Ce
rapport d'information est le document qui mettra au courant du dossier
calédonien tous les futurs acteurs nommés par le prochain Président de
la République, son gouvernement et principalement le 1er Ministre, et
les députés de la prochaine assemblée.
Il est donc très intéressant de pouvoir le lire.
Vous pouvez lire l'intégralité du rapport (en PJ) et l'introduction à ce rapport rédigé par M. DOMINIQUE BUSSEREAU
et M. RENÉ DOSIÈRE.
Rappel : La mission d’information sur
l’avenir institutionnel de la Nouvelle- Calédonie est composée de : M.
Dominique Bussereau, président ; M. René Dosière, rapporteur ; M.
Dominique Baert, Mme Valérie Fourneyron, MM. Philippe Gomes et Philippe
Gosselin, vice-présidents ; Mmes Marie-George Buffet et Jeanine Dubié,
MM. Bernard Lesterlin et Noël Mamère, secrétaires ; MM. Malek Boutih,
Sébastien Denaja, Guy Geoffroy, Mmes Marietta Karamanli et Sonia
Lagarde, MM. Hervé Mariton, Patrick Ollier, Napole Polutélé, Didier
Quentin et Alain Rodet.
MESDAMES, MESSIEURS,
« Il est aujourd’hui nécessaire de poser
les bases d’une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, permettant au
peuple d’origine de constituer avec les hommes et les femmes qui y
vivent une communauté humaine affirmant son destin commun. »
Préambule de l’Accord de Nouméa
« Les regards se portent vers cet
archipel. Le processus initié lors de la signature des accords de
Matignon en 1988 et poursuivi par l’Accord de Nouméa de 1998 a érigé la
Nouvelle-Calédonie en référence dans la zone Pacifique, et même au-delà.
En effet, alors que ce petit territoire avait connu des événements
tragiques, avec une violence paroxystique en 1988, il est aujourd’hui
perçu comme un pôle de stabilité dans une région où existent de réelles
tensions. L’entente entre les différentes communautés, aux passés, aux
cultures, aux intérêts souvent divergents, a été l’une des grandes
réussites du processus de1988 et 1998. Elle ne va pas de soi dans
d’autres archipels proches de la Nouvelle- Calédonie... » (1)
Quinze ans après les avoir écrites, le
président et le rapporteur de votre mission d’information ne retranchent
pas un mot de ces quelques lignes qui témoignent du destin si peu
commun de la Nouvelle-Calédonie. Tout au plus souhaitent-ils y joindre
un codicille : à l’heure où doit se refermer le chapitre ouvert par le
processus initié à la fin des années 1980 et poursuivi au cours de la
décennie suivante, qui a apporté au territoire trente années de paix,
tout doit être fait pour que la prochaine page, la prochaine histoire,
offre aux citoyens calédoniens la perspective de nouvelles réussites,
celle d’un avenir partagé.
C’est dans cet esprit que la Conférence
des Présidents a décidé, le 14 octobre 2014, de créer, à l’Assemblée
nationale, la mission d’information sur l’avenir institutionnel de la
Nouvelle-Calédonie. Lors de sa première réunion, le 11 février 2015, la
mission, composée de vingt députés appartenant à tous les groupes
politiques, a porté M. Dominique Bussereau à sa présidence et désigné
celui qui était alors président de la
commission des Lois, M. Jean-Jacques Urvoas, au poste de rapporteur,
fonction qu’il a exercée jusqu’à sa nomination à la Chancellerie le 27
janvier 2016. Le 2 février suivant, la mission a procédé à son
remplacement en désignant M. René Dosière.
Cette mission d’information n’est pas la seule instance mise en place pour assurer un suivi de la situation calédonienne.
On se souvient, tout d’abord, que le
Premier ministre, répondant à une demande du Comité des signataires de
l’Accord de Nouméa, avait constitué, par une décision du 20septembre
2011, une Mission de réflexion sur l’avenir institutionnel de la
Nouvelle-Calédonie composée de M. Jean Courtial, conseiller d’État, et
de M. Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur des Universités. Ce
dispositif a été reconduit et renouvelé par une décision du Premier
ministre du 17 octobre 2012 et a abouti, en octobre 2013, au rapport
intitulé « Réflexions sur l’avenir institutionnel de la
Nouvelle-Calédonie » (1).
