La
semaine dernière, la Central Intelligence Agency (CIA), l’agence de
renseignement américaine, a mis en ligne les dossiers et les câbles qui
s’écoulent de 1947 à 1987. Un océan de données rendu possible suite à un
long lobbying d’associations défendant le droit de l’information et à
une loi fédérale de 1995, qui n’avait jamais été réellement appliquée.
Évidemment, la tentation était grande de regarder ce que la CIA avait
bien pu noter sur la Polynésie française et sur le Pacifique sud.
Les
années 80 sont très fournies sur notre région. La guerre froide bat son
plein entre la Russie et les États-Unis, et les essais nucléaires ainsi
que les réactions qu’ils déclenchent sont abondamment commentés. Ainsi,
en 1985, la CIA faisait le point sur les essais en ces termes : “La
protestation de la population est alimentée par des articles de presse
rapportant que l’atoll de Moruroa est ouvert et qu’il laisse passer de
larges bandes de débris radioactifs dans l’environnement. Nous pensons
que ces rapports ne sont pas fondés. (…) Nous croyons que les essais
français vont continuer avec d’excellents résultats et un effet
négligeable sur l’environnement du Pacifique sud.”
Très
vite, on se rend compte que la CIA ne perdait pas une miette de ce qui
se passait à Moruroa et Fangataufa. Au point de connaître (et de publier
aujourd’hui) les dates des tirs, les conséquences, les mouvements des
troupes, etc.
Dans les années 80, ce
sont surtout les mouvements de protestation contre ces essais qui
étaient surveillés. En cause, l’opposition au nucléaire de l’Australie,
de la Nouvelle-Zélande, de Fidji et du Vanuatu, qui refusaient alors que
les navires américains croisent dans leurs eaux et fassent halte dans
leurs ports. Le rapport de 1983 est alors sans équivoque : “Le Pacific sud, de nouveaux problèmes pour les États-Unis”.
Kadhafi prêt à financer l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie
D’un point de vue diplomatique, les États-Unis épiaient de près les mouvements indépendantistes, surtout en Nouvelle-Calédonie. “L’image
placide du Pacifique sud peut être gâchée par le comportement erratique
du Vanuatu et les possibles agissements turbulents des indépendantistes
en Nouvelle-Calédonie”, explique ce même rapport de 1983.
Le rapport poursuit :
“L’agitation pour l’indépendance en Nouvelle-Calédonie sera
probablement le facteur le plus déstabilisant dans le Pacifique Sud pour
les cinq prochaines années. Le Vanuatu encourage cette indépendance. La
question de la décolonisation, en plus des essais nucléaires, fera de
la France la cible principale des critiques du forum du Pacifique sud.
Nous doutons que la France puisse proposer une solution politique viable
en Nouvelle-Calédonie dans les cinq prochaines années. (…) Paris a
probablement calculé qu’en donnant un semblant d’ouverture à
l’indépendance pour la Nouvelle-Calédonie, cela calmera la pression des
pays du Pacifique sud à demander l’indépendance de la Polynésie
française.”
La CIA surveillait
les velléités indépendantistes à une époque où les alliés se comptaient
tous les matins au petit-déjeuner. En 1987, un autre rapport
diplomatique établissait alors que “l’Union soviétique essaie
d’étendre son expansion dans les courants de gauche dans le Pacifique
sud, surfant sur la contestation des essais nucléaires. Moscou
continuera à agiter les relations de confiance entre les États-Unis et
les îles du Pacifique et se montrera contre les règles françaises de la
Nouvelle-Calédonie.” Un document qui se concluait ainsi : “Le sentiment antinucléaire peut servir les intérêts russes dans la région.”
Enfin, la paranoïa américaine allait même jusqu’à prêter à la Nouvelle-Calédonie de sombres intentions.
“L’indépendance
de la Nouvelle-Calédonie est un des sujets majeurs de l’intérêt de
Tripoli dans la région. Les dirigeants libyens ont officiellement appuyé
la demande d’indépendance de ce territoire. Nous pensons que ce soutien
de Kadhafi pour libérer les colonies françaises est en réaction avec
l’attitude du gouvernement français qui soutient les pays
pro-occidentaux en Afrique, notamment le Tchad. (…) Nous pensons que
Tripoli est prête à financer des combattants de l’indépendance en
Nouvelle-Calédonie. Ce soutien pourrait prendre la forme de camps
d’entraînement.”
Chaque année, de nouvelles pages alimenteront le site de l’agence américaine. Qui sait ce qui pourrait encore y figurer ?