Les Français se précipitent pour visiter le village indigène reconstitué sous la tour Eiffel.
Le 5 mai 1889, quelque quatre cents Africains et Asiatiques prennent
possession du Champ-de-Mars. Ce n'est pas une manif de sans-papiers
avant la lettre, ni une réunion de rappeurs, mais les habitants du
village indigène de l'Exposition universelle dont l'ouverture officielle
est pour le lendemain. Attraction phare de l'Exposition, ces Africains,
Kanaks et Annamites ont l'immense honneur (!) d'être les habitants du
premier "village indigène" organisé dans le cadre d'une "exhibition
ethnologique".
Plusieurs expositions précédentes en Europe et en Amérique ont déjà montré de petits groupes d'individus, ou même des personnes seules, parfois même dans des cages. Mais plusieurs centaines d'indigènes du bout du monde répartis dans plusieurs villages, c'est du jamais-vu. Le gouvernement de Carnot garantit l'authenticité des Sénégalais, Gabonais ou Congolais ramenés de leurs forêts primitives ! On n'est pas allé les chercher à la Goutte-d'Or ou encore dans le 13e arrondissement... Il s'agit de vraies pièces originales ! Approchez, approchez ! Touchez ! Certains savent même parler et, qui plus est, français !
Pendant près de 6 mois, 28 millions de voyeurs défilent sur les Invalides pour épier ces malheureux répartis dans une demi-douzaine de villages reconstitués. Les brochures expliquent aux visiteurs que leurs habitants vivent, travaillent et s'amusent exactement comme au pays. Il y a là des Arabes, des Kanaks, des Gabonais, des Congolais, des Javanais, des Sénégalais... Les visiteurs mais aussi les scientifiques se précipitent. Pour une fois qu'ils ont l'occasion d'observer, de palper, de parler à ces primitifs sans avoir à courir à l'autre extrémité du monde.
On demande même parfois aux indigènes de jouer la comédie ! Ici, des femmes aux seins nus se livrent à des danses soi-disant guerrières. Là, des hommes battent tambours en inventant carrément des rituels pour l'occasion. Ce qui marche très bien auprès des visiteurs, ce sont les combats, forcément simulés... Pas question de décevoir le public venu chercher de l'exotisme. On leur demanderait presque de se bouffer entre eux juste pour confirmer aux Blancs qu'ils ont raison de les croire cannibales.
On oublie alors que l'Exposition universelle de 1889 est censée symboliser le centenaire de la prise de la Bastille, et la devise républicaine : liberté, égalité et fraternité.
source
Plusieurs expositions précédentes en Europe et en Amérique ont déjà montré de petits groupes d'individus, ou même des personnes seules, parfois même dans des cages. Mais plusieurs centaines d'indigènes du bout du monde répartis dans plusieurs villages, c'est du jamais-vu. Le gouvernement de Carnot garantit l'authenticité des Sénégalais, Gabonais ou Congolais ramenés de leurs forêts primitives ! On n'est pas allé les chercher à la Goutte-d'Or ou encore dans le 13e arrondissement... Il s'agit de vraies pièces originales ! Approchez, approchez ! Touchez ! Certains savent même parler et, qui plus est, français !
Vingt-huit millions de visiteurs
Les
organisateurs de l'Exposition universelle sont finalement animés par
les meilleurs sentiments : ce qu'ils désirent avec l'étalage de cette
chair fraîche, c'est montrer comment une nation civilisatrice comme la France
a tiré de leur obscurantisme ces êtres primitifs entre animaux et
hommes. C'est l'Occident tendant la main aux maillons manquants de
l'évolution humaine ! Le pire, c'est qu'ils le croient sincèrement !
Pendant près de 6 mois, 28 millions de voyeurs défilent sur les Invalides pour épier ces malheureux répartis dans une demi-douzaine de villages reconstitués. Les brochures expliquent aux visiteurs que leurs habitants vivent, travaillent et s'amusent exactement comme au pays. Il y a là des Arabes, des Kanaks, des Gabonais, des Congolais, des Javanais, des Sénégalais... Les visiteurs mais aussi les scientifiques se précipitent. Pour une fois qu'ils ont l'occasion d'observer, de palper, de parler à ces primitifs sans avoir à courir à l'autre extrémité du monde.
Fantasmes du Blanc
À
vrai dire, les villages ne sont pas construits avec un grand souci
d'authenticité. Décors, costumes, accessoires... sont censés représenter
leur "milieu naturel", mais tout est mis en scène, caricaturé,
stéréotypé. Par exemple, le village pahouin (tribu habitant la rive
droite de l'Ogooué) n'est pas habité par des Pahouins, mais par des
Adoumas et des Okandas. "Au premier abord, on ne percevra pas grande
différence entre ces deux races, et tous ces nègres sembleront
appartenir au même type", note alors le géographe et archéologue Louis
Rousselet. À propos du village sénégalais, le même auteur remarque :
"Ici, c'est la mare où nous voyons accroupie une des femmes du village,
dont les attributions sont de laver le linge des habitants. Et vous
pouvez être certains qu'elle ne chôme pas. Les nègres sont propres et
aiment à porter des vêtements toujours frais." Et s'il avait connu
Obama, il aurait pu ajouter qu'ils sont également blagueurs...
On demande même parfois aux indigènes de jouer la comédie ! Ici, des femmes aux seins nus se livrent à des danses soi-disant guerrières. Là, des hommes battent tambours en inventant carrément des rituels pour l'occasion. Ce qui marche très bien auprès des visiteurs, ce sont les combats, forcément simulés... Pas question de décevoir le public venu chercher de l'exotisme. On leur demanderait presque de se bouffer entre eux juste pour confirmer aux Blancs qu'ils ont raison de les croire cannibales.
Liberté, égalité, fraternité
Pour autant, les indigènes présentés ne sont pas des comédiens engagés pour l'occasion. Ils ont été recrutés dans leurs pays d'origine par des imprésarios ou des chefs d'expédition, aidés souvent par des chefs de village, les fixeurs de l'époque. Ils sélectionnent les beaux spécimens, leur font passer de véritables castings. Le public de l'Exposition universelle se croit souvent au zoo, n'hésitant pas à railler à voix haute les traits simiesques. On compare ces sauvages à des singes, montrant du doigt leurs lèvres énormes, leur teint huileux, leurs cheveux crépus. D'ailleurs, comme devant la cage d'un singe, certains visiteurs jettent de la nourriture, des babioles. On a même surpris un touriste venu de Barcelone, lancer une banane... Beaucoup se moquent des indigènes malades, tremblant à la porte de leur case. Ils sont là pour se marrer, ils n'ont sûrement pas payé pour pleurer sur leur sort. Horrible... En marge de l'Exposition, loin du cadre officiel, des petits malins ont compris qu'il y avait de l'argent à se faire en exhibant eux aussi des sauvages. C'est le cas du Hollandais Godefroy, qui rassemble des Angolais rue Laffitte. Tandis qu'un certain Gravier installe 18 Accréens (des Ghanéens de la région d'Accra) au 62 quai de Billy (actuel quai Branly). Il les avait déjà montrés à Amsterdam en 1880, mais, fait curieux, ils étaient alors 23. Que sont devenus les cinq manquants ? Nombreux sont les participants à ce genre d'exhibition qui ne rentreront jamais chez eux, victimes de maladies occidentales comme la variole, la tuberculose... Des victimes collatérales.On oublie alors que l'Exposition universelle de 1889 est censée symboliser le centenaire de la prise de la Bastille, et la devise républicaine : liberté, égalité et fraternité.