En 2009, le Salvador écrivait une histoire qui
aurait été complètement inimaginable dans les années quatre-vingt. À
cette époque éclata une guerre « civile » de douze ans, qui fit plus de
cent mille morts ; un véritable enfer sur terre qui révéla la structure
d’un pays où s’était enracinée l’injustice et assassina les rêves de
générations entières du pays.
L’utopie sert de guide pour avancer...
Eduardo Galeano
À la suite de la signature des accords de paix en 1992 commença l’aventure politique de la branche révolutionnaire du pays. Le FMLN (Frente Farabundo Marti para la Liberacion Nacional ou Front de Farabundo Marti pour la Libération Nationale) changeait de stratégie et délaissait la lutte armée pour la lutte politique et l’organisation sociale. En 2009, le peuple salvadorien décida de modifier le cours de l’histoire et vota pour un gouvernement de gauche par voie démocratique pour la première fois. Le premier président de gauche fut Mauricio Funes (journaliste et correspondant de la chaîne CNN en espagnol) et son vice-président, Sánchez Ceren. Une partie de son programme gouvernemental était :
En politique économique : une pension de base pour les personnes du troisième âge, une protection du consommateur (des mesures pour éviter le monopole des aliments de base), une subvention pour du gaz propane aux familles à revenus modestes, mais rien de plus aux industries qui les fournissaient.
En politique du travail : la création de l’Instituto del Seguro Social (Institut d’assurance sociale, ou ISS) pour les employés domestiques, la création de projets pour la lutte et la défense des genres, comme « Ciudad Mujer ».
En politiques sociales : une pension pour les personnes âgées, la loi sur les médicaments, des programmes pour les enfants (des verres de lait pour les écoliers, des kits scolaires) et des programmes de prévention contre la violence.
En Structure routière : la construction de routes.
En politique environnementale : la pérennisation de l’eau, la non-exploitation minière de la région de Cabana.
Politique internationale : le rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba.
C’est donc un gouvernement qui a réussi à convertir un programme social en lois politiques d’État. Des lois qui profitent aux plus pauvres. Selon les analyses économiques, au terme du gouvernement Funes, son équipe avait atteint les niveaux les plus bas d’indices de pauvreté de toute l’histoire du Salvador ; elle avait chuté de 49 % en janvier 2008 à 35,9 % en octobre 2013.
Peut-être que les résultats obtenus n’ont pas répondu aux attentes de quelques Salvadoriens, y compris ceux issus des secteurs de gauche qui ont lutté dans les montagnes. Cependant, la cruelle réalité est que les dépenses de l’État dépassent ses revenus. Malgré de telles conditions désavantageuses, le programme social a pu être mis en œuvre. Ceci a permis au FMLN de gagner les élections du 9 mars 2014 et ainsi, de rester au pouvoir cinq années de plus.
Le programme du gouvernement dirigé par Salvador Sanchez Seren et Oscar Ortiz a suivi l’amplification et l’approfondissement des programmes sociaux et économiques initiés durant le premier gouvernement de gauche, le FRONT (c’est ainsi que le parti est connu). Après les six premiers mois de mandat du gouvernement Ceren, les premières attaques contre l’ARENA ne se font pas attendre. L’assemblée législative devient la nouvelle équipe qui lutte pour la promulgation de lois justes qui bénéficient au peuple.Ces lois sont :
*L’acceptation de la loi reconnaissant les peuples indigènes *La loi pour renforcer le budget des pompiers *La loi pour la reconstruction d’hôpitaux *La loi pour allouer une pension aux retraités *La loi pour des infrastructures touristiques *La loi de transparence dans le financement des partis politiques *Le projet de loi spéciale contre le délit d’extorsion
Toutes ces lois ont été rejetées par l’ARENA. Actuellement, le débat continue sur la privatisation de l’eau. La loi sur la gestion des ressources hydriques a été approuvée en 1981. A l’époque, l’Association National de l’Entreprise Privée (ANEP en espagnol) et l’ARENA proposèrent la privatisation comme une solution magique et indispensable au problème de l’eau et, jusqu’aujourd’hui, les partis de droite maintiennent le blocage des discussions autour d’un projet de loi générale sur l’eau au sein de la Commission de l’environnement et du changement climatique de l’assemblée législative.
Le Salvador continue à construire son histoire à travers l’élection, le 1er mars 2015, des députés pour l’Assemblée Législative (formée de 84 députés). Le résultat a été décisif pour trouver des solutions en faveur d’un peuple et d’une région souffrant encore d’une grande pauvreté culturelle et économique, et de l’absence de reconnaissance des droits de l’homme. Pour les conseils municipaux, les élections signifient la continuité du développement local.
Quelles sont les défis actuels pour les Salvadoriens ? Et qui sont les assassins de l’espérance ?
