
et l'EPIGN), le docteur Jean-Michel Churlaud, ainsi que d'un
infirmier.
3.
Le capitaine Philippe Legorjus et son adjoint, le capitaine
Jean-Pierre Picon, le chef de groupe Michel Lefèvre ainsi que
Didier Anglézi, Michel Bernard, Alain Guilloteau, Jean-Jacques
Marlière, Bernard Meunier, Xavier Leroy et Alain Pustelnik.
4.
Bwenando N°109-110 et rapport de la Ligue des Droits de
l'Homme, Enquête sur Ouvéa.
5.
Alors qu'elles seront assouplies pour les gendarmes mobiles détenus
depuis le 22 avril, à qui l'on retirera leurs menottes et qui
seront autorisés à circuler plus librement.
6.
Terme qui désigne les habitants de Gossanah qui, avec l'aval des
forces de l'ordre, viendront chaque matin à partir du 28 avril
apporter des boissons et des repas aux occupants de la grotte. Si
les mobiles partageront le repas des Kanak, les otages du GIGN
seront moins bien traités et devront le plus souvent se contenter
de rations militaires.
7.
Philippe Legorjus recevra son galon de commandant des mains d'André
Giraud dès sa descente d'avion à Saclay. Jean-Pierre Picon et
Jean-Claude Dubois seront décorés de la Médaille militaire pour
avoir défendu l'ensemble des otages réfugiés au fond de la grotte
lors des assauts, grâce aux armes introduites par le substitut
Jean Bianconi.
8.
Publié aux Editions
du Rocher,
183 pages. Extrait : «A
Roissy, le capitaine Legorjus descend le premier sous les flashes
des photographes. Il est accueilli par Régis Mourier, le directeur
général de la Gendarmerie et André Giraud, le ministre de la
Défense. Directement sur le tarmac où se bousculent les
journalistes, les autorités militaires lui remettent un galon de
commandant. Le capitaine sourit, serre des mains, explique, sourit à
nouveau, réexplique. Les flashes crépitent à nouveau. A ma grande
surprise je passe inaperçu avec mes camarades. Certes, je n'attends
pas la gloire, mais j'ai tout de même dirigé l'assaut alors que
lui n'était pas là. Qu'a-t-il à raconter ou à dire ? »
9.
La puissance des armes non létales dites à induction électrique
actuellement disponibles sur le marché va de 80 000 à plus de... 2
000 000 de volts. Quelle était celle des matraques utilisées à
l'époque lors des émeutes de prison ? Je n'ai pas trouvé la
réponse. A titre de comparaison, une clôture électrique pour
bétail a une puissance de 10 000 volts et plus. Soit au moins
quatre fois plus de courant que celui que l'on reçoit lorsque l'on
met le doigt dans une prise électrique.
source
1. La controverse sur les exécutions sommaires
6 mai 1988. Devant le bâtiment de l'aérodrome d'Ouloup. Les corps des dix-neuf Kanak tués à Ouvéa. Photo DR |
«Il
serait regrettable qu'un succès éclatant, entaché il est vrai
d'actes individuels inexcusables, soit contrebattu par une campagne
tendancieuse qui, au-delà de la désapprobation justifiée de
comportements délictueux, viserait à porter un coup à
l'institution militaire et à ses chefs.»
Extrait
du rapport d'enquête militaire des généraux Berthier et Rouchaud.
Le succès de l'opération «Victor», qui aura permis
la libération des vingt-quatre otages retenus dans la grotte de
Watetö, a été obtenu au prix fort. Le bilan des combats dressé le
soir du 5 mai est lourd - vingt-et-un morts - et de l'avis même de
certains experts militaires les pertes semblent singulièrement
disproportionnées. Deux hommes du 11ème Choc, l'adjudant Régis
Pedrazza et le soldat Loïc Veyron, ont été tués lors du premier
assaut, le lieutenant Thimothée, du GIGN, a été acheminé à
l'antenne chirurgicale d'Ouloup entre la vie et la mort 1
et trois autres souffrent de blessures sans gravité. Dans le camp
adverse, les corps de dix-huit indépendantistes ont été dénombrés
sur le terrain des affrontements. Et la mort d'Alphonse Dianou, le
chef des preneurs d'otages blessé à sa sortie de la grotte par un
gendarme du GIGN, a été constatée par un médecin militaire cinq
heures après la fin des combats alors que, conformément aux
consignes du général Vidal, il aurait dû être «aiguillé» sur
Ouloup et pris en charge par l'équipe médicale.
Cette opération d'envergure,
sans précédent depuis la guerre d'Algérie, a-t-elle été entachée
par de graves manquements à l'honneur militaire? Des membres des
forces armées ont-ils procédé à des exécutions sommaires après
la sortie des otages et la reddition des indépendantistes retranchés
dans le «trou des guerriers»? La controverse surgit dès le 8 mai,
au soir d'une journée historique qui verra la réélection de
François Mitterrand et la défaite de son Premier ministre, Jacques
Chirac. Celui-là même à qui le Président sortant avait délivré
son agrément pour une opération de vive force.
C'est le correspondant de
l'AFP en Nouvelle-Calédonie, Antonio Raluy, qui allume la
mèche. Venu sur l'île d'Ouvéa pour assister aux obsèques des
dix-neuf victimes kanak, il rapporte les accusations portées par des
responsables locaux du FLNKS et un «ancien» de la tribu de Gossanah
présent lors de l'assaut. Celui-ci affirme notamment qu'Alphonse
Dianou et son lieutenant Wenceslas Lavelloi sont sortis vivants de la
grotte après y avoir déposé leurs armes.
Il évoque également la mort, toujours après la
cessation des combats, d'un jeune homme de 19 ans, Patrick Amossa
Waïna, qui figurait parmi ceux que l'on appellera «les porteurs de
thé» et qui, depuis le retrait de l'armée de Gossanah et avec
l'aval des autorités militaires,
venaient chaque matin ravitailler la grotte et
partager le petit déjeuner des otages et de leurs gardiens.2
Il raconte qu'Alphonse Dianou, blessé, a été frappé «à coups
de crosses et de rangers» et que d'autres «porteurs de
thé» ne doivent la vie sauve qu'à l'intervention du substitut Jean
Bianconi et du gendarme kanak Samy Ihage.3
Les
démentis se succèdent...
La réaction est immédiate.
Les deux «têtes d'affiche» de l'opération «Victor», Jacques
Vidal et Philippe Legorjus, font pour un temps cause commune et
rejettent en bloc les accusations lancées depuis Ouvéa. Pour l'un,
il s'agit avant tout de «dédouaner» l'Armée. Pour l'autre, de
couvrir «ses» hommes et préserver l'image de son unité.
Dans sa dépêche du 8 mai,
l'AFP fait aussi état du démenti du commandant en chef des
Forces armées de Nouvelle-Calédonie (FANC), toujours présent à
Nouméa, selon qui «Dianou
a refusé de se rendre et a été
blessé lors de la deuxième phase de combat, l'assaut contre la
grotte». «Il a été blessé à l'intérieur ou à l'entrée de la
grotte,
précise le général Vidal. Un
médecin s'est occupé de lui, mais il est décédé pendant son
transfert vers Saint-Joseph ou à l'aérodrome.»
Le lendemain, l'agence publie la mise au point du tout nouveau
commandant Legorjus. «Affirmer
aujourd'hui que des preneurs d'otages ont été exécutés est un
mensonge pur et simple et
constitue aussi une injure pour
les morts canaques qui sont tous
tombés les armes à la main et ont combattu vaillamment, se
défendant bec et ongles», s'indigne
le chef du GIGN. Une réplique en forme d'hommage aux militants
indépendantistes qui dissimule à peine le sous-entendu destiné
aux dirigeants du FLNKS : somme toute, une fin héroïque ne
vaut-elle pas mieux, pour l'Histoire ou la Légende kanak, qu'une
reddition, fut-elle dictée par le souci d'épargner des vies?
Philippe Legorjus récidive dans Le
Monde
daté du 10 juin, cette fois avec force détails. Une version
fabriquée sur mesure pour tenter de couper court aux accusations
accablantes publiées dans la même édition.
Le "coutumier" Joseph Tangopi et son fils Benoît (qui figurait parmi les preneurs d'otages).
Image de 2002, extraite du film de Charles Belmont,"Les médiateurs du Pacifique".
|
… mais
les témoignages s'accumulent
L'envoyé
spécial du Monde,
Frédéric Bobin, a lui aussi rencontré le témoin cité par l'AFP,
un «ancien» de la tribu de Gossanah, Joseph Tangopi, qui chaque
jour depuis le 28 avril, entre 5 heures et 6 heures du matin, se
rendait à la grotte pour y faire la coutume.
Il était là, dans la cuvette au fond de laquelle se dissimulait la
cache des preneurs d'otages, lorsque l'attaque a été déclenchée.
Comme les sept «porteurs de thé» qui se sont réfugiés avec lui
dans la grotte dès les premiers tirs. Et qui racontent. «Ils
insistent sur le fait qu'Alphonse Dianou et Wenceslas Lavelloi ont
bien jeté leurs armes au sol avant de s'extraire de la grotte»,
écrit
Le Monde. «Alphonse serrait contre lui une sculpture coutumière. Il
disait qu'il était entré avec et qu'il sortirait avec. Il était
accompagné de Wenceslas Lavelloi. Nous suivions tous derrière. Une
fois sortis de la grotte, les militaires nous ont fait coucher par
terre. Puis un militaire a tiré un coup de feu sur la jambe
d'Alphonse. Blessé, il a été emmené sur un brancard où un
médecin de l'armée s'est occupé de lui. Il lui a mis des tuyaux
pour la perfusion. Mais ensuite d'autres militaires sont venus vers
le brancard, ont arraché les tuyaux et ont renversé le brancard. Le
corps d'Alphonse a roulé sur les cailloux et a été frappé
à coups de rangers et de crosses de fusils.»
Les
«porteurs de thé» racontent aussi que leur camarade Patrick Amossa
Waïna a été interpellé par un militaire. «Quand
il s'est mis debout,
expliquent-ils, il a reçu un
coup de feu et il s'est écroulé.» Enfin,
toujours selon ces mêmes témoins, des hommes seraient venus
chercher Wenceslas Lavelloi alors qu'il était allongé parmi eux.
«Il a été emmené dans un coin qu'on ne voyait pas, au-dessus de
la grotte. On a entendu un coup de feu et le militaire a dit :
«Le tour de Lavelloi est fini,
au suivant !»
Une escalade évitée grâce à l'intervention du substitut Bianconi
: «Ils ont eu assez de morts
comme ça!»
