- Mardi 9 juin 2015
- Mercredi 10 juin 2015
- Organisme extraparlementaire - Désignation d'un candidat
- Renseignement - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire
- Nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie - Examen du rapport pour avis
- Lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale - Examen du rapport et du texte de la commission
- Supprimer les alinéas 8 à 10 de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014 - Examen du rapport et du texte de la commission
Mardi 9 juin 2015
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30
Consultation sur l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté - Modernisation du droit de l'outre-mer - Audition de Mme Georges Pau-Langevin, ministre des outre-mer
La commission entend Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer, sur le projet de loi organique n° 402 (2014-2015) relatif à la consultation sur l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté et sur le projet de loi n° 422 (2014-2015) relatif à la modernisation du droit de l'outre-mer.
M. Philippe Bas, président. - Le Premier ministre et vous-même, madame la ministre, avez réuni vendredi le Comité des signataires de l'Accord de Nouméa. Les parties sont parvenues à certains points d'accord. La commission des lois est très impatiente de vous entendre sur votre texte et sur les conclusions que vous tirez de cette réunion.
Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer. - Ce sont deux projets de loi qui m'amènent ici.
M. Philippe Bas, président. - En effet : le projet de loi organique relatif à la consultation sur l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, dont je suis le rapporteur, et le projet de loi de modernisation du droit de l'outre-mer, dont le rapport est confié à Jean-Jacques Hyest.
Mme George Pau-Langevin, ministre. - Nous devons offrir aux Calédoniens les meilleures conditions pour la consultation par laquelle ils se prononceront sur les liens qu'ils entretiennent avec la France. Le Comité des signataires, l'instance chargée de traiter les problèmes éventuels dans l'application de l'Accord de Nouméa, s'est réuni en octobre 2014, pour la définition de la liste électorale spécifique à cette consultation, fondée sur un corps électoral restreint. Un large accord s'est établi sur l'idée de dispenser de formalités quatre catégories de Calédoniens, sans pour autant retoucher la liste. Nous avons entendu les réserves du Conseil d'État sur deux des quatre catégories (les deux autres étant validées) et les critiques de certains sur les commissions administratives spéciales destinées à évaluer les listes, qui n'avaient pas donné satisfaction à des demandes dans certaines communes. Nous avons inclus dans le texte du projet de loi organique un certain nombre de mesures pour faciliter le travail des commissions et leur transparence. Certaines ont suscité des critiques ; la meilleure instance pour en discuter étant le Comité des signataires, nous l'avons réuni le 5 juin dernier. Nous avons pu constater qu'il y avait parmi les forces politiques en présence un réel souhait commun que la consultation se déroule dans les meilleures conditions et avec des listes établies de la façon la plus transparente.
Au sein des commissions administratives, le projet de loi organique ajoutait un second magistrat judiciaire. Le président de chaque commission administrative aurait disposé de pouvoirs propres d'instruction. Les partis indépendantistes considèrent que les commissions les utilisent de façon trop parcimonieuse. Nous voulions donner la possibilité au président d'écarter rapidement certaines demandes infondées. Les parties ont souhaité que seule la commission dispose de cette prérogative. Nous avons constaté qu'une personnalité qualifiée, à la place du second magistrat, pourrait jouer un rôle de sage au sein des commissions administratives.
L'article 2 complète la loi organique sur la troisième consultation - en 2018, la première consultation sera en effet suivie, si le non l'emporte, d'une deuxième puis d'une troisième consultation. Cette dernière se déroulera comme les précédentes - il fallait le préciser, c'est chose faite.
Une commission consultative d'experts sera susceptible d'éclairer les commissions sur le terrain, notamment concernant la catégorie, sujette à débat, des personnes nées en Nouvelle-Calédonie et qui y ont le centre de leurs intérêts matériels et moraux. Cette notion s'appréciant de façon jurisprudentielle à partir d'un faisceau d'indices, le Conseil d'État a estimé impossible une inscription d'office. Nous avons donc imaginé nous référer aux inscriptions sur les listes des élections provinciales. L'expression « inscription automatique » peut en effet prêter à confusion : ce sont les commissions qui y procéderont à partir de certains critères. Or le fait d'avoir été admis à voter pour les élections du congrès et des assemblées de province constitue un critère objectif. D'autres personnes seront inscrites d'office : celles nées en Nouvelle-Calédonie, ayant atteint leur majorité après le 31 octobre 1998 et inscrites sur les listes spéciales, ainsi que celles, nées après le 1er janvier 1989, et dont un des parents a été autorisé à participer à la consultation du 8 novembre 1998. Nous avons donc défini des catégories d'électeurs dispensés de formalités, qui constituent l'immense majorité du corps électoral calédonien.
Nous souhaitons que le texte soit le plus consensuel possible. Les parlementaires ont certes le droit de l'amender ; je crois qu'il serait préférable en tout cas de rester au plus près du souhait des Calédoniens.
La durée actuelle d'activité prévue des commissions est de deux ans - c'est très court. Nous sommes convenus d'allonger cette durée pour leur donner plus de marge.
Un dernier point empoisonne les échanges politiques en Nouvelle-Calédonie : la contestation, notamment par les indépendantistes, de certaines inscriptions sur les listes provinciales. Des recours ont été déposés, avec des fortunes diverses. Les signataires sont aujourd'hui convenus qu'il faut d'abord identifier le problème : la solution sera différente selon que le problème concerne 50 ou 3 000 personnes !
Nous avons donc confié au haut-commissaire le soin de réaliser une étude, bien sûr anonyme, qui distingue deux situations : ceux qui sont arrivés après novembre 1998 - et qui n'ont donc rien à faire sur les listes pour la consultation finale - et ceux arrivés avant. Pour eux, le critère doit-il être la présence en Nouvelle-Calédonie à cette date ou l'inscription sur les listes ? Les signataires trancheront une fois le problème quantitativement cerné. Un accord politique n'est pas exclu. Les signataires se rencontreront à l'automne et tireront alors les conclusions du travail qui aura été mené.
Le Comité des signataires est parvenu à des solutions raisonnables. Certes, vous trouverez des moyens d'améliorer encore ce texte. Néanmoins, j'espère que les modifications proposées réuniront des signataires de différents groupes, afin de marquer le consensus, ou qu'elles seront portées par le président de votre commission. Bien sûr, c'est à vous d'en décider...
Le deuxième texte, relatif à la modernisation du droit de l'outre-mer - texte portant « diverses dispositions » sur l'outre-mer, pourrait-on dire - est par nature disparate.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - C'est la modernisation, paraît-il !
Mme George Pau-Langevin, ministre. - Il faut en effet actualiser certaines dispositions autour de cinq grandes thématiques : l'économie, la maîtrise et l'aménagement fonciers, la fonction publique, les collectivités locales, la sûreté et la sécurité.
Dans le domaine économique, nous proposons d'étendre à Saint-Martin le bénéfice de l'article 15 de la loi du 20 novembre 2012 sur la régulation économique, qui a consacré la constitution des observatoires des prix, des marges et des revenus, tandis que les préfets ont été chargés de mettre en oeuvre des « boucliers qualité-prix ». Là où ceux-ci ont été mis en place, la baisse des prix a atteint jusqu'à 11 %.
Nous voulons aussi changer le statut de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom), aujourd'hui une société d'État inscrite au registre de commerce, statut souple mais inadapté. Nous proposons de la transformer en établissement public administratif, conformément aux recommandations de la Cour des Comptes en 2011. Nous aménageons enfin la représentation du monde agricole dans les caisses de sécurité sociale, conformément à l'engagement pris par le Président de la République à La Réunion en août dernier.
Les outre-mer font face à des situations démographiques différentes de celle de l'hexagone : Mayotte et la Guyane sont en pleine expansion, avec des besoins considérables, notamment en logements. Les agences chargées de veiller de la protection de la zone des cinquante pas géométriques de la Guadeloupe et de la Martinique, qui ont été créées il y a une quinzaine d'années, voient leur durée de vie prorogée jusqu'à 2018 car leur action dans des quartiers d'habitat spontané n'est pas terminée. Une mission d'information de la Délégation sénatoriale des outre-mer étudie cette question en ce moment. Mettons en commun nos réflexions pour stabiliser leur mission ! Les propositions du Sénat seront les bienvenues.
La fonction publique doit être adaptée à Wallis-et-Futuna, où des agents exercent des missions de service public, pour le compte de l'État ou des circonscriptions territoriales, mais demeurent contractuels. Après la crise sociale de l'année dernière, nous avons voulu faire évoluer leur situation. Ils pourront bénéficier immédiatement de la loi Sauvadet de mars 2012. L'administrateur supérieur prendra des mesures réglementaires pour les agents du territoire. Dans un second temps, les agents pourront aussi présenter les concours internes de chacune des trois fonctions publiques. La loi prévoit l'intégration des agents des communes de Polynésie française dans la fonction publique ou la révision de leur rémunération, selon des modalités définies par décret en Conseil d'État. Les propositions de classement seront adressées aux agents dans le délai de trois mois à compter de l'ouverture du poste. Ils auront aussi des possibilités de mobilité dans les trois fonctions publiques métropolitaines.
Concernant les finances des collectivités territoriales, de nouvelles exigences de transparence s'imposeront aux exécutifs de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. Dans les communes de plus de 80 000 habitants en Nouvelle-Calédonie, comme à Nouméa, un adjoint au maire chargé des quartiers pourra être désigné.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Seulement à Nouméa : il n'y a pas d'autres communes de cette taille !
Mme George Pau-Langevin, ministre. - Les maires délégués en Polynésie française devront être issus de la liste arrivée en tête dans la commune associée, un peu comme dans les arrondissements de Paris. L'association des maires de la Polynésie française a mis sur pied un groupe de travail que nous avons rencontré. Les sénateurs polynésiens pourront, au cours de la discussion, faire part de ses conclusions.
Sur le cinquième et dernier axe de ce projet de loi, la sécurité et la sûreté, une erreur doit être corrigée concernant les terres australes et antarctiques françaises (Taaf). Il y a beaucoup d'armes en Nouvelle-Calédonie : nous préparons donc une base législative pour créer un quota d'armes de catégorie C et du premier groupe de la catégorie D par voie réglementaire. Le texte comprend aussi l'abrogation de dispositions obsolètes à Mayotte ; et pour Saint-Barthélemy, devenu un pays et territoire d'outre-mer (PTOM) au niveau européen, le projet de loi prévoit expressément l'application sur son territoire du droit dérivé de l'Union européenne, par exemple en matière de transport aérien.
Le projet de loi habilite le Gouvernement à prendre des ordonnances sur la mise en conformité du droit social à Mayotte, à Wallis-et-Futuna et dans les Taaf avec les normes de l'Organisation internationale du travail (OIT), ou pour permettre l'exercice plein et entier des compétences de la Nouvelle-Calédonie en matière de droit de la consommation. Ce texte présente donc un spectre assez large de dispositions, qui modernisent différents aspects du droit outre-mer.
M. Philippe Bas, président. - Merci de cet exposé très complet concernant à peu près... tout l'outre-mer ! Je me réjouis qu'un calendrier ait été fixé pour traiter les problèmes relatifs aux listes électorales en Nouvelle-Calédonie. Il restera cependant du travail à faire, car les critères restent à définir ; au moins un cadre est-il posé. Question d'ordre technique : une partie importante du travail dépendra de la connexion entre différents fichiers, comme la liste pour la consultation de 1998 et les registres de personnes relevant du statut coutumier, dont la tenue n'est pas toujours parfaite. Sont-ils numérisés ? Sinon, combien de temps leur numérisation prendra-t-elle ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Je ne parlerai pas de la Nouvelle-Calédonie, même si j'ai eu plusieurs fois l'occasion de m'y intéresser. Je me réjouis de l'accord, tant la situation semblait insoluble. Rappelons que la restriction du corps électoral vient du fait que les Kanaks avaient peur que l'arrivée massive d'Européens les marginalise.
Le texte de modernisation comporte une foule de dispositions. Les agents contractuels de Wallis-et-Futuna et des communes de la Polynésie française ne sont pas forcément intéressés par la fonction publique : leurs contrats sont parfois avantageux, comme cela arrive ailleurs. Il y aura des concours spéciaux : pourquoi dans ce cas leur offrir des concours internes, qu'ils ne passeront jamais, préférant les premiers ? L'article 8 concerne les agences des cinquante pas géométriques en Martinique...
M. Félix Desplan. - ...et en Guadeloupe !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - En effet. Les agences développent des activités d'aménagement éloignées de leurs missions premières. Le Gouvernement veut-il élargir ces missions ? Veut-il mettre en place une agence foncière comme en Île-de-France ?
Ladom, une société d'État selon le modèle des années cinquante, est victime d'une sous-budgétisation chronique qui la met en difficulté financière. Ne vaudrait-il pas mieux prévoir d'allouer davantage de fonds à cette agence ?
L'article 7 concerne l'Établissement public d'aménagement en Guyane (Epag) de Guyane dont deux rapports du Conseil général de l'environnement et du développement durable préconisent la scission en deux entités en raison de l'évolution démographique exceptionnelle à laquelle il ne serait pas en mesure de répondre. Pourquoi garder un seul établissement public ?
Le Gouvernement demande souvent des habilitations pour l'outre-mer. La commission des lois veille toujours à inscrire dans les textes législatifs une mention sur leur application outre-mer. Plusieurs habilitations ont expiré comme celle votée dans la loi sur l'économie sociale et solidaire, et d'autres arrivent à expiration, à l'instar de deux au sein de la loi portant diverses dispositions sur l'outre-mer. Les ordonnances seront-elles prises à temps, ou devrons-nous prolonger les habilitations ? Cela commence à bien faire !
M. Thani Mohamed Soilihi. - Ce texte rappelle les récentes lois de simplification... Il est aussi touffu ! Les dispositions qu'il comporte étaient cependant attendues. L'extension de la loi du 20 novembre 2012 à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy est bienvenue. Mais dans les territoires où elle est d'ores et déjà appliquée, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) requiert des moyens supplémentaires contre les comportements abusifs : seront-ils accordés ? En Guyane et à Mayotte, il est opportun que l'État prenne la main sur les aspects fonciers et je salue la création de l'établissement foncier d'État. Je me pose cependant la question de la régularisation foncière à Mayotte : ne pourrait-elle pas être confiée à ce nouvel établissement ? Cette politique est en panne depuis des années...