L’année suivante, MM. Alain Christnacht
et Jean-François Merle ont été chargés par le Premier ministre d’une
mission d’écoute, d’analyse et de conseil sur l’avenir de la
Nouvelle-Calédonie (2). Ils ont formé autour d’eux un groupe d’experts
constitué de MM. Yves Dassonville, Régis Fraisse, François Garde et
Benoît Lombrière. L’instauration de ce groupe a fait l’objet d’un
consensus lors du XIIe comité des signataires réuni les 3 et 4 octobre
2014.
Enfin, en décembre 2015, le Sénat a créé
en son sein un groupe informel représentant l’équilibre interne des
forces politiques afin d’être informé de façon complète et régulière de
la situation de ce territoire.
Votre mission d’information n’en a pas
moins affiché, d’emblée, son originalité. Durant deux ans, elle a
procédé à l’audition de personnalités, élus, hauts fonctionnaires ou
spécialistes de la Nouvelle-Calédonie, répondant ainsi à son ambition
première: faire vivre la Nouvelle-Calédonie à l’Assemblée nationale,
accompagner le processus en cours et faire en sorte que, le moment venu,
les Français dans leur ensemble puissent en comprendre les enjeux.
De fait, l’histoire de la
Nouvelle-Calédonie n’est pas suffisamment connue de nos compatriotes.
Elle est pourtant liée à celle de notre pays depuis plus de 150 ans.
C’est en effet le 24septembre 1853 que le
contre-amiral Auguste Febvrier-Despointes proclama, au nom de Napoléon
III, la souveraineté de la France sur l’archipel, prenant ainsi de
vitesse les représentants de la couronne britannique.
Dès l’origine et pendant trente ans, la
Nouvelle Calédonie devint une colonie pénitentiaire, lieu d’accueil des
transportés condamnés aux travaux forcés (déportés politiques de la
Commune – à l’Île des Pins – qui reviendront en métropole après les lois
d’amnistie de 1879 et 1881) et des relégués (récidivistes). Au total,
ce sont 30 000 personnes qui seront soumises à une administration
pénitentiaire contrôlant l’organisation et l’économie du pays. Le
peuplement « libre » – vivement encouragé – demeurera longtemps modeste.
En 1906, près de la moitié des Européens installés sur l’île sont issus
du monde pénal.
Simultanément, le code de l’indigénat,
appliqué par décret du 18 juillet 1887, fit des Mélanésiens des « sujets
de la France » ne jouissant d'aucun droit civil mais uniquement de
droits personnels conférés par la religion et la coutume. Cette
ségrégation entraîna, à intervalles réguliers, des insurrections
violentes, comme la grande révolte kanak de 1878.
À l’issue de la Seconde Guerre mondiale,
il fallut attendre près de dix ans pour que soient abrogées les lois de
l’époque coloniale : le suffrage universel n’est ainsi accordé qu’en
1957, sanctionnant la pleine entrée des Calédoniens dans la République
française. Le mouvement autonomiste prit néanmoins une ampleur certaine,
soutenu par l’exemple des archipels voisins qui accédaient alors à
l’indépendance.
Dans les années 1960, plusieurs milliers
de Français d’Algérie vinrent s’installer en Nouvelle-Calédonie. Par
ailleurs, le « boom » du nickel, dans les années 1970, favorisa
l’immigration métropolitaine ainsi que celle de Wallis et Futuna dont la
population est désormais plus nombreuse sur l’île que dans son
territoire d’origine.