«Une
campagne de dénigrement»
Joseph Tangopi à l'intérieur de la grotte avec les "porteursde thé"
lors de la reconstitution fimée par le Comite Pierre -Declercq. DR
|
Le
«patron» du GIGN a beau expliquer que Dianou et Lavelloi faisaient
partie «du dernier carré des
ravisseurs décidés à se battre jusqu'au bout»,
que le chef du commando a été blessé à la cuisse lors d'un
échange de coups de feu avec deux des otages (qui disposaient de
deux revolvers Smith & Wesson introduits dans la grotte par le
substitut Bianconi4)
et enfin que son lieutenant a été tué les armes à la main à
l'intérieur de la grotte, il est trop tard pour stopper
l'emballement médiatique. Le ministre de la Défense, André Giraud,
qui s'apprête à faire ses cartons, ne peut rester sans réagir à
ces «insinuations
monstrueuses» :
il annonce le dépôt d'une plainte contre X. «pour
diffamation envers les armées».
Et dès le lendemain les familles des morts kanak décident à leur
tour de porter plainte, cette fois pour «assassinat».
Au cours des jours suivants,
la polémique va enfler, alimentée d'un côté par la presse
(Libération,
La Croix, L'Humanité...)
qui accumule les témoignages, et par les dirigeants du FLNKS, bien
décidés à tirer parti de «l'affaire d'Ouvéa» ; de l'autre
par les soutiens de Jacques Chirac et par le duo Vidal-Legorjus
désormais confronté à ce que le général, à qui trois jours plus
tôt une partie de la presse tressait des couronnes de laurier,
qualifiera plus tard de «campagne de
dénigrement».
«Alphonse
a été jeté de l'hélicoptère»
Au
«Château», l'affaire est suivie de près. Le 13 mai, l'Elysée
fait savoir que le Président souhaite que l'on fasse toute la
lumière sur les événements d'Ouvéa. Dès le lendemain, le nouveau
ministre de la Défense, Jean-Pierre Chevènement, tout juste entré
en fonction, ordonne une enquête de commandement, confiée aux
inspecteurs généraux de l'Armée de terre et de la gendarmerie,
Michel Berthier et Guy Rouchaud.
Le 27
mai, Le Nouvel Observateur va apporter une nouvelle pièce au
dossier. Des témoignages «recueillis un à un» auprès de
dix-huit des vingt-neuf Kanak transférés le 10 mai de Nouméa et
incarcérés à Fresnes, à la Santé ou à Fleury-Mérogis. Six
d'entre eux5
corroborent, à des détails près, les récits faits aux
journalistes par les témoins interrogés à Ouvéa. Et Hilaire
Dianou, le frère d'Alphonse, assure que celui-ci a été jeté au
sol depuis l'hélicoptère qui les transportait (1m50 environ,
précise Le Nouvel Obs). Ce que confirment les deux frères
Tangopi, Benoît et Xavier, les fils du coutumier de Gossanah. Une
accusation gravissime qu'au moment de boucler leur rapport les
généraux enquêteurs pourront difficilement ignorer...
Des
certitudes, des probabilités et des omissions
Le 30
mai, ces derniers remettent au ministre un document de quelques pages
qui sera publié dans son intégralité par Le Monde du 23
juillet, après avoir été déclassifié pour les besoins de
l'instruction ouverte par le Garde Sceaux. Ses signataires se
déclarent «en mesure de donner quelques certitudes ou
probabilités concernant les points litigieux suivants : les
trois morts suspectes de Mélanésiens
et l'évacuation sanitaire de Dianou Alphonse». Parmi les
éléments que les inspecteurs généraux disent pouvoir «verser
de façon certaine au dossier», le premier concerne Wenceslas
Lavelloi. «Il figure parmi les deux Mélanésiens trouvés morts
à l'entrée immédiate de la grotte, l'autre étant le preneur
d'otages tué par les tireurs d'élite au début du deuxième assaut.
Tout laisse à penser en conséquence que Lavelloi est également
mort au cours de l'action».
Simple probabilité donc, et de surcroît erronée...
Erreur
de calcul ou omission volontaire ? Ce sont trois corps et non
pas deux qui ont été découverts à proximité de la grotte. Outre
ceux de Lavelloi et de Vincent Daoumé, le ravisseur effectivement
«éliminé» par un tireur d'élite avant le déclenchement du
second assaut, les OPJ chargés des constatations ont également
trouvé celui du «porteur de thé» Amossa Waïna dont, étrangement,
le rapport ne dit mot. Sa mort ne serait donc pas suspecte?
Samuel
Wamo, le mort qu'on n'attendait pas
Le
deuxième élément «versé au dossier» fera à juste titre
sursauter et s'interroger les journalistes qui suivent l'affaire.
«Dans la phase de négociations entre les deux assauts, indique
le rapport d'enquête, un ravisseur grièvement blessé a été
sorti de la grotte par deux otages et placé, à la demande des
Mélanésiens, au milieu du cratère où des éléments des forces
engagées ont pu le récupérer. Il est pratiquement établi que la
gravité des blessures (poumon et abdomen) a entraîné la mort assez
rapidement.» Ni Joseph Tangopi, ni aucun des «porteurs de thé»
ou des militants incarcérés n'avait jusque là évoqué le cas de
ce ravisseur que les rapporteurs, sans même prendre la peine de le
nommer, s'empressent de classer parmi les victimes directes des
combats. Au prix, là encore, d'une surprenante omission. Cet homme
s'appelait Samuel Wamo. L'inspection médico-légale effectuée le 6
mai a pourtant établi qu'il avait reçu en tout sept projectiles,
dont une balle tirée «à
trois centimètres sous le pavillon de l'oreille droite».
Les généraux auront sans doute mal lu le
compte-rendu...
Balayées
donc, évacuées, les morts suspectes. Reste le cas Dianou.
L'essentiel du rapport lui est consacré. Avec cette fois un louable
effort de reconstitution. «Un ravisseur (Alphonse Dianou) est
apparu, portant au-dessus de sa tête un objet qui, dans les
conditions de visibilité décrite (la fumée des grenades
lacrymogènes utilisées pour déloger le «dernier carré» des
combattants) et l'excitation du combat, pouvait être pris pour
une arme, expliquent les rapporteurs. C'est à ce moment-là
qu'un militaire du GIGN armé d'un «riotgun» l'a blessé au genou
gauche.»
Victime
d'une «erreur d'aiguillage»?
Le
rapport détaille ensuite les soins apportés au leader kanak par
deux des trois médecins militaires présents sur le lieu des
combats, puis son évacuation depuis la grotte jusqu'à la zone de
«posé» des hélicoptères. «L'officier de l'EPIGN dont la
mission consistait à tenir la zone (…) a orienté Dianou
sur le point de regroupement des prisonniers à Saint-Joseph (où
le général Vidal a transféré son PC) et non sur Ouloup où se
trouvait l'antenne chirurgicale. Pour étayer sa décision, il avait
recueilli, selon lui, l'avis du médecin du GIGN.» A
Saint-Joseph, «peut-être descendu sans ménagement de
l'hélicoptère» (sic) Alphonse Dianou «a été placé dans
le groupe des prisonniers, sur son brancard». «Comme en
témoignent les photos prises par l'officier des renseignements du PC
en activité sur place, le pansement était bien en place et le
visage de Dianou, bien que crispé, ne portait aucune
trace de coups.»
Les mêmes photos montrent
également qu'il n'avait plus de perfusion, ce qu'oublient de
signaler les inspecteurs généraux, qui là pourtant ne sont pas avares
de détails.
A les en croire, c'est «en raison de l'état de santé de Dianou»
que celui-ci aurait ensuite été acheminé à Ouloup par la route. Un
trajet d'une vingtaine de minutes, alors même que trois hélicoptères
(deux Puma et une Alouette II étaient disponibles) et que
le médecin militaire responsable de l'antenne chirurgicale et son
équipe, faute d'avoir été informés de l'existence de ce blessé-là,
achevaient de charger dans un Transall les 3,5 tonnes de matériel de leur hôpital de campagne (photos ci-contre)...
«L'honneur
de l'Armée n'est pas engagé»
Evoquant le temps d'attente de Dianou à Saint-Joseph, les inspecteurs étoilés estiment qu'il «peut être évalué à trente minutes».
Mais alors que celui-ci a été blessé vers 13h 30, c'est seulement à 18h
10 qu'il prendra - mort ou vif ? - le chemin de l'aérodrome d'Ouloup où
il parviendra la nuit tombée. «A l'arrivée du convoi, écrivent les généraux,
l'officier de gendarmerie responsable de la zone et le médecin présent
ont constaté les faits suivants : mort de Dianou, allongé sur le ventre à
même le plancher d'une camionnette (corps
tiède sans rigidité cadavérique); absence de
brancard; aucune trace de pansement
sur le genou; visage tuméfié et
ensanglanté. L'essentiel de ces constatations est
confirmé par l'aumônier militaire, également présent sur les
lieux.» Ce n'est plus seulement un constat mais carrément un
acte d'accusation qui est ainsi dressé à l'encontre de l'officier
responsable du transfèrement du leader kanak, le capitaine
commandant l'escadron 1/20 de Decize. Un officier qui, à
Saint-Joseph, selon «les dires de plusieurs militaires de la
gendarmerie témoins», «se serait laissé aller à frapper
violemment les visages des prisonniers, dont celui de Dianou».
L'affaire est entendue. On lave du soupçon toutes les forces qui ont
participé à la libération des otages, auxquelles les rapporteurs
ne manquent pas de rendre hommage. On avalise du même coup la
version fournie par le général Vidal. Enfin, on offre à
Jean-Pierre Chevènement une victime expiatoire. Un gendarme !
Chevènement : l'honneur de l'Armée est sauf... DR
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«L'honneur
de l'armée n'est pas engagé», rassure le ministre dans un
message adressé aux Armées, tout en reconnaissant, au prix d'un
grand écart, qu'ont été commis «des
actes contraires à l'honneur militaire». Face à la
presse, il réfute les accusations d'exécutions sommaires mais
concède qu'Alphonse Dianou a bien trouvé la mort dans «des
conditions pour le moins suspectes» et annonce qu'il a «suspendu
de ses activités le commandant de l'unité chargée de
l'évacuation». Une simple mesure administrative qui sera
contestée par l'intéressé, et avec succès puisqu'il poursuivra
paisiblement sa carrière avant de partir en retraite avec le grade
de colonel...
Des
questions restées sans réponses
L'enquête
dirigée par Michel Berthier et Guy Rouchaud a duré une semaine.
«Une centaine de cadres et de militaires» ont été
entendus. Et leurs auditions n'étaient pas de pure forme. Beaucoup,
comme Alain Picard ou Michel Lefèvre 6, conservent un souvenir amer
de l'agressivité, de la pression qu'ils ont eu à subir lorsqu'ils
refusaient de se rallier à la thèse de leurs interrogateurs, de se
plier à leurs suggestions ou de «balancer» tel ou tel. Pourtant,
aussi paradoxal que cela puisse paraître, le «verdict» des généraux est
étonnamment clément envers les auteurs «d'actes individuels
inexcusables». Des témoignages n'ont pas été pris en compte
et l'enquête a tourné à la mascarade. Il y a bien sûr une raison
à cela. Une histoire dans l'histoire, en quelque sorte. Sur laquelle
nous reviendrons.