Je fais miennes les déclarations de M. Hyest sur les habilitations : quelles garanties avons-nous que les ordonnances seront prises, d'autant plus que leur intitulé est très vague ? La mise en place d'un conseil des prud'hommes à Mayotte a été remise à plus tard dans le projet de loi Macron. Établir un cadre pour le travail intérimaire serait par exemple assez simple, et tellement utile, dans un territoire qui soufre tant du chômage. Enfin, une vingtaine d'agents originaires de Mayotte exerçant en Guyane m'ont saisi de leur problème : ils ne peuvent percevoir l'indemnité de sujétion géographique.
M. Félix Desplan. - Je me félicite de l'accord des signataires. Le 4 juin dernier, lors de son audition, le président du Congrès était inquiet, il doutait de la volonté du Gouvernement de faciliter la consultation. Nous, parlementaires, devons respecter cet accord. Néanmoins, je m'interroge sur certains points. Par exemple, comment seront désignées, et par qui, les personnalités qualifiées ?
Si à la première consultation, le oui l'emporte, tout sera mis en oeuvre pour parvenir à la souveraineté de la Nouvelle-Calédonie. En revanche, si le non l'emporte, il devra être confirmé par un nouveau vote.
Mme George Pau-Langevin, ministre. - Oui.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Ce sont les termes de l'Accord !
M. Philippe Bas, président. - Même si c'est un régime particulier...
M. Félix Desplan. - Et qu'en sera-t-il des modalités de vote ? Toutes seront-elles admises ? Feront-ils l'objet d'un accord ? Enfin, comment identifier les inscriptions douteuses sur les listes provinciales sans établir des critères au préalable ?
Quelques mots de l'Agence des cinquante pas géométriques : selon que l'on vit à la Guadeloupe ou à la Martinique, le prix au mètre carré n'est pas le même pour la régularisation. Il est plus cher en Guadeloupe : la loi d'indemnisation gommera-t-elle cette anomalie ?
En Polynésie française, pourquoi ne pas appliquer aux contractuels de la fonction publique la loi de 1984, avec une titularisation de ceux qui sont en poste depuis un certain temps ?
M. Hugues Portelli. - Le relevé des conclusions du Comité des signataires reste tout à fait dans l'esprit des textes qui se sont succédé depuis 1998 : les partenaires représentant les diverses communautés fixent les règles, la loi les met simplement en musique. Je prends l'exemple du second magistrat : « les partenaires s'accordent pour lui donner un statut d'observateur ».
Mme George Pau-Langevin, ministre. -Il est remplacé par une personnalité qualifiée.
M. Hugues Portelli. - Une personnalité qualifiée, qui ne sera qu'un observateur : soit. Quant au président, il a des pouvoirs d'instruction, mais ne pourra rejeter une inscription manifestement infondée. Bref, si j'ai bien compris, les partenaires décident et le Parlement entérine ?
M. Philippe Bas, président. - L'État s'est fixé un impératif de neutralité. Nous avons bien vu en revanche, le 5 juin dernier, combien son rôle et sa présence étaient fondamentaux, dans le dialogue entre les partenaires. Les évènements qui se sont produits lors du déplacement du président de l'Assemblée nationale à Nouméa ont ainsi débouché sur une réunion rapide du Comité, grâce à l'initiative de l'État, proactif bien qu'impartial et neutre.
Mme George Pau-Langevin, ministre. - Les fichiers, depuis que la notion de corps électoral restreint a été définie, sont bien tenus. Les opérations de croisement se feront sous le contrôle de la Cnil. Les fichiers coutumiers sont entachés d'erreurs dans l'orthographe des noms : des vérifications seront nécessaires. Les électeurs devront eux-mêmes, également, s'enquérir de leur bonne inscription sur la liste, afin de faire rectifier les omissions, s'il y a lieu. Ils en auront le temps.
Les contractuels de Wallis-et-Futuna ont-ils intérêt à être titularisés ? Pas toujours. Du reste, certains ne satisfont pas tous les prérequis. Notre effort porte précisément sur ces situations. La loi Sauvadet prenait en compte le cas de ceux qui n'avaient pu être régularisés dans la cadre de la loi précédente. Nous poursuivons dans cette voie.
Les agences des cinquante pas géométriques n'ont pas réussi à achever leur mission, pour diverses raisons : parfois, parce que les terrains et bâtiments sont des indivisions ; dans d'autres cas, parce que les occupants ne sont pas solvables. Il est vrai aussi que certaines agences privilégient plutôt l'aménagement des zones, tâche jugée plus gratifiante, que la régularisation. Il faudra les recentrer sur leur première mission. Les directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Deal) ne fonctionnent pas pareillement dans toutes les collectivités d'outre-mer, ce qui a pu renforcer les écarts de résultats, comme entre la Guadeloupe et la Martinique. Une harmonisation est souhaitable.
En Guyane, diviser en deux entités l'Epag ne nous a pas semblé le plus efficace. Nous sommes en train de réfléchir à la meilleure solution, notamment pour rentabiliser nombre de terrains appartenant à l'État.
À Mayotte, tout reste à faire en matière de foncier, à commencer par l'établissement d'un cadastre. Nous mettons en place la structure correspondante.
M. Thani Mohamed Soilihi m'interroge sur le contrôle des marges abusives des commerçants. Les associations de consommateurs sont moins organisées outre-mer qu'en métropole. Nous prévoyons des mesures d'habilitation d'agents supplémentaires pour le contrôle. Un certain nombre de structures ne fonctionnent pas au mieux à Mayotte, où le foncier est pour une bonne partie géré par le conseil général. Un conseil de prud'hommes me semble également une bonne idée.
Les indemnités de sujétion géographique suscitent des réticences dans les administrations, lorsque les agents viennent d'une autre région d'outre-mer. Je n'ai pas de solution. Il ne s'agit pas d'éloignement de la métropole...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Un enseignant de Mayotte s'éloigne tout autant, géographiquement, quand il prend un poste en Guyane ! Il lui faudrait faire un crochet par la métropole d'abord !
Mme George Pau-Langevin, ministre. - C'est ce qui se passe aussi pour les militaires et les policiers.
En Nouvelle-Calédonie, les personnalités qualifiées dans les commissions ne seront pas des magistrats en activité. En effet, certains des signataires y étaient opposés et arguaient que les difficultés proviennent précisément de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui aurait été chargée de les désigner. Mais il pourra s'agir de personnes ayant exercé une profession juridique, ou étant considérées comme sages. Les modalités de désignation sont en cours d'examen.
M. Portelli semble amer, estimant que la métropole est, en quelque sorte, dessaisie.
M. Hugues Portelli. - Pas du tout.
Mme George Pau-Langevin, ministre. - À situation particulière, solution juridique originale, dans le respect des grands principes républicains. Des solutions ont même été apportées par des juristes, y compris venant de l'hexagone. Le schéma actuel est issu de l'Accord de Nouméa, je vous le rappelle. Cela n'empêche pas de réfléchir. Par exemple sur la formulation exacte de la question qui sera soumise au vote, nous avons deux ans pour trouver un consensus.
Toutes les modalités de vote seront-elles admises, demandez-vous : vous pensez sans doute aux Calédoniens qui vivent hors du territoire ?
M. Félix Desplan. - Oui.
Mme George Pau-Langevin, ministre. - Ce point sera défini par le Comité.
L'agence de l'outre-mer pour la mobilité, oui, a des difficultés financières ; les moyens de fonctionnement ont été drastiquement réduits, tandis que l'activité demeure très importante. Nous avons dès lors proposé des conditions plus strictes pour la délivrance des aides à la continuité territoriale, afin d'éviter l'asphyxie.
Nous rencontrons certains problèmes dans l'élaboration des ordonnances. Celle-ci ne dépend pas de mon seul département ministériel, qui joue surtout le rôle d'un aiguillon. Nous faisons le maximum pour respecter les délais : sur Mayotte, sur le droit du travail, nous y sommes parvenus !
M. Thani Mohamed Soilihi. - Il reste tant à faire.
Mme George Pau-Langevin, ministre. - La convergence des droits du travail progresse.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Et les habilitations en cours, qui vont bientôt expirer ?
Mme George Pau-Langevin, ministre. - Nous nous efforçons d'activer tous les ministères, mais certains textes sont très délicats à rédiger, les sujets très complexes.
M. Félix Desplan. - Il manque une bonne coordination ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Il existe paraît-il un Secrétariat général du gouvernement.
M. Philippe Bas, président. - Et un Premier ministre.
Mme George Pau-Langevin, ministre. - Nous soulevons les questions mais nous n'avons pas toujours les réponses techniques sur tous les points en suspens.
M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie.
La réunion est levée à 18 heures
Mercredi 10 juin 2015
- Présidence de M. Philippe Bas, président -Organisme extraparlementaire - Désignation d'un candidat
La commission désigne Mme Jacqueline Gourault comme
candidate proposée à la nomination du Président du
Sénat pour siéger comme membre titulaire au sein du Comité
placé auprès de la personnalité qualifiée
chargée de contrôler la plate-forme nationale des interceptions
judiciaires.
Renseignement - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire
La commission procède à la
désignation de candidats pour faire partie de l'éventuelle
commission mixte paritaire chargée de proposer un texte pour les
dispositions restant en discussion sur le projet de loi relatif au
renseignement.
MM. Philippe Bas, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Jacques
Hyest, Yves Détraigne, Jean-Pierre Sueur, Michel Boutant et Mme
Cécile Cukierman sont désignés en qualité de
membres titulaires et MM. Pierre-Yves Collombat, Michel Delebarre, Mme
Catherine Di Folco, MM. Christophe-André Frassa, Michel Mercier,
Alain Richard et Jean-Pierre Vial sont désignés en qualité
de membres suppléants.
Nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie - Examen du rapport pour avis
La commission procède ensuite à l'examen
du rapport pour avis de M. François Pillet sur la proposition de
loi n° 348 -2014-2015), adoptée par l'Assemblée
nationale, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des
personnes en fin de vie.
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - Notre commission des lois s'est saisie pour avis de la
proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et
des personnes en fin de vie, d'abord examinée en première lecture
à 1'Assemblée nationale. Elle se prononce après la
commission des affaires sociales, compétente au fond en se fondant, par
conséquent, sur le texte que cette dernière a adopté.
Cette proposition de loi traite d'un sujet difficile et
sensible, qui engage des considérations médicales et juridiques,
des questionnements éthiques et philosophiques, et, surtout, des
souffrances humaines. Ce sujet est celui de la fin de vie, des douleurs qui
l'accompagnent, de l'ultime choix laissé au patient et du rôle de
la médecine au seuil de la mort. Il appelle une réflexion
prudente et empreinte d'humilité face aux détresses qui
s'expriment et aux incertitudes qui le traversent.
Deux principes cardinaux de la législation
française sur la fin de vie encadrent ces travaux : la prohibition
absolue que la mort soit donnée activement et intentionnellement ;
le respect, dans ce cadre, de la volonté de la personne et de sa
dignité. Rédigé à la suite de nombreux travaux
préparatoires, par nos collègues députés, MM. Alain
Clayes et Jean Leonetti, le texte vise à revenir sur le dispositif de la
loi dite « Leonetti » du 22 avril 2005, dont la mise en
oeuvre, notamment pour son volet relatif aux soins palliatifs, est apparue
insuffisante, et qui méritait, pour les auteurs de la proposition de
loi, d'être renforcée en consacrant, au côté des
devoirs du médecin, de nouveaux droits des patients.
Cette proposition de loi y apporte en deux modifications
principales. En premier lieu, elle tend, dans son article 3, à consacrer
le droit, pour le patient victime d'une affection grave et incurable, à
recevoir une sédation profonde et continue, qui le plonge dans
l'inconscience, jusqu'à sa mort, et qui est accompagnée d'un
arrêt de tous les traitements médicaux.
En second lieu, elle réforme, dans son article 8, le
régime juridique des directives anticipées écrites, qui
doivent en principe éclairer le médecin sur le voeu de son
patient dans l'éventualité où se poserait la question de
la fin de sa vie, lorsque celui-ci est inconscient ou incapable d'exprimer sa
volonté.
Elle précise aussi le rôle de la personne de
confiance, chargée de témoigner de la volonté du patient,
et l'articulation entre les différents témoignages, écrits
et oraux, du choix du patient. D'autres dispositions concernent les conditions
du refus de 1'acharnement thérapeutique, l'amélioration de la
prise en compte de la souffrance et le développement de l'offre de soins
palliatifs, la réaffirmation du droit des patients à recevoir des
soins palliatifs et à refuser un traitement.
Le texte consacre ainsi un droit à la sédation
profonde et continue jusqu'au décès. Ce droit doit être
encadré. La sédation profonde et continue place le patient, par
des moyens médicamenteux, dans un état où il n'a plus
conscience de sa situation. D'intensité variable, la sédation,
qui constitue une des techniques de soins palliatifs, peut aller d'un
endormissement léger, dont l'intéressé peut être
tiré par une simple sollicitation de la voix ou du toucher, au placement
en coma artificiel. Elle peut être temporaire, le patient se
réveillant lorsque la dose prescrite cesse d'avoir des effets, ou
continue, lorsque le patient reçoit à intervalles
réguliers une dose de sédatif, destinée à maintenir
son état d'endormissement. À cet égard, la sédation
profonde et continue qui place le patient dans un état de coma
artificiel, jusqu'à son décès, pour éviter,
notamment, qu'il souffre, constitue sans doute le dernier degré de la
gamme des soins palliatifs.
En prévoyant, à l'article 3, de consacrer, dans
certain cas, un droit pour le patient à bénéficier d'une
sédation profonde et continue jusqu'à son décès, la
proposition de loi ne crée pas une nouvelle pratique médicale.
D'ores et déjà, les équipes soignantes y recourent, dans
un souci d'humanité, pour éviter au mourant les souffrances de sa
maladie ou de son agonie. En revanche, élever cette possibilité
au rang de droit garantirait au patient de pouvoir en réclamer le
bénéfice contre un médecin qui le lui refuserait - cas
fort peu probable au regard des exigences de la déontologie
médicale - ou auprès de l'établissement hospitalier ou du
service qui le soigne, ce qui est plus plausible compte tenu du retard de notre
pays dans le développement des soins palliatifs. Ce droit pourra en
outre fonder une action en responsabilité, pour carence, contre les
structures qui n'auront pu en garantir l'exercice.
Mais selon les situations, la consécration de ce droit
à la sédation change de sens. Quatre cas ont été
évoqués, au cours des auditions, qui pourraient justifier le
recours à la sédation profonde et continue jusqu'au
décès.
Le premier est celui d'un patient en fin de vie, atteint d'une
maladie grave et incurable, qui éprouverait une souffrance
réfractaire à tout traitement. La gamme entière des soins
palliatifs étant impuissante à soulager cette douleur, le patient
pourrait demander à être plongé dans l'inconscience, pour
ne plus souffrir.
