PARTI TRAVAILLISTE

KANAKY

vendredi 28 novembre 2014

Point de vue de François Feral sur les droits du peuple kanak

François Feral, professeur de droit public émérite (à la retraite depuis un an), directeur d’étude honoraire à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, spécialiste du droit des institutions nous donne son point de vue à la suite du colloque organisé par le Sénat coutumier fin octobre dernier avec comme thème principal :  « Pluralisme juridique et peuples autochtones : leçons de droit comparé ». François Feral travaille depuis cinq ans avec le Sénat coutumier pour approfondir la notion et surtout l’idée de peuple autochtone et donc des droits du peuple kanak. Rencontre avec ce spécialiste du droit des institutions.
« En effet ce volet d’autochtonie n’apparaît pas dans les Accords de Nouméa. Il est même évacué, il est même évité. Si les Accords de Nouméa sont un accord d’équilibre à un moment donné entre deux communautés qui se sont combattues et qui en définitive ont voulu faire un texte qui amène la paix. », selon François Feral.

Votre point de vue sur le plan de la décolonisation ? François Feral : « C’est que le compte n’y est pas ! Les kanak ne peuvent pas trouver dans les Accords de Nouméa (ADN). Ils y ont trouvé la paix mais ils n’y ont pas trouvé la totalité de leurs droits. Et c’est sur cette idée, avec le professeur Ghislain Ottis, professeur de droit à l’Université d’Ottawa que nous avons décidé d’accompagner la démarche du Sénat coutumier pour que les droits autochtones du peuple kanak soient progressivement reconnus. Ces droits autochtones ne sont pas du tout  incompatibles avec l’idée de peuple commun par contre il rappelle que dans l’Accord qui est intervenu entre les kanak et les autres communautés, les kanak sont le peuple colonisé. Et que celui-ci en tant que tel doit se voir reconnaître de  droits particuliers. C’est-à-dire ce qu’on appelle souvent une discrimination positive. Celle-ci intervient à plusieurs niveaux. Tout d’abord à un régime de relations et de droits fonciers particuliers. »
Ils existent déjà ? F.Feral : « Oui, ils existent déjà ! Puisque les colons, les premiers ont fait des réserves pour les kanak. Mais, il faut consolider les droits que peuvent avoir les kanak sur l’ensemble de ces terres et que ne soit pas en définitive dénaturer le lien à la terre qu’ont les kanak à travers leurs autorités coutumières. Le second dossier, c’est effectivement la portée de la coutume. Est-ce que la coutume se confond avec le droit des kanak ? Est-ce que la coutume (dans les Accords de Nouméa) ne concerne que le droit de la famille et le droit des terres ? Est-ce que la coutume en définitive recouvre tous les droits autochtones ? Mon idée telle qu’elle est conçue dans les Accords de Nouméa ne recouvre pas les droits autochtones. Parce que la coutume n’est que de droit privé dans la conception de l’ADN. Je considère que pour avoir un droit autochtone complet, il faut que les kanak se dotent d’un droit qui serait à la fois un droit constitutionnel et la Charte a cette nature constitutionnelle, et  un droit public. Et donc une véritable administration kanak. Je n’ai pas dit une administration coutumière ! Et des structures fédéralistes qui permettent à l’ensemble des chefferies kanak de s’exprimer d’un commun accord. C’est l’objet en définitif de la réflexion que nous avons engagé dans le cadre des programmes de recherches mais aussi en relation avec le sénat coutumier. Et le sénat est le lieu dans lequel cette réflexion sur l’autonomie d’un droit autochtone kanak est le plus avancé. Curieusement les partis politiques ne se saisissent pas de ce dossier ! Et ils voient un petit peu, le droit autochtone comme une poule qui regarde un couteau. Ils ne savent pas trop ce qu’il en ait ! Certains y voient une démarche réactionnaire, d’autres y voient au contraire une démarche révolutionnaire ! En définitive, le droit autochtone c’est ni réactionnaire, ni révolutionnaire ! C’est simplement rappelé qu’il y a des droits immémoriaux souverains pour le peuple kanak et que ces droits ne sont pas totalement reconnus aujourd’hui ! Par exemple dans la Charte *, vous avez des choses tout à fait nouvelles. On demande au sénat de conduire des politiques publiques kanak et non pas des politiques publiques calédoniennes c’est-à-dire des politiques publiques spécifiques aux kanak qui permettent d’aller vers le développement. On demande que les chefferies soient  associées au projet de développement donc des populations kanak. On demande aux institutions de l’Etat et de la Nouvelle-Calédonie de respecter les institutions kanak qui sont des institutions particulières et les faire cohabiter les unes aux autres. A partir du moment où la sphère du droit kanak est reconnue comme étant une sphère spécifique permettant la décolonisation par la reconnaissance et par le respect reconnu aux kanak. Un dialogue s’instaure, mais un vrai dialogue s’instaure ! Mais pas un dialogue où les kanak vont être assimilés un jour ou l’autre et ils disparaîtront en tant que peuple ! Ils disparaîtront en tant qu’entité souverain, en tant qu’identité souveraine etc ! Ils deviendront en définitive des néo-calédoniens où la mixité finira par surmonter tous les problèmes etc ! Le seul fait que nous ayons aujourd’hui la prison est remplie de jeunes kanak plus que des jeunes caldoches ou des jeunes des autres communautés. Le fait que le seuil de pauvreté de la plupart des kanak soit infiniment plus élevé que dans toutes les autres communautés montre bien que sur le plan dans ce qu’on appelle le processus de décolonisation qu’il faut distinguer de la colonisation, et bien le compte n’y est pas ! Le pari du sénat : c’est que la reconnaissance du droit autochtone du peuple kanak permettra de rendre la dignité à l’ensemble des kanak. Et aussi aux jeunes kanak qui pourront se reconnaître comme lien de spécificité et non pas d’être déchiré entre appartenir à un monde moderne et  à un monde traditionnel. »