Deux
lois d'amnistie successives ont mis un terme définitif à
l'instruction ouverte sur la prise d'otages et la mort des quatre
gendarmes de Fayaoué et à celle destinée à faire la lumière sur
les morts suspectes du 5 mai. Mais elles n'ont pas éteint la
polémique. Celle-ci se rallumera en 2008 après la diffusion sur
France 2 d'un documentaire d'Elizabeth Drévillon, «L'assaut de la grotte d'Ouvéa. Autopsie
d'un massacre», contre lequel vont sa déchaîner
quelques-uns des premiers rôles du drame d'Ouvéa, et de nouveau en
2011 avec la sortie du film de Mathieu Kassovitz.
Au fil
des mois qui ont suivi les débats agités provoqués par cette
fiction inspirée de faits réels, j'ai entendu à mon tour une bonne
«centaine de cadres et de militaires», pour reprendre la
terminologie des inspecteurs généraux. En tentant d'apporter des
réponses aux questions que ceux-ci ont laissé sans réponses ou
assorti d'explications mensongères. En voici quelques-unes :
Dans
quelles circonstances exactes Alphonse Dianou a-t-il été blessé
lors de sa sortie de la grotte de Watetö? Pourquoi n'a-t-il pas été
évacué vers l'antenne chirurgicale installée à l'aérodrome
d'Ouloup comme ce fut le cas de tous les blessés figurant parmi les
otages ou les membres des forces spéciales? Qui
est responsable de sa mort?
Qui
a abattu Patrick Amossa Waïna, le jeune
«porteur de thé» de 19 ans, tué à quelques pas de la grotte,
sous les yeux de ses camarades ?
Qui
a exécuté de sang-froid Wenceslas Lavelloi?
Soupçonné d'avoir tué deux des gendarmes de Fayaoué ainsi que
les deux soldats du 11ème Choc tombés lors du premier assaut,
l'ex-sergent-chef de l'armée française, le chef militaire des
preneurs d'otages, a-t-il été victime d'une «corvée de bois»
comme le prétendent les Kanak et si oui, qui s'est chargé de «faire
justice» en lui logeant une balle dans la tête ?
Qui a
achevé Samuel Wamo, le blessé du
premier assaut, confié aux soins des militaires dont les OPJ retrouveront le corps criblé
de balles?
D'autres interrogations ont
surgi plus tardivement. A propos de Martin
Haïwé, par exemple, qui dès le déclenchement de l'opération
«Victor» a tenté de fuir la zone des combats, et dont le corps a
été découvert à près de 70 mètres de la grotte. Sans aucune
arme à proximité... Questions, encore, suscitées
par les déroutantes constatations faites par les OPJ
à leur arrivée dans la cuvette de Watetö, et par les
observations troublantes des médecins légistes
qui ont examiné à Ouloup les dix-neuf cadavres de militants
indépendantistes.
A
la plupart de ces questions, je crois être aujourd'hui en mesure de
fournir des réponses. Les versions que j'ai recueillies sont
parfois contradictoires. Des témoignages, à l'inverse, se recoupent
ou se complètent. Souvent, la confidence s'arrête là où sa
poursuite exigerait de mettre en cause sa propre unité, un
supérieur, quelqu'un qui, ce jour-là, a gravement «pété les
plombs» mais que l'on estime malgré tout. Il faut compter avec
l'esprit de corps, la fraternité d'armes, la camaraderie ou l'amitié
véritable. Avec aussi ce fameux devoir de réserve que m'ont opposé
certains de mes interlocuteurs - encore en activité ou non. Avec
enfin le refus de «l'institution» - la Gendarmerie, en l'occurrence
- d'autoriser certains témoins à se confier à un journaliste. 7
Avant de publier les derniers volets de cette enquête, je vais donc tenter de nouer
de nouveaux contacts, explorer de nouvelles pistes, fouiller encore
un peu les dernières zones d'ombre. A Ouvéa, les lois de la guerre
l'ont emporté sur les règles de droit. Mais jusqu'à quel point, au
prix de quels manquements au sacro-saint honneur militaire?
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à suivre...
1.
François Thimothée a été pris en charge par
la 7ème ACP, l'Antenne chirurgicale parachutiste rattachée au 7ème
Régiment parachutiste de commandement et de soutien, basé à Albi. L'équipe se composait d'un chirurgien-chef, le Dr Jacques
Guillotreau, d'un adjoint et d'un anesthésiste assistés d'une
dizaine de personnes. Le jeune lieutenant a subi une crâniotomie
(opération qui consiste à sectionner une partie de la voûte
crânienne) qui lui a vraisemblablement sauvé la vie.
"S'il nous avait été amené à temps, Dianou aurait lui aussi survécu , au pire, au prix d'une amputation", estime le Dr Guillotreau.
L'équipe médicale de l'ACP... Et l'opération du lieutenant François Thimothée, du Gign, blessé lors du premier assaut
L'équipe médicale de l'ACP... Et l'opération du lieutenant François Thimothée, du Gign, blessé lors du premier assaut
Photos communiquées
par le Dr Jacques Guillotreau.
2. Une amorce de négociation est engagée le 27 avril par Philippe Legorjus. Le général Vidal donne un gage important en ordonnant, le 28 avril, le retrait des troupes de Gossanah et leur repli sur la tribu loyaliste de Saint-Joseph. Un accord est conclu afin de permettre le ravitaillement de tous les occupants de la grotte de Watetö, par les villageois et par l'armée.
3.
Jean Bianconi, substitut du procureur de la République de Nouméa,
est tombé aux mains des ravisseurs le 27 avril alors qu'il se
proposait de jouer les médiateurs, en même temps que le capitaine
Legorjus (qui retrouvera la liberté dès le lendemain) et Samy
Ihage, venu à la grotte en interprète et de nouveau pris en otage
deux jours seulement après avoir été libéré dans le sud de
l'île...
Six
membres du groupe du GIGN - le
capitaine Jean-Pierre Picon, le maréchal des logis-chef Jean-Claude
Dubois, Alain Guilloteau, Xavier Leroy, Bernard Meunier et Jean-Guy
Pichegru -se sont constitués prisonniers à la
demande de leur chef pour éviter qu'Alphonse Dianou mette à
exécution sa menace d'abattre un sous-officier de gendarmerie
mobile, l'adjudant-chef Delahaye.
4.
Jean Bianconi a su gagner la confiance d'Alphonse Dianou et fera
fonction d'intermédiaire auprès du général Vidal, tandis que
Philippe Legorjus continuera de négocier par radio avec le leader
kanak. Il fera des va-et-vient quotidiens entre la grotte et le PC
des forces de l'ordre et réussira à fournir aux otages une montre
puis des clés de menottes et enfin ces deux P38, utilisés par
Jean-Pierre Picon et Jean-Claude Dubois qui ne disposaient que d'une
réserve de dix balles.
5.
Benoît et Xavier Tangopi, Hilaire Dianou, Alexandre Walepe, David
Adjouniope et Jacob Wamo.
6. Alain Picard a été auditionné à trois reprises les 25 et 26 mai à Nouméa par les deux inspecteurs généraux assistés de deux colonels.
C'est lui qui, de sa propre initiative, a donné l'ordre de transférer
Dianou et ses compagnons à Ouloup et confié cette mission à l'escadron
de Decize. Il est, dit-il, soumis "à un feu roulant de questions" qui toutes tournent autour du rôle joué par le chef d'escadron. "J'ai le sentiment, conclut-il, que le capitaine est condamné avant même d'avoir comparu devant ses pairs."
"Comment
aurais-je pu me douter que j'allais devoir répondre à un interrogatoire
en bonne et due (je dirais plutôt "dure") forme? Perchés sur une
estrade derrière un long bureau, deux généraux et deux colonels me font
face. Je me sens tout petit," raconte de son côté Michel Lefèvre dans son livre "Ouvéa L'Histoire vraie", où il relate dans le détail sa comparution. "Pendant
plusieurs mois, écrit-il, cet interrogatoire aussi traumatisant
qu'inutile va faire des allers-retours dans mon sommeil déjà bien
perturbé."
7. Alain
Lemoine commande une brigade de gendarmerie. Le 5 mai 1988, il
était l'un des huit gendarmes de l'escadron de Decize chargés de
prendre en charge, dans la cour de l'école de Saint-Joseph, peu
après 18 heures, Alphonse Dianou et les treize autres prisonniers
kanak, afin de les conduire à l'aérodrome d'Ouloup. Il avait
accepté de me rencontrer. A quelques jours du rendez-vous fixé,
l'officier de presse de sa Région de gendarmerie m'invitait par
téléphone à prendre contact avec le Sirpa Gendarmerie, la branche
gendarmerie du Service d'information et de relations publiques des
armées, et à lui soumettre ma demande d'entretien. Après quatre
jours de réflexion, la veille même du rendez-vous, la réponse
suivante m'est parvenue :
Plus
de vingt-cinq ans après les faits, Ouvéa reste un sujet tabou. Et
la Gendarmerie aussi est muette...
source Contre-enquête sur des morts suspectes
2. On a maquillé la scène de combat !
Quel
sera le prix à payer pour «sauvegarder
l'honneur de la France et de l'armée française»? Telle est en substance la question posée par le ministre des
DOM-TOM, Bernard Pons, dans un fax adressé le 3 mai au général
Vidal. La réponse est quasi-immédiate. Après avoir pris soin de
préciser que «si
une opération de force est techniquement réalisable, elle est
cependant difficile et risquée»,1 le
commandant en chef des Forces armées de Nouvelle-Calédonie annonce
la couleur : «Dans
le meilleur des cas (en
bénéficiant de l'effet de surprise),
les pertes peuvent atteindre un à deux tués et six à huit blessés,
et, dans le pire des cas, une dizaine de tués et une vingtaine de
blessés. Ces pertes seraient subies pour moitié par le commando
d'attaque et pour moitié par les otages.» Le
sort des militants indépendantistes ne pèse pas dans la balance.
Mais en délivrant son feu vert à l'Opération Victor, ce même 3
mai à Paris, François Mitterrand, à qui cette estimation vient
d'être communiquée, demandera que l'on «ménage
aussi la vie des Kanak».
Le
lendemain soir, veille de l'assaut, ce sont finalement vingt housses
plastiques pour le transport de cadavres que le Dr Jacques Le Lann
sera chargé de se procurer d'urgence et d'expédier à Ouvéa. Le
lieutenant-colonel Jean-Claude Dubut, l'adjoint du général Vidal
chargé de la logistique, est un homme prévoyant. «On
va pouvoir casser du Canaque!» se
félicitait cet officier d'Etat-major à la sortie du dernier
briefing avant l'attaque. Ses espoirs vont être comblés : le 5 mai
en fin de journée, ce sont les corps de dix-neuf indépendantistes
qui seront enfournés dans les «sacs à cadavres» qu'il a réclamés.
