«…Lorsqu’une maison est attaquée par des brigands, qu’un village
est envahi par des gangsters, que de la fumée, des flammes et des cris
sortent de partout, pouvons-nous nous permettre le luxe de prendre le
temps de calculer, d’analyser et de rechercher des solutions logiques,
éthiques, globales et objectives complètes?»
L’amour est-il objectif? La passion est-elle objective?
Les rêves sont-ils défendables, logiquement et philosophiquement?
Lorsqu’une maison est attaquée par des brigands, qu’un village est
envahi par des gangsters, que de la fumée, des flammes et des cris
sortent de partout, pouvons-nous nous permettre le luxe de prendre le
temps de calculer, d’analyser et de rechercher des solutions logiques,
éthiques, globales et objectives complètes?
Je suis fermement convaincu que non. Nous sommes obligés de nous battre contre ceux qui incendient nos maisons, de frapper avec force ceux qui tentent de violer nos femmes, et de répondre au feu par le feu à chaque fois que des innocents sont massacrés.
Lorsque la force la plus puissante et la plus destructrice du globe
mobilise tout son pouvoir de persuasion, faisant flèche de tout bois,
depuis les grands médias jusqu’aux institutions pédagogiques, pour
justifier ses crimes, lorsqu’elle répand sa propagande empoisonnée et
ses mensonges pour opprimer le monde et anéantir tout espoir, est-ce que
nous prenons du recul? Est-ce que nous nous lançons dans un travail
incessant et approfondi sur des récits précis et objectifs? Est-ce que
nous opposons au mensonge et à la propagande notre propre version des
faits, renforcée par notre intuition, notre passion et nos rêves d’un
monde meilleur?
L’Empire ment continuellement. Il ment le matin, pendant la journée,
le soir et même la nuit, quand la plupart des gens dorment profondément.
Il le fait depuis des décennies et même des siècles. Pour les
tromperies à grande échelle, il s’en remet à d’innombrables
propagandistes, qui se présentent comme universitaires, enseignants,
journalistes et intellectuels. En matière de désinformation, on
a atteint la perfection. La publicité occidentale (si admirée et
exploitée par les nazis allemands) a certaines racines communes avec la
propagande, bien que celle-ci soit plus ancienne et plus achevée.
Il semble que même certains dirigeants de l’Empire en soient
aujourd’hui arrivés à croire à la plupart de leurs inventions – sans
parler de la plupart des citoyens ordinaires. Sinon, comment
parviendraient-ils à dormir ?
L’appareil de propagande occidental est extrêmement efficace. Il est
également brillant dans sa manière de veiller à ce que ses inventions
soient transmises, diffusées et acceptées aux quatre coins du monde. Le
système par lequel la désinformation se répand est incroyablement
complexe. Sur tous les continents, des médias et des universitaires
serviles usent de tout leur pouvoir pour garantir qu’une seule version
des faits soit autorisée à pénétrer le cerveau de milliards d’individus.
Résultat : lâcheté intellectuelle et ignorance, partout dans le
monde, mais en particulier en Occident et dans ses États vassaux.
***
Nous, les opposants au régime, que sommes-nous censés faire?
Premièrement, les choses sont moins désespérées qu’elles ne l’ont été.
Nous ne sommes plus dans le monde unipolaire morbide du début des
années 1990. Aujourd’hui, le Venezuela, la Russie, la Chine et l’Iran
soutiennent de puissants médias opposés à l’Empire. De puissantes
chaînes de télévision ont vu le jour : RT, Press TV, TeleSUR et CCTV.
D’énormes magazines en ligne et sites en anglais, aux États-Unis, au
Canada et en Russie révèlent également les mensonges des agents de
propagande officiels de l’Occident. Des noms tels que Counterpunch, Information Clearing House, Global Research, Veterans News, Strategic Culture ou New Eastern Outlookviennent
aussitôt à l’esprit. En outre, des centaines de sites importants font
de même en espagnol, en chinois, en russe, en portugais et en français.
La lutte pour un monde intellectuellement multipolaire est engagée.
C’est une lutte acharnée et sans merci! C’est une bataille décisive,
tout simplement parce que les métastases du cancer de la propagande
occidentale se sont répandues partout. Elles ont contaminé tous les
continents, et même certains des pays et des cerveaux les plus courageux
en lutte contre l’impérialisme et le fascisme occidentaux. Personne
n’est à l’abri. Franchement, nous sommes tous contaminés.
