"C'est une sorte de faux plat. On a l'impression que tout est
immobile mais que les choses peuvent se déchaîner assez rapidement",
confie le député Philippe Gomès, patron de Calédonie Ensemble (droite
modérée).
"Tout ce que l'on fait, c'est pour que la paix continue. Il faut
qu'on aille vers la consultation la plus apaisée possible",
martèle-t-il, muni d'un fascicule sur la "charte des valeurs
calédoniennes" et le "bilan partagé de l'accord de Nouméa", que son
parti a signé avec les indépendantistes du FLNKS.
Après une quasi guerre civile dans les années 1980, qui fit
quelques 70 morts, "caldoches" pro-français et indépendantistes kanak
ont enterré la hache de guerre en signant les accords de Matignon (1988)
puis celui de Nouméa (1998).
Un processus de décolonisation par étapes aboutira le 4 novembre à un
référendum sur l'indépendance. Quelques 175.000 électeurs seront amenés
à répondre à cette question: "Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie
accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante?". Selon les
sondages, le non à l'indépendance est donné largement gagnant.
Le référendum étant susceptible de réveiller potentiellement les
démons d'antan, les états-majors politiques semblent vouloir tenir leurs
bases pour éviter toute surchauffe.
"Le NON à l'indépendance va l'emporter de manière large et forte.
Mais cette arithmétique électorale n'est pas en elle-même une solution.
Il faut offrir une solution politique nouvelle", explique M. Gomès, qui
anime tous les soirs des réunions de campagne. "Il faut éviter le grand
bond en arrière", assène-t-il.
Incarnant l'aile droite des loyalistes, Philippe Blaise, secrétaire
des Républicains Calédoniens, milite "pour une victoire massive du Non"
et son parti agite le spectre d'une Calédonie ruinée en cas
d'indépendance.
Pour autant, il refuse de "diaboliser" les indépendantistes et promet
"beaucoup d'humilité dans le camp du Non". "On ne veut écraser
personne", assure-t-il, saluant la modération des indépendantistes, "qui
sont très impliqués dans la vie des affaires publiques et ne sont plus
des partis révolutionnaires".
Partisan d'une "Kanaky Nouvelle-Calédonie souveraine" sans rupture
totale avec la France, le FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak
Socialiste) s'emploie dans ses réunions publiques à "rassurer".
-A la pêche-
"Il ne faudrait pas croire que demain Kanaky Nouvelle-Calédonie,
c'est l'anarchie. Tout le monde, quelle que soit son origine, sera
respecté et protégé", a déclaré la semaine dernière Emile Néchéro, élu
indépendantiste, lors d'un meeting en banlieue de Nouméa.
Bien que l'ambiance ne soit pas survoltée et les salles loin d'être combles, les dirigeants kanak n'affichent pas d'inquiétude.
"La campagne part lentement et c'est tant mieux. On y va petit à
petit. La plupart des indépendantistes sont apaisés dans leur tête car
nous sommes des héritiers des accords de Matignon et de Nouméa", a
déclaré dimanche à la chaîne NC la 1ère Gilbert Tyuienon, vice-président
de l'Union Calédonienne (FLNKS).
A la gauche du FLNKS, le parti Travailliste, opposé au corps
électoral référendaire jugé trop ouvert aux non Kanak, prône "une non
participation massive", mais sans mot d'ordre va-t-en guerre. "Nos
militants joueront aux boules ou iront la pêche", selon son leader,
Louis Kotra Uregei.
Outre les "trente ans d'accord", qui ont émoussé les antagonismes,
cette pondération des discours s'explique aussi par la crainte qu'un
incident vienne mettre le feu aux poudres, dans un archipel où une
partie de la jeunesse kanak, marginalisée, se réfugie dans l'alcool et
la délinquance.
"Attention à l'étincelle qui embrasera le territoire! Il existe une
jeunesse incontrôlable, qui en veut aux responsables politiques. C'est
une bombe à retardement", confie, inquiet, un vieux militant
indépendantiste.
En fin de semaine, la venue de Laurent Wauquiez, président des
Républicains et d'Eric Ciotti, seules personnalités politiques
nationales pour le moment annoncées, pourraient pimenter le débat.