Comment
sont-ils morts ? Aucune enquête officielle ne le dira.
L'action judiciaire ouverte le 30 mai 1988 sur les morts «suspectes»
d'Alphonse Dianou, Wenceslas Lavelloi et Patrick Amossa Waïna s'est
éteinte avec le vote de la loi d'amnistie du 9 novembre 1988. Et la
Chancellerie, peu soucieuse d'aggraver le différend suscité par
«l'affaire d'Ouvéa» entre le Garde des Sceaux, Pierre Arpaillange,
et le ministre de la Défense, Jean-Pierre Chevènement, n'a pas cru
devoir rechercher les causes de la mort des seize autres victimes
kanak. Pour tenter de les cerner, je me suis appuyé sur des
témoignages mais aussi sur trois pièces essentielles d'un dossier
d'instruction définitivement refermé, classé et archivé:
1. les constatations faites
par les officiers de police judiciaire de la Brigade de recherches
(BR) de Nouméa;
2.
le procès-verbal de
synthèse rédigé par leur chef, l'adjudant Lionel Da
Silva;
3.
les résultats des examens médico-légaux pratiqués
le 6 mai au matin dans le hall de l'aérodrome d'Ouloup par les
docteurs Jean Véran et Jean-Pierre Deconinck.
Les
OPJ ont accompli un travail minutieux
Arrivés
sur zone à 14h30, soit plus d'une heure après l'ultime cessez-le
feu,les hommes de la BR de Nouméa ont scrupuleusement observé les
règles applicables au traitement de scènes de crime, en procédant
selon la technique dite «de l'entonnoir». Après avoir dressé un
état des lieux au moyen de croquis, ils ont «fixé» la scène de
combat par une série de photographies, en réalisant, pour chaque
victime ou groupe de victimes, des vues d'ensemble des corps et de
leur environnement, puis des vues rapprochées des visages. Ils ont
procédé de même pour chaque lieu, chaque emplacement recelant des
éléments matériels – essentiellement des armes et des munitions
– susceptibles de servir à l'enquête. Sur chaque photo figurent
une ou plusieurs plaquettes imprimées en noir sur fond blanc, avec
des chiffres pour désigner les morts, numérotés de 1 à 18, et des
lettres, de A à S, pour indiquer les emplacements - cavités, postes
de guet ou de combat - où des indices ont été relevés.
Le
premier des trois croquis réalisés par les gendarmes Serrier,
Guérin et Pinson représente la zone de combat : un cratère,
une cuvette en forme de haricot
d'environ 70 mètres sur 30, envahie par la végétation et au sol
accidenté, profonde de 2 à 3 mètres, ceinturée aux deux tiers par
un sentier faisant office de chemin de ronde desservant trois
postes de guet et neuf postes de combat aménagés à l'abri
de rochers et de blocs de corail ou protégés par un muret. Au
nord-est, l'entrée de la grotte où étaient détenus les otages,
une mince entaille située à mi-hauteur de la paroi de ce cratère
naturel. Et au sud-ouest, la cavité rocheuse (emplacement C sur le
croquis) près de laquelle avait été installé le fusil-mitrailleur
AA52 pris à la gendarmerie de Fayaoué, un poste qui permettait à
un petit groupe de défenseurs de contrôler la piste empruntée
chaque jour par les porteurs de thé et le chemin d'accès à la
grotte.
Cet
état des lieux s'accompagne de soixante-deux
clichés pris sur le terrain par les
OPJ Rollin et Baudry et tirés
par la Laboratoire photographique de la BR, sur lesquels figurent
dix-huit des dix-neuf Kanak morts ce jour-là à Ouvéa. Ces dix-huit
morts, c'est l'adjudant Da Silva qui s'est chargé de les identifier,
avec l'aide du «vieux» Joseph Tangopi, le coutumier, et de deux
jeunes porteurs de thé. Le long procès-verbal qu'il dressera à son
retour à Nouméa rapporte enfin, à la rubrique «Corps du délit»,
l'essentiel des constatations faites par le maréchal-des-logis chef
Roland Mullard et deux autres OPJ à l'intérieur de la grotte, au
fond et aux abords de la cuvette.
Un sinistre jeu des sept erreurs
Même
pour le commun des mortels, un examen attentif de ces photographies,
croquis en mains, a de quoi intriguer. Il y a des choses qui
clochent, qui ne cadrent pas avec la thèse officielle à laquelle la
plupart des auteurs ont largement fait écho et qui voudrait que tous
les Kanak retrouvés morts à l'issue des deux assauts aient pu
rejoindre leurs postes de combat et mener jusqu'au bout une
résistance acharnée. Que tous soient tombés
«les armes à la main».
Comme
dans
un sinistre jeu des sept erreurs, on
relève, au fil des images, des bizarreries, des anomalies, des
incohérences, des impossibilités.
Bizarres,
la position et l'emplacement des corps !
Surprenante,
la distance qui sépare certains preneurs d'otages des armes qu'ils
sont supposés avoir utilisées.
Dérangeante,
la présence de ces
deux grappes de cadavres photographiées
l'une au centre du cratère, l'autre sur la crête ouest.
Zéphirin Kella, qui porte à la ceinture un pistolet automatique 9mm
chargé mais enfermé dans son étui,
est tombé à 2,80m d'un emplacement de combat (Q) tandis que Nicolas
Nine est découvert sans arme à 10,20m du poste le plus proche (E).
Celui-ci, ainsi que son frère Philippo, Bohama
Dao, Donatien et Michel Wadjeno (n°5, 6, 7 et 8) sont étendus sur
le ventre ou sur le dos à moins d'un mètre les uns des autres, mais
à plus de 5 mètres du poste le plus proche. Quant à Louis
Ouckewen, Nicomède Teimboueone, Edouard Lavelloi et Jean-Luc Majele
(n°12, 13, 14 et 15), ils gisent entre
le rebord de la cuvette et
«le sentier supérieur du cratère ouest»,
rangés les uns contre les autres, tous alignés dans le même sens,
certains désarticulés, telles des poupées de chiffon. allongés à
3 mètres de la cavité B où les gendarmes saisiront trois fusils
(un FAMAS, un fusil Ruger AC et une 22 Long rifle North Haven) dont
deux démunis de chargeurs. Deux de ces hommes n'avaient ni arme ni
munitions. Mais un FAMAS chargé avec une balle engagée dans le
canon sera retrouvé sous le corps d'Edouard Lavelloi (allongé sur
le dos). Alors que Nicodème Teimboueone, dont les poches de treillis
contenaient quatre chargeurs de FAMAS, avait sur la hanche droite un
étui avec un pistolet automatique MAC 50 sans chargeur ni cartouche
dans le canon.
Tous
les récits, tous les ouvrages consacrés aux événements d'Ouvéa
font état de l'utilisation d'un lance-flammes pour réduire l'une
des principales poches de résistance, celle qui abritait le
fusil-mitrailleur AA52 interdisant l'accès à la grotte (emplacement
C). Certains auteurs parlent de «déluge
de feu»,
d'autres évoquent son «tac-tac-tac
caractéristique».
Il fallait absolument écarter ce danger. Mais, curieusement, le
corps le plus proche du AA52 est celui d'un preneur d'otages (n°17)
blessé à l'intérieur de la grotte et évacué dans la cuvette
entre les deux assauts. Et pas
la moindre douille éjectée n'a été récupérée à proximité du
fusil-mitrailleur dans lequel par ailleurs aucune bande de munitions
n'était engagée. Où sont passés les servants de cette arme
meurtrière ? Contre
qui ou contre quoi a donc été dirigé le lance-flammes ? Les
OPJ vont bien retrouver quatre corps dont les légistes diront qu'ils
présentaient des
phlyctènes (sorte de grosses ampoules dues à une accumulation de
liquide séreux) plus ou moins étendues, avec un décollement de
l'épiderme, signe d'une brûlure au deuxième degré. Mais ces
quatre cadavres (les n°12 à 15) reposent sur le bord opposé de la
cuvette...
Selon
les rares informations qui m'ont été fournies, le gel inflammable
employé ce jour-là (il en existait de deux types) avait
principalement pour effets d'absorber
l'oxygène environnant et provoquer l'asphyxie.
Est-ce ainsi que ces hommes ont succombé ? Tous les quatre ont
aussi une balle dans la tête. A-t-on voulu parachever le «travail»
opéré au lance-flammes ? Invérifiable faute d'examens
internes. Quatre autres Kanak, situés au centre de la cuvette,
semblent avoir été éclaboussés par
des gouttelettes de gel brûlant comme en témoignent les phlyctènes
signalées par les légistes. Pourquoi, comment ? Là encore
l'explication fait défaut. Mais les corps sont trop éloignés de la
grotte pour avoir subi les effets de la «deuxième
lèche-frites»,
la langue de feu qui est venue «chauffer» le bas de la grotte et en
faire reculer les occupants avant que les hommes du GIGN ne mènent
le deuxième assaut. Rien ne figure dans les P.V. Est-ce
un simple oubli ? Les OPJ n'ont-ils pas cru devoir mentionner
les traces laissées par le lance-flammes ou les en a-t-on dissuadés?
Que
dire encore de cette singulière anomalie que constitue la présence
parmi les victimes de Samuel Wamo et de Martin Haïwé ? Atteint
par ricochet d'une balle au thorax, évacué de la grotte après le
premier assaut et confié à des militaires, le premier aurait dû
être acheminé
vers l'antenne
chirurgicale d'Ouloup, conformément aux consignes données par le
général Vidal. Quant à Martin Haïwé, mort désarmé à 76 mètres
du muret S derrière lequel les OPJ ont récupéré son passeport et
qui, selon les témoignages de survivants, tentait de fuir les
combats, il
aurait été épargné
si les ordres
avaient été respectés.
Tout comme ces deux prisonniers que Jacques Vidal et Philippe
Legorjus tenteront en vain de faire passer pour des combattants du
«dernier carré» : le «chef militaire» des preneurs
d'otages, Wenceslas Lavelloi, et le «porteur de thé» Patrick
Amossa Waïna. De multiples témoignages attestent qu'ils sont sortis
de la grotte vivants et désarmés.
Or, sur les clichés et les croquis réalisés par les hommes de
l'adjudant Da Silva, leurs corps (n°1 et 3) sont étendus devant et
à droite de l'entrée du «Trou des guerriers». Tous deux avec un
FAMAS chargé à portée de
main!
Morts
avant de rejoindre les postes de combat ?