Le deuxième cas est celui d'un patient lui aussi en fin
de vie et atteint d'une maladie grave et incurable, mais dont les souffrances
seraient suffisamment apaisées par les soins palliatifs. Pour autant, il
pourrait demander à bénéficier de cette sédation,
parce qu'il souhaiterait éviter de vivre son agonie et être
plongé dans l'inconscience pour ne pas se voir mourir.
Le troisième cas est celui d'un patient qui, sans
être en fin de vie, est atteint d'une maladie grave et incurable, et
souhaite arrêter le traitement qui le maintien en vie - dialyse,
traitement à l'insuline, respirateur artificiel... Ce faisant, il
basculerait dans une situation de fin de vie. Il serait procédé
à la sédation profonde et continue concomitamment à
l'arrêt du traitement de maintien en vie.
Le quatrième cas concerne le patient hors d'état
d'exprimer sa volonté, pour lequel une décision d'arrêt de
traitement de maintien en vie est prise au titre du refus de l'obstination
déraisonnable. La sédation serait appliquée,
préventivement, parce qu'il a été constaté, dans
certains cas dramatiques, que l'arrêt de l'alimentation artificielle chez
un patient en état végétatif avait provoqué
d'importantes souffrances.
La proposition de loi issue des travaux de l'Assemblée
nationale a retenu les premier, troisième et quatrième cas de
recours à la sédation profonde et continue, et
écarté le second. Le texte adopté par la commission des
affaires sociales du Sénat n'a retenu que le premier et le
quatrième, à la condition, dans ce dernier cas, que la souffrance
soit jugée réfractaire à tout autre traitement.
S'agit-il d'assurer au patient le droit de ne pas souffrir ou
celui de ne pas se voir mourir, même si 1'exercice de ce droit suppose de
le placer en état de sédation profonde et continue jusqu'à
son décès ? Telle est la question qui doit guider le choix
des cas de figure à retenir. Dans ce que je vous proposerai, il ne s'est
pas agi pour moi, à la différence de ce que l'on attend
traditionnellement d'un rapporteur, de me faire l'avocat d'une position
tranchée. Je n'ai jamais autant lu qu'en travaillant sur ce texte et
j'ai constaté que la conviction que forgeait chaque audition, chaque
réflexion, chaque lecture, ne paraissait étayée que
jusqu'à l'audition ou la lecture suivante, qui l'effritait.
Répondre en faveur du seul droit de ne pas souffrir
conduit à retenir le premier cas, celui d'une souffrance
réfractaire à tout traitement, et, sans doute, le
quatrième, si 1'on craint que la personne hors d'état d'exprimer
sa volonté ne souffre de l'arrêt de traitement. Tel est le choix
opéré, à l'initiative de ses rapporteurs, par la
commission des affaires sociales.
La sédation profonde et continue pour éviter une
souffrance qu'aucun autre traitement ne peut apaiser est, dans les faits,
pratiquée, et personne ne le conteste. Mais en consacrant un droit
à la sédation profonde et continue, pour ne pas assister à
sa propre mort, ne risque-t-on pas de créer symboliquement un
modèle du « bien mourir », qui conduirait ensuite
les professionnels à privilégier cette pratique au
détriment d'une prescription adaptée de soins palliatifs ?
Ceci rejoint une préoccupation énoncée par le Conseil
d'État, qui juge que « la sédation profonde ne peut en
aucun cas être un substitut aux soins palliatifs, une " solution de
facilité " qui viendrait en quelque sorte pallier leur
absence ».
De ce point de vue, lier systématiquement la
sédation profonde et continue et 1'arrêt de tous les traitements
pose question. Dans sa version issue des travaux de l'Assemblée
nationale, comme dans celle issue de ceux de la commission des affaires
sociales, 1'article 3 lie indissolublement cette sédation à une
analgésie avec arrêt des traitements de maintien en vie.
Sans en contester la pertinence d'un point de vue
médical, même si, comme le souligne le docteur Régis Aubry,
président de l'Observatoire national de la fin de vie, les effets sur la
fin de vie d'une sédation profonde et de l'arrêt de certains
traitements sont ambivalents, i1 est nécessaire de s'interroger sur ce
systématisme.
Outre qu'il est contradictoire de reconnaître un nouveau
droit du patient tout en limitant sa liberté dans 1'exercice de ce
droit, soulignons qu'indépendamment de leur effet médical,
certains traitements peuvent, plus que d'autres, avoir pour la personne une
dimension symbolique. Il en va tout particulièrement ainsi de
l'alimentation, de l'hydratation ou de la respiration : la nourriture que nous
mangeons, l'eau que nous buvons, l'air que nous respirons. Ne serait-il pas
paradoxal de chercher à apaiser la détresse d'une personne face
à sa mort, en lui offrant la consolation symbolique d'un sommeil
apaisé, tout en lui refusant la certitude qu'elle ne mourra pas de faim,
de soif ou d'asphyxie, mais bien de sa maladie ?
Enfin, lier indissolublement sédation profonde et
arrêt des traitements vitaux est rendre plus indistincte la
frontière entre une mort causée par la maladie, et une mort
causée par autre chose que cette maladie, voire par les
conséquences d'un traitement médical. Or c'est cette distinction
qui permet d'écarter tout risque de dérive euthanasique.
Je vous soumettrai donc un amendement visant à redonner
force à la volonté du patient au seuil de sa vie.
Reste une question cruciale : la définition du moment
à partir duquel il peut être recouru à la sédation
profonde et continue. Celle-ci ne pourrait être mise en oeuvre à
la demande du patient que si son pronostic vital est engagé à
court terme en raison de 1'arrêt d'un traitement ou de l'évolution
de sa maladie. Cette expression vise à caractériser la situation
de fin de vie. Les professionnels de santé que nous avons entendus
s'accordent pour fixer ce terme à quelques heures ou quelques jours. Il
n'est sans doute pas possible à la loi d'être plus précise
sans risquer d'exclure des situations qui mériteraient d'être
qualifiées de situations de fin de vie. Toutefois, toute
interprétation qui consisterait à considérer cette
condition remplie, alors que le pronostic vital est certes engagé, mais
à plusieurs semaines, serait dangereuse et risquerait de changer
totalement la nature du droit ainsi consacré.
En effet, le dispositif proposé est justifié
parce que la sédation, qui apaise les souffrances, ne donne pas la
mort : le malade en fin de vie, dont l'agonie a commencé, meurt de
sa maladie. Or, plus la sédation anticipera ce terme, moins il sera
sûr que le malade mourra de sa maladie, puisque, si les
suppléances vitales, et en particulier l'hydratation, n'ont pas
été mises en place, il mourra de leur défaut.
Dans cette situation, la frontière,
précédemment évoquée, entre la fin de vie
causée par la maladie et celle causée par les conséquences
d'un traitement serait brouillée, au risque de faire perdre toute
légitimité au recours à une telle sédation. Encore
une fois, je ne fais là que vous livrer mes réflexions.
J'en viens à la reformulation des dispositions
relatives à l'obstination déraisonnable, qui peut entraîner
une contestation de ses conséquences.
L'article L. 1110-5 du code de la santé publique
autorise le médecin à cesser un traitement, au titre du refus de
l'obstination déraisonnable, lorsque ce traitement est inutile,
disproportionné ou qu'il n'a pour effet que le seul maintien artificiel
en vie de la personne. Dans sa version issue des travaux de l'Assemblée
nationale, l'article 2 du texte modifie cette disposition pour faire de cette
autorisation une obligation, et limiter l'obstination déraisonnable aux
traitements inutiles ou disproportionnés, estimant que le
troisième cas, celui du seul maintien artificiel de la vie, se rattache
à l'un ou l'autre. Le texte issu des travaux de notre commission des
affaires sociales est plus protecteur puisqu'il a rétabli, sur ce point,
le droit en vigueur. Notre commission des lois peut y souscrire : la
rédaction de l'Assemblée nationale est d'une portée
symbolique problématique, puisqu'elle répute inutile ou
disproportionné le maintien artificiel de la vie, alors que le jugement
que l'on peut avoir sur un corps en apparence déserté par toute
conscience est forcément subjectif et dépend des convictions de
chacun. En outre, imposer au médecin, fût-ce au titre du refus de
l'obstination déraisonnable, d'arrêter un traitement de maintien
en vie s'accorde mal avec le pouvoir d'appréciation qui lui est reconnu
en principe, comme avec la mission qui est la sienne.
On doit également s'interroger sur le champ
d'application de la procédure collégiale
Le texte issu des travaux de l'Assemb1ée nationale,
comme celui qu'a établi notre commission des affaires sociales,
généralise l'obligation faite au médecin, lorsqu'il
envisage d'arrêter un traitement au titre du refus de l'obstination
déraisonnable, de s'en remettre à la volonté du patient et
de rendre sa décision au terme d'une procédure de consultation
collégiale.
Je suggérerai pour sauvegarder mieux encore la
volonté du patient, un amendement limitant ce recours à la
procédure collégiale aux cas où ce dernier serait hors
d'état d'exprimer lui-même sa volonté. Ce serait faire peu
de cas de la volonté du patient conscient que de soumettre sa
décision d'arrêter un traitement à une procédure
collégiale. On peut en revanche souscrire aux précisions
apportées par la commission des affaires sociales sur les
caractéristiques auxquelles une telle procédure collégiale
doit répondre.
Favoriser la recherche d'une meilleure prise en compte de la
volonté du patient : tel a été mon deuxième
souci. C'est un objectif qui est au coeur des réflexions menées
ces dernières années sur le système de santé et en
particulier sur la fin de vie. Ainsi, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits
des malades et à la qualité du système de santé a
permis au patient de désigner une personne de confiance, qui est
consultée sur la décision à prendre au cas où la
personne serait hors d'état d'exprimer sa volonté. La loi du 22
avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie a ensuite
introduit la possibilité pour toute personne majeure d'exprimer de
manière anticipée ses souhaits relatifs à sa fin de vie
par des directives anticipées. Mais contrairement à ce que laisse
supposer cette appellation, ces directives n'ont aucun effet contraignant pour
le médecin, qui a seulement l'obligation d'en tenir compte dans ses
décisions d'investigation, d'intervention ou de traitement.
Ce texte fait un choix : faire des directives
anticipées une preuve absolue de la volonté du patient. Il aurait
peut-être été plus pertinent de commencer par rendre les
dispositions prévues par la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des
malades et à la fin de vie pleinement applicables, et d'en tirer un
véritable bilan, avant d'envisager de les réformer en profondeur.
Tel n'est pas le parti qu'ont pris par les auteurs de la proposition de loi,
MM. Alain Claeys et Jean Leonetti. Au-delà des mesures visant
à améliorer le recours aux directives anticipées comme la
mise à disposition d'un modèle de rédaction, ou leur
enregistrement dans un fichier national, le texte propose une véritable
réforme de leur statut juridique.
Les auteurs de la proposition de loi ont ainsi choisi de
renforcer substantiellement les directives anticipées, en supprimant
leur durée de validité de trois ans et en prévoyant
qu'elles s'imposeraient désormais aux médecins. Pour
éviter la multiplication de témoignages différents et la
naissance d'éventuels conflits d'interprétation de la
volonté du malade inconscient, le texte établit une
hiérarchie entre les différents éléments de preuve.
Les directives anticipées seraient le mode privilégié de
preuve de l'expression de la volonté du patient. Elles l'emporteraient
sur tout autre témoignage. À défaut de directives
anticipées, c'est le témoignage de la personne de confiance, si
elle a été désignée, qui ferait foi. En dernier
lieu, seraient pris en compte les éléments recueillis par la
famille ou les proches.
Il faut parfaire notre recherche de la réalité
de cette volonté, en dissociant, dans la réflexion, deux
questions. La première concerne la validité des directives
anticipées au regard des souhaits les plus récents
exprimés par le patient avant de sombrer dans l'inconscience,
indépendamment du contenu de ses directives. La seconde concerne l'effet
contraignant des directives à 1'égard du médecin,
dès lors que leur contenu est adapté à la situation
médicale du patient.
Faire des directives anticipées la preuve
irréfragable de la volonté du malade présente un danger.
Si les directives anticipées constituent certes l'élément
le plus fiable pour déterminer la volonté d'un patient en
état d'inconscience, j'estime cependant dangereux de leur attribuer un
caractère trop absolu. Comme l'a souligné Jean-Marc Sauvé,
lors de son intervention au colloque organisé par le Sénat sur la
fin de vie, en janvier dernier, « lorsque le patient est dans un
état d'inconscience, ses directives anticipées expriment une
présomption de volonté ; elles sont une approximation,
certes très forte, de ce qu'aurait été sa volonté
consciente. Mais cette présomption ne saurait être
irréfragable : elle doit pouvoir être écartée,
lorsqu'un faisceau d'indices probants et circonstanciés démontre
qu'elles ne correspondent plus à la volonté du
patient ».
Je vous proposerai donc, à l'article 8, un amendement
prévoyant que les directives anticipées peuvent être
révoquées « par tout moyen », ce qui
permettra de remettre en cause des directives qui ne correspondraient pas au
dernier état de la volonté du patient inconscient, à la
lumière du témoignage de la personne de confiance ou de toute
autre personne. Imaginons une personne qui prend, aujourd'hui, des directives
anticipées ; qui, vingt ans plus tard, est victime d'un accident et
qui, alors même qu'elle a pu oublier l'existence de ces directives, dit
avant d'entrer dans la salle d'opération, à sa personne de
confiance : « Je veux vivre ». Il faut laisser une
place à la volonté du patient, à sa dernière
volonté. Avec mon amendement, seules des directives « dont la
validité n'est pas contestée » auraient vocation à
être mises en oeuvre.
Pour améliorer, autant que faire se peut, la mise
à jour des directives anticipées, je proposerai également
un amendement précisant que le décret en Conseil d'État,
qui fixe notamment les conditions de conservation des directives
anticipées, devrait également prévoir un rappel
régulier, à la personne qui a enregistré ses directives
anticipées dans le registre national, de l'existence de celles-ci. Alors
que l'on oblige les banquiers à fournir des informations annuelles sur
l'engagement de caution, cela me semble une mesure minimale.