Faute de remporter cette bataille, en commençant par identifier et prouver clairement que leur discours
est mensonger puis en proposant une vision humaniste empreinte de
compassion, nous ne pouvons même pas rêver d’une révolution ni de tout
autre changement notable de l’état du monde.
***
Comment remporter la victoire? Comment convaincre les masses, les
milliards d’individus qui constituent l’humanité? Comment leur ouvrir
les yeux et leur montrer que le régime occidental est malhonnête, vicié
et destructeur? La majeure partie de l’humanité est accro à la
propagande de l’Empire. Cette propagande n’est pas seulement le fait des
médias mainstream, mais également de la musique populaire, des
feuilletons télévisés, des réseaux sociaux, de la publicité, du
consumérisme, des tendances de la mode et de tout autre moyen
dissimulé. Elle revêt aussi les habits d’une soupe culturelle,
religieuse et médiatique qui conduit à la stupeur émotionnelle et
intellectuelle. À l’instar d’une drogue hautement addictive, elle est
administrée régulièrement et avec persistance.
Sommes-nous en mesure de contrer la tactique et la stratégie de cet
Empire brutal et destructeur par notre honnêteté, la recherche, le
compte rendu d’enquêtes méticuleuses sur les faits?
L’Empire pervertit les faits. Il ne cesse de répéter ses mensonges
dans les haut-parleurs et sur les écrans. Il les clame des milliers et
des milliers de fois, jusqu’à ce qu’elles envahissent les cerveaux et
jusqu’au plus profond du subconscient.
Bonne volonté, honnêteté naïve, asséner la vérité au pouvoir : tout cela peut-il changer la face du monde et le pouvoir lui-même? J’en doute fort.
L’Empire et son pouvoir sont illégitimes et criminels. À quoi sert la
franchise avec un gangster? Franchement? C’est aux peuples, aux masses
qu’il faut dire la vérité, pas à ceux qui terrorisent le monde.
En adressant la parole aux méchants, en les suppliant d’arrêter de
torturer les autres, nous ne faisons que légitimer leurs crimes et
reconnaître leur pouvoir. En essayant d’apaiser les gangsters, les gens
se mettent à leur merci.
Et cela, je le refuse absolument!
***
Pour emporter l’adhésion de milliards d’individus, nous devons les
inspirer, les enflammer. Nous devons les provoquer, les embrasser, leur
faire honte, les faire rire et les faire pleurer. Nous devons veiller à
ce qu’ils aient la chair de poule lorsqu’ils regardent nos films, lisent
nos livres et nos essais, ou lorsqu’ils écoutent nos discours.
Nous devons les désintoxiquer, leur faire retrouver l’usage des sens et réveiller leurs instincts.
La vérité nue est inopérante. Le poison instillé par nos adversaires
s’est enfoncé trop profondément. La plupart des gens sont trop
léthargiques et insensibles aux vérités simples, énoncées
tranquillement.
Nous avons essayé. D’autres aussi ont essayé. Une de mes
connaissances (mais certainement pas un camarade), John Perkins, ancien
apparatchik US formé par le Département d’État, a rédigé un long compte
rendu de ses actes épouvantables en Équateur, en Indonésie et ailleurs, Les confessions d’un assassin financier. Il
s’agit d’un compte rendu méticuleux de la manière dont l’Occident
déstabilise les pays pauvres par la corruption, l’argent, l’alcool et le
sexe. Ce livre s’est vendu à des millions d’exemplaires dans le monde.
Pourtant, rien n’a changé! Il n’a pas déclenché de révolution populaire
aux États-Unis. On n’a assisté à aucune protestation, à aucune demande
de changement de régime à Washington.