Les années 1980 virent se développer chez
les Kanak les revendications indépendantistes. En 1984, le Front de
libération national kanak socialiste (FLNKS) proclame un « Gouvernement
provisoire de Kanaky » présidé par Jean- Marie Tjibaou, pour préparer
l'indépendance. S’ouvrent alors quatre années de conflit – les «
évènements » – qui menacèrent de dégénérer en guerre civile. La violence
atteint son paroxysme en 1988 : quatre gendarmes trouvent la mort le 22
avril au cours de l’assaut du poste de gendarmerie de Fayaoué, dans le
centre de l’île d’Ouvéa ; le 5 mai le GIGN donne l’assaut de la grotte
dans laquelle seize gendarmes étaient séquestrés, l’opération se solde
par la mort de dix-neuf militants kanak et de deux soldats.
Cet épisode sanglant a poussé les deux
camps antagonistes et leurs dirigeants, Jean-Marie Tjibaou et Jacques
Lafleur, à œuvrer en faveur de la réconciliation des différentes forces
politiques et communautés, sous l’égide du Premier ministre de l’époque,
Michel Rocard. Les accords de Matignon du 26 juin 1988 prévoient un
statut transitoire pour une durée de dix ans au terme de laquelle
les Calédoniens devaient se prononcer
directement sur leur autodétermination. Le 6 novembre 1988, les Français
approuvèrent cette « sortie de crise » par référendum (1). Un second
drame interviendra néanmoins, toujours à Ouvéa, peu de temps après : le 4
mai 1989, devant la fosse contenant les corps des victimes locales de
l’assaut de la grotte, Jean-Marie Tjibaou, accompagné de son proche
collaborateur Yeiwene Yeiwene, furent assassinés par un militant kanak
de Gossanah.
Dix ans plus tard, à l'approche du
référendum d’autodétermination, les forces politiques calédoniennes ont
fait le choix de négocier une nouvelle procédure avec le Premier
ministre, M. Lionel Jospin. L'Accord de Nouméa du 5 mai 1998 reconnaît
les « ombres » et « lumières » de la colonisation et l'existence d'une «
double légitimité » des Kanak et des autres communautés ayant participé
à l’histoire du territoire depuis le XIXe siècle (2). Le nouveau statut
prévoit une autonomie forte et de larges transferts de compétences,
seules les prérogatives régaliennes demeurant de la responsabilité de
l’État. Le Congrès de la Nouvelle Calédonie devient une assemblée
législative dans les domaines concernés par les transferts de
compétences. Un gouvernement local, composé à la proportionnelle des
groupes au Congrès, assure les fonctions exécutives. Plaidant pour un
destin commun, l’Accord institue une citoyenneté calédonienne. Il est
approuvé par les Calédoniens par référendum avec plus de 71 % de « oui »
le 8novembre 1998, et inséré au titreXIII de la Constitution par la loi
constitutionnelle n° 98-610 du 20 juillet 1998.
L’Accord de Nouméa, selon ses propres
termes, «définit pour vingt années l'organisation politique de la
Nouvelle-Calédonie et les modalités de son émancipation (3) ». Son
article 5 fixe la procédure applicable à l’issue de ce délai :
«Au cours du quatrième mandat (de cinq
ans) du Congrès(4), une consultation électorale sera organisée. La date
de cette consultation sera déterminée par le Congrès, au cours de ce
mandat, à la majorité qualifiée des trois cinquièmes.
Si le Congrès n'a pas fixé cette date
avant la fin de l'avant-dernière année de ce quatrième mandat, la
consultation sera organisée, à une date fixée par l'État, dans la
dernière année du mandat.
La consultation portera sur le transfert à
la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l'accès à un statut
international de pleine responsabilité et l'organisation de la
citoyenneté en nationalité.
(1) Le vote « oui » rassemble 80 % des
suffrages exprimés sur le territoire national. En Nouvelle-Calédonie, il
l’emporte avec 57 % des voix.
(2) Voir le Préambule de l’Accord de Nouméa en annexe I au présent rapport.
(3) Point 5 du Préambule de l’Accord de Nouméa (annexe I).
(4) Le mandat en question s’achèvera en mai 2019.