Dans
leur rapport d'examens remis le 11 mai au juge Philippe Allard, les
médecins légistes ont recensé les plaies avec force détails, en
décrivant leur forme (circulaire, ovalaire ou linéaire2,
leur dimension et leur aspect, en indiquant le point de pénétration,
en précisant la trajectoire du projectile et parfois l'existence de
traces autour du point d'impact, autant d'éléments qui, après
extraction des projectiles, auraient pu permettre à des experts en
balistique de déduire la nature des armes employées, la distance de
tir et la cause du décès. Mais le magistrat instructeur, qui avait
choisi de se faire représenter à Ouloup, s'est apparemment contenté
de ces résultats d'examens alors même qu'il avait ordonné «une
autopsie complète». Question de volonté ou question de
temps ? Après sa conférence de presse de la veille, Bernard
Pons avait informé la presse que certains de ses représentants
seraient autorisés à se rendre à la grotte d'Ouvéa en compagnie
du général Vidal. La «visite», très encadrée, aura lieu dans
l'après-midi. Il fallait donc faire place nette. Alors, après que
le médecin-capitaine Stahl ait signé à la chaîne dix-neuf
certificats de décès3,
les corps ont été rapidement évacués du hall de l'aérodrome,
puis déposés dans les cercueils réquisitionnés auprès de la
Société générale de travaux funéraires de Nouméa, qui seront
empilés à la hâte sous un hangar en tôle.
A
l'issue du premier assaut, le «bilan» communiqué au général
Vidal faisait état de treize morts chez les preneurs d'otages. Les
examens médico-légaux montrent que sept
d'entre eux ont reçu une
ou plusieurs
balles
dans le dos, le
nombre total de plaies ou d'impacts relevés chez une même victime
pouvant aller jusqu'à onze et avoir été occasionnés par des armes
de nature ou de calibres différents. Toujours parmi ces treize tués,
onze
ont une
balle logée dans la tête
(aucune n'a été extraite). Tirs soigneusement ajustés ou
application sans
états d'âme de consignes rabâchées en formation commando ?
Découverts
dans la partie centrale de la cuvette et sur ses rebords, ces hommes,
dont six
étaient sans armes,
sont-ils morts avant d'avoir pu rejoindre leur poste ou en tentant de
fuir la fusillade lors de la toute première phase de combat dont on
verra plus tard qu'elle est sujette à controverse ?
Dix-sept
balles «récoltées» post mortem
Désir
de vengeance, acharnement ? Confondu avec Alphonse Dianou et à
ce titre «éliminé» par le tir simultané de deux tireurs d'élite
du commando de marine Hubert alors qu'il était accroupi derrière un
gendarme mobile de Villeneuve d'Ascq faisant office de bouclier4.,
Vincent «Las» Daoumé a été l'unique victime du second assaut,
donné vers 13h30 après plus de cinq heures de pause. Michel
Lefèvre, qui commandait le groupe d'assaut du GIGN, raconte comment,
lorsqu'il a pris position sur le palier d'entrée de la grotte, son
genou s'est enfoncé mollement dans le crâne de Daoumé. Un crâne
que les photos prises à Ouloup montreront privé de chevelure, les
sourcils noirs anormalement écartés, proprement fendu par le milieu
jusqu'à la pointe du menton ! Une partie de sa matière
cérébrale sera retrouvée à l'intérieur de la grotte et fera
l'objet du quarante-deuxième cliché des OPJ.
Mort
à l'intérieur de la grotte, Vincent Daoumé sera pourtant découvert
à l'extérieur. «Fracas
facial et dislocation de la voûte crânienne avec fractures»,
ont noté les deux médecins légistes. Avant de mentionner «treize
plaies de forme circulaire aux bords soulignés de sombre dans la
région
thoracique»
et «quatre
plaies de forme de circulaire dans le dos»!
Dix-sept balles «récoltées» post
mortem.
Dont treize
tirées à bout portant
(à moins de 20 centimètres) comme l'indiquent les bords soulignés
de sombre qui constituent la zone d'estompage (ou collerette)
caractéristique de ces tirs propres aux exécutions.
Des
images insupportables
Si
toutes ces constatations sont de nature à semer le trouble, les
photos prises lors des examens médico-légaux organisés le
lendemain dans le hall de l'aérodrome d'Ouloup, rassemblées dans
l'album constitué par la BR de Nouméa, suscitent plus qu'un profond
malaise : un mélange de répulsion, d'incrédulité et de
consternation. Il y en a quatre-vingt-neuf, à raison de
deux à sept photos par victime. Ces images insupportables de
corps, de torses, de membres et de visages marbrés de colorations
violacées dues aux lividités cadavériques, souillés de sang noir
coagulé autour de traces d'impact, ne témoignent pas seulement de
la violence des combats et de la manière très discutable dont ces
cadavres ont été traités lors de leur déplacement. Elles font
soupçonner le pire : une froide application des lois de la
guerre et l'exercice d'une justice expéditive. Ces
photos qui m'ont été remises il y a un peu plus de vingt ans, un
expert incontesté, qui au cours de sa longue sa carrière aura
pratiqué plus de 15 000 autopsies, les avait examinées à ma
demande, l'une après l'autre, à la loupe. Au vu de ces clichés et
en s'appuyant sur les observations de ses confrères, le Dr Raymond
Martin5. avait
alors exprimé la double conviction que l'île d'Ouvéa avait bien
été le théâtre d'exécutions et que la vision que l'on avait
cherché à donner des combats relevait de la mise en scène.
Reprenant
l'enquête presque vingt ans après, il me fallait m'en assurer.
Cette interprétation n'a fait que se renforcer au fil des
recherches. On n'a pas seulement enfreint
les consignes
données la veille au soir lors des derniers briefings, à savoir ne
pas tirer sur un adversaire désarmé, évacuer les blessés et
laisser le champ de bataille en l'état jusqu'à l'arrivée de
l'équipe judiciaire, on
a modifié et truqué la scène de combat
dans
le but évident de tromper les enquêteurs, de masquer
des «bavures» et
d'en protéger les auteurs.
Qui
a permis ou ordonné qu'il en soit ainsi ? «L'autorité militaire
avait le strict devoir de contrôler ses exécutants dans le
strict respect des Droits de l'homme», rappelait très
justement Michel Rocard dans Le Monde, quelques
semaines après la libération des otages. Mais pour comprendre le
pourquoi de ces anomalies, de ces transgressions, avant de relater
les «bavures» survenues ce jour-là et tenter de décrypter le
comportement de ceux qui les ont commises, il est indispensable
d'opérer un retour en arrière. D'entamer la chronique de ces
dérapages annoncés en revenant sur les préparatifs et le premier
acte de l'«Opération Victor».
À
suivre....
1. Opportuniste,
certes, le général Vidal n'en est pas pour autant un partisan
résolu de la manière forte. Contrairement à Bernard Pons, il
a laissé toutes ses chances à la négociation. Et s'il s'est soumis
à la volonté des politiques, il a fait preuve, jusqu'à la date
fatidique du 5 mai, d'une grande lucidité. Ainsi, le 28 avril il
écrivait au général Schmitt : «Action de force
actuellement exclue compte tenu position, nombre et armement des
ravisseurs. Les pertes risqueraient d'être très élevées. Seuls
résultats pourraient être obtenus par négociation et fatigue des
ravisseurs». Le lendemain, il adressait au chef d'Etat-major un
nouveau fax dont le premier paragraphe sonnait comme un
avertissement : «Renseignements à notre disposition
permettent d'envisager opération de force baptisée Victor. Compte
tenu situation grotte et importance effectif ravisseurs, cette
opération sera toutefois difficile et risquée». Et le message
personnel dont il accompagnait ce texte exprimait très clairement
son sentiment du moment :«La meilleure solution semble
encore la négociation. (…) En attendant
l'aboutissement éventuel de telles négociations qui risquent de
durer jusqu'au 9 mai, il faudra gagner du temps. Sous la pression
politique une action de force est étudiée mais elle me semble
difficile à réaliser sans casse importante».
2.
En résumant sommairement, une plaie de forme circulaire est
provoquée par un tir perpendiculaire horizontal ou vertical, une
plaie ovalaire par un tir oblique, de bas en haut ou de haut en bas,
et une plaie linéaire (dont la longueur est sans relation avec le
calibre utilisé) par un tir tangentiel, le plus souvent sans
pénétration du projectile.
3.
Cinq de ces certificats rédigés sur papier libre ont été établis
avec la mention «Inconnu» … Et deux autres au nom de Kanak
qui étaient bien vivants ! Le Dr Dominique Stahl s'est référé
aux fiches d'examen rédigées par les légistes. Pour identifier les
corps, il avait été fait appel au maire d'Ouvéa et à un chef de
tribu «loyaliste», Petro Daoumé, qui sera ainsi amené à
reconnaître le corps massacré de son propre fils, Vincent. Tous
deux n'étaient pas les mieux placés pour identifier ces victimes
qui pour la plupart appartenaient aux tribus de Téouta et Gossanah.
Et dont dix-sept avaient été formellement identifiées pour les OPJ
par le «vieux» Joseph Tangopi...
4. Alberto
Addari, qui sera touché à la cuisse par un tir «ami» et qui,
selon les militaires, était victime du syndrome de Stockholm. A
plusieurs reprises, celui-ci s'était porté volontaire pour jouer
les médiateurs et tentait ce jour-là de dissuader les assaillants
de passer à l'attaque. Ceux-ci l'accusent de les avoir, gestes à
l'appui, désigné aux tireurs embusqués dans la grotte. Alberto
Addari est aussi l'un des deux gendarmes mobiles otages à avoir
transporté dans la cuvette le blessé Samuel Wamo. Le tir qui l'a
atteint était-il accidentel ou délibéré ? La question reste
ouverte.
5.
Raymond Martin est l'auteur de «Souvenirs d'un médecin légiste»
et de «Morts suspectes les vérités d'un médecin
légiste», écrit en collaboration avec Patrice Trapier. Deux
ouvrages publiés aux Editions Calmann-Lévy.
La suite ci-dessous...
Contre-enquête sur des morts suspectes3. Les forces spéciales appelées en renfort
C'est
le 29 avril, lors d'une réunion organisée par Bernard Pons dans les
locaux du Haut-Commissariat à Nouméa à laquelle participe
une brochette d'officiers
de toutes armes,
que se dessine l'ébauche
d'une action de force.1
Un conseiller officieux siège
aux côtés du ministre, le colonel Jean-François Charrier,
ex-officier du service action de la DGSE (Direction générale de la
sécurité extérieure, héritière du SDECE, le Service de
documentation extérieure et de contre-espionnage). Un
homme de l'ombre. En clair,
une «barbouze», qui tout au long des événements assurera une
présence discrète à Nouméa.2
Avec une attention qui n'aura d'égale que celle de Michel Roussin,
dévoué directeur de cabinet de Jacques Chirac et ancien bras droit
d'Alexandre de Marenches, «patron» du SDECE durant les années 70.3
Simple
coïncidence ? A l'issue de la réunion le général Vidal
adresse à l'état-major des Armées un fax dans lequel, évoquant
pour la première fois l'éventualité d'une opération qu'il décide
de baptiser «Victor» (son indicatif radio lorsqu'il était
lieutenant en Algérie), il demande que l'on étudie des «moyens
d'appui» et surtout l'envoi «d'un
commando capable d'accomplir une attaque de grotte dans
une végétation très dense» (…) «de préférence un
commando du 11ème Choc». Plus précisément, le
11ème Régiment parachutiste de Choc, à la fois bras armé
de la DGSE et vivier de futurs agents.
