Le nickel, un caillou dans la chaussure d’Eramet
Terrassé par la crise des matières premières, comme l’ensemble du secteur minier, le producteur français de nickel et de manganèse pare au plus pressé en gelant ses grands projets. Mais n’échappera pas à des décisions plus douloureuses en Nouvelle-Calédonie.
Sur la carte, entre océan Indien et océan
Pacifique, il faut chercher l’archipel des Moluques, réputé le plus beau
d’Indonésie, puis zoomer encore, entre Sulawesi et la Papouasie
occidentale. Au cœur de l’île volcanique d’Halmahera se cache l’un des
plus grands gisements non développés de nickel au monde. Weda Bay était
le projet d’exploitation le plus ambitieux d’Eramet. Initié en 2006, il
devait permettre au groupe minier et métallurgique français, nettement
plus petit que ses concurrents, de doubler sa capacité de production.
Mais,
en février 2014, rideau. La direction annonce qu’elle met son
gigantesque développement de mine en sommeil et déprécie sa valeur dans
ses comptes. Conséquence, les pertes annuelles de la société sont 7 fois
plus importantes que prévu par les analystes.
Un
an et demi plus tard, ce n’est plus un, mais la totalité de ses grands
projets qu’Eramet a suspendus. Le secteur des matières premières
traverse une des crises les plus aiguës de son histoire récente. Pour la
première fois, les cours des deux minerais que le groupe extrait et
transforme, le nickel en Nouvelle-Calédonie et le manganèse au Gabon,
servant tous deux à fabriquer de l’acier, sont au plancher depuis des
années ; la Chine dévoreuse de métaux fatigue ; les stocks mondiaux
débordent. La majorité des producteurs miniers, pris à la gorge,
produisent à perte.
Eramet, lui, est déficitaire depuis 2013, il est passé d’une trésorerie nette de 1,3 milliard d’euros en 2010 à un endettement net
de 805 millions en juin dernier. L’avenir de l’entreprise, comptant
14.000 collaborateurs répartis dans les trois branches nickel, manganèse
et alliages, est en jeu.
Mi-octobre, le
conseil d’administration s’est donc réuni de manière exceptionnelle et a
acté la limitation des investissements à la stricte maintenance et à la
sécurité.
A 18.500 kilomètres de Paris,
en Nouvelle-Calédonie, c’est la douche froide pour sa filiale SLN
(Société Le Nickel), qui exploite des gisements de nickel depuis la fin
du XIXe siècle et s’impose comme le premier employeur privé.
Promis depuis 2007, le remplacement de la centrale électrique nécessaire
au fonctionnement de l’usine pyrométallurgique de Nouméa est encore
repoussé. Pourtant, la centrale actuelle, dont les groupes ont plus de
quarante ans, est en bout de course, trop polluante et les coûts de
production sont devenus exorbitants. Mais l’investissement, estimé
jusqu’à 900 millions de dollars, est trop coûteux et le lancer
aujourd’hui n’est clairement pas raisonnable pour la maison mère.
Un contexte politique agité
« Leur tragédie, c’est leur exposition à la Nouvelle-Calédonie »,
lâche un bon connaisseur de la situation sur le Caillou. Car la SLN va
mal, elle brûle chaque mois 25 millions d’euros de cash. Eramet se
heurte en outre à un contexte politique local agité et complexe.
Certains décrivent actuellement une « tentative de prise de contrôle » de la SLN, dont les trois provinces calédoniennes détiennent 34 % du capital, par des politiques locaux.
Le
groupe doit-il continuer à financer sa filiale, qui compte
2.200 employés, dans ces conditions ? C’est une question à laquelle son
conseil d’administration, qui devrait de nouveau se réunir début
décembre, pourrait devoir répondre. Cette question en amène une autre :
et si le nickel, qui représente un quart du chiffre d’affaires,
mais dont les soubresauts des cours ont un impact énorme sur les
résultats, n’était plus essentiel au groupe ?
« La Nouvelle-Calédonie, c’est le vrai problème de la société, que la direction générale a jusqu’alors refusé de traiter »,
déplore un ancien administrateur d’Eramet. Quoi qu’il en soit, partir
n’est pas envisagé, assure une source proche de l’entreprise interrogée
sur cette option. S’il y avait eu un autre poumon comme Weda Bay,
peut-être… « La dimension politique rendrait un départ plus que compliqué, confirme Fabrice Farigoule, analyste chez AlphaValue. Et quand bien même, on le leur reprocherait dès le redémarrage du marché du nickel. »
Eramet, coincé ? L’Etat français, lui,
semble pris entre deux feux, tiraillé entre la logique politique,
géostratégique et la logique industrielle. Le mois dernier, au moment
des annonces coup de poing du groupe minier, la ministre des Outre-mer,
George Pau-Langevin, a simplement laissé entendre qu’elle souhaitait
voir avec Eramet « comment, malgré des perspectives extrêmement ternes sur le marché international, ils [étaient] prêts à continuer à s’engager en Nouvelle-Calédonie ».
En attendant, la participation de 26 % de
l’Etat dans le capital de la société ne vaut plus grand-chose. Rachetée,
via le Fonds stratégique d’investissement (FSI, devenu bpifrance), à
Areva en 2012 pour près de 766 millions d’euros, elle vaut à présent
quasiment 3 fois moins.
Quelques
jours avant l’officialisation du gel de ses grands projets, Eramet a
touché son plus bas niveau en douze ans à la Bourse de Paris. Terrassée
par la crise des matières premières, comme l’ensemble du secteur minier,
l’action a perdu plus de 50 % depuis le début de l’année. La capitalisation boursière
est désormais inférieure à 1 milliard d’euros. En septembre, la valeur a
été retirée de l’indice SBF 120. Loin, très loin de juin 2008,
lorsqu’elle avait intégré le CAC Next 20, où sont logés les prétendants
au CAC 40.