Si la réponse des électeurs à ces
propositions est négative, le tiers des membres du Congrès pourra
provoquer l'organisation d'une nouvelle consultation qui interviendra
dans la deuxième année suivant la première consultation. Si la réponse
est à nouveau négative, une nouvelle consultation pourra être organisée
selon la même procédure et dans les mêmes délais. Si la réponse est
encore négative, les partenaires politiques se réuniront pour examiner
la situation ainsi créée. »
Les règles applicables sont donc à la
fois explicites et impératives dès lors que la Constitution y fait
indirectement référence. Dans l’intervalle, la loi organique n° 99-209
du 19 mars 1999, dont l’article 217 précise les modalités d’organisation
de la consultation (1), a doté la Nouvelle-Calédonie d’un statut
institutionnel « sur mesure ».
Sur ce fondement, au cours des vingt
dernières années, le territoire a avancé sur la voie de l’autonomie
politique et institutionnelle, grâce aux transferts irréversibles de
compétences mis en œuvre au fil d’une série de lois du pays, ainsi que
du rééquilibrage économique et social, dans le respect de la coutume.
Mais le temps de la sortie de l’Accord de
Nouméa est désormais très proche. En l’absence de demande du Congrès,
le plus vraisemblable est que la date – au plus tard en novembre 2018,
en application des dispositions combinées de la Constitution et de la
loi organique – et les modalités de la consultation sur l’accession à la
pleine souveraineté seront fixées par décret en conseil des ministres.
(1) « La consultation est organisée au
cours du mandat du Congrès qui commencera en 2014 ; elle ne peut
toutefois intervenir au cours des six derniers mois précédant
l'expiration de ce mandat. Sa date est fixée par une délibération du
Congrès adoptée à la majorité des trois cinquièmes de ses membres. Elle
doit être de six mois au moins postérieure à cette délibération. Si, à
l'expiration de l'avant-dernière année du mandat du Congrès commençant
en 2014, celui-ci n'a pas fixé la date de la consultation, elle est
organisée à une date fixée par le Gouvernement de la République, dans
les conditions prévues au II de l'article 216, dans la dernière année du
mandat.
Si la majorité des suffrages exprimés
conclut au rejet de l'accession à la pleine souveraineté, une deuxième
consultation sur la même question peut être organisée à la demande
écrite du tiers des membres du Congrès, adressée au haut-commissaire et
déposée à partir du sixième mois suivant le scrutin. La nouvelle
consultation a lieu dans les dix-huit mois suivant la saisine du
haut-commissaire à une date fixée dans les conditions prévues au II de
l'article 216. Aucune demande de deuxième consultation ne peut être
déposée dans les six mois précédant le renouvellement général du
congrès. Elle ne peut en outre intervenir au cours de la même période.
Si, lors de la deuxième consultation, la
majorité des suffrages exprimés conclut à nouveau au rejet de
l'accession à la pleine souveraineté, une troisième consultation peut
être organisée dans les conditions prévues aux deuxième et troisième
alinéas du présent article. Pour l'application de ces mêmes deuxième et
troisième alinéas, le mot : "deuxième" est remplacé par le mot :
"troisième".
En cas de dissolution du Congrès, aucune
consultation au titre du présent article ne peut avoir lieu dans un
délai de six mois suivant le renouvellement du Congrès ».
Dans l’immédiat, au terme de la XIVe
législature, la mission d’information doit achever ses travaux. C’est la
raison pour laquelle, avant de conclure, votre rapporteur a jugé utile,
avec le président Dominique Bussereau, de se déplacer sur le
territoire, comme ils l’avaient fait en septembre 2013 dans le cadre
d’une délégation conduite par le président de la commission des Lois M.
Jean-Jacques Urvoas (1). Ils se sont donc rendus, entre le 14 et le 21
mars 2017, à Nouméa ainsi que dans la province Nord, afin de rencontrer
les élus et les membres du Gouvernement (2), les représentants de
l’État, les syndicats, les organisations patronales, les forces
spirituelles, mais aussi la jeunesse, lycéens de l’enseignement général,
élèves des filières professionnelles ou étudiants à l’Université. Ce
déplacement a bénéficié de l’appui irremplaçable de M. Thierry Lataste,
Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie (3), et de ses
services. Qu’ils en soient remerciés, ainsi que l’ensemble des personnes
rencontrées à cette occasion.