Le
général n'a qu'une confiance toute relative en Philippe Legorjus et
il est clairement convaincu que les «supergendarmes» du GIGN et de
l'EPIGN sont incapables de mener à bien la mission de libération
des otages. Il l'a fait savoir et il a été entendu. Dès le 30
avril au soir, un commando du 11ème Choc est à pied d’œuvre,
commandé par le lieutenant-colonel Jean-Jacques Doucet. Il est
accompagné d'un groupe de nageurs de combat
du commando de marine Hubert, autre unité des forces spéciales,
elle aussi appelée pour la toute première fois à agir sur le sol
français, placé sous les ordres du capitaine de corvette Laurent
Jayot. Enfin, cerise sur le gâteau, ces troupes d'élite pourront
compter sur l'appui d'une équipe du 17ème RGP (Régiment du génie
parachutiste), un «trinôme» doté d'un lance-flammes, une arme
dont l'usage a été proscrit en 1980 par un protocole additionnel de
la Convention de Genève mais dont l'interdiction n'entrera en
vigueur en France qu'en 2003.
Jacques
Vidal fera tout son possible pour dissimuler l'engagement des forces
spéciales sur l'île d'Ouvéa, d'où celles-ci s'éclipseront tout aussi
discrètement qu'elles étaient arrivées sur le Caillou.
« C'est à la demande des responsables d'unités concernées que
je n'ai pas mentionné leur présence lors de ma conférence de
presse du 5 mai», m'a-t-il
assuré. Mais
n'était-ce pas aussi en raison de la tournure prise par les
événements que cette action a d'abord été mise au compte du seul
GIGN? 4
Le 2
mai, les hommes du 11ème Choc, du commando Hubert, du GIGN et de
l'EPIGN sont héliportés pour une première répétition sur l'Ile
de la Table, située à une quinzaine de milles marins de
Saint-Joseph et dont la topographie et le couvert végétal
ressemblent beaucoup à ceux du nord d'Ouvéa. Ils s'y entraîneront
à trois reprises, effectuant des simulations sur la base des photos
aériennes de l'Aéronavale et des croquis de leur futur théâtre de
combat, testant chaque fois une formation différente :
déploiement en U, en L, en ligne. Pour des raisons de sécurité
liées notamment aux mauvaises conditions de visibilité, le jour
dit, c'est finalement en ligne que seront disposées les unités qui
partiront à l'assaut de la grotte d'Ouvéa.
Ce
même jour, le «patron» du GIGN tente encore de retarder l'échéance
en proposant à Bernard Pons de faire venir une équipe de télévision
à la grotte. L'envoyée spéciale d'Antenne2 à Nouméa,
Dominique Tierce, est une amie et Philippe Legorjus doute qu'elle
refuse pareille proposition, pas plus qu'Alphonse Dianou qu'il se
fait fort de convaincre. Pons hésite. Suggère plutôt l'envoi d'une
équipe du SIRPA, le Service d'information et de relations publiques
des armées. Mais Legorjus met en avant les risques que ferait courir
pareil subterfuge et, surtout, il s'engage à récupérer les
cassettes pour éviter une diffusion immédiate. Il n'y aura pas de
publicité pour la cause kanak. Voilà le ministre des DOM-TOM
rassuré.
Quelques
heures plus tard, Dianou se dit prêt à recevoir Antenne2, à
condition, coutume oblige, qu'il n'y ait pas de femme dans l'équipe :
aucune présence féminine ne peut en effet être admise dans la
grotte sacrée. Marché conclu. Après en avoir discuté, les
ravisseurs décident que les reporters
seront invités à repartir avec un otage, le plus âgé de
leurs prisonniers, Jean-Pierre Roger, «le vieux», qui avait confié
à ses geôliers que pour la première fois il n'avait pu fêter en
famille l'anniversaire de sa fille. Le lendemain matin Bernard Pons
aura changé d'avis. Plus question d'Antenne 2. Mais on
laissera croire à Dianou que sa venue n'est que reportée.
Photo ci-contre : Bernard Pons expliquant à la presse, croquis à l'appui, la position des otages à l'intérieur de la grotte. D.R
Le «patron» du GIGN sait désormais que l'action de force est inévitable. Il faut à tout prix préserver la vie des otages. Il imagine alors d'introduire dans la grotte des clés de menottes et des armes qui permettront à ses six hommes, enchaînés deux par deux dans l'obscurité, de retrouver une liberté de mouvement et de défendre leur peau et la vie des «mobiles». Le substitut Bianconi, qui a gagné la confiance de ses geôliers et des habitants de Gossanah, lesquels apprécient son naturel et sa bonhomie, joue depuis plusieurs jours le rôle d'intermédiaire, effectuant des va-et-vient quotidiens entre la grotte et le PC de Saint-Joseph, et il n'est plus fouillé à son retour. Malgré son statut de magistrat, il accepte cette mission doublement risquée - pour sa carrière et surtout pour sa vie - et fait parvenir successivement au capitaine Jean-Pierre Picon et à ses compagnons une montre, des clés de menottes et deux revolvers Smith&Wesson calibre 38 spécial avec cinq balles chacun.
«On
ne tire pas sur des personnes qui se rendent»
Le
4 mai à 18heures le général Vidal réunit les chefs d'unités
auxquels il annonce que l'opération aura lieu le lendemain à
l'aube, avant d'exposer une dernière fois le scénario de l'attaque
et la conduite à tenir en fonction des circonstances. Il énonce
ensuite «les cinq points
qui conditionnent le succès de l'opération».
Le dernier concerne «l'aspect
moral et humanitaire»
: «On
ne tire pas sur des personnes qui se rendent, ni sur des blessés».
Puis il leur fait lecture du paragraphe
«Bravo» (pour b) du
dernier fax que lui a adressé le chef d'Etat-major, le général
Schmitt, cette ultime recommandation reprenant presque mot pour mot
le «message» présidentiel : «Dans
la stricte limite imposée d'une part par la vie des otages, d'autre
part par la sécurité des forces engagées, vous
vous efforcerez de limiter les pertes en vies humaines parmi les
ravisseurs». Son
adjoint gendarmerie, le lieutenant-colonel Benson, prend ensuite la
parole pour rappeler
qu'une
fois l'opération terminée, des OPJ aux ordres de leur commandant de
brigade, l'adjudant Da Silva, viendront procéder à l'enquête
judiciaire. «Il
nous dit - je
cite
Jacques
Vidal -
que dès la fin des combats, nous devons abandonner le terrain à
l'équipe judiciaire et
surtout
ne pas déplacer les cadavres éventuels,
ni récupérer les armes, qui doivent être laissées en place.»
A
21heures, tous ceux qui vont prendre le chemin de la grotte de Watëto
sont rassemblés dans une salle de l'école de Saint-Joseph pour un
briefing général.
C'est
au cours de cette ultime mise au point que selon plusieurs
participants, le lieutenant-colonel Doucet, le «patron» du 11ème
Choc, qui commandera l'ensemble des forces sur le terrain, évoquera
la possibilité, en cas de nécessité, «de
neutraliser
les ravisseurs
en
recourant à l'arme blanche ou au silencieux».
Philippe
Legorjus adressera un peu plus tard
ses
propres recommandations aux hommes
du
GIGN :
«Nous allons effectuer une opération de police judiciaire avec des
moyens de guerre. Au cours de l'action, il faudra se comporter en
militaires. Après, il ne faudra toucher à rien. Les OPJ viendront
faire les constatations d'usage. Si
vous faites des prisonniers, remettez-les aux gendarmes».
Entre-temps,
Jacques Vidal a pris soin de recevoir le médecin-chef de l'antenne
chirurgicale parachutiste (ACP) dont l'installation dans le hall de
l'aérodrome a été différée jusqu'au tout dernier moment afin de
ne pas trahir l'imminence de l'attaque.
«Lorsque j'ai rencontré
le général, je lui ai dit que
nous traiterions tous les blessés quels qu'ils soient et, à degré
de gravité identique, que nos soins iraient en priorité aux blessés
de nos forces», se
souvient le
Dr Jacques Guillotreau. Mais selon Patrick Forestier, l'auteur des
Mystères
d'Ouvéa,5
qui
se réfère à la fiche Evasan annexée à l'ordre d'opération, le
général aurait instauré un tri préalable à l'évacuation
sanitaire et défini ainsi l'ordre de transport :
«d'abord
les otages, ensuite les troupes d'assaut, puis les ravisseurs». Ces
derniers compteront quelques blessés.
Pourtant,
aucun
ne sera dirigé sur Ouloup. A l'exception d'Alphonse Dianou qui y
parviendra cinq heures après la fin des combats. Mort!
Un commando lourdement armé
L'ordre
d'opération transmis la veille à Paris prévoyait une
attaque-surprise «avec
un commando d'une cinquantaine
d'hommes».
Mais ce sont finalement 75 hommes - 34 soldats du 11ème Choc, 16
fusiliers- marins du commando Hubert, 13 membres du GIGN, 9 de
l'EPIGN et 3 spécialistes du 17ème RGP qui vont participer à
l'expédition.6 Dix
gendarmes parachutistes de l'EPIGN capables d'effectuer une descente
en corde lisse embarqueront par ailleurs à bord d'un Puma et
constitueront une force d'appoint tandis que 18 autres seront chargés
de surveiller et protéger la DZ, la zone de posé des hélicoptères
préalablement dégagée à la machette et à la tronçonneuse. Une section du
RIMaP composée de 15 hommes commandés par
le capitaine Thierry Bidau y sera déposée à H+5, c'est-à-dire 5
minutes après le signal sonore indiquant le début de l'assaut, avec pour
mission d'évacuer les otages et de
brancarder les blessés. Enfin, trois médecins et des infirmiers
seront aussi de l'aventure.
Pour
rejoindre la base d'assaut, prévue à
une cinquantaine de mètres de la grotte, il n'est pas
question d'utiliser la piste empruntée
depuis Gossanah par les ravisseurs et leurs «ravitailleurs». Après
de multiples détours volontaires, les hommes vont donc être
acheminés en 4x4 jusqu'au point de départ d'un sentier large de
seulement quelques dizaines de centimètres, ouvert à la machette
par un groupe restreint de la
section
de reconnaissance et d'action en profondeur de l'EPIGN conduit
boussole en main par un spécialiste de la course d'orientation,
l'adjudant Philippe F...... Après cette première reconnaissance de
nuit, une vérification sera effectuée le lendemain, de jour, afin
de valider les données recueillies et de jalonner le parcours au
moyen d'encoches discrètes faites à la base des arbres :«Une
entaille tous les X mètres, deux entailles pour un changement de
direction»,
explique sur gign.org
l'ex-jeune gradé chargé de «noter
au fur et à mesure les azimuts, le nombre de pas et le temps passé
entre chaque marquage».