Dernièrement, j’ai publié deux ouvrages académiques, ou du moins
semi-académiques, truffés de détails, de citations et de notes de bas de
page : l’un traitait de l’Indonésie, l’un des pays utilisés par
l’Occident comme modèle pour effrayer le reste du monde après le coup
d’État militaire appuyé par les États-Unis en 1965. Ce coup d’État a
fait 2 à 3 millions de victimes. La vie intellectuelle a été assassinée,
et le quatrième pays le plus peuplé du monde a été lobotomisé. Cet
ouvrage est intitulé Indonesia – Archipelago of Fear (Indonésie
– L’archipel de la peur). Le second, unique en son genre car il traite
d’une très grande partie du monde, à savoir la Polynésie, la Mélanésie
et la Micronésie Oceania – Neocolonialism, Nukes and Bones – (Océanie
– Néocolonialisme, bombes nucléaires et ossements), montre comment les
États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la
France ont littéralement divisé et détruit les cultures et les peuples
des îles du Pacifique Sud. Aujourd’hui, mes livres sont utilisés dans
l’enseignement, mais le nombre de gens influencés par les faits exposés
est très limité. Les élites d’Indonésie et d’Océanie ont veillé à ce que
ces livres ne soient pas lus par un grand nombre de gens.
J’ai passé de nombreuses années à faire des recherches, enquêter et
compiler les faits. L’efficacité révolutionnaire de mon travail
universitaire est, je dois bien l’admettre, quasiment nulle.
Ce n’est pas difficile à constater : lorsque j’écris un essai, bien
construit et émouvant, qui exige que justice soit rendue, qui accuse
l’Empire de meurtre et de vol, il est lu par des millions de gens sur
tous les continents et traduit dans des dizaines de langues !
Pourquoi est-ce que j’écris cela, pourquoi partager cela avec mes
lecteurs? Parce que nous devons tous être réalistes. Nous devons voir et
comprendre ce que les gens veulent – ce qu’ils exigent. Ils sont
malheureux et terrifiés. La plupart ne savent même pas pourquoi. Ils
détestent le système, ils sont seuls, frustrés ; ils savent qu’on leur
ment et qu’on les exploite. Pourtant, ils ne parviennent pas à cerner
ces mensonges. Quant aux ouvrages universitaires qui en font état, ils
sont trop complexes. La plupart des gens n’ont pas le temps de lire des
milliers de pages indigestes ou n’ont pas reçu une instruction
suffisante pour comprendre ce qu’ils lisent.
Notre devoir est donc de nous adresser à ces gens, qui représentent
la majorité. Sinon, quel genre de révolutionnaires sommes-nous? Après
tout, nous sommes censés créer pour nos frères et sœurs, pas pour une
poignée de chercheurs universitaires, surtout quand on sait que la
plupart des universités sont au service de l’Empire, qu’elles ne font
que régurgiter une nomenclature officielle et des démagogues aux ordres.
***
L’Empire parle, écrit puis répète à l’envi des mensonges éhontés sur
ses bienfaits et le caractère exceptionnel de son régime, ou bien sur
les maux que représentent l’Union soviétique, la Chine, l’Iran,
le Venezuela, la Corée du Nord ou Cuba. Il le fait quotidiennement.
Tout est fait pour que quasiment chaque être humain ait sa dose de
toxine au moins plusieurs fois par jour.
Nous estimons devoir réagir. Alors, nous commençons à passer
plusieurs années de notre vie à prouver méticuleusement, pas à pas, que
la propagande de l’Empire est soit un énorme mensonge, soit de
l’exagération, soit les deux. Au fur et à mesure que nous compilons nos
arguments, nous publions les résultats chez un petit éditeur quelconque,
le plus souvent sous la forme d’un petit livre peu épais. Cependant,
presque personne ne le lit à cause de sa diffusion restreinte, parce que
les faits constatés sont généralement trop complexes et difficiles à
digérer, ou simplement parce que les faits en question ne choquent plus
personne [ou parce que les gens ne peuvent pas les entendre, NdT]. Un millions d’innocents de plus assassinés quelque part en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie? Et à part ça, quoi de neuf?
En effectuant un travail de recherche honnête et approfondi, en
disant la vérité sans fard, nous estimons faire un excellent travail
professionnel et scientifique. Et pendant ce temps-là, les agents de
propagande de l’Empire sont morts de rire en nous regardant! Nous ne
représentons guère de danger pour eux. Ils n’ont aucune difficulté à
l’emporter!
Pourquoi cela? La vérité dans tous ses détails n’a donc aucune importance?
Si, elle en a, au moins du point de vue de principes supérieurs.
C’est important sur le plan de l’éthique. C’est important sur le plan
moral. C’est important sur le plan philosophique.
C’est cependant moins important sur le plan stratégique, car nous
sommes engagés dans une guerre idéologique. La vérité, elle, conserve
toute son importance quoi qu’il advienne. Cependant, ce doit être une
vérité simplifiée, digeste, présentée avec une forte charge
émotionnelle.