De tous ces entretiens il ressort une
grande incertitude, confinant parfois à l’inquiétude : quel avenir pour
la Nouvelle-Calédonie ? Le moment de la sortie des accords de Matignon
est proche ; la question de la pleine souveraineté occupe tous les
esprits.
Dans le même temps, nombreux sont ceux
qui regrettent que les années écoulées n’aient pas davantage été mises à
profit pour débattre, évaluer les enjeux, informer les habitants.
Aujourd’hui, de nouveau, le dialogue semble plus difficile entre les
forces politiques, les incompréhensions se multiplient et certains sont
tentés par des positions radicales dont on connaît, depuis les
événements des années 1980, les conséquences désastreuses.
Les histoires personnelles, les parcours,
les attentes et les espoirs des uns et des autres forgent les opinions,
qui sont toutes respectables. Mais au-delà, la question se pose de
savoir dans quelles conditions un petit archipel de 18 575 km2 et ses
268 767 habitants, situé en plein océan Pacifique, à 1 500 kilomètres de
l’Australie et à 2000kilomètres de la Nouvelle-Zélande, est en mesure
de subvenir à ses besoins. La crise du nickel, qui représente 10 à 20 %
du produit intérieur brut de la Nouvelle-Calédonie suivant les années,
et 90 % de la valeur de ses exportations, mais dont le cours a été
divisé par deux entre 2014 et 2015 (4), semble surmontée. Mais l’avenir
est-il assuré ? Les enjeux sous-jacents à la question de l’accession à
la pleine souveraineté sont multiples, qu’il s’agisse de l’emploi, des
droits des salariés, du coût de la vie, de la valeur des diplômes, de la
protection de l’environnement, de la capacité des communautés à
coexister, des inégalités géographiques entre provinces, ou encore du
maintien de l’ordre public dont la fragilité a été soulignée par les
événements violents survenus récemment aux abords de la tribu de Saint
Louis, dans la commune du Mont-Dore.
(1) Rapport d’information n° 1411 sur la
mission effectuée en Nouvelle-Calédonie du 2 au 8 septembre 2013
présenté, au nom de la commission des Lois, par MM. Jean-Jacques Urvoas,
Dominique Bussereau et René Dosière.
(2)Certaines personnalités avaient été
préalablement entendues par la mission d’information. Voir, en
particulier, l’audition du député de la 2e circonscription de
Nouvelle-Calédonie, M. Philippe Gomes, le 21 février 2017, ainsi que
celle de M. Philippe Germain, président du Gouvernement, et de M.
Philippe Michel, président de la province Sud, le 7 mars 2017.
(3) M. Thierry Lataste a été auditionné par la mission d’information le 30 novembre 2016.
(4) Les cours mondiaux ont alors chuté de
21 000 à 9 500 dollars américains la tonne. La question du nickel a
notamment été abordée au cours de deux auditions : celle de M. Pierre
Gugliermina, président du conseil d’administration de la société Le
Nickel, et de M. Bertrand Madelin, directeur général délégué de la
société Eramet, le 7 juillet 2015 ; celle de MM. Thomas Devedjian,
directeur délégué de la société Eramet, et Jean de l’Hermite, directeur
juridique, le 28 juin 2016.

L’espoir est là pourtant, notamment dans
la jeunesse qui, au Sud comme au Nord, affirme, par-delà ses
inquiétudes, que son avenir se trouve sur le territoire. Nul n’imagine,
ni ne désire, vivre durablement éloigné de cette terre à laquelle tous
se disent ô combien attachés.
Il reste dix-huit mois. Les questions à
résoudre sont encore nombreuses, y compris en ce qui concerne les
modalités de la consultation sur l’accès à la souveraineté.
