« Monsieur le Président, Mes chers collègues, Mesdames et Messieurs,
La
proposition par l’Etat de modification de la loi organique sur laquelle
le Congrès porte un avis aujourd’hui en séance publique, est la
conséquence d’un long processus de discussions et de revendications,
bien antérieur au XIIème Comité des signataires, contrairement à ce qui
est écrit dans l’exposé des motifs du Ministère des Outre-mer.
Pour notre groupe, il paraissait important de rappeler un peu l’historique ayant abouti à cette modification.
Car
le premier objectif était bien de changer la composition et le
fonctionnement des commissions administratives spéciales chargées de la
révision des listes électorales, régies par l’article 189 de la loi
organique, et compétentes, après vérification auprès du Conseil d’Etat,
pour l’établissement de la liste électorale spéciale pour les élections
provinciales, comme pour l’établissement de la liste électorale pour la
consultation sur l’accession du pays à la pleine souveraineté.
Or,
depuis plusieurs années, la Commission Politique et Citoyenneté du
FLNKS et des Nationalistes dénonce le fonctionnement de ces commissions
administratives spéciales.
En effet, des dizaines d’exemples
rapportés par nos délégués FLNKS siégeant dans ces commissions ont
prouvé les dérives et les failles du fonctionnement de ces commissions.
Le résultat aujourd’hui est que nous nous retrouvons avec une liste
électorale spéciale pour les élections provinciales tronquée, sur
laquelle figurent des personnes qui ne remplissent pas les critères
requis par la loi et de laquelle sont exclus de nombreux Kanak, bloqués
sur le tableau annexe des non admis à voter.
Cette situation a
été dénoncée à de nombreuses reprises, jusqu’au Comité de décolonisation
à l’ONU, qui, inquiet, avait décidé de mener une mission de visite
spécifiquement sur cette question, en mars 2014. Celle-ci avait
d’ailleurs fait elle-
même le constat des graves irrégularités de fonctionnement des
commissions administratives, puisqu’elle effectua la recommandation
suivante au point 112 de son rapport de mission : «La mission est d’avis
que le mode de fonctionnement des commissions administratives spéciales
doit être revu compte tenu des problèmes soulevés par de nombreux
interlocuteurs, dont les magistrats eux-mêmes. ». De plus, adoptée au
mois de décembre par l’Assemblée générale des Nations Unies, la
résolution sur la Nouvelle-Calédonie soutient les recommandations de ce
rapport et ajoute que l’Assemblée générale considère « que des mesures
appropriées pour l’organisation des consultations futures sur
l’accession à la pleine souveraineté, y compris l’établissement des
listes électorales justes, régulières et transparentes, comme prévu par
l’Accord de Nouméa, sont indispensables à la réalisation d’un acte libre
et authentique d’autodétermination conforme aux principes et pratiques
de l’Organisation des Nations Unies. ».
Par ailleurs, cette
situation de graves irrégularités dans l’établissement de la liste
électorale spéciale pour les provinciales et dans le fonctionnement des
commissions administratives a été aussi une des raisons principales du
boycott, par l’Union Calédonienne, du XIIème Comité des signataires.
C’est
d’ailleurs lors de ce XIIème Comité des signataires qu’a été actée la
possibilité de modifier la loi organique. Cette possibilité de
modification a ensuite fait l’objet de plusieurs réunions au
Haut-commissariat dans lesquelles les groupes politiques siégeant au
Congrès de la Nouvelle-Calédonie ont pu exprimer leurs doléances.
Après
avoir reçu le projet de modification de la loi organique, notre groupe a
considéré qu’il approuvait la démarche, particulièrement sur la
question de l’inscription d’office des « électeurs ayant été admis à
participer à la consultation du 8 novembre 1998 approuvant l’accord de
Nouméa » et des « électeurs ayant ou ayant eu le statut civil coutumier
». Néanmoins, notre groupe a apporté en commission un nombre important
d’observations, notamment pour améliorer la clarté du projet. En effet,
nous souhaitons que cette modification de la loi organique ne soit pas
l’occasion de faire apparaître de nouvelles failles qui entacheraient la
sincérité de notre processus d’autodétermination.
De plus, au vu
de la teneur des débats en commission, notamment sur l’esprit au moment
des négociations de l’Accord de Nouméa, notre groupe souhaite rappeler
que les critères discutés, négociés, et définis au moment de cet accord,
sont la continuité d’une longue lutte du peuple kanak pour l’obtention
d’un référendum.
d’autodétermination pour son pays, demande qui va de pair avec sa revendication d’indépendance.
