Breaking the silence est une ONG israélienne qui cherche à faire parler ceux qui ne parlent pas, les soldats. L'association a publié hier un document de 240 pages regroupant les témoignages de plus de 60 officiers et soldats engagés dans la guerre à Gaza durant l’été 2014, sous couvert d'anonymat.
Des
témoignages concordants et précis, qui recoupent ce qu’on décrit les
Palestiniens. Une armée qui a l’expérience du crime de guerre. Voici
quatre témoignages.
1
Une unité avait identifié deux personnes marchant dans un verger, à 800 ou 900 mètres d'elle.
Le
commandant de l'unité demande aux observateurs de confirmer : « Que
voyez-vous ? ». Il demande si les deux jeunes femmes sont dangereuses.
C'était la journée, à peu près vers 11h ou midi.
Les
guetteurs ne pouvaient pas très bien voir. Le commandant envoie alors
un drone afin d'observer de haut les deux personnes. Le drone voit les
deux jeunes femmes avec des téléphones, en train de parler et de
marcher.
Ils ont alors tiré sur ces filles. Et elles ont été tuées.
Après
qu'elles aient été éliminées, j'ai eu le sentiment que c'était des
conneries. Sur quoi repose l'incrimination des deux jeunes femmes ?
L'observation.
Après
cela, le commandant demande au chef de char d'aller parcourir
l'endroit. Trois chars sont allés vérifier les corps. Ils ont pu
constater que c'était deux femmes, âgées de 30 ans. Elles étaient
désarmées. Le chef de char est revenu et nous avons changé de position.
Les
deux jeunes femmes abattues ont été répertoriés comme des
terroristes. On leur a tiré dessus. Alors forcément, elles devaient être
des terroristes ...
2
C'était
notre premier chabbat. Plus tôt ce jour-là, l'une des unités a été la
cible de missiles anti-chars. L'unité est allée attaquer la zone d'où
ont été tirés les missiles. Les gars qui sont restés se souciaient
beaucoup moins des civils.
Je
me souviens m'être dit que je me foutais complétement d'eux, des
citoyens de Gaza. Ils ne méritaient rien. Et s'ils méritaient quelque
chose, c'était d'être blessés ou tués. Voilà ce que je pensais.
A
ce moment-là, il y avait un vieil palestiniens qui approchait de la
maison. Tout le monde se souvenait alors de l'histoire du vieil homme
piégé avec des explosifs.
Le
vieil homme s'est approché et le gars qui était de faction - je ne sais
pas ce qui lui a traversé la tête - il a vu le civil et il lui a tiré
dessus. Mais sans succès. Le vieil homme, qui était à terre, se tordait
de douleur. Nous nous sommes tous souvenus de l'histoire du vieil homme
piégé et aucun des infirmiers ne voulaient aller le soigner.
Il
était clair pour tout le monde que deux options s'offraient à nous :
soit nous le laissions mourir lentement, soit nous le sortions de sa
misère.
Finalement, nous l'avons sorti de sa misère. Un D9, un bulldozer blindé,
est venu. Le bulldozer a laissé tomber un monticule de gravats sur le
vieil homme et ce fut tout. Afin d'éviter de se poser la question de
savoir si le vieil homme portait une bombe ou non - parce que cela
n'intéressait personne à ce moment – le bulldozer est venu et a laissé
tomber un tas de gravats sur son corps et ce fut tout. Tout le monde
savait que, sous ce tas de gravats, il y avait le cadavre d'un homme.
Selon
l'enquête, lorsque le commandant de la compagnie a demandé au soldat ce
qu'il s'était passé, le soldat a déclaré avoir repéré un homme âgé de
60 à 70 ans et approchant de la maison. L'unité était stationnée dans
une grande maison, avec un bon point de vue. Le soldat a repéré le vieil
homme venant dans sa direction, vers son poste. Alors le soldat a
affirmé avoir tiré près des pieds du vieil homme. Le soldat assure
ensuite que le vieil homme a continué de se rapprocher de la maison. Il a
donc tiré une balle et touché le côté gauche du vieil homme. Rein,
foie, je ne sais pas ce qu'il y a à cet endroit. Mais c'est un endroit
dans lequel vous ne voulez pas recevoir une balle. Selon le soldat, le
vieil homme a reçu la balle et s'est couché sur le sol. Un ami du
soldat en poste est venu et a également tiré sur l'homme, alors qu'il
était déjà à terre. Il a ensuite tiré deux balles dans ses jambes.
Pendant
que le soldat expliquait la situation, il y a eu une conversation avec
le commandant. Parce que cela s'était passé en plein milieu d'une
offensive du bataillon, l'histoire du vieil homme n'intéressait
personne.
3
Au
bout d'un moment, nous avons compris que ça marchait comme ça. Vous
quittez une maison et c'en est fini de cette maison. Le D9 (un
bulldozer) arrive et l'écrase (...) on a commencé comme ça dans un
quartier, du nord vers le sud (...) après notre départ, le quartier
était un champ de ruines...
A
ce stade, nous sommes retournés dans un secteur où nous avions
stationné auparavant. On ne reconnaissait pas le quartier parce que la
moitié des maisons avait tout simplement disparu. Tout ressemblait à un
film de science-fiction, des vaches errant dans les rues (...) un degré
de destruction que nous n'avions pas vu lors de l'opération Plomb Durci.