Récurrent, le débat sur la fiabilité des
listes électorales a ressurgi. Il est vrai que, sous cet aspect, la
Nouvelle Calédonie connaît une situation particulière. Concernant les
élections nationales (municipales, législatives, présidentielles) le
vote est accordé, comme sur tout le territoire français, aux personnes
inscrites sur la liste électorale « générale ». Par contre, pour les
élections provinciales (d’où sont issus les membres du Congrès), le
droit de vote est limité aux personnes – quelle que soit leur origine –
inscrites sur une liste électorale spéciale. Les modalités d’application
de cette disposition ont été délicates à formuler. Il a fallu attendre
la loi constitutionnelle n° 2007-237 du 23 février 2007 pour faire
prévaloir la notion de « gel » de ce corps électoral à la date de
l’approbation de l’Accord de Nouméa par la population de la
Nouvelle-Calédonie, soit le 8 novembre 1998.
Enfin, pour la consultation sur
l’accession de la Nouvelle- Calédonie à la pleine souveraineté, c’est
une troisième liste électorale qui sera utilisée. La définition de cette
liste, plus large que pour les élections provinciales mais plus
restreinte que la liste générale, ne suscite pas de fortes
contestations. Les partenaires locaux se sont mis d’accord pour
favoriser l’inscription d’office du plus grand nombre possible
d’électeurs, compte tenu des contraintes constitutionnelles (1).
Certains ont fait valoir qu’un nombre
indéterminé de Kanak relevant du statut coutumier ne seraient pas
inscrits et pourraient de ce fait être empêchés de prendre part au futur
référendum. Si l’inscription automatique parfois réclamée se heurte à
de réelles difficultés juridiques, les pouvoirs publics ont diligenté
une campagne d’information pour inciter la population à s’inscrire en
mairie. Il a même été décidé, à la suite de la dernière réunion du
comité des signataires, qu’une lettre serait adressée à chacune des
personnes concernées pour lui expliquer les démarches à accomplir. On
peut ainsi penser que tout ce qui pouvait être fait a été fait et ce
débat tend heureusement à s’apaiser.
(1) Sur ces questions, voir le rapport n°
2945 (7 juillet 2015) présenté par votre rapporteur au nom de la
commission des Lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi
organique relatif à la consultation sur l’accession de la Nouvelle
Calédonie à la pleine souveraineté.

Autre enjeu : le libellé de la question
qui sera posée aux citoyens de la Nouvelle-Calédonie. À droit constant
celle-ci est contrainte par les termes de l’Accord de Nouméa, qui fait
expressément référence, on l’a vu, au transfert des compétences
régaliennes, à l’accès à un statut international de pleine
responsabilité et à l’organisation de la citoyenneté en nationalité, et
précise que : «Leur approbation équivaudrait à la pleine souveraineté de
la Nouvelle- Calédonie ». Les termes choisis devront donc être
suffisamment précis, ce qui rend la question « clivante par nature »
comme l’a indiqué M. Thierry Lataste lors de son audition par la mission
d’information.
Pour autant, nombreux sont ceux qui
souhaiteraient ne pas enfermer les électeurs dans une alternative
manichéenne, se résumant à un choix pour ou contre l’indépendance, ce
qui obligerait nécessairement les participants à la consultation à se
répartir entre deux camps hostiles. Il serait préférable, auparavant,
d’« expliciter les conséquences de l’un ou l’autre choix », comme l’a
souhaité M. Alain Christnacht lors de son audition par la mission
d’information, et, ce faisant, d’ouvrir un débat sur les possibilités
qui s’offrent à la Nouvelle-Calédonie. On rappellera, à cet égard, que
le rapport remis en 2013 au Premier ministre par MM. Jean Courtial et
Ferdinand Mélin-Soucramanien évoquait quatre scénarios : l’accès à la
pleine souveraineté, la pleine souveraineté avec partenariat,
l’autonomie étendue et le maintien du régime actuel (1).