Comme
le disait le député Pidjot dans son discours à l’Assemblée nationale
sur le statut Lemoine (2ème séance du 28 mai 1984), dont le problème
portait déjà sur la définition du corps électoral : « Le peuple kanak
était le seul occupant lors de la prise de possession par la France de
la Nouvelle-Calédonie. (…) ». Il a subi une politique de peuplement,
comme en Algérie, et une politique d’immigration massive, qui n’a eu de
cesse depuis 1956 (début des politiques de peuplement de la France
concomitantes avec guerre et perte Indochine et Algérie durant lesquels
l’Etat comprend qu’il faut peupler et rendre la population autochtone
minoritaire pour garder sa souveraineté sur un pays) jusqu’à
aujourd’hui, et qui l’a rendu minoritaire dans son propre pays.
Malgré
cela, le peuple kanak a accepté à Nainville-les-Roches, ceux qu’il
avait qualifiés de « victimes de l’histoire » et qui ont été plus tard
intégrés dans ce qui constitue aujourd’hui la citoyenneté calédonienne.
Dans
cette assemblée, alors encore nommée « Assemblée territoriale », le 19
avril 1984, Yeiwene Yeiwene déclarait ce qui suit : « Dans cette
discussion [de Nainville-les-Roches], nous avions, nous, le Front
Indépendantiste, reconnu les personnes qui vivent sur ce Territoire et
que nous avons appelées « les victimes de l’histoire », les victimes de
l’histoire coloniale de la France ; ce ne sont pas les victimes du
peuple kanak. Nous avons considéré qu’ils étaient des victimes, qu’ils
n’avaient pas d’autre pays que la Calédonie, et nous avons donné une
définition de ces victimes de l’histoire. Nous avons dit que ce sont des
personnes nées sur le Territoire qui doivent avoir, soit leur père,
soit leur mère nés sur le Territoire. C’est de ceux-là dont nous avons
discuté. ».
Par cette reconnaissance de nos Vieux pour ceux
qu’ils ont appelé les victimes de l’histoire, nous sommes nous,
indépendantistes, les précurseurs du destin commun et de la citoyenneté
calédonienne que vous aimez tous tant revendiquer.
Pourtant, à
Nainville-les-Roches, comme le disait le député Pidjot : « le
gouvernement français n’a pas inventé le droit ni attribué au peuple
kanak son droit inné et actif à l’indépendance. Il a seulement reconnu
quelque chose d’inhérent au peuple kanak. ». Faut-il encore rappeler la
réinscription en 1986 de la Nouvelle-Calédonie sur la liste des pays à
décoloniser ?
Comme chacun ici le sait, en 1988, nous avons signé les Accords de
Matignon, qui prévoyaient un référendum d’autodétermination dans un
délai de 10 ans, donc en
1998, avec un corps électoral défini à l’article 2 de la loi
référendaire de 1988. C’est sur ce corps électoral que nous avions
choisi de nous arrêter.
En 1998, il n’y a pas eu de référendum
d’autodétermination mais la consultation approuvant l’Accord de Nouméa.
Dans les négociations sur l’Accord de Nouméa, la position du FLNKS était
de dire que les électeurs qui constituent le corps électoral restreint
devaient être ceux constituant le corps électoral de l’article 2 de la
loi référendaire de 1988, ainsi que leurs descendants. Ce sont ces
électeurs qui ont constitué la liste spéciale pour la consultation du 8
novembre 1998. Le corps électoral étant figé à 1988 pour le supposé
référendum de 1998, un tableau annexe avait été mis en place entre 1988
et 1998 pour les personnes ne remplissant pas les conditions précitées
pour voter au supposé référendum de 1998. Durant les négociations de
1998, les indépendantistes ont accepté, une nouvelle fois, d’ouvrir aux
personnes figurant sur ce tableau annexe à la condition que celles-ci
remplissent une condition de 10 ans de résidence continue en
Nouvelle-Calédonie. Toutefois, pour que ces personnes soient inscrites
sur le tableau annexe, afin d’être identifiées comme ne pouvant pas
voter pour la consultation de 1998, il fallait forcément, au préalable,
qu’elles soient inscrites sur la liste générale de Nouvelle-Calédonie.
En
2007, le Président Jacques Chirac, respectant la parole et l’esprit qui
vont prévaloir durant les discussions aboutissant à l’Accord de Nouméa
en 1998, fit modifier la Constitution pour geler le corps électoral
donnant ainsi corps à la citoyenneté calédonienne et à la communauté de
destin partagée.
Aujourd’hui, alors que nous sommes toujours
engagés dans un processus de décolonisation et d’autodétermination, il
est plus qu’indispensable que les équilibres mis en place soient
préservés bon gré, mal gré les inlassables vagues d’arrivée qui
déferlent sur les plages et surtout sur les emplois de notre pays.