PARTI TRAVAILLISTE

KANAKY

lundi 8 juin 2015

Miracle à Matignon ?

Ni dans les états-majors à Nouméa, ni dans les ministères à Paris. Pourtant, ce Comité des signataires extraordinaire jette les bases d’une solution partagée, tant sur la liste du référendum que sur celles des provinciales.

Les longues heures d’échanges à Paris ont permis aux uns et aux autres de s’écouter et de se rapprocher. Pourvu que ça dure.
Les longues heures d’échanges à Paris ont permis aux uns et aux autres de s’écouter et de se rapprocher. Pourvu que ça dure.

Près de treize heures d’échanges, « parfois rudes, souvent profonds, toujours sincères ». L’avertissement de Manuel Valls exigeant qu’on en sorte une bonne fois pour toutes, que l’on crève l’abcès, a porté ses fruits. Les partenaires ont pris le temps d’aller au fond des choses, de se livrer mutuellement leur état d’esprit, leurs craintes, leurs rancœurs, ils se sont longuement rappelé leurs aspirations et leurs concessions lors de la préparation des Accords de Matignon, il y a 27 ans, mais aussi lors de celle de l’accord de Nouméa il y a 17 ans.
Et, comme il y a presque trois décennies dans le huis clos de Matignon, une sorte de miracle s’est produit. Indépendantistes et loyalistes sont ressortis, épuisés, mais souriants, et surtout avec un accord sur les trois points de l’ordre du jour liés aux listes électorales.

Spirituelle. C’était inespéré. Un miracle qui a fait dire au diacre Roch Wamytan que « l’esprit était descendu sur Paris », quand d’autres y ont vu la force spirituelle de Nidoïsh Naisseline souffler une ultime fois sur l’assemblée. Pour les observateurs, un autre fait révélateur a été significatif : pas un responsable politique calédonien n’a dit du mal de son voisin. Pas même les loyalistes entre eux !
Au contraire, ont été saluées la capacité de chacun à définir les bases d’une analyse politique partagée et « la volonté de faire un pas vers l’autre ». Tout a été posé sur table, sans tabou. « On s’est dit les choses », rapporte Gaël Yanno. De nombreux Internautes se sont étonnés sur notre site (www.lnc.nc) de l’incapacité des politiques à dialoguer entre eux à Nouméa, alors que tout a semblé si évident à Paris.

Rocardienne. Le discours avertissement particulièrement direct du Premier ministre, Manuel Valls, lors de l’ouverture du Comité ainsi que sa posture rocardienne - « Prenez tout le temps qu’il faudra pour sortir de cette journée avec un accord » - ont incontestablement joué. A l’image de Pierre Frogier qui se félicite « d’un esprit vraiment constructif », tous les partenaires suppliaient depuis des mois l’Etat de « prendre ses responsabilités sans forcément prendre parti ». Manuel Valls l’a fait.
A l’issue de cette journée marathon, le Premier ministre a constaté que « l’état d’esprit des accords de Matignon et de Nouméa soufflait toujours ». Philippe Gomès parle d’une « nouvelle volonté partagée et d’un nouvel élan à la mise en œuvre de sortie de l’accord de Nouméa », quand Roch Wamytan évoque « un vent nouveau ». Paul Néaoutyine, lui, savoure en silence.
Tout recommence aujourd’hui ? A suivre et à confirmer quand même.