N’importe quel Salvadorien de la génération antérieure aux années 1970 se souviendra facilement d’un militaire qui apparaissait dans les programmes de télévision les dimanches soirs, évoquant la situation politique du pays alors en guerre, vociférant et présentant des vidéos (selon lui) d’enfant sous-alimentés mourant de faim en Russie ou à Cuba. Il présentait un melon d’eau et une machette en disant « eux, ils sont verts à l’extérieur et rouges à l’intérieur ». Ce militaire n’était autre que Roberto D’Aubuisson Arrieta (2), fondateur du parti ARENA.
L’ex-maire de San Salvador, Norman Quijano, décida de baptiser du nom du fondateur de son parti une rue principale où se trouvent les bâtiments qui préservent une mémoire historique de résistance, comme la UES (Université National de San Salvador)
Mais D’Aubuisson, expert en contre-insurrection et en communication du Fort Gulick situé dans la zone du Canal de Panama, fut également le fondateur des escadrons de la mort et a été inculpé par la Commission pour la Vérité des Nations Unies pour avoir donné l’ordre d’assassiner l’archevêque Oscar Arnulfo Romero (3).
Vous, cher(e) lecteur(trice), pourrez apprécier la trace laissée par le fondateur de ARENA et des escadrons de la mort, responsable de milliers d’assassinats, de la disparition de professeurs, de paysans, de syndicalistes, d’étudiants universitaires de l’Université Nationale, de poètes, d’artistes... avant, pendant et après le conflit armé. Quand on lit un petit fragment de l’hymne du parti, que ses militants chantent encore aujourd’hui :
« La liberté s’écrit avec le sang, je travaille avec la sueur, nous unissons la sueur et le sang mais en premier Le Salvador, les nationalistes ont surgis en disant ceci : Patrie oui ! Communisme non ! Le Salvador sera la TOMBE où les rouges termineront En sauvant l’Amérique de cette manière, notre Amérique (sic) sera Immortelle. »
Et moi, je me demande : alors sera-t-il légal et démocratique qu’un parti politique puisse ainsi insuffler un tel esprit de haine et provoquer librement l’assassinat de ses détracteurs ?
Le fait est qu’assassiner ou être assassiné au Salvador est plus facile qu’éternuer... La violence que vit le pays à tous les niveaux est l’héritage laissé par des années de guerre. Les preuves concrètes que l’on pourrait citer sont : les attaques commises dans les bureaux du parti du FMLN "Front Farabundo Martí de libération nationale" (FRENTE en espagnol) à Ayutuxtepeque et à San Vicente dans l’ancien Cuscatlan, et l’assassinat du conseiller municipal de Pasaquina dans l’Union.
En Amérique Centrale, la violence commence très tôt et, pour beaucoup, l’enfance se vit dans la douleur et dans la violence physique et verbale. C’est particulièrement le cas pour ceux qui connaissent une situation une situation à risques : l’absence d’une famille, l’exploitation physique et sexuelle, le manque d’études, l’absence d’un projet de vie, un entourage social sans morale, une pénurie économique pour subvenir aux besoins élémentaires comme manger, s’habiller, s’amuser... Ceux-là peuvent être certains de présenter des profils de jeunes qui se rallient à un gang.
A l’origine, dans l’argot salvadorien des années 80, « la Mara » désignait un groupe d’amis. Actuellement, cela se rapporte à un groupe de criminels (des adolescents ou des adultes en prison) impliqués dans des activités obscures de trafic d’armes par exemple, de drogue, de prostitution, de meurtres, d’extorsion ou encore de mafia. Ces groupes, qui ont été formés dans les années 80 aux Etats-Unis et qui ont été par la suite expulsés massivement des Etats-Unis puis renvoyés vers Le Salvador, ont évolué depuis les 25 dernières années. Ils forment maintenant des groupes à très haut risque pour la jeunesse du pays.
Il y a donc urgence à investir dans l’éducation, dans des programmes d’aide à la jeunesse, dans des projets de lois contre le crime organisé... car la justice est l’un des éléments-clés pour assurer la sécurité de la société salvadorienne. L’organe judiciaire s’est trouvé actuellement marqué par un cas de vol et de corruption commis par l’ex-président Antonio Saca, à l’occasion des dons octroyés par Taiwan lors du tremblement de terre (350 millions de dollars). Le procès n’avance pas et aucun verdict n’est prononcé. Est-ce là un autre cas d’impunité dans le pays ? L’impunité qui persiste de nos jours, remonte aux milliers de disparus et de civils massacrés pendant les années de guerre, qui restent dans la mémoire de leurs familles et de Notre histoire. Seule la justice peut éliminer la mentalité du "propriétaire" au Salvador.
La politique est un acte d’amour et d’espoir, le sentiment qui amène à considérer ce que l’on désire comme étant réalisable.
Source : Journal de Notre Amérique No.3, Investig’Action, april 2015.