Deux nouvelles expéditions nocturnes permettront, en associant
chaque fois un nouvel élément, de familiariser une partie des
hommes du capitaine Michel Pattin avec le trajet semé d'ornières
qu'empruntera l'élément d'assaut. Une colonne scindée en cinq
groupes de quinze, guidés chacun par un membre de l'équipe des
«jalonneurs».
Sept heures pour parcourir huit kilomètres!
Il
est 22 heures le 4 mai lorsque les hommes du commando embarquent à
bord des 4x4, le visage noirci, les
uniformes débarrassés de tout signe distinctif mais avec à
l'épaule droite un triangle de tissu de couleur signalant leur
appartenance. Des foulards bleus pour le groupe mixte GIGN-commando
Hubert chargé de trouver la cheminée d'accès à la cavité où se
sont regroupés la plupart des otages, sous la protection des
Smith&Wesson introduits par Jean Bianconi. Des foulards gris pour
le 11ème Choc, qui devra se rendre maître de la cuvette, et verts
enfin pour les fusiliers-marins du capitaine de corvette Jayot qui
auront pour mission de neutraliser l'AA52.
Il
faudra à ce commando lourdement armé plus de sept heures pour
parcourir les huit kilomètres qui séparent le rideau de
surveillance et d'intervention (RSI) mis en place à Saint-Joseph de
la base choisie pour le départ d'assaut.«La
progression a été très lente. J'ai
fait le trajet en caressant tous les arbres dans le noir
pour retrouver les marques»,
se souvient Philippe F.....
A
6h10, le lieutenant-colonel Doucet émet le signal radio indiquant
que ses forces sont en place, déployées en ligne à l'est de la
cuvette, le soleil dans le dos. Le général Vidal, qui a pris place
à bord d'une Alouette
II
de la gendarmerie en compagnie du lieutenant-colonel Benson, donne
aussitôt le top départ aux hélicoptères chargés de créer la
diversion sonore qui doit permettre au commando d'effectuer son
approche sans alerter les guetteurs. C'est parti! Et là commence la
controverse...
Qui a déclenché les hostilités ?
Après
quelques minutes de progression, impossible de distinguer la grotte!
La base d'assaut a été installée plus loin de la cuvette que prévu
et la ligne de front est orientée trop au nord. «Doucet
me demande alors de faire positionner un hélicoptère à la
verticale de l'objectif pour le localiser. Les Kanak (qui
pensaient voir arriver Antenne 2) aperçoivent
un militaire armé à la porte ouverte de l'appareil et comprennent
que c'est un piège, écrit
le général Vidal.
Ils tirent sur l'hélicoptère et blessent au bras le gendarme Le
Dren, de l'EPIGN.»
«A
6h25,
des coups de feu partent vers le ciel.
Les combattants du FLNKS ont eu l'initiative de l'ouverture du feu»,
confirme
Philippe Legorjus dans son rapport du 7 mai destiné au Directeur de
la gendarmerie nationale. Vrai ou faux? Qu'il s'agisse des moyens mis
en œuvre, du déclenchement des combats, de leur déroulement, de
leur intensité, de leur durée même, les versions divergent ou
s'entrechoquent.
Si
l'on en croit Jacques Vidal, deux hélicoptères seulement auraient
survolé la grotte afin de faire diversion. Mais selon le commandant
Philippe Mauviot, le leader de la formation, ce sont cinq Puma
qui ont effectué ce premier passage, face au nord, alors que se
déroulait la deuxième coutume du matin. Il y avait là, dans
l'entrée de la grotte, aux côtés des anciens et des porteurs de
thé arrivés un peu plus tôt ce matin-là, une majorité des
preneurs d'otages dont certains avaient, comme à l'habitude, quitté
leur poste en y laissant leurs armes. Tous ont compris qu'il ne
s'agissait plus de l'arrivée d'une équipe de télévision... «Il
ne manque que Wagner en accompagnement musical et nous serons dans
Apocalypse
Now»,
ironisera plus tard Philippe Legorjus.
L'adjudant
Denis Monné faisait partie de l'équipage du Puma
n°1,
le premier à survoler la zone. Un appareil de l'Alat, l'Aviation
légère de l'armée de terre, mobilisé en renfort des quatre
appareils de l'armée de l'air qui orbitaient avec lui à distance de
la grotte. Son passage achevé, il a aussitôt rejoint la DZ pour
servir de poste de secours et assurer l'évacuation des blessés,
explique Denis Monné. «J'étais
en contact radio avec l'Alouette
II
gendarmerie et avec «Christophe» (nom
de code de Jean-Jacques Doucet).
Après le premier survol nous sommes restés en surveillance, raconte
Philippe Mauviot, qui pilotait le Puma
n°4.
Puis «Christophe» a réclamé un second passage que nous avons
effectué cette fois dans le sens sud-nord, assez bas parce que nous
étions très chargés - j'avais à bord les quatorze hommes de
l'EPIGN. Environ 30 minutes plus tard, «Christophe» a demandé une
verticale de l'objectif, un marquage, et j'ai fait un stationnaire à
environ 10 mètres de la grotte. C'est là qu'on nous a tiré dessus.
L'hélico
a été mitraillé, les voyants se sont allumés,
le réservoir a été endommagé et les pales abîmées. Je suis
parti immédiatement sur Saint-Joseph où nous avons déposé Marc Le
Dren. Mon Puma
était
HS.» Les
gendarmes de l'EPIGN ont-ils, lors de ce vol stationnaire, ouvert le
feu sur des Kanak qui tentaient de rejoindre leur poste de combat?
Ont-ils simplement riposté à la fusillade?
Philippe
Mauviot est affirmatif :
«Personne
n'a tiré depuis mon hélico!
La cuvette, vue de là-haut, c'était du persil. Il était
impossible
de distinguer des hommes au sol».«Chaque
équipage avait reçu sa mission»,
dit-il. Les Puma
n°2 et 3, dont le rôle n'est mentionné nulle part,
transportaient-ils aussi des hommes en armes et si oui, de quelle
unité? Est-ce de l'un ou de ces deux hélicos que l'on a «arrosé»
la cuvette et ses abords?
«Les
hélicoptères nous ont attaqués par surprise!»
Plusieurs
témoignages recueillis par le grand reporter Jean-Luc Blain et
diffusés
quelques semaines après les
faits dans le magazine «Passerelles» de France
Inter7
insistent sur ces tirs venus du ciel. Le premier émane d'un tout
jeune preneur d'otages, Olivier Xolawa, 19 ans, qui a réussi à
passer à travers les mailles du filet. Armé d'un fusil MAS 36 qui
sera effectivement retrouvé par les OPJ, il occupait le poste C,
avec les deux servants du AA52 : «Un
hélicoptère était là-bas sur place. Des coups de feu sont partis
de l'hélico qui a balayé la cuvette avec une
arme installée sur un pied à côté de la porte.»
Un second rescapé, anonyme, qui
aurait passé la nuit du 5 au 6 mai à l'intérieur de la grotte,
dans une étroite galerie, allongé au milieu des squelettes des
ancêtres, affirme avoir vu un militaire tirer depuis l'hélico :
«Il tenait son arme à deux mains.
Peut-être une 52».
Blessé
à l'omoplate gauche à la fin de l'assaut, Josué Ihmeling est lui
aussi parvenu à se dissimuler (il
sera interpellé quelques jours seulement après son interview).
Questionné par Jean-Luc Blain,
il reconnaît avoir tiré une rafale de FAMAS sur un Puma
en vol stationnaire et selon toute vraisemblance, c'est une de ses
balles qui a touché Marc Le Dren. «Mon
collègue de poste venait de se réveiller.
Il était assis, sans arme. Il a été
abattu», assure
Josué Ihmeling. «Des gars
ont été tués à la sortie de la grotte. Ils avaient les mains
levées et montaient pour se rendre
(les militaires étaient déployés sur la crête). Ils
étaient sans armes mais ils ont été tirés»,
accuse encore l'un des témoins de Jean-Luc Blain.
Peut-on
croire des preneurs d'otages? De tous
les militants capturés, inculpés et transférés dans des prisons
en métropole, Martial Laouniou a été le premier à bénéficier
d'une remise en liberté. Il n'a pas participé à l'attaque de la
brigade de Fayaoué. Au «Trou des guerriers», il était chargé
d'apporter leur nourriture aux sept prisonniers menottés au fond de
la grotte. Lors de leur audition par les OPJ, presque tous les
ex-otages souligneront spontanément qu'il avait eu un comportement
différent de celui de la plupart de ses compagnons, plus humain. Et
le substitut Jean Bianconi fera tout pour qu'il en soit tenu compte.8
Dans
un long entretien accordé à la revue indépendantiste Bwenando,
Martial Laouniou a lui aussi livré sa version de l'ouverture des
hostilités. «Quand les porteurs de
thé sont arrivés, dit-il,
différents camarades des postes (de
combat) sont descendus comme
d'habitude pour la coutume. A peine terminée la coutume en bas,
c'est là qu'on a vu les hélicos. On a cru que c'était Antenne2.
Mais tout à coup ils nous ont attaqués par surprise. Ils
tiraient de la porte grande ouverte.
L'hélico a fait le tour du cratère en tirant toujours. Ils ont tiré
d'abord sur un bord, après sur l'autre bord. Les hélicos ont tiré
plus d'une minute. Après, ils sont repartis. C'est là que les
commandos sont arrivés et ça a tiré de tout partout.» «C'était
la panique chez les rebelles, qui
ripostaient sans savoir d'où provenaient les coups. Nous entendions
des OF (grenades
offensives) qui claquaient à
l'extérieur, des balles crépitaient partout. Les cinq qui se
trouvaient au sommet de la falaise se sont retranchés avec nous à
l'intérieur de la grotte», rapportera
Samy Ihage, le gendarme mélanésien deux fois pris en otage, entendu
le 6 mai à l'infirmerie militaire de Nouméa.
Combien de temps a réellement duré l'assaut ?
A
ce stade, la question n'est pas tant de savoir qui a déclenché les
hostilités, mais si des hommes ont ou non été tués alors qu'ils
étaient désarmés et/ou cherchaient à se rendre. Si oui, cela
expliquerait pour partie les divergences quant à la durée des
combats. Une heure selon Jacques Vidal, qui souligne l'âpreté des
combats et la forte résistance des Kanak. Trois quarts d'heure,
rapporte l'ex-lieutenant-colonel Picard en se fondant sur le récit
des chefs d'unités. Mais lors de son audition le 6 mai, Samuel Ihage
l'évalue à seulement 15 minutes, et dans Bwenando Martial
Laouniou insiste sur sa brièveté : «la première
attaque n'a pas duré plus de sept minutes».