Quel a été l’objet de ce colloque ? F. Feral : « Le colloque avait pour objet de montrer que la problématique kanak est une problématique mondiale et qui a été relancé en particulier par la résolution de 2007 des Nations Unies sur le droit des peuples autochtones. Et l’intérêt de notre réunion c’était de montrer comment avait fait les canadiens, les vanuatais, les fidjiens et même la situation très particulière de Wallis dans laquelle la souveraineté wallisienne des coutumiers est bien plus assurée qu’ici. Egalement d’avoir des informations sur l’Australie etc. L’idée maîtresse de ce colloque c’était de voir quelles solutions ont été adoptées pour que les droits autochtones soient reconnus dans tel et tel autre parti du monde. L’autre aspect c’était de montrer : comment trouver des solutions pour que progressivement ces droits autochtones soient reconnus. Et non pas uniquement limité à la sphère du mariage et de l’occupation des réserves coutumières. Donc, on a trouvé tout un tas de solutions. On a posé à peu près une dizaine de grandes questions qui sont relatives justement à l’application de la Charte. A partir du moment que la Charte a mis en place des principes, il fallait se demander comment ces principes pouvaient concrètement mises en œuvre. Soit par des lois de pays, soit  aussi par les initiatives propres prises par le sénat. Il a été remarqué quand même que le sénat est sorti très largement des compétences qui lui étaient assignées dans le cadre des Accords de Nouméa :  pour par exemple produire un acte juridique nouveau non prévu par les accords qui est la Charte du Peuple Kanak. »
Est-ce une nouveauté sur le plan international ? F.Feral : « Oui, je peux vous dire que les kanak auprès des canadiens en particulier apparaissent vraiment comme un peuple formidable qui a une capacité d’auto-construction de son destin. Le  professeur Ottis ne cache pas son admiration face à ce processus de construction d’une Charte qui a été construite dans le cadre d’une procédure démocratique comme nous n’en faisons pas ! C’est vraiment quelque chose d’exemplaire. »
Cet un acte administratif sur le plan démocratique se présente-il comme un acte de décolonisation ? F.Feral : « Il est absolument certain que la résolution des Nations Unies sur le droit des peuples autochtones, c’est une résolution qui s’inscrit dans les processus de décolonisation. C’est-à-dire qu’on ne peut décoloniser qu’en réparant les humiliations et les spoliations qui ont été conduites pendant des années. Cette réparation peut n’être pas possible en totalité ! C’est pas l’important. L’important, c’est que le  processus de l’autochtonie soit conduit par les autorités et que le processus de décolonisation interne soit assis sur l’autodétermination en interne (ce qu’on appelle en droit). Il faut que les kanak aient les moyens administratifs et juridiques de conduire leur propre destin. Ils ne peuvent pas le faire en étant minoritaire sur leur terre. Ils peuvent le faire s’il se développe les discriminations positives leur reconnaissant des droits particuliers. »


 (*) La Charte du Peuple Kanak a été proclamée le 26 avril 2014 à Ko Wé Kara à l’issue d’un congrès extraordinaire – « assemblée du peuple kanak ». Elle a été portée par le Sénat coutumier.
Pour plus de renseignements sur la Charte du Peuple Kanak, dirigez-vous vers le site du Sénat coutumier
(http://www.senat-coutumier.nc/)