Il est vrai que, il y a deux ans, les
auteurs de ce rapport jugeaient déjà l’échéance très proche, M. Jean
Courtial considérant, lui aussi, que les deux perspectives médianes
nécessitaient «de passer par une phase de débat et d’explication » et un
travail « sur la formulation de la question » car, « à défaut, on
risquerait de poser une question qui n’est pas suffisamment claire, ce
qui n’est pas possible constitutionnellement ». Ce qui était proche
alors l’est plus encore aujourd’hui. Le débat, nécessaire, n’a pas
suffisamment eu lieu, il n’a pas irrigué la société calédonienne, les
partenaires ne l’ont pas porté et, désormais, le contexte électoral n’y
est pas propice. La jeunesse, notamment, semble ignorer tout ou presque
des enjeux. Il n’est peut-être pas trop tard ? Demain, en tout état de
cause, la question de la pleine souveraineté devra être posée ; un point
d’équilibre, suscitant l’adhésion du plus grand nombre, sera
nécessaire.
Sans doute les réponses devront-elles
d’abord venir de la Nouvelle-Calédonie elle-même. Mais l’État aura un
rôle à jouer, de l’avis même des responsables politiques calédoniens de
tous bords : favoriser le dialogue, faciliter la décision, autrement dit
« accompagner un choix qu’il ne lui revient pas de faire de manière
autoritaire » pour reprendre les termes utilisés par M. Vincent Bouvier,
alors Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, lors de
son audition par la mission d’information le 2 juin 2015. En bref, faire
ce qu’il fit naguère pour aboutir aux accords de Matignon en 1988 et à
l’Accord de Nouméa en 1998. De même les élus de la XVe législature
devront-ils, à l’instar de leurs prédécesseurs, favoriser ce
cheminement.
(1) Voir l’annexe II au présent rapport.
Telles sont les conclusions auxquelles
sont parvenus le président et le rapporteur de votre mission
d’information. L’utilité du présent rapport est là : non pas revenir sur
les origines de la question calédonienne ou présenter un panorama
exhaustif de la situation – les écrits abondent sur la question – mais
rendre compte des travaux menés durant deux ans ; livrer à ceux qui s’y
intéressent ce matériau irremplaçable que constitue le compte rendu des
auditions organisées ; établir une passerelle entre l’actuelle et la
prochaine législature, en soulignant combien, dans cette période
particulière, il est souhaitable que l’Assemblée nationale dispose d’une
instance permettant aux députés de suivre attentivement la situation de
la Nouvelle-Calédonie, ce qui implique le maintien d’une mission
d’information permanente consacrée à ce territoire.
Quoi qu’il en soit, le rôle de l’État
sera essentiel dans la période à venir. D’abord parce que, depuis
l’origine, l’État est un partenaire reconnu comme tel par les deux
communautés. Ensuite parce qu’il est le seul à pouvoir s’abstraire des
conflits locaux, qu’ils soient personnels ou politiques. Enfin, parce
qu’il est le garant d’une absence d’instrumentalisation de l’avenir de
la Nouvelle-Calédonie dans les débats de politique nationale, attitude
qui s’est confirmée depuis l’Accord de Nouméa sous les présidences
successives de MM. Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande.
Pour que le vote des calédoniens soit
dénué de toute ambiguïté, il revient à l’État, sur la base des travaux
menés depuis 2014 par la mission de réflexion, d’analyse et de conseil
sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie ainsi que de ceux des trois
groupes de travail prévus par le XIIe comité des signataires, de mener,
auprès de la population calédonienne, une vaste information sur le sens
de la consultation et de proposer aux responsables politiques
calédoniens, selon des modalités et un calendrier à définir, le cadre
qui sera celui du destin partagé après la consultation de 2018.
Tout doit être fait pour éviter que la
consultation ne se transforme en un « référendum couperet » dont le
résultat humilierait le camp des vaincus, quel qu’il soit. Sans doute
rares sont ceux qui souhaitent un tel référendum mais peu le disent
publiquement alors que le temps presse. C’est pourquoi il a paru
important à la mission d’information de publier le présent rapport, afin
que les nouveaux pouvoirs publics qui, demain, dirigeront la France
soient conscients de l’attention qu’ils doivent accorder à l’avenir de
la Nouvelle-Calédonie.
Président
M. DOMINIQUE BUSSEREAU
Rapporteur
M. RENÉ DOSIÈRE