Des avancées sur trois questions majeures

 ■ Inscription sur la liste référendaire
Ce fut la principale revendication de la grande manifestation organisée par les non-indépendantistes lors de la venue du président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, à Nouméa.
Ils ont obtenu satisfaction, vendredi, avec l’inscription d’office sur la liste électorale référendaire de toutes les personnes nées en Nouvelle-Calédonie et qui, ayant rempli les conditions pour voter lors de la consultation du 8 novembre 1998 sur l’accord de Nouméa, ont été inscrites sur les listes électorales spéciales des élections provinciales.
Seront également inscrites automatiquement les personnes nées en Nouvelle-Calédonie et qui ont été inscrites sur la liste spéciale pour les provinciales. Sont concernées d’autre part les personnes nées en Nouvelle-Calédonie ayant atteint l’âge de la majorité après le 31 octobre 1998, et qui ont fait l’objet d’une inscription d’office sur la liste électorale spéciale du Congrès et des assemblées de province.
Les partenaires sont également tombés d’accord pour dispenser de formalité d’inscription les personnes qui sont nées à compter du 1er janvier 1989 et ont fait l’objet d’une inscription d’office sur la liste électorale pour les provinciales, et dont l’un des parents a été admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998.
Les partenaires s’engagent à soutenir le dépôt et le vote de ces amendements au Sénat et à l’Assemblée nationale. S’il y a consensus à Nouméa, les parlementaires français devraient suivre. Sur ce premier point, la négociation politique prend le pas sur l’avis juridique et technique formulé par le Conseil d’Etat.

Les listes électorales spéciales
L’Etat a constaté un accord unanime des partenaires pour arrêter la date du 8 novembre 1998 comme curseur de la restriction du corps électoral.
Indépendantistes et loyalistes sont d’accord pour reconnaître qu’aucun droit électoral n’a pu être acquis après cette date. Ils ont ainsi déclaré solennellement leur volonté de poursuivre et de conclure dans un esprit d’ouverture réciproque le dialogue engagé ce jour.
Ce dialogue vise à procéder au règlement du litige au plus tard à la date du prochain Comité (octobre ou novembre 2015). Dans les meilleurs délais, des « experts de confiance » feront une évaluation quantitative du litige électoral. Le tout sous couvert de total anonymat. Les experts évalueront alors la part du litige concernant les inscriptions postérieures au 8 novembre 1998 (revendication majeure des indépendantistes qui évoquent des fraudes, notamment dans les communes du Grand Nouméa, tenues par des majorités non-indépendantistes) et celle des personnes installées avant 1998 (revendication des loyalistes).
Là encore, il s’agit de revenir à la démarche politique qui a présidé à l’instauration du gel du corps électoral de 2007, et de ne pas en rester à la lecture strictement juridique qu’en a faite la Cour de cassation au regard d’une rédaction peut-être mal anticipée.

Composition des commissions de révision
L’actuel projet de modification de la loi organique concocté par l’Etat prévoyait l’ajout d’un second magistrat dans les commissions administratives d’établissement des listes électorales. Ce qui faisait primer la lecture juridique des textes et de la jurisprudence qui en a découlé, sur l’application de l’esprit politique de l’accord de Nouméa et de la révision constitutionnelle de 2007, gelant un corps électoral qui n’était auparavant que glissant.
Les partenaires s’accordent pour substituer à ce magistrat doté de pouvoirs d’investigation et de décision très forts, un simple observateur spécialement qualifié et indépendant, dont le profil et le mode de désignation feront l’objet de discussions dans les prochaines semaines.

L’Etat revient

Depuis des années, les partenaires-adversaires calédoniens ne cessaient de taper sur l’Etat.
Non sans raison. Après la modification constitutionnelle de 2007, et la traduction juridique qu’en a faite la cour de cassation, toutes les incertitudes pesaient sur la composition du corps électoral des provinciales. Gelé ? Oui, mais à quel point.
Et l’affaire a nourri les suspicions de tous côtés.
Entre un Roch Wamytan affirmant que l’Etat faisait tout pour freiner la décolonisation, et des loyalistes l’accusant d’avoir jeté les bases de l’inégalité, les crispations ne faisaient que s’exacerber.
C’est devenu plus flou encore lorsque, suivant les avis du Conseil d’Etat, Paris a projeté d’instaurer l’inscription automatique des Calédoniens kanak sur la liste référendaire, et pas celle des autres personnes nées et vivant en Nouvelle-Calédonie. Ce qu’une partie de la population a pris pour une insulte.
Alors, l’Etat pyromane ? L’Etat faisant le jeu des uns contre les autres ? Sans doute pas. L’Etat simplement parfois insuffisamment attentif à l’extrême complexité, et l’extrême susceptibilité de la mosaïque calédonienne.
Il semble revenu dans la partie. Il était temps.