Lorsque la perte des repères moraux s’empare du monde, sans la
moindre pitié, lorsque des millions d’innocents meurent, ce qui compte,
c’est d’abord d’arrêter le massacre en identifiant les meurtriers puis
en les arrêtant.
Le langage doit être fort, les émotions, brutes.
Face à des hordes meurtrières, la poésie, les chansons chargées
d’émotions et les hymnes patriotiques ont toujours été plus efficaces
que les études universitaires approfondies. Il en va de même avec les
romans et les films politiques, les documentaires passionnés, et même
les dessins animés et les affiches provocateurs.
Certains ne manqueront pas de poser la question suivante : «Mais alors, s’ils mentent, devons-nous mentir aussi?» Non! Nous devons au contraire rester le plus fidèles possible à la vérité. Toutefois, il convient d’abréger notre message, afin qu’il soit compris des masses et non d’une élite triée sur le volet.
Cela n’implique pas pour autant que la qualité de notre travail doive
en pâtir. Il est souvent plus difficile d’atteindre la simplicité que
de rédiger des travaux encyclopédiques comportant des milliers de notes
de bas de page.
L’ouvrage de Sun Tsu, L’art de la guerre, est court. Ce n’est guère plus qu’un pamphlet qui va directement à l’essentiel. On peut en dire autant du Manifeste du parti communiste et de l’article J’accuse!
Il n’est pas impératif que notre travail révolutionnaire soit bref,
mais il doit être présenté sous une forme compréhensible par le plus
grand nombre. Je fais constamment de nouvelles expériences sur la forme,
mais sans jamais sacrifier le fond. Le livre Exposing Lies of the Empire que
j’ai publié dernièrement comporte plus de 800 pages. J’ai toutefois
veillé à ce qu’il soit truffé de témoignages captivants, d’individus
habitant les quatre coins du monde, et de descriptions très vivantes à
la fois des victimes et des tyrans. Je ne tiens pas à ce que la
poussière s’accumule sur mes livres dans des bibliothèques
universitaires. Je veux faire bouger les gens.
***
Je suis fermement convaincu qu’il n’est pas impératif de perdre du temps avec l’objectivité dans une bataille, idéologique ou autre, quand l’enjeu est la survie de l’humanité.
Les mensonges de l’ennemi doivent être dévoilés. Ce sont des mensonges monstrueusement toxiques.
Lorsque la destruction prendra fin, que des millions d’hommes, de
femmes et d’enfants innocents cesseront d’être sacrifiés, nous pourrons
toujours revenir à nos chers concepts philosophiques complexes pour nous
immerger dans les détails et les nuances.
Avant de remporter la bataille finale sur l’impérialisme, le
nihilisme, le fascisme, l’exceptionnalisme, l’égoïsme et l’avidité, nous
devons employer nos armes les plus puissantes : notre vision d’un monde
meilleur, notre amour pour l’humanité et notre soif de justice. Notre
détermination et nos convictions doivent être présentées de manière
forte, même dogmatique ; notre discours doit être imaginatif, artistique, puissant!
Camarades, il y a le feu! Toute la ville est en flammes. Toute la planète est pillée, dévastée, lobotomisée.
Ce n’est pas avec des armes nucléaires et des navires de guerre que
nous pouvons affronter les fanatiques. En revanche, notre talent, nos
muses et nos cœurs sont là, prêts à se lancer dans la bataille.
Soyons plus malins que nos ennemis et faisons en sorte que le monde
entier se moque d’eux! Vous les avez vus, ces losers patriotes, ces
bouffons de PDG? Vous les avez écoutés, ces premiers ministres et ces
présidents, ces valets du marché? Laissez-nous convaincre les
masses que leurs tyrans – les impérialistes, les néo-colonialistes et
tous leurs prédicateurs dogmatiques – ne sont rien d’autres que de
pitoyables guignols, avides et toxiques. Discréditons-les.
Ridiculisons-les.
Ils spolient et tuent des millions de gens. Le moment est venu au moins de leur pisser dessus!
Pour lutter contre la propagande occidentale, commençons par révéler
qui est derrière elle. Le moment est venu de livrer des noms.
Faisons de cette révolution un événement plein d’imagination et de rigolade!
Andre Vltchek