4
Un
jour, le chef du bataillon nous a réunis, pour nous briefer. « Demain
soir, on entrera dans la bande de Gaza, nous a-t-il dit. Il faut penser à
nos familles, à nos foyers. Ce qu’on fait, c’est pour leur
sécurité. » Il nous a parlé des règles d’engagement. « Il y a un cercle
imaginaire de 200 mètres autour de nos forces. Si on voit quelque chose à
l’intérieur, on a le droit de tirer. »
J’étais
le seul à trouver ça bizarre. Il m’a répondu : « Si une personne voit
un char et ne s’enfuit pas, elle n’est pas innocente et peut être
tuée. » A ses yeux, il n’y avait pas de civils. Si quelqu’un peut nous
causer du tort, il est coupable. La marge de manœuvre était très large,
ça dépendait de moi et de mon commandant. On n’enquêtait pas sur la
cible, comme on me l’avait enseigné pendant la formation. C’était du
genre : je vois quelque chose de louche à la fenêtre, ou bien cette
maison est trop proche de nous, j’ai envie de tirer. « OK ! », disait le
commandant.
On
est entré dans la bande de Gaza le 19 juillet. On cherchait des tunnels
du Hamas construits entre Gaza et Israël. On devait aussi détruire les
infrastructures du Hamas et causer les plus grands dégâts possibles au
paysage, à l’économie, aux infrastructures, pour que le Hamas paie le
prix le plus élevé pour le conflit et qu’ils y réfléchissent à deux
fois, pour le conflit prochain. C’est de la dissuasion. On visait des
fermes, des bâtiments, des poteaux électriques. Si des immeubles civils
sont élevés, on peut les viser. Officiellement, on nous disait qu’il
fallait éviter les victimes civiles, mais en même temps, faire le plus
de dégâts possibles. J’étais le seul que ça dérangeait dans mon
bataillon. Les autres disaient : « On doit le faire, c’est eux ou nous,
ils finiront par nous tuer sinon, c’est OK… »
Au
lever du soleil, après notre arrivée, vers 8 heures ou 9 heures, le
commandant a demandé à six chars de s’aligner devant Al-Bourej [vaste
zone d’habitation au centre de la bande de Gaza]. J’avais réglé ma radio
pour entendre les autres chars, chaque tireur pouvait choisir sa cible,
au hasard. C’était du genre : « Moi, je vise le bâtiment blanc, là ».
Et il fallait attendre le décompte. Personne ne nous avait tiré dessus
avant, ni pendant, ni après. Le commandant a appelé ça « Bonjour
Al-Bourej ! » A moitié en plaisantant, il disait qu’il voulait leur
adresser le bonjour de l'armée. Officiellement, c’est de la dissuasion.
On a donc tiré sur des bâtiments civils ordinaires, au hasard.
Al-Bourej, c’est un nid de frelons du Hamas, nous a-t-on dit, il serait
suicidaire d’y entrer. On le contrôlait par le feu. Chaque jour, toutes
les trente minutes, un char s’installait en face et tirait. Lorsqu’un
jour, l’un de nos soldats a été tué par un tir de mortier, le commandant
nous a dit de le venger, en souvenir. On s’est mis en position. J’ai
choisi au hasard un immeuble à 3-4 km, près de la mer, et j’ai visé le
11e étage avec un obus. On a peut-être tué des gens.
Pendant
tout ce temps, on était surtout stationné dans une zone rurale autour
du village de Juhor ad-Dik, très verte, avec des fermes, beaucoup
d’arbres. Quand on est parti, il ne restait qu’un ou deux bâtiments
debout. Ils ont pris le bulldozer blindé, le D-9, et ont travaillé cette
zone vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, pour la
transformer en désert. Le D-9 sert d’abord pour ouvrir la voie aux
chars, pour nettoyer les obstacles, les éventuels engins piégés. On nous
a dit qu’on voulait aplanir cette zone pour avoir une capacité
d’observation pour la prochaine fois.
Il est arrivé, une fois, la 3e semaine,
qu’on soit posté en un endroit d’où l’on voyait la route Salaheddine,
la grande artère qui traverse la bande du nord au sud. Les gens y
circulaient car elle était hors de la zone de combat. On était trois
chars. On s’est dit : OK, voyons qui arrivera à atteindre un véhicule ou
un vélo. Le commandant a dit : « OK, rendez-moi fier ! » On
a parié entre nous, mais c’était trop dur, personne n’a réussi. Mon
char datait des années 1980, il ne peut atteindre des cibles se
déplaçant vite. Je devais tout calculer dans ma tête en cinq secondes
pour anticiper la trajectoire. Et je ne voyais qu’une partie de la
route. Il y avait un cycliste. On l’a visé avec une mitraillette de
calibre 50, une arme pas du tout précise. J’ai tiré à côté et devant
lui. Je l’ai pas vraiment ajusté. Il a détalé si vite, plus vite
qu’Armstrong, que tout le monde a ri. C’est l’épisode dont j’ai le plus
honte.
Détruire le plus possible