Un autre survivant cité racontera par ailleurs qu'un cessez-le-feu a
été ordonné «à trois
reprises» avant que
les armes se taisent. Les constatations de l'adjudant Da Silva et de
ses OPJ - des morts retrouvés sans armes et des postes de combat
sans combattants - plaident plutôt en faveur de la pire des
hypothèses...
En
tout état de cause, le bilan est sévère. Il est communiqué à
8h30 par le colonel Doucet. On compte alors deux morts et quatre
blessés chez les forces d'intervention, et treize tués parmi les
indépendantistes. Au nord du cratère, le commandant Jayot a reçu
une balle dans le côté, une blessure en séton.9
Au sud, le lieutenant Thimothée, qui tentait
d'approcher la grotte à la tête du groupe d'appui du GIGN, a reçu
une balle en pleine tête quelques minutes seulement après que l'un
de ses hommes, Jean-Marie Grivel, ait été légèrement blessé au
cou. Tous deux seront rapidement évacués par les brancardiers du
RIMaP et transportés à Ouloup par l'hélico de l'Alat. Une
craniotomie pratiquée par l'équipe chirurgicale du Dr Guillotreau
lui sauvera la vie in extremis.
Un
poste de combat (désigné par la lettre N sur le croquis des OPJ) a
été aménagé à proximité d'une communiquant avec la grotte.
C'est de là, assurent Philippe Legorjus et Jacques Vidal, que sont
partis les coups de feu mortels dont ont été victimes le 1ère
classe Jean-Yves Véron et l'adjudant Régis Predrazza, deux
commandos du 11ème Choc venus renforcer le GIGN. Pour avoir osé
émettre l'hypothèse que le déploiement en L de leur unité décidé
par le colonel Doucet ait pu les placer sous le feu de leurs
camarades, les auteurs du rapport de la Ligue des Droits de l'Homme
se sont attirés les foudres des responsables militaires. Un
ex-gendarme du GIGN, Philippe Marlière, qui a vu tomber le soldat
Véron - «atteint par un tir de fusil de chasse, sans doute une
cartouche de genre Brenneke» - m'a pourtant confié s'être posé
la même question. «Le mouvement tournant du 11e choc ordonné
par Doucet a fait, dit-il,
que certains de ses hommes ont pu être exposés à des tirs amis.».
Enfin, plusieurs des attaquants qui se trouvaient dans la même
branche du L, dont son chef de groupe, Michel Lefèvre, ont raconté
qu'ils avaient eux-mêmes failli se faire tirer dessus ou «allumer»
un des leurs.
Deux morts de plus attribués à Lavelloi
Très
vite évacués, les deux soldats du 11ème Choc seront autopsiés le
9 mai à la morgue de Nouméa par les docteurs Véran et Deconinck. A
en croire Philippe Legorjus et le général Vidal tous deux auraient
été abattus par Wenceslas Lavelloi, l'ancien sergent-chef au torse
barré de cartouchières, l'assassin présumé de deux des gendarmes
tués à Fayaoué, Jean Zawadzki et Edmond Dujardin.
Cette
fois, l'autopsie est complète. Et ses conclusions sans ambigüité.
Jean-Yves Véron a reçu une décharge de chevrotines en plein
visage. Les légistes ont relevé huit plaies groupées, occasionnées
par des plombs de gros calibre dont trois ont pu être extraits.
Quant à Régis Pedrazza, sa mort a été provoquée par «une
balle de petit calibre» qui a pénétré sous l’œil gauche
avant de ressortir à la base du cou et «pénétrer à nouveau
dans l'épaule gauche où il a terminé sa course». Il n'y a
pas eu, à ma connaissance, d'examen balistique. Mais les dimensions
de l'orifice de pénétration du projectile placé sous scellé
évoquent fortement un tir de FAMAS, un type de fusil présent dans
chacun des deux camps.
Deux
armes différentes et donc deux tireurs.
Cela n'exonère pas totalement Wenceslas Lavelloi, mais cela
n'en fait pas non plus un coupable assuré. Nul cependant n'a cru
devoir faire mention de ces conclusions qui le blanchissaient au
moins pour partie. Mais il est vrai que bien avant que les légistes
aient remis leur rapport, la sentence avait déjà été prononcée
et exécutée. Sur-le-champ. D'une balle dans la tête.
«On
avait la haine du Kanak !» Nombre de mes
interlocuteurs se sont réfugiés derrière cette formule, comme si
l'aveu valait absolution des excès commis à Ouvéa ou, à tout le
moins, s'il avait le pouvoir d'atténuer leur propre responsabilité.
Ajoutée aux préjugés et parfois aux souvenirs mitigés d'un
précédent séjour agité en Nouvelle-Calédonie, les accusations
outrées de Jacques Chirac et Bernard Pons soulignant la «sauvagerie»
dont auraient fait preuve les meurtriers des quatre gendarmes de
Fayaoué, ont produit un cocktail délétère,
mélange de mépris et de ressentiment. Et provoqué chez
certains de ceux qui ont «servi» durant ces événements le désir
malsain de faire payer aux Kanak les crimes perpétrés au matin du
22 avril. Un désir qui, pour quelques-uns, trouvera son
aboutissement le 5 mai dans le nord d'Ouvéa.
A
suivre...
1.
Il y a là le général Bernard Norlain, chef du cabinet militaire
de Matignon, le général de gendarmerie Antonio Jérôme, le
colonel Peter, chef d'état-major de Jacques Vidal, le capitaine de
vaisseau Desgrées du Lou, commandant de la Marine à Nouméa, le
colonel Koscher, commandant des éléments Air, ainsi que Philippe
Legorjus et le lieutenant-colonel Picard. C'est au cours de cette
séance de brainstorming
que
seront évoquées la possibilité d'utiliser une bombe à guidage
laser ou un canon de 20mm monté sur hélico, ou encore, solution
préconisée par le Dr Bernard Pons, d'introduire dans l'eau
fournie aux occupants de la grotte du flunitrazépam (ou Rohypnol,
un puissant tranquillisant),et qui sera testée sans succès sur des
militaires...
2.
Le «colonel» travaillait alors pour le RCPR, le parti de Jacques
Lafleur, pour le compte duquel il a mis sur pied un vaste réseau
d'informateurs et contribué à la formation de milices
anti-indépendantistes.
3.
Elu député de Paris, Ministre de la Coopération dans le
gouvernement d'Edouard Balladur, en 1993-1994, cet homme de réseaux
sera condamné en 2006 pour «complicité et recel de corruption»
condamné
dans
l'affaire des marchés publics d'Ile-de-France.
4.
Dans un premier temps Philippe Legorjus s'est satisfait de cette
version des faits qui lui vaudra de recevoir sa barrette de
commandant dès sa descente d'avion à Villacoublay. Plus tard, avec
la publication des premiers témoignages concernant les exactions
commises à Ouvéa, il prendra ses distances avec Jacques Vidal
et, par touches successives, livrera des versions de plus en plus
proches de la vérité. Mais sans jamais incriminer certains auteurs
d'actes contraires à l'honneur.
5. Publié
aux Editions Filipacchi.
6.
Lors de son audition par le capitaine Papin, nommé à la tête de
la BR de Nouméa, le général se gardera de mentionner la présence
du lance-flammes et de ses servants...
7.
Pour écouter le reportage de Jean-Luc Blain :
http://www.radio-univers.com/?p=9762
8. «Je tiens à
souligner le comportement particulièrement correct du prénommé
Martial à l'égard des prisonniers du GIGN. Il leur faisait
notamment parvenir sur ma demande des suppléments d'eau et de
vivres.»,
écrit Jean Bianconi dans un rapport dont il a adressé copie à la
Commission d'enquête. Témoignage dont il fera également part au
juge Mazières. Martial Laouniou, qui avait conservé de son service
militaire à Mont-de-Marsan une pointe d'accent du sud-ouest, n'avait pas
participé à l'attaque de la gendarmerie.
9.
La balle est entrée et ressortie sans léser les muscles.
|
Le 5 décembre 1984, dix militants indépendantistes de la tribu
de Tiendanite, en Nouvelle-Calédonie, étaient tués par balles, au
lieu-dit de Wan'yaat.
© NC1ère
Tombes des "dix de Tiendanite"
C’était il y a trente ans. Le 5 décembre 1984, dix militants
indépendantistes de la tribu de Tiendanite, âgés de 25 à 56 ans, parmi
lesquels deux frères de Jean-Marie Tjibaou, étaient tués par balles dans
une embuscade au lieu-dit de Wan'yaat.
Depuis
trente ans, les carcasses des deux camionnettes n'ont pas bougé. Sur les
lieux, une plaque de marbre portant l'inscription "Fils de Kanaky,
souviens-toi" et un hommage à ceux qui furent "assassinés lâchement"
rappellent ce qui s’est passé.
Le soir du 5
décembre 1984, moins d’un mois après le boycott actif des élections à
l’Assemblée territoriale, prôné par le FLNKS, une réunion se tient au
Centre Culturel de Hienghène. Durant la soirée, la question de la levée
des barrages et de la suspension des actions avait été discutée, à la
demande de Jean-Marie Tjibaou, alors président du FLNKS. La trêve devait
ouvrir la voie des discussions que ce dernier envisageait de conduire
avec l’Etat et visait à encourager les négociations.
A
la fin de la réunion, dix-sept Kanak prennent la route à bord de deux
camionnettes conduites par les deux frères de Jean-Marie Tjibaou, Louis
et Vianney, pour rejoindre la tribu de Tiendanite. Ils n’arriveront
jamais à destination.
A hauteur du lieu-dit de
Wan'yaat, ils essuient des tirs d’anti-indépendantistes embusqués. La
fusillade fera dix morts. Seules sept personnes survivront. Pour la
tribu de Tiendanite, qui comptait alors huit familles, c’est une
véritable hécatombe : la moitié de sa population masculine périt ce
soir-là.
Sur les sept survivants de l'embuscade,
trois sont décédés depuis. Blessé à la main et au ventre pendant les
tirs, Bernard Maépas, chef du conseil des anciens de la tribu, est l’un
des derniers à pouvoir témoigner. Pour lui, la fusillade visait
Jean-Marie Tjibaou.
« C’était justement pour
contrer la parole de Jean-Marie Tjibaou », explique Bernard Maépas au
micro de Marguerite Poigoune. « Lui, il n’est pas tombé dans le piège.
Le lendemain, il a dit qu’il fallait entamer les discussions ».
Symbole fort, lors de sa visite officielle en
Nouvelle-Calédonie, les 16 et 17 novembre dernier, le président de la
République François Hollande est venu se recueillir sur les tombes de
ceux qu'on appelle depuis les "dix morts de Tiendanite".
Pour marquer les trentième anniversaire, une messe a été dite vendredi matin, dans la petite église de la tribu.
Pour marquer les trentième anniversaire, une messe a été dite vendredi matin, dans la petite église de la tribu.