Il existe aussi un risque de voir la volonté du patient
entravée par des conditions de mise en oeuvre des directives
anticipées trop restrictives. La rédaction de directives
anticipées est un exercice complexe, a fortiori pour une
personne qui n'est pas atteinte d'une affection grave. Il est donc
excessivement contraignant d'imposer que, pour s'appliquer, celles-ci aient
à viser précisément les circonstances de la fin de vie du
patient. Une telle disposition risquerait de priver d'efficacité les
directives anticipées, qui seraient écartées dans de
nombreux cas, ce qui semble contraire à l'objectif poursuivi par le
texte, qui entend en renforcer l'utilisation en leur conférant un
caractère contraignant.
Par ailleurs, la commission des affaires sociales a
prévu que le médecin, avant l'application de toutes directives
anticipées, devra consulter un collège composé de
1'ensemble de 1'équipe soignante, de la personne de confiance ou,
à défaut, des membres de la famille ou des proches qui le
souhaitent. On aurait pu estimer que lorsque les directives anticipées
sont valides et qu'elles ne posent pas de difficultés
particulières au regard de la situation médicale du patient, il
n'est peut-être pas justifié de soumettre l'expression de cette
volonté à un examen par ce collège. Vous
apprécierez.
Concernant la personne de confiance, je m'interroge sur la
rédaction retenue par la commission des affaires sociales concernant la
valeur du témoignage de la personne de confiance. La parole de la
personne de confiance prévaudrait ainsi « sur tout autre
élément permettant d'établir la volonté du patient
à l'exclusion des directives anticipées », alors que le
texte issu des travaux de 1'Assemb1ée nationale ne la faisait
prévaloir que sur les autres témoignages, ceux de la famille et
des proches, le plus souvent. D'où mon amendement à l'article 9,
qui rend, comme l'avait prévu l'Assemblée nationale, une valeur
plus limitée au témoignage de la personne de confiance.
Enfin, 1'article 8 de la proposition de loi permet aux
personnes qui font l'objet d'une mesure de protection juridique, quelle qu'elle
soit, de rédiger des directives anticipées sur autorisation du
juge ou du conseil de famille s'il a été désigné.
Il convient, à mon sens, de limiter 1'application de ce dispositif aux
seules personnes placées sous tutelle, sachant que dans les autres cas,
comme celui de la curatelle, les personnes peuvent actuellement rédiger
de directives anticipées librement. Je vous proposerai également,
à l'article 9, de prévoir les mêmes conditions pour la
désignation, par les personnes sous tutelle, d'une personne de
confiance.
Tels sont les quelques éléments de
réflexion que je vous soumets.
M.
Philippe Bas, président. - Je
remercie notre rapporteur, qui fait preuve, comme à l'accoutumée,
d'une grande honnêteté intellectuelle et d'un sens de
l'éthique marqué par le souci de rester fidèle à la
diversité de nos points de vue. Il s'est agi pour vous, ainsi que vous
l'avez souligné, d'éclairer le débat par des
éléments de réflexion, dont vous avez traduit certains
sous forme d'amendements.
M.
Yves Détraigne. - Je remercie à mon tour notre
rapporteur de sa position nuancée et équilibrée. Ce sujet
touche de près à l'humain et il est éminemment
difficile d'avoir des certitudes. Aussi je m'interroge. Ce texte va-t-il
améliorer les choses ou bien au contraire, comme souvent lorsque l'on
entreprend de sophistiquer une procédure en prévoyant tous les
cas de figure, ne risque-t-il pas de compliquer les prises de décision
et d'ouvrir la voie à des contentieux, au risque d'aggraver les
souffrances de familles souvent déchirées, comme
l'actualité récente l'a encore montré ?
M.
Jean-Jacques Hyest. - À mon tour de féliciter
François Pillet de sa réflexion et de l'approche juridique qui a
été la sienne. Car si nous sommes saisis de ce texte, c'est bien
parce qu'il touche à des questions juridiques d'importance.
Faut-il ou non légiférer ? Je ne vais pas
rouvrir ici le débat, mais la loi Leonetti me paraissait
équilibrée pour autant qu'elle s'accompagnait d'une vraie
politique de soins palliatifs. N'est-ce pas parce que cette condition n'a pas
été mise en oeuvre que nous sommes amenés à
légiférer de nouveau ? Si tel est le cas, cela pose, en
effet, problème.
La sédation profonde est une pratique qui existe
déjà, mais lier cet acte à l'arrêt de l'hydratation,
de l'alimentation et de l'assistance respiratoire, c'est entrer, comme vous
l'avez dit, dans tout autre chose. Sans rémission. Pour moi, vos
propositions apportent des précisions importantes. La
médiatisation de l'affaire Lambert, venue après beaucoup
d'autres, montre assez que plus on légifère, plus on ouvre de
motifs de contentieux. Je n'en dirai pas plus sur ce que je pense, sur le fond,
de ce texte, mais c'est bien parce qu'il aura sans nul doute ses effets, jusque
peut-être dans les maisons de retraite, que les amendements de notre
rapporteur sont bienvenus.
M.
Pierre-Yves Collombat. - Je m'associe à ces louanges.
Le sujet est plus que délicat. Si l'on fait une loi nouvelle parce que
la précédente, avec sa politique de soins palliatifs, n'a pas
été mise en oeuvre, ce serait, en effet, fâcheux. S'il y a
eu échec, faut-il l'imputer au manque de moyens ou au fait que la
façon de traiter le problème ne répondait pas totalement
à la question ? La sédation profonde, la cessation des
traitements de maintien en vie ne sont-ils pas une façon de laisser la
mort arriver plutôt que de la donner ? Car c'est bien cela qui fait
le fond du débat.
Ce texte apportera des améliorations sur certains
points, mais il laisse de côté un aspect du problème. Que
se passera-t-il pour quelqu'un qui n'est pas en toute fin de vie mais se sait
atteint d'une affection incurable et fait le choix de disparaître ?
Dans d'autres pays, on lui en laisse la possibilité. Quand la seule
liberté qui reste à quelqu'un est de choisir sa mort, peut-on
faire quelque chose pour lui ? La réflexion aurait
mérité de prendre en compte le cas d'une volonté ainsi
exprimée en pleine conscience - ce qui veut dire aussi qu'elle peut
à tout moment être modifiée. Or, ce texte, comme la loi
Leonetti, dans le prolongement de laquelle il se situe, laisse cette question
de côté.
M.
Alain Anziani. - Je salue à mon tour le travail du
rapporteur, plein d'intelligence et de sensibilité. Il a centré
sa réflexion sur la volonté exprimée du patient. Mais il
existe, et je rejoins en cela Pierre-Yves Collombat, d'autres cas. Je pense
également à celui du patient qui ne peut pas exprimer sa
volonté, sans doute définitivement. Or, certains choix de
rédaction peuvent poser des difficultés. Je pense à
l'article 2, qui prévoit que lorsque les actes de maintien en vie
« apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont
d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être
suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la
volonté du patient et à l'issue d'une procédure
collégiale ». Dès lors que ce
« et » est inclusif, qu'en sera-t-il du patient qui ne peut
exprimer sa volonté ? Il me semble également que l'article 4
comporte une contradiction, puisque tout en visant, à
l'alinéa 4, le cas du patient hors d'état d'exprimer sa
volonté, il précise, à l'alinéa 6, que la
sédation profonde et continue est mise en oeuvre « à la
demande du patient ».
M.
Jacques Mézard. - Nous avons tous conscience que sur
un tel sujet, toutes les opinions méritent respect. Il touche au
problème le plus personnel qui puisse être, au point qu'il est
éminemment difficile de lui trouver une réponse collective.
L'espérance de vie a évolué, et la
question, tant sociologiquement que techniquement, ne se pose pas dans les
mêmes termes qu'il y a quelques décennies. Notre groupe, où
a longtemps siégé Henri Caillavet, avait déposé une
proposition de loi sur la fin de vie. Personnellement, je suis satisfait de
voir nous arriver ce texte, issu de la collaboration de deux
députés qui ont travaillé ensemble non pour rechercher un
compromis, parce que le mot, sur cette question, n'a aucun sens, mais dans la
conscience que les problèmes auxquels chaque famille est un jour
confrontée sont devenus, avec l'évolution des techniques
médicales, encore plus douloureux. On peut avoir des idées de
principe, mais lorsque l'on est confronté au réel, on peut aussi
changer d'avis du tout au tout. Ce qui me semble essentiel, en l'occurrence,
c'est l'expression de la volonté, sur laquelle notre rapporteur a,
à juste titre, porté l'accent. Surtout quand elle change, et
encore plus quand on ne peut plus l'exprimer de manière
cohérente. Ce texte fait, de ce point de vue, progresser les choses, et
si ses termes restent dans un certain flou, c'est qu'il ne peut pas en
être autrement.
De la loi sur le renseignement, je disais qu'elle avait
l'avantage, parmi beaucoup d'inconvénients, d'entourer d'un cadre
légal des pratiques qui ont déjà cours. Sans pousser
au-delà la comparaison, ne soyons pas aveugles à ce qui se passe
dans les Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes
âgées dépendantes), dans les hôpitaux, dans les
familles. Il est clair que les réponses sont tellement personnelles que
nous n'arriverons jamais à une position commune, mais essayons de
respecter au plus près la volonté de chacun.
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - Faut-il à nouveau légiférer ?
La loi va-t-elle améliorer la situation ? Je rappelle, pour
commencer, que l'on ne fait pas ici le procès d'une loi qui aurait
été mal pensée. C'est une loi qui n'a pas
été suffisamment appliquée. Les soins palliatifs ne sont
pas assez développés en France. Ce n'est pas seulement une
question de moyens, mais d'approche. Par une sorte de mésestime, on
dédaigne la formation aux soins palliatifs, alors même que ce sont
des soins qui, comme je l'ai souvent entendu, sont complémentaires du
traitement avec lequel ils se mettent en place. Or les médecins
généralistes n'y sont pas formés ; ils en ignorent
les objectifs et les techniques. Alors que l'on crée, pour lutter contre
la désertification dans nos territoires, des maisons pluridisciplinaires
de santé, ne serait-il pas utile de prévoir qu'au moins un
médecin au sein de ces structures y soit sensibilisé ?
La loi ne réglera pas tous les problèmes. Elle
va apporter des garanties supplémentaires quant à la recherche de
la volonté du malade, mais elle ne préviendra pas tous les
contentieux. Imaginez quelqu'un qui, victime d'un accident de la circulation,
se trouve dans le coma. S'il n'a pas donné de directives
anticipées, n'a pas désigné de personne de confiance et
que ses proches sont divisés, la loi ne résoudra pas le
problème. Si le médecin estime qu'on en est arrivé
à une situation d'acharnement thérapeutique, il pourra
interrompre les soins, mais on n'échappera pas à de possibles
contentieux. Aucune loi ne peut les prévenir entièrement, et
celle-ci pas plus qu'une autre.
Si la loi telle que l'a voulue le législateur en 2005
avait été appliquée, et les soins palliatifs
développés, il n'aurait peut-être pas été
nécessaire de réfléchir à un nouveau texte.
La question des maisons de retraite a également
été évoquée. Ce sont des situations que je connais
bien, pour avoir été président d'un Ehpad. Quand, en
pleine nuit, une personne qui se trouve dans un état quasi
végétatif est prise d'un problème respiratoire, qu'il n'y
a pas d'infirmière, pas de médecin qui puisse se déplacer,
on l'envoie directement aux urgences. Il est sûr, dans ce cas, que son
agonie sera douloureuse. Si, avec cette loi et pour peu qu'existent des
directives anticipées, le médecin de l'Ehpad peut décider,
en en prenant la responsabilité, qu'il n'envoie pas aux urgences et
traite la douleur, est-ce que ce sera plus humain ? À chacun d'en
décider. En n'oubliant pas que plus personne ne meurt chez soi.
J'en viens à la grande question qu'a soulevée M.
Collombat. Fallait-il aller jusqu'à l'extrême forme de
l'expression de la volonté ? La question n'a pas été
oubliée : cette solution a été écartée.
C'est un choix. Et qui relève de la conscience de chacun.
La procédure collégiale, Monsieur Anziani, est
nécessairement mise en oeuvre lorsque le patient ne peut pas faire
connaître sa volonté.
La mort de chacun se traite aussi, comme je l'ai entendu au
cours des auditions, dans ce que l'on appelle le bien vivre ensemble. Tout le
débat est là. L'agonie ne sert à rien ? Tout est dans
le point d'interrogation : si vous faites de l'assertion une
interrogation, vos réflexions ne seront pas terminées.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article 2
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - Il me semble qu'il convient de respecter la
volonté du patient de suspendre ou de ne pas entreprendre un traitement.
Mon amendement LOIS.1 vise donc à limiter le recours à la
procédure collégiale aux seuls cas où le patient est hors
d'état d'exprimer sa volonté.
M.
Philippe Bas, président. - Vous
rendez en somme explicite ce qui restait implicite.
L'amendement LOIS.1 est adopté.
Article 3
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - Mon amendement LOIS.2 est important ; il vise
à assurer le respect de la volonté du patient. Je précise
que j'ai rencontré les rapporteurs de la commission des affaires
sociales pour leur soumettre l'état de mes réflexions ; il
est apparu qu'un accord pourrait intervenir sur certains points, mais celui-ci
est débattu. L'article 3 consacre le droit du patient en fin de vie
à bénéficier d'une sédation profonde et continue
jusqu'à son décès lorsqu'aucun traitement ne permet de
soulager sa douleur. Il impose, en revanche, que cette sédation soit
accompagnée de l'arrêt de tous les traitements de maintien en vie
- alimentation, hydratation, respiration artificielle. Mais lorsque le
patient est conscient, cette décision ne doit-elle pas lui
revenir ? Étant entendu que cela n'influe que sur le temps :
la sédation durera sans doute un peu plus, mais au moins, le patient
n'aura pas le sentiment de mourir de faim, de soif ou d'étouffement. Il
est difficile de s'accorder, car la technique médicale influe beaucoup,
en ce domaine, sur la décision de chacun - bien que je n'ai pas
rencontré beaucoup de certitude, chez les médecins, sur leurs
techniques...
M.
Yves Détraigne. - Votre amendement vise à
insérer les mots « , sauf si le patient s'y oppose »
après le mot « et ». Mais il y a deux fois le mot
« et » dans cet alinéa ; il faudrait
préciser.
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - En effet. Je rectifie l'amendement pour préciser
que c'est après les mots « analgésie et ».
M.
Jean-Jacques Hyest. - Il est assez extraordinaire de
considérer que l'hydratation et l'aide respiratoire sont des
traitements. Il est clair que sans sédation, leur arrêt provoquera
d'horribles souffrances chez le malade. Mais c'est bien pourquoi lier les deux
actes me gêne beaucoup. Cela change totalement la nature du projet, et
même des directives.
M.
