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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 mai 2015
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 11 décembre 2013 1
sur « La stabilité et le développement de l’Afrique francophone »
et présenté par
Président
M. Jean-Claude GUIBAL,
Rapporteur,
M. Philippe BAUMEL
Députés
La mission d’information sur l’Afrique francophone est composée de : M. Jean-Claude Guibal, président, M. Philippe Baumel, rapporteur, de MM. Jean-Paul
Bacquet, Gérard Charasse, Guy-Michel Chauveau, Meyer Habib, François
Loncle (jusqu’à sa démission le 13 avril 2015), Guy Teissier, Michel
Terrot et Michel Vauzelle
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INTRODUCTION 9
I. UN REGARD SANS COMPLAISANCE SUR L’AFRIQUE FRANCOPHONE 13
A. LES REALITES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES INVITENT À TEMPERER L’AFRO-OPTIMISME 13
1. Des économies encore trop fragiles
pour mettre les pays d’Afrique francophone sur des trajectoires de
développement consolidées 13
a. Des fondamentaux qui n’évoluent que marginalement 14
i. Les conséquences d’un secteur primaire toujours largement dominant 14
ii. Quelques pays d’Afrique francophone comme exemples 16
b. Les mêmes obstacles, à peu près partout 18
i. Des infrastructures insuffisantes 18
ii. La question du déficit des investissements industriels indispensables 20
iii. Quelques autres facteurs 23
c. Un continent qui reste marginal sur le plan économique 24
i. L’Afrique, acteur encore modeste de l’économie mondiale 24
ii. Les pays d’Afrique francophone 25
d. Une croissance économique qui ne permet pas de réduire la pauvreté 26
2. La persistance d’une très grande pauvreté 28
a. Des indicateurs sociaux toujours préoccupants, quelles que soient les régions 29
i. Une pauvreté monétaire extrême 29
ii. Des indices sociaux très mauvais 30
b. La question sanitaire, enjeu majeur 33
i. Des données préoccupantes, résultats d’efforts insuffisants 33
ii. L’impact de la faiblesse des systèmes de santé 35
iii. Ce que l’épidémie Ébola a contribué à révéler 36
c. La crise du système éducatif 40
3. Les pays d’Afrique francophone sont parmi les moins développés 42
a. Pour l’essentiel, des pays relevant de la catégorie des Pays les moins avancés… 43
b. … Qui stagnent ou régressent 44
B. L’AFRIQUE FRANCOPHONE, ZONE DE TEMPÊTES 47
1. L’Afrique, continent troublé depuis les indépendances 48
2. Les pays d’Afrique francophone dans la tourmente depuis plus de quarante ans 49
a. Des crises innombrables 50
b. Ni l’Afrique de l’ouest ni l’Afrique centrale ne furent épargnées 51
3. L’Afrique francophone plus que jamais au cœur des préoccupations 53
a. L’Afrique centrale dans la tourmente… 53
i. Le cas emblématique de la République centrafricaine 53
ii. L’interminable tragédie congolaise 57
iii. La situation inquiétante d’autres pays 59
b. De difficiles sorties de crise en Afrique de l’ouest 61
i. Le processus chaotique de la Côte d’Ivoire 61
ii. Le cas préoccupant de la Guinée 63
c. Le Mali et l’arc sahélien 64
4. Les facteurs de crises aujourd’hui à l’œuvre : un empilement d’héritages aux effets divers et cumulatifs 67
a. L’impact de la colonisation 67
b. Les effets délétères des ajustements structurels se font encore sentir 70
c. Causalités internes et externes se conjuguent étroitement pour fragiliser les pays d’Afrique francophone 74
d. Problématiques de la légitimité 78
II. LE SCÉNARIO DES CRISES DE DEMAIN S’ÉCRIT AUJOURD’HUI 81
A. LA DÉMOGRAPHIE 81
1. Un défi sans précédent dans l’histoire de l’humanité 81
a. À l’échelle continentale 82
b. Un enjeu surtout de l’Afrique francophone et notamment sahélienne 83
2. Démographie et non-développement 87
a. L’impératif de la baisse de la natalité pour le développement 87
b. Enjeu démographique et structure économique et sociale en Afrique 89
c. Ce que cette démographie représente de défis sociaux 90
3. En conséquence, les fragilités à attendre pèseront lourdement sur le développement 92
B. DEUX CAS PRÉOCCUPANTS, PARMI D’AUTRES 94
1. L’islamisation de la société nigérienne 94
a. Le courant izala au Niger 94
b. L’islamisation d’un système éducatif en perdition 95
c. Des craintes pour la stabilité du Niger ? 98
2. Les craintes qui pèsent sur le Cameroun 101
i. Les incertitudes politiques 101
ii. Le lent glissement du Nord Cameroun vers l’insécurité faute de développement 102
III. POUR UNE RÉVISION DE LA POLITIQUE AFRICAINE DE LA FRANCE 109
A. TOUT D’ABORD, UN REGARD CRITIQUE 109
1. Le bilan mitigé des politiques d’aide au développement 111
a. Le cadre et l’ambition de la politique française d’aide au développement 111
i. Les documents d’orientation qui fondent la politique d’aide au développement 111
ii. Le contrat d’objectifs et de moyens de l’AFD 113
b. Des moyens, des instruments et… des effets d’affichage 114
i. Des montants considérables mais pour partie artificiels 114
ii. Des instruments diversifiés mais déséquilibrés, aux effets contradictoires 115
c. Deux exemples pour étayer la démonstration 117
i. L’action de la France en matière d’éducation 117
ii. La politique d’aide au développement en matière de santé 120
d. Dans la région sahélienne, le cas du Mali 125
i. Une aide conséquente depuis longtemps 125
ii. Les orientations prises dans le cadre de la reconstruction tiennent-elles compte du passé ? 128
2. Une politique africaine qui réagit plus qu’elle n’anticipe 132
a. Le paradoxe français 132
i. À quoi sert donc la connaissance que l’on a de l’Afrique ? 132
ii. Des réactions au coup par coup 136
b. Une politique africaine de la France par trop militarisée ? 138
i. Le ministre de la défense, ministre de l’Afrique ? 138
ii. Les risques