Philippe Bas, président. - Le
président Hyest a, me semble-t-il, raison. Vous avez
évoqué, tout à l'heure, les différentes
hypothèses de recours à la sédation. Quand le malade est
à l'agonie et que malgré un recours à toute
l'échelle des soins palliatifs, la souffrance reste réfractaire,
la sédation profonde, si elle peut avoir pour effet d'abréger le
nombre d'heures qui restent au patient à vivre, est plus aisément
justifiable que dans d'autres cas. Elle n'est au fond que l'étape ultime
de l'application du droit aux soins palliatifs. Le cas dont nous discutons est
plus complexe. Il faut admettre une réponse positive à plusieurs
questions difficiles avant d'accepter de lier l'arrêt de l'alimentation,
de l'hydratation et de la respiration artificielle et le droit à la
sédation profonde. Il faut admettre, alors, qu'il s'agit de
« traitements ». Ce saut a été
opéré par le juge. Dès 2009, le Conseil d'État a
estimé, dans son rapport, qu'il fallait englober dans la notion de
« traitement » ces trois soins supplétifs. Il a
confirmé cet avis par jugement, dans l'affaire Vincent Lambert. Le droit
positif actuel englobe donc ces soins de suppléance vitale dans la
catégorie des traitements. Le législateur pourrait retenir une
réponse différente, mais à supposer qu'il admette ce
point, il reste que la nature du geste médical n'est plus la même
que dans le premier cas. L'ordre des facteurs peut même s'inverser :
c'est parce que l'on décide d'arrêter les traitements de
suppléance vitale, ce qui va entraîner la mort, mais une mort
horriblement douloureuse, que l'on applique la sédation. La loi, dont on
a souvent dit que sa visée était de rendre effectif le droit aux
soins palliatifs, ne traite plus là de la même question que
précédemment. Elle opère un saut, dont il revient ici
à chacun de se demander s'il faut l'opérer.
M.
Jean-Jacques Hyest. - On sait où mènent les
sauts successifs...
M.
Pierre-Yves Collombat. - On revient à ce que je disais
tout à l'heure. Le fond du débat est bien là :
peut-on accepter un acte qui entraîne la mort ? On apporte ici une
réponse sans l'apporter, et selon des modalités, qui plus est,
discutables. Le rapporteur nous dit que la réponse est individuelle. Pas
seulement, c'est aussi un problème éminemment politique.
Qu'est-il acceptable de faire quand une personne demande, en toute conscience,
une assistance pour mourir ?
M.
Jacques Bigot. - Je comprends mal le sens et la portée
de cet amendement. Nous sommes ici dans l'hypothèse où le malade
peut exprimer sa volonté. Je conçois mal qu'il puisse demander
à la fois la sédation et la poursuite de soins de maintien de
vie. À moins que ces soins ne soient conçus comme un simple
accompagnement de la fin de vie. On veut ici aller trop loin ; la loi ne
peut pas tout faire. Tout tient ici dans l'échange entre le malade et le
médecin, qui apportera son conseil. Le juriste doit rester, en ce
domaine, d'une humilité absolue.
M.
Philippe Bas, président. - Je pense
que ce que vise l'amendement, c'est à changer profondément le
sens de ce qu'ont retenu l'Assemblée nationale et la commission des
affaires sociales, qui ont rendu indissociable l'exercice du droit à la
sédation profonde et l'arrêt des traitements de suppléance
vitale - air, eau, aliments. Notre rapporteur les dissocie. Oui, il existe
un droit à la sédation profonde pour vaincre la douleur, mais il
n'a pas à être obligatoirement assorti d'une rupture de
l'alimentation en eau, en air, en aliments. Voilà, je crois, ce que veut
signifier l'amendement.
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - Votre analyse est parfaitement juste. Il est vrai que
l'hypothèse sera peut-être extrêmement rare, mais le souci
qui m'anime est de préserver à tout prix la volonté du
patient. Que demande-t-il ? À ne plus souffrir. Les praticiens ne
sont pas tous d'accord entre eux. Quand l'un procède à la
sédation en maintenant l'hydratation, un autre lui objecte qu'il
prolonge, ne fût-ce que de 24 heures, la vie que le malade veut quitter.
Mais est-on sûr que l'on respecte ainsi la volonté du malade, qui
se résignait peut-être à mourir de sa maladie, mais pas
d'autre chose ? Dans les faits, l'hypothèse où un malade
demande la sédation avec maintien des soins sera sans doute rare. Le
médecin les maintiendra-t-il jusqu'au terme ultime ? Ce sera de sa
responsabilité.
On ne peut pas vouloir respecter au plus près la
volonté du malade, dans la limite des critères de recours
à la sédation profonde que j'ai rappelés, et ne pas lui
permettre d'exprimer celle-là.
M.
Alain Anziani. - Ce débat apporte de nombreux
éclaircissements mais aboutit à une conclusion qui me choque
profondément, parce qu'elle crée deux catégories de
patients. Ceux qui peuvent s'exprimer seront écoutés, mais ceux
qui ne le peuvent pas seront condamnés à la souffrance, parce
qu'ils n'auront pas pu dire qu'ils n'en veulent pas. Il faut aller jusqu'au
bout et se poser la question que posait Jean-Jacques Hyest. Est-il vraiment
nécessaire d'interrompre les traitements de suppléance vitale, et
ne peut-on se contenter de recourir à une sédation profonde ?
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - Le 2° de l'article 3 répond à votre
interrogation : « lorsque le patient est hors d'état
d'exprimer sa volonté et sauf si ses directives anticipées s'y
opposent, dans le cas où le médecin arrête un traitement de
maintien en vie au titre de l'obstination déraisonnable et que la
souffrance du patient est jugée réfractaire »,
il est procédé à une sédation profonde et continue.
Mme
Jacqueline Gourault. - Mais avec arrêt des traitements.
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - En cas d'obstination déraisonnable, oui.
Après avis collégial.
M.
André Reichardt. - Il me semble, au contraire, qu'il y
a une contradiction entre votre amendement et cet alinéa. Vous voulez
que le patient qui demande une sédation puisse s'opposer à
l'arrêt des traitements supplétifs mais il est clair, à la
lecture de cet alinéa, que le patient qui n'est plus en état
d'énoncer sa volonté verra inéluctablement ces traitements
interrompus.
Mme
Catherine di Folco. - Je vais mettre les pieds dans le
plat : je vois mal la différence entre « sédation
profonde et continue associée à une analgésie et un
arrêt des traitements » et euthanasie, mot que personne n'ose
ici prononcer. Un médecin à qui je m'en ouvrais me disait qu'en
effet, la seule différence est dans la durée. L'amendement du
rapporteur me semble appréciable, parce qu'il rompt ce lien
problématique.
M.
Jean-Pierre Sueur. - Ce que vous dites devrait conduire
à refuser le texte dans son ensemble. Pour moi, je suis d'accord avec la
logique du texte, mais mal à l'aise, monsieur le rapporteur, avec votre
amendement. Quelqu'un qui demande la sédation profonde demande à
mourir et il me semble que cela implique l'arrêt d'un certain nombre de
traitements.
M.
Pierre-Yves Collombat. - Ce qui est contradictoire, c'est de
prévoir ce qui est, en effet, une forme d'euthanasie, mais en retenant
la procédure qui fera souffrir le plus. On ne veut pas aborder le
problème en face : peut-on aider quelqu'un à mourir ?
Moyennant quoi on préfère attendre que la mort vienne en le
déshydratant, en l'asphyxiant ? Il y a tout de même des
méthodes plus humaines. La proposition du rapporteur ne résout
pas, en effet, le problème que soulevait Alain Anziani, mais elle vaut
déjà un peu mieux.
M.
Philippe Kaltenbach. - Tout est question de temps. En combien
de temps vient la mort une fois la sédation profonde
engagée ?
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - On ne peut pas le dire.
Mme
Esther Benbassa. - Je suis d'accord avec ma
collègue : le mot d'euthanasie nous fait peur. Nos convictions
religieuses sont également en jeu. Avec la sédation profonde, on
pense aussi au confort de la famille, pour laquelle une euthanasie active, qui
raccourcit le temps de la mort, pourrait être traumatisante.
Il ne s'agit pas ici de rester dans la théorie et de
nous gargariser de mots, mais bien de trouver des solutions pragmatiques pour
que ceux qui veulent en finir ne souffrent pas ; des solutions, aussi,
pour ceux qui ne peuvent pas s'exprimer - on a vu, avec l'affaire Lambert, tout
ce qui pouvait être en jeu dans de telles situations. Imaginez quelqu'un
qui, victime d'un accident, n'aurait pas donné de directives
anticipées ni désigné une personne de
confiance ; s'il n'a pas de famille, de surcroît, sera-t-il
condamné à végéter indéfiniment ? Nous
devons voter un texte clair, qui n'oblige pas nos concitoyens qui veulent en
finir dans la dignité à aller en Suisse payer pour mourir.
M.
Didier Marie. - On peut, sans être médecin,
parler tout de même d'expérience. Dans la sédation
profonde, le corps réagit différemment selon sa constitution. Le
terme arrive très vite dans certains cas, moins vite dans d'autres. Je
souscris pleinement à l'amendement du rapporteur, car je
considère que c'est au médecin de décider ce que doit
être l'accompagnement destiné à éviter la douleur.
Je pense en particulier à l'assistance respiratoire. Dans le cas auquel
je pense, il est clair qu'elle a permis à la personne concernée,
qui avait voulu la sédation, de ne pas souffrir. Lier, comme le veut la
commission des affaires sociales, la sédation à l'arrêt de
toute assistance serait prendre le risque d'amplifier la douleur, au contraire
de ce que l'on recherche. Laissons, comme le disait Mme Benbassa, un peu de
pragmatisme dans tout cela : les médecins ont toute qualité
pour juger des soins d'accompagnement nécessaires.
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - Cette dernière intervention est éclairante.
Je veux ici rappeler que la sédation ne tue pas ; elle n'est pas
faite pour cela, mais pour empêcher de souffrir. C'est une
anesthésie. L'hypnovel, qui est le médicament utilisé dans
ce cas, ne tue pas. Joël Schumacher a été placé sous
sédation profonde, mais il a été maintenu en vie parce
qu'il n'était pas en fin de vie. Ce qui tue c'est la fin de vie, ce
n'est pas la sédation profonde. C'est aussi pourquoi il nous faut bien
distinguer les cas où il y aurait « obstination
déraisonnable » - ce que le langage courant
désigne par acharnement thérapeutique.
Notre collègue a clairement illustré le
problème. Mon amendement ne règle pas tout, mais il a le
mérite de se concentrer sur la volonté du malade en fin de vie,
qui est au premier chef de ne pas souffrir.
Mme
Jacky Deromedi. - Le sujet nous concerne tous, quelquefois
personnellement. Je voulais simplement apporter une précision. Nous
devons être attentifs aux décisions qui pourraient être
prises, dans le cas d'un malade sous tutelle ne pouvant s'exprimer, par le
tuteur, qui n'est rémunéré, il ne faut pas l'oublier, que
jusqu'à la mort de la personne dont il assure la tutelle...
M.
Jacques Bigot. - Je comprends mieux le sens de l'amendement.
Mais je ne suis pas sûr que la question soit ici celle de la
volonté du malade. L'objectif de la loi est d'autoriser le
médecin à arrêter les traitements de maintien en vie. Il
suffirait de retenir une expression comme « l'arrêt, le cas
échéant, des traitements ». Le malade sait qu'il va
mourir, il ne veut pas souffrir, et il demande au médecin de
l'accompagner. Telle est, en réalité, la situation. Ce qui
importe, c'est d'éviter des contentieux qui pourraient être
soulevés au motif que si le médecin a engagé la
sédation tout en maintenant les traitements, c'est que la personne
aurait pu vivre. La solution de la commission des affaires sociales n'est sans
doute pas satisfaisante, mais je ne suis pas sûr que la vôtre soit
susceptible de prévenir de tels contentieux.
M.
François Bonhomme. - Je suis pris de vertige devant
les interrogations nouvelles que soulève ce débat. Le texte
est-il susceptible d'engendrer de nouveaux contentieux entre les familles,
telle est la question que je me pose.
M.
Philippe Bas, président. - Je veux
ici rappeler que le principe de respect de la vie est à la racine de
toute organisation sociale. Qu'un juge soit appelé à intervenir
quand une décision est complexe à prendre est heureux. C'est une
régulation ultime, qui nous fait mesurer la difficulté de sa
tâche. Je ne crois pas que l'on puisse adopter aucune rédaction
qui l'évince de cette responsabilité ultime.
M.
Jean-Jacques Hyest. - Sauf si le juge se voulait
législateur...
M.
François Bonhomme. - N'alimente-t-on pas ici
l'idée que le législateur peut valablement intervenir dans ce
domaine et trouver une réponse à une question aussi lourde ?
Ne suscite-t-on pas, ce faisant, une attente sociale plus forte encore ?
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - J'indique à Mme Deromedi qu'en aucun cas le tuteur
ne peut avoir, en cette matière, voix au chapitre.
M.
André Reichardt. - Je voterai l'amendement parce qu'il
permet de dissocier la sédation profonde et continue et l'arrêt
des traitements de maintien en vie, mais il ne me satisfait pas pleinement
parce que lorsque le patient sera hors d'état d'exprimer sa
volonté, l'un et l'autre resteront liés, comme l'indique
clairement le quatrième alinéa, ce que je considère
inacceptable.
M.
Philippe Bas, président. - Dans
l'alinéa que vous visez, soit le 2° de l'article, il s'agit
d'arrêter les traitements de maintien en vie au titre de l'obstination
déraisonnable. Dans le deuxième alinéa, sur lequel vient
se greffer l'amendement, il s'agit d'autre chose : en l'état du
texte, les traitements de maintien en vie seraient interrompus alors même
qu'ils ne relèvent pas de l'obstination déraisonnable.
M.
André Reichardt. - Mais le patient inconscient n'aura
pas eu le choix. On va le déshydrater, lui couper l'oxygène. Ce
n'est pas acceptable
L'amendement LOIS.2 rectifié est
adopté.
Article 8
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - Mon amendement LOIS.3 vise à préciser que
les directives anticipées peuvent être révisées dans
les conditions prévues par décret et révoquées par
tout moyen, c'est à dire sans formalités particulières. Il
s'agit, là encore, de privilégier la volonté du patient,
qui peut changer, par exemple avant une opération.
M.
Philippe Bas, président. - Vous
affinez, en somme, la rédaction de la commission des affaires sociales
en précisant les modalités selon lesquelles les directives sont
révisables ou révocables, sans exiger un parallélisme des
formes entre l'un et l'autre cas. Si la preuve est apportée que les
directives anticipées ont été révoquées par
le patient, ce changement de volonté doit être respecté.
M.
Alain Richard. - Sur quoi portera le décret ?
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - Il prévoira un modèle, différent
selon que les directives anticipées sont prises par une personne malade
ou en pleine santé, et les conditions auxquelles celles-ci peuvent
être révisées.
M.
Alain Richard. - Vous visez les modalités formelles de
leur révision, or, le terme de « conditions » peut
renvoyer à des conditions de fond. Mieux vaudrait retenir le terme de
« modalités », et bien préciser, en
séance, que sont visées les modalités formelles de la
révision.
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - C'est juste. Je rectifie l'amendement en ce sens.
M.
Philippe Bas, président. - Vous
souhaitez également que l'on réinterroge
régulièrement l'auteur des directives anticipées ?
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - Non pas qu'on le réinterroge, mais qu'on lui
rappelle, à intervalle régulier, qu'il a déposé des
directives anticipées. Je vous proposerai un amendement en ce sens.
M.
Yves Détraigne. - Le texte précise-t-il
où doivent être déposées ces directives
anticipées ?
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - Un registre national prévu au sixième
alinéa y pourvoira. Ce registre prendra vraisemblablement la forme d'un
recueil informatique du type de ce qui est prévu pour les testaments.
L'amendement LOIS.3 rectifié est adopté.
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - Mon amendement LOIS.4 vise à préciser les
cas dans lesquels le médecin pourra ne pas appliquer les directives
anticipées rédigées par un patient. La rédaction de
la commission des affaires sociales est beaucoup plus restrictive que celle que
proposait l'Assemblée nationale : le médecin ne pourrait
plus écarter les directives anticipées qu'au regard de la
situation médicale du patient. Ce qui va jusqu'à le priver de
l'examen de leur validité.
M.
Jean-Pierre Sueur. - On commence par dire que les directives
anticipées s'imposent au médecin, pour préciser, ensuite,
que celui-ci peut ne pas les suivre s'il juge qu'elles ne conviennent pas au
regard de la situation médicale. Est-il judicieux d'ajouter, comme vous
le faites, le cas où existerait une « contestation
sérieuse » ? Ne risque-t-on pas d'ouvrir la voie à
des contentieux ? Ne serait-il pas préférable, si vous
souhaitez élargir la faculté d'appréciation du
médecin, de viser plus sobrement le cas où les directives sont
« manifestement inappropriées » ?
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - Cela donnerait en effet un peu plus de latitude au
médecin, mais si j'ai retenu les termes de contestation sérieuse,
c'est que l'hypothèse ne peut être écartée, du fait
que des directives anticipées qui auraient été prises
vingt ou trente ans auparavant resteront opposables. Le médecin doit
pouvoir prendre en compte les éléments qui lui laisseraient
penser que ces directives ne sont plus d'actualité.
M.
Jean-Pierre Sueur. - Je comprends votre argument, mais il
peut arriver, comme vient de le prouver l'actualité récente,
qu'un membre de la famille oppose une contestation radicale à un choix.
Autant je comprends que des directives ne s'appliquent pas pour une raison
médicale, autant il me paraît périlleux d'admettre qu'elles
puissent être suspendues parce que s'exprimerait une contestation
consistant à remettre en cause le fait que la volonté du malade
s'impose.
M.
Philippe Bas, président. - La
question est, là encore, extrêmement délicate. Il faut
partir de la règle fondamentale qui veut que l'arrêt des
traitements et la sédation profonde supposent un consentement libre et
éclairé du patient. On mesure par là le niveau de
l'information qui devra être délivrée au patient sur les
actes pratiqués, liés à une situation médicale
donnée, laquelle n'est pas toujours prévisible et peut
évoluer.
Dans le cas où le patient est inconscient, son
consentement éclairé ne peut plus être recueilli.
D'où les directives anticipées, prévues par la loi de
2005. On ne saurait leur donner force opposable sans tenir compte du fait
qu'elles ne pourront, par hypothèse, valoir consentement libre et
éclairé pour toutes les situations qui pourront se
présenter dans le parcours médical de leur signataire. C'est bien
pourquoi la loi de 2005 prévoyait que ces directives devaient être
prises en compte par le médecin, mais non pas qu'elles s'imposaient
à lui. Nul ne saurait formuler des directives anticipées
susceptibles de s'appliquer, sans aucune difficulté
d'interprétation, à toute situation - même si leur
auteur, au moment où il les rédige, a connaissance d'une maladie
et des circonstances dans lesquelles elle pourrait se terminer.
Je comprends donc que notre rapporteur ait souhaité que
ces directives anticipées, auxquelles ce texte donne une force juridique
nouvelle, ne s'imposent pas sans un minimum de précautions.
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - Qu'elles ne soient pas irréfragables.
M.
Philippe Bas, président. -
D'où la prise en compte de deux cas de figure : inadaptation
à la situation médicale ou contestation sérieuse de leur
validité juridique. Cela indique, d'une certaine façon, que les
circonstances dans lesquelles on se trouve n'entrent pas dans les
prévisions des directives anticipées.
M.
Jacques Bigot. - L'hypothèse d'une inadaptation
à la situation médicale doit évidemment être prise
en compte. En revanche, il me semble que si l'on adopte l'amendement à
venir du rapporteur qui prévoit un rappel permanent à l'auteur
des directives de leur existence, avec consignation au registre, les
contestations ne seront plus possibles. Sinon, on entre dans le contentieux des
témoignages, dont on connaît la complexité. Bien souvent,
le témoignage ne consiste pas en un « il a dit
que », mais en un « il aurait pensé que ».
M.
Jean-Jacques Hyest. - Je ne sais si je comprends bien la
rédaction proposée par le rapporteur, mais il me semble que ce
qui est ici visé, si j'en crois le « lorsque » qui
lie les deux propositions, ce sont les « contestations
sérieuses » touchant à la situation médicale.
Les autres seront réglées par d'autres voies. N'est-ce pas ?
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - En toute hypothèse, ce n'est pas parce qu'une
contestation sérieuse s'élèvera que ce qui est
envisagé n'aura pas lieu. Tout dépendra aussi de l'avis
collégial. Une contestation sérieuse permettra au médecin
de ne pas prendre seul la décision.
M.
Philippe Bas, président. - Le
« lorsque » qui apparaît dans l'amendement du
rapporteur, monsieur le président Hyest, n'a pas, comme le marque la
virgule, valeur de subordination à la proposition
précédente, mais à la proposition de tête. Le
médecin n'est pas tenu de se conformer aux directives dans trois
cas : soit lorsque leur validité fait l'objet d'une contestation
sérieuse, soit lorsqu'elles ne sont pas adaptées à la
situation médicale, soit en cas d'urgence vitale pendant le temps
nécessaire à une évaluation complète de la
situation médicale.
M.
Jean-Jacques Hyest. - Ce n'est franchement pas clair à
la lecture de l'amendement.
M.
François Grosdidier. - Une virgule peut vite
s'égarer. Peut-être serait-il prudent de la remplacer par un
« ou ».
M.
Pierre-Yves Collombat. - Je ne voterai pas cet amendement. Le
mieux est l'ennemi du bien. Ajouter la circonstance d'une
« contestation sérieuse » ouvre aux conjectures et
aux contentieux.
M.
Philippe Bas, président. - Il est
bien écrit que le médecin « n'est pas tenu »
de se conformer aux directives anticipées. Cela ne veut pas dire qu'il
ne s'y conformera pas.
Envisageons la situation où une famille se
déchire au chevet de l'un des siens à l'agonie et où
émerge une contestation sérieuse. Quel médecin ira se
précipiter pour procéder à l'arrêt des
traitements ? Il le fera s'il estime qu'il y a obstination
déraisonnable, en assumant, comme il le fait déjà, sa
responsabilité. Que la contestation sérieuse puisse être
considérée comme une indication pour le médecin,
susceptible de le délivrer de l'obligation qui lui est faite, me
paraît acceptable.
M.
Didier Marie. - Si par contestation sérieuse, on
entend une discussion familiale au chevet du malade en fin de vie, je ne puis
suivre. Il faut que la contestation soit solidement étayée.
De même, il serait bon de préciser ce qui
relève de l'appréciation médicale. Il ne faudrait pas que
cela permette à un médecin de ne pas respecter, en vertu de ses
convictions, les attentes du patient. Quelles garanties peuvent être
apportées pour s'assurer que l'avis médical est bien
étayé ?
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - Il faut s'en référer à la
rédaction des directives anticipées. Autant celles qui seront
rédigées sur la base du formulaire prévu par décret
seront très informatives, autant celles de quelques lignes que l'on
retrouvera dans un tiroir de table de nuit pourront prêter à
interprétation. C'est bien pourquoi il faut permettre au médecin
de recourir à l'assistance de la collégialité.
L'amendement LOIS.4 est adopté.
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - Mon amendement LOIS.5 vise à préciser les
modalités de mise en oeuvre de la procédure collégiale
utilisée pour apprécier la possibilité d'appliquer ou non
les directives anticipées. Il me semble nécessaire d'affirmer
clairement que le collège, composé de l'équipe soignante,
de la personne de confiance ou à défaut des membres de la famille
ou des proches, ne donnera qu'un simple avis. Il vise également à
préciser qu'en cas de contestation sérieuse concernant la
validité des directives anticipées au regard du dernier
état connu de la volonté du patient, le médecin ne sera
pas seul pour apprécier les différents éléments en
présence. De même que pour l'appréciation du
caractère adapté de ces directives à la situation
médicale du patient, il soumettra cette question à l'avis du
collège avant de prendre sa décision.
L'amendement LOIS.5 est adopté.
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - Dès lors que des directives anticipées
peuvent être opposables quel qu'ait été le moment de leur
rédaction, remontât-il à vingt ou trente ans, il me semble
indispensable de prendre la précaution, minime, d'en rappeler
régulièrement l'existence à leur auteur. Tel est le sens
de mon amendement LOIS.6
M.
Jean-Jacques Hyest. - Je n'ai pas d'objection mais je
m'interroge, en revanche, sur le septième alinéa de
l'article 8 : « Le médecin traitant informe ses
patients de la possibilité et des conditions de rédaction de
directives anticipées. » Il est vrai que cela se
pratique pour le don d'organes, mais le cas est tout différent.
Personnellement, si mon médecin traitant me dit que ce serait une bonne
chose que je donne des directives anticipées, je me dirai que je suis
fichu. Il faut supprimer cette proposition, ne serait-ce parce qu'elle n'a rien
à faire dans la loi, car elle n'emporte aucune conséquence
juridique.
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - Elle était dans le texte initial.
M.
Jean-Jacques Hyest. - Ce n'est pas une raison pour la
conserver.
M.
Alain Richard. - C'est une interpellation unique dans la vie
de chaque personne que ce sujet. Le premier péril, quand arrive la fin
de vie, c'est que la personne n'ait pas anticipé son choix. Alors que la
loi, en prévoyant que les directives anticipées seront
opposables, opère un vrai changement, il me paraît normal qu'elle
prévoie les conditions dans lesquelles les personnes sont
appelées à prendre ces directives anticipées. Et qui
d'autre que le médecin de famille pourrait faire ce rappel ?
D'autant que ce sont des médecins qui prendront, in fine, la
décision.
M.
Philippe Bas, président. - Il y a
plusieurs cas de figure. Dans le cas où le médecin pose un
diagnostic engageant le pronostic vital, il peut ne pas juger opportun
d'engager son patient à rédiger des directives anticipées.
D'autant que le code de déontologie, s'il fait obligation au
médecin de dire la vérité au malade en prévoit
aussi les limites, pour tenir compte de ce que le malade peut supporter. Lui
imposer d'évoquer ces directives anticipées devant tout malade
serait contraire au caractère tempéré de cette obligation
déontologique. On pourrait aussi imaginer qu'il ait à faire
connaître cette procédure par voie d'affiche, comme pour les
tarifs, mais je crains fort qu'une telle obligation ne soit rarement suivie
d'effets... Pour moi, le cabinet médical n'est pas forcément le
lieu le mieux approprié pour faire connaître cette
procédure.
M.
Yves Détraigne. - Si on charge le médecin de
délivrer cette information, cela peut en effet donner au patient le
sentiment qu'il est fichu, même si c'est faux.
Mme
Catherine Tasca. - Je rejoins les réserves
exprimées par le président Hyest. On ne respecte pas, au bout du
compte, la responsabilité du patient. L'attitude face à la fin de
vie est une question éminemment personnelle. Plus on encadrera les
choses par la loi, plus on déniera au patient son autonomie. Or, le sens
de la réforme en cours est bien, dans le prolongement de la loi
Leonetti, de reconnaître au patient sa volonté, sa
responsabilité dans la décision. Demander au médecin
d'encadrer à ce point son patient me semble contraire à cet
esprit. J'ajoute que beaucoup de gens ne rédigeront pas de directives
anticipées. Laissons à chacun son libre arbitre.
M.
François Grosdidier. - On mesure là toute la
difficulté de l'anticipation. On peut anticiper sa décision en
matière de don d'organes mais dans le cas de la fin de vie, il y a une
balance entre l'état de souffrance et l'envie de vivre. Or, comment
préjuger de sa souffrance future ?
M.
Philippe Bas, président. - Je vous
rappelle à l'amendement, qui porte sur le sixième alinéa
et a trait au rappel de l'existence de ses directives anticipées
à leur auteur.
M.
Alain Richard. - Cela aura un coût. Il est bon de le
préciser.
M.
Philippe Bas, président. - Il peut
être fait usage du mail. Le décret trouvera la bonne formule.
L'amendement LOIS.6 est adopté.
M.
Philippe Bas, président. -
Souscrivez-vous, monsieur le rapporteur, aux observations du président
Hyest sur le septième alinéa, et souhaitez-vous déposer un
amendement de suppression ?
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - La mention est sans doute mal placée et sa
formulation, qui crée une obligation pour le médecin, pourrait
être revue, mais il ne me semble pas opportun de la supprimer purement et
simplement. Les directives anticipées devront comporter des
précisions très techniques, qui ne rendent pas inutile
l'intervention du médecin. Dans 90 % des cas, on demande à
ceux qui accompagnent quelqu'un qui entre dans un Ehpad s'il a donné des
directives anticipées et désigné une personne de
confiance. Qui mieux que le médecin personnel peut y aider quand ce n'a
pas été fait ?
M.
Philippe Bas, président. -
Peut-être le président Hyest pourra prendre une initiative, s'il
le souhaite.
M.
Jacques Bigot. - Alors que l'on s'efforce, dans ce texte, de
faire en sorte que tout le poids de la responsabilité ne pèse pas
sur le seul médecin, avec cette mention, on renforce légalement
son obligation. Je rejoins le président Hyest. Les médecins, si
on leur demande leur aide, l'apporteront naturellement, et c'est plutôt
à l'ordre des médecins qu'à la loi de les inciter à
le faire.
Si l'on crée une obligation légale, où
s'arrêtera-t-on ? On peut penser que sont concernées les
personnes très âgées, celles qui sont atteintes d'une
maladie incurable, mais quid de celles, par exemple, qui conduisent
une moto, et risquent l'accident ? Va-t-on obliger les assureurs à
inscrire sur leurs contrats qu'il est souhaitable au souscripteur de prendre
des directives anticipées ? Je serais assez partisan d'un
amendement de suppression.
M.
Philippe Bas, président. -
Peut-être le président Hyest et notre rapporteur peuvent-ils se
rapprocher, pour trouver une rédaction appropriée. L'avis
médical est important dans les directives anticipées.
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - Mon amendement LOIS.7 limite l'application du
régime spécial d'autorisation prévu à l'article 8
aux seules personnes placées sous tutelle. Je m'en suis expliqué
tout à l'heure.
L'amendement LOIS.7 est adopté.
Article 9
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - Le témoignage de la personne de confiance doit
prévaloir sur tout autre témoignage, mais pas sur tout autre
élément comme une lettre ou un message enregistré. Mon
amendement LOIS.8 revient à cette version, qui était celle de
l'Assemblée nationale.
L'amendement LOIS.8 est adopté.
M.
François Pillet, rapporteur pour
avis. - Mon amendement LOIS.9 a le même objet que
l'amendement LOIS.7, pour la désignation, cette fois, de la personne de
confiance.
L'amendement LOIS.9 est adopté.
M.
Philippe Bas, président. - Merci
à notre rapporteur pour la finesse de ses analyses.
Lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale - Examen du rapport et du texte de la commission
Puis la commission procède à l'examen du
rapport de M. Philippe Kaltenbach et du texte proposé par la
commission sur la proposition de loi n° 378 (2014-2015),
présentée par M. Yannick Vaugrenard et plusieurs de ses
collègues, visant à lutter contre la discrimination à
raison de la précarité sociale.
M.
Philippe Bas, président. - Nous
examinons à présent le rapport sur la proposition de loi relative
à la lutte contre la discrimination à raison de la
précarité sociale.
M.
Philippe Kaltenbach, rapporteur. - Le nombre
de Français en dessous du seuil de pauvreté va croissant.
D'après l'Insee, il est de 4,9 millions - ou de 8,5 millions,
selon que le critère retenu est de 50 % ou 60 % du revenu
médian. Au premier trimestre 2015, 10 % de la population active
était au chômage. Enfin, la presse a révélé
hier que 20 % des enfants en France, soit 3 millions, vivent en dessous du
seuil de pauvreté.
La notion de précarité recouvre cependant de
nombreux aspects et sa traduction en droit est donc complexe. Or, pour
protéger les personnes précaires de la discrimination, ce qui est
l'objet de la proposition de loi de Yannick Vaugrenard et du groupe
socialiste, une définition juridique claire de la
précarité est indispensable.
Les personnes en situation de pauvreté ou de
précarité peuvent faire l'objet de perceptions négatives,
voire d'un traitement différent. C'est d'autant plus inacceptable que la
France a inscrit l'égalité sur le fronton de ses bâtiments
publics et dans sa devise républicaine. Pour reprendre l'expression
d'Alexis de Tocqueville, il y a en France une « passion pour
l'égalité ».
M.
Pierre-Yves Collombat. - Une passion contrariée !
M.
Philippe Kaltenbach, rapporteur. - Dans le
domaine juridique, une discrimination est une distinction fondée sur des
raisons ou des critères spécialement prohibés par la loi.
En l'espèce, bien qu'elle ait fait l'objet de nombreux rapports et
tentatives de définition, la notion de précarité reste mal
cernée juridiquement.
Dans son rapport remis en 1987 au Conseil économique et
social, Grande pauvreté et précarité économique
et sociale, le père Joseph Wresinski en proposait une
définition. « La précarité est l'absence d'une ou
plusieurs des sécurités, notamment celle de l'emploi, permettant
aux personnes et familles d'assumer leurs obligations professionnelles,
familiales et sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux.
L'insécurité qui en résulte peut être plus ou moins
étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et
définitives. Elle conduit à la grande pauvreté quand elle
affecte plusieurs domaines de l'existence, qu'elle devient persistante, qu'elle
compromet les chances de réassumer des responsabilités et de
reconquérir ses droits par soi-même, dans un avenir
prévisible. » Définition très longue et
difficilement transposable dans le droit...
La précarité est pourtant un vecteur très
fort de stigmatisation, au point que l'on utilise, dans le langage courant,
l'expression de « racisme anti-pauvre ». Selon une
enquête de l'association ATD Quart Monde, 97 % des Français
nourrissent au moins un préjugé à l'égard des plus
pauvres, 63 % jugent les minima sociaux dissuasifs pour la recherche de
travail, 51 % pensent que les pauvres ont des enfants parce que les
allocations augmentent leur pouvoir d'achat, 32 % sont d'avis que les
pauvres fraudent plus que les autres. Pour ATD Quart Monde comme pour le
Secours catholique ou le Secours populaire, ces préjugés
infondés sont source de discrimination.
En 1993, la Commission nationale consultative des droits de
l'homme soulignait que « certaines personnes sont victimes d'une
discrimination caractérisée quand tout à la fois la
responsabilité de leur situation leur est imputée, leur
passé de misère et d'exclusion leur est reproché, leur
parole est discréditée, leurs entreprises ou leurs comportements
sont dénigrés », ajoutant que « cette
discrimination sociale et politique engendre chez ceux qui la subissent des
sentiments de honte, de culpabilité et de souffrance ». Enfin,
notait la commission, « elle cultive chez ceux qui la reproduisent,
même de façon passive, une banalisation du mépris ou de
l'indifférence à l'encontre des plus pauvres ».
Le rapport rappelle les fondements juridiques de la lutte
contre la discrimination : la Déclaration des droits de l'homme et
l'article 1er de la Constitution, aux termes duquel la France
« assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens
sans distinction d'origine, de race ou de religion ». En 1994, le
Conseil constitutionnel a reconnu comme principe à valeur
constitutionnelle la sauvegarde de la dignité de la personne humaine
contre toute forme d'asservissement et de dégradation. Au niveau
international, ces fondements ont été posés dans la
Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de
discrimination raciale en 1965, le Pacte international relatif aux droits
civils et politiques de 1996 et l'article 14 de la Convention
européenne des droits de l'homme, qui interdit toute forme de
discrimination. La France a mis en place ses propres systèmes de lutte
contre les discriminations. En 1939, le décret-loi Marchandeau a
introduit dans la loi sur la presse de 1881 les infractions d'injure et de
diffamation liées à l'origine, à la race et à la
religion.
L'article L. 225-1 du code pénal retient dix-neuf
motifs de discrimination, dont la race, le sexe, l'âge, le handicap, les
moeurs, le lieu de résidence... Progressivement, la notion de
discrimination est entrée dans les autres branches du droit : le
code du travail, qui retient dix-neuf critères, le code civil.
Il existe différentes voies de lutte contre les
discriminations. La voie pénale n'est pas la plus aisée, car
l'établissement de la preuve est difficile. Au total, on ne
relève qu'une vingtaine de condamnations par an, principalement sur le
critère de l'origine ethnique ou raciale.
La proposition de loi très largement poussée par
les associations vise, en introduisant un vingt-et-unième
critère, à reconnaître symboliquement cette forme de
discrimination et à la faire reculer. Certains contestent la vocation
d'affichage et de communication du droit pénal. Cependant, on sait bien
que la pauvreté engendre un non-recours au droit. Les
bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU),
rencontrant des difficultés pour obtenir des rendez-vous
médicaux, ont tendance à renoncer à faire valoir ce
statut.
Il s'agit donc également de faire passer un message
pour faire évoluer les mentalités, dissuader les attitudes
discriminatoires et promouvoir la solidarité. Enfin, l'objectif est de
renforcer les actions de sensibilisation pour lutter contre la
pauvreté.
Au-delà de nos différences politiques, nous
constatons tous une augmentation des discriminations fondées sur la
pauvreté. Cependant, la notion de précarité sociale
utilisée dans la proposition de loi ne convient pas et son manque de
précision pourrait donner prise à des contestations devant le
Conseil constitutionnel.
Mon travail a consisté à proposer une
définition plus précise et opérante. La première
solution consisterait à choisir une définition issue du droit
international. La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948,
le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention
européenne des droits de l'homme se réfèrent à
l'origine sociale et la fortune - terme quelque peu daté et
dépourvu de portée juridique. La Cour européenne des
droits de l'homme l'a invoqué dans un arrêt de 1999 qui portait
sur un conflit relatif aux droits de chasse opposant gros et petits
propriétaires terriens : c'est dire que le terme est peu
adapté en l'espèce... De même, la notion d'origine sociale
est trop étroite et semble impliquer que l'ascenseur social ne
fonctionne plus. La notion de condition sociale est utilisée en Espagne
et au Québec mais elle ne nous convient pas non plus. Le Québec
reconnaît même un statut d'assisté social. En France, ce
concept heurterait la notion de solidarité nationale et pourrait
renforcer la stigmatisation.
Autre option : utiliser des critères
précis, à partir du seuil de pauvreté ou des minima
sociaux, mais ils introduiraient une forme de couperet. C'est pourquoi je
propose de remplacer la notion de précarité sociale par celle de
« vulnérabilité résultant de la situation
économique ». La vulnérabilité à raison
de la situation sociale ou économique est prise en compte dans le code
pénal comme condition préalable à l'infraction ou comme
circonstance aggravante.
Ainsi, la loi du 22 juillet 1992 a introduit deux
incriminations tendant à protéger les personnes en situation de
dépendance, en particulier économique, qui sont soumises à
des conditions de travail ou d'hébergement contraires à la
dignité de la personne. La loi de 2012 contre le harcèlement
sexuel retient « la particulière vulnérabilité
ou dépendance résultant de la précarité de sa
situation économique ou sociale » comme un facteur
aggravant.
Pour toutes ces raisons, je propose de remplacer dans le texte
« précarité sociale » par
« vulnérabilité résultant de la situation
économique ». Je présenterai d'autres amendements
destinés à parer au risque de censure du texte par le Conseil
constitutionnel et à lutter de manière plus opérationnelle
contre les cas les plus flagrants de discrimination à l'encontre des
pauvres ou des exclus.
La proposition de loi, que j'ai cosignée, doit
contribuer à la lutte contre la stigmatisation et encourager les
personnes en situation de précarité et d'exclusion à faire
valoir leurs droits. Le ministère des affaires sociales et de la
santé a déjà agi dans ce sens en créant un
« Rendez-vous des droits ». Nous voulons changer le regard
sur l'assistance et la protection sociale, faire en sorte que les exclus
retrouvent leur dignité et puissent se réinsérer dans la
société.
M.
Jean-Pierre Sueur. - Je vous remercie pour les
précisions apportées dans le rapport. Je salue également
le travail extrêmement fouillé réalisé par
M. Vaugrenard dans son rapport d'information. Dans sa décision du 4
mai 2012, le Conseil constitutionnel a rappelé que le principe
constitutionnel de légalité des délits et des peines exige
une définition des crimes et délits en des termes suffisamment
clairs et précis pour exclure l'arbitraire. Notre groupe votera la
proposition de loi, signée par sept des membres de la commission des
lois. Il faut cependant parer à tout effet boomerang qui ferait
reculer la cause de la lutte contre les discriminations. C'est la raison
d'être de ces amendements. La question doit être traitée
avec tout le sérieux requis.
M.
Philippe Bas, président. - C'est en
effet une question sérieuse.
M.
Yves Détraigne. - Cette proposition de loi revêt
une forte valeur symbolique. A-t-elle été assortie d'une
étude d'impact évaluant les conséquences de l'introduction
de ce nouveau type de discrimination ?
M.
Thani Mohamed Soilihi. - Ce qui pose problème dans les
discriminations, c'est la révélation de leur manifestation. Quand
bien même il y aurait peu de condamnations, nous pouvons avancer sur le
sujet, même symboliquement. L'Unicef a présenté hier un
rapport sur la pauvreté des enfants, particulièrement
révoltante. Nous ne pouvons pas l'éradiquer ; ce genre de
proposition de loi n'en reste pas moins un progrès.
M.
Philippe Kaltenbach, rapporteur. - On
protègera les personnes en inscrivant dans le code pénal que
c'est un délit de les discriminer au prétexte qu'elles sont en
difficulté sociale. Dernièrement, lors d'une visite
organisée par ATD Quart Monde au Musée d'Orsay, une famille en a
été chassée, au motif de mauvaises odeurs. Autre exemple,
certains propriétaires bailleurs refusent de prendre en compte les
revenus issus des minima sociaux. Les familles en difficultés sont de
plus en plus rejetées par la société. Il est
nécessaire de légiférer.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article unique
M.
Philippe Kaltenbach, rapporteur. - La
précarité sociale est un concept trop vague, tout le monde en
convient. Pour éviter la censure du Conseil constitutionnel, je vous
propose de retenir la notion de vulnérabilité, qui a
été validée par le ministère de la justice dans
d'autres textes. On parlait autrefois de nécessiteux...
M.
Philippe Bas, président. - ...ou
d'indigents.
M.
Philippe Kaltenbach, rapporteur. - C'est
encore plus stigmatisant. La définition que nous proposons dans
l'amendement n° COM-1 est plus solide.
M.
René Vandierendonck. - Très bien.
M.
Pierre-Yves Collombat. - Mais
« précarité sociale » est plus précis
que « vulnérabilité ».
M.
François Grosdidier. - Je dirais presque l'inverse.
À trop rebaptiser les concepts, on s'y perd. Une situation
précaire est d'abord instable, hélas les gens se stabilisent
parfois dans la pauvreté, de génération en
génération.
L'amendement n° COM-1 est adopté.
M.
Philippe Kaltenbach, rapporteur. -
L'amendement n° COM-3 prévoit d'introduire dans le code du
travail des mesures d'action positive en faveur des personnes que leur
situation économique rend vulnérables. Des mesures similaires
existent en faveur des personnes handicapées ou les habitants de
certaines zones géographiques.
L'amendement n° COM-3 est adopté.
M.
Philippe Kaltenbach, rapporteur. - La loi du
29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse ne retient que
six des vingt critères de discrimination enregistrés par la loi.
Cette loi vise essentiellement à lutter contre le racisme et
l'antisémitisme. Évitons de l'affaiblir en agglomérant les
catégories. Entre le code pénal, le code du travail et la loi de
2008, nous disposons de supports juridiques suffisants. Tel est le sens de
l'amendement n° COM-2 qui supprime l'introduction de ce
critère dans la loi du 29 juillet 1881.
L'amendement n° COM-2 est adopté.
M.
Philippe Kaltenbach, rapporteur. - Il serait
plus justifié d'insérer le critère lié à la
situation économique au deuxième alinéa de l'article 2 de
la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit
communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations,
plutôt qu'au premier. Il figurerait ainsi dans la liste recensant
l'ensemble des critères de discriminations prohibés par le code
pénal. L'amendement n° COM-4 donne plus de souplesse au
dispositif.
L'amendement n° COM-4 est adopté.
Intitulé de la proposition de
loi
M.
Philippe Kaltenbach, rapporteur. -
L'amendement n° COM-5 clarifie l'intitulé de la proposition de
loi : « proposition de loi visant à lutter contre la
discrimination en raison de la situation économique » me
semble plus parlant.
M.
Philippe Bas, président. - N'est-ce
pas un peu court ? Il faudrait préciser qu'il s'agit de
« la situation économique des plus
discriminés ».
M.
René Vandierendonck. - La formulation n'est sans doute
pas formidable, mais elle est juridiquement valable !
M.
François Grosdidier. - La connotation sociale est plus
large que la connotation économique, qui est objective. On ne pourra pas
reprocher à un propriétaire de ne pas louer son bien pour des
raisons économiques.
M.
Philippe Kaltenbach, rapporteur. - Soit.
Nous pourrions nous en tenir, pour l'intitulé uniquement, à la
version initiale : « contre la précarité
sociale ».
M.
Jean-Pierre Sueur. - C'est préférable, à
moins d'inclure dans le titre tout ce qui figure dans les amendements.
M.
Pierre-Yves Collombat. - N'y a-t-il pas un paradoxe à
supprimer la « précarité sociale » dans le
texte mais la conserver dans le titre ? Serait-ce l'effet d'une
illumination soudaine ?
M.
Jean-Pierre Sueur. - C'est l'effet d'affichage qui
prévaut.
M.
Alain Richard. - Cette proposition de loi est issue d'un
travail collectif de notre assemblée. La
« précarité sociale » ne convient pas pour
définir un délit de discrimination, mais le titre fait la
transition entre les textes existants et les nouveaux articles, qui seront
insérés - sans ce titre - dans le code pénal.
M.
Philippe Bas, président. - Nous
sommes sur le point d'ajouter un vingt-et-unième critère de
discrimination dans la loi. Notre commission remplit-elle son office en
poursuivant dans cette approche énumérative ? N'aurions-nous
pas intérêt à lancer une réflexion plus
synthétique ?
La proposition de loi est adoptée dans la
rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission
est retracé dans le tableau suivant :
Supprimer les alinéas 8 à 10 de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014 - Examen du rapport et du texte de la commission
Enfin, la commission procède à l'examen
du rapport de M. Hugues Portelli et du texte proposé par la
commission sur la proposition de loi organique n° 776 (2013-2014),
présentée par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses
collègues, visant à supprimer les
alinéas 8 à 10 de l'article 8 de
la loi organique n° 2009-403 du
15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39
et 44 de la Constitution pour tenir compte de la
décision du Conseil constitutionnel
du 1er juillet 2014.
M.
Hugues Portelli, rapporteur. - C'est par une
décision assez laconique datée du 1er juillet
2014 que le Conseil constitutionnel a validé l'étude d'impact sur
le projet de loi relatif à la délimitation des régions,
alors que la conférence des présidents du Sénat l'avait
jugée trop peu fournie pour que le texte soit inscrit à l'ordre
du jour. Réduite à sa plus simple expression, cette
prétendue étude ne disait rien de l'impact qu'une modification de
la carte des régions pourrait avoir sur les collectivités
territoriales ou sur l'emploi public. Le Conseil constitutionnel a pourtant
estimé devoir la juger suffisante au regard des seuls objectifs
poursuivis par le Gouvernement, qui ne jugeait pas devoir considérer les
effets sur l'emploi public, par exemple.
Cette proposition de loi organique présentée par
des sénateurs du groupe RDSE est l'occasion de revisiter la
définition des études d'impact, prévues dans la loi
organique de 2009 relative à l'application de l'article 39 de la
Constitution. Si ces documents se cantonnent aux aspects juridiques, droit
européen ou législation française en vigueur, le
Gouvernement estimant ne pas avoir à mentionner les effets
économiques, sociaux, environnementaux, alors révisons en ce sens
la loi organique ! Tel est l'objet de cette proposition de loi organique.
Elle pointe le rôle essentiel du Conseil
constitutionnel, qui ne s'est prononcé qu'une seule fois et de
manière extrêmement laconique sur la base de l'article 39, et qui
a donné tort à la conférence des présidents. Lors
des auditions, le Secrétaire général du Gouvernement
- qui était encore Secrétaire général du
Conseil constitutionnel il y a quelques semaines ! - a reconnu que
cette instance ne s'appesantissait guère sur l'examen des études
d'impact, faute de temps. M. Bernard Pêcheur, président de
sections au Conseil d'État, institution à l'origine du rapport de
1996, a également admis que le Gouvernement n'exerçait pas
forcément ses obligations de manière très précise,
malgré les demandes du Conseil d'État. Compte tenu de ces
pratiques, la proposition de loi organique semble bienvenue.
M. Sueur était brillamment intervenu lors de l'examen
de la loi organique de 2009, pour dire que les effets sociaux et financiers
d'un texte sont au coeur du débat parlementaire et qu'il ne revient pas
au Gouvernement de les énoncer a priori.
Je vous proposerai de compléter la proposition de loi
organique. Ainsi que l'a reconnu le président de la République
lui-même, il serait ainsi utile que les avis du Conseil d'État
soient rendus publics : prévoyons qu'ils seront annexés aux
textes présentés. Et portons à un mois le délai de
dix jours accordé à la conférence des présidents
pour se prononcer sur les études d'impact. Les amendements que le
Gouvernement dépose en cours de procédure législative et
qui modifient profondément le texte en discussion devraient, eux aussi,
faire l'objet d'une étude d'impact afin que les assemblées
bénéficient de la réflexion complète du
Gouvernement. Enfin, la procédure accélérée
gagnerait à être justifiée dans les détails
lorsqu'elle est engagée au dépôt du texte.
M.
Jean-Pierre Sueur. - À titre personnel, je continue de
défendre la même position qu'il y a quelques années ;
je suis contre les études d'impact. L'impact de la loi fait partie
intégrante de la discussion politique, un discours d'experts ne saurait
venir surplomber le débat et s'imposer comme la vérité.
Lors de la discussion d'un projet de loi sur les OGM, il y a fort à
parier que le premier intervenant dénoncera l'étude d'impact
comme fallacieuse, tandis que le suivant la réhabilitera, etc. Il est
important que le Parlement dispose de moyens d'expertise au même titre
que le Gouvernement. L'Office parlementaire d'évaluation des choix
scientifiques et techniques (Opecst) en est un. En lisant les études
d'impact, je souffre parfois pour les fonctionnaires qui ont dû
rédiger cette prose assommante. Comme artefact, toute
étude d'impact est nécessairement insuffisante. La bien-pensance
veut qu'on reconnaisse leur utilité. M. Renaud Denoix de Saint Marc
nous a même conviés au Conseil d'État pour
célébrer les études d'impact, cette grande
nouveauté qui allait résoudre tous les problèmes.
Personnellement, j'aurais volontiers souscrit à une proposition de loi
constitutionnelle pour les supprimer.
Ce que nous propose M. Mézard, c'est de maintenir les
études d'impact en les vidant de leur substance. Habile, M. Portelli
fait d'intéressantes suggestions qui modifient l'objet du texte. Ce sont
de très bonnes mesures que d'annexer les avis du Conseil d'État
ou d'obliger le Gouvernement à motiver la procédure
accélérée, mais je souhaite beaucoup de courage à
notre rapporteur pour les faire prospérer. Une étude d'impact
à chaque fois que le Gouvernement déposera un amendement :
comment pourrait-on fonctionner ainsi ? Cela provoquera la paralysie et
pour de mauvaises raisons. Ce qui compte, c'est le débat parlementaire.
M.
Pierre-Yves Collombat. - Je félicite le rapporteur
pour cet exposé synthétique. M. Sueur réussit le tour de
force d'être contre la proposition de loi organique tout en se
prononçant pour la suppression des études d'impact. Nous
connaissons son habileté. Un certain nombre d'angelots viennent
surcharger l'église constitutionnelle. S'ils ne servent à rien,
mieux vaut les supprimer. Les études d'impact qu'on nous présente
n'ont aucune espèce d'intérêt. La dernière en date,
qui est l'origine de la proposition de loi organique, était
scandaleusement vide. La plupart d'entre elles se résument à
justifier les réformes et à décrire leurs
conséquences. Rien d'autre. On nous explique la réforme
territoriale sans nous montrer en quoi elle contribuera à produire les
20 milliards d'économies annoncées initialement - et qui ont
disparu depuis... Enfin, concernant les avis du Conseil d'État ou la
motivation de la procédure accélérée, je crois
qu'il faut effectivement mettre à profit ce texte pour porter de telles
demandes.
M.
François Grosdidier. - Nous regrettons tous l'excessif
enrichissement législatif. Nous ne mesurons pas toujours l'impact des
dispositions législatives que nous adoptons. Le Parlement gagnerait
à être davantage éclairé sur les conséquences
de ses décisions, dans tous les domaines qui en sont affectés par
ricochet. C'était la grande idée du président Chirac que
d'introduire des études d'impact avant toute nouvelle loi. La logique
dans laquelle s'inscrit cette proposition de loi organique est pour le moins
surprenante : elle supprime l'obligation au prétexte que le
Gouvernement ne la respecte pas et que le Conseil constitutionnel rechigne
à le rappeler à l'ordre ! Ne devrait-on pas plutôt
renforcer cette obligation ?
Toute expertise est sujette à caution.
Néanmoins, c'est grâce à elle que l'on recueille les
données objectives qui éclaireront le débat
idéologique. Depuis vingt ans que je siège au Parlement, je
constate l'inégalité qui règne entre l'exécutif et
les assemblées en matière d'expertise. Il nous faudrait des
moyens colossaux pour combler notre retard. D'où l'importance d'exiger
que l'exécutif nous fournisse des études d'impact approfondies
dans les domaines économique, sanitaire ou social. Je voterai pour la
proposition de loi organique si elle est complétée par les
amendements du rapporteur.
M.
Yves Détraigne. - Il n'y a pas lieu de
s'étonner que les études d'impact ne soient pas ce qu'on attend
d'elles. Elles sont au service du projet de loi que le Gouvernement veut faire
passer. Il y a peu de chance pour qu'elles mettent en avant les arguments
adverses...
M.
Jean-Pierre Sueur. - Elles sont forcément partisanes.
M.
Yves Détraigne. - Avons-nous, parlementaires, la
capacité de réaliser des études d'impact suffisamment
approfondies pour être parfaitement informés ? Je n'en suis pas
certain. Même imparfaites, celles de l'exécutif contribuent
néanmoins à nous informer.
M.
Philippe Kaltenbach. - Le groupe socialiste votera contre
cette proposition de loi organique, réponse absurde à une
décision jugée absurde du Conseil constitutionnel. Le rapporteur
saisit l'occasion pour reprendre des demandes légitimes, notamment sur
les avis rendus par le Conseil d'État. C'est positif. Les amendements
gouvernementaux visés par son amendement renvoient sans doute à
ceux déposés sur le Grand Paris. Il est néanmoins
difficile de demander une étude d'impact pour chaque amendement
déposé ! Depuis quatre ans que je suis parlementaire, j'ai
pu constater que, tout orientées soient-elles, les études
d'impact étaient une mine d'informations. Elles offrent en creux des
arguments pour contester ceux des gouvernements. Je suis favorable à
leur maintien, avec l'obligation de les rendre les plus complètes
possible. Nous pourrions souhaiter que le Parlement dispose de moyens
d'expertise indépendants, à l'exemple de ce qui se fait au
Congrès américain : on ne fonctionne pas ainsi en France. Ne
jetons pas le bébé avec l'eau du bain.
M.
Pierre-Yves Collombat. - Pour être utile,
l'étude d'impact doit avoir un contenu. Il ne serait pas plus mal
qu'elle soit objective, mais nous savons faire la part du feu. Ce n'est
manifestement pas le cas, le summum ayant été atteint
avec la réforme territoriale. Or qui peut peser sur le Gouvernement,
hormis le Conseil constitutionnel ? Si le juge constitutionnel accepte
l'inacceptable, nous sommes voués aux faux-semblants.
M.
Hugues Portelli, rapporteur. - La
proposition de loi organique ne supprime qu'une partie de l'étude
d'impact. Elle conserve l'évaluation du projet de loi au regard du droit
européen et de la législation en vigueur, ainsi que les
modalités d'application dans le temps et pour l'outre-mer. L'avis du
Conseil d'État évalue les projets de loi. De plus, on conserve la
rubrique sur les suites données à l'avis du Conseil
économique, social et environnemental.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Articles additionnels avant l'article
unique
Les amendements nos COM-1 et COM-4 sont
adoptés.
Articles additionnels après l'article
unique
L'amendement no COM-2 est
adopté.
M.
Hugues Portelli, rapporteur. - L'amendement
n° COM-3 prévoit que les amendements du Gouvernement apportant une
modification substantielle au texte sont déposés avant
l'ouverture du débat en séance publique et font l'objet d'une
étude d'impact préalable.
M.
Jean-Pierre Sueur. - J'émets le voeu que M. Portelli
devienne membre du Gouvernement dans un avenir proche. J'examinerai avec
intérêt depuis les bancs du Sénat la manière dont il
appliquera son propre amendement.
M.
François Grosdidier. - Je préfèrerais
qu'il soit au Conseil constitutionnel pour faire respecter les lois.
L'amendement n° COM-3 est adopté.
Intitulé de la proposition de loi
organique
L'amendement n° COM-5 est adopté.
La proposition de loi organique est adoptée dans la
rédaction issue des travaux de la commission.
La réunion est levée à 12 h 45
Le sort des amendements examinés par la commission
est retracé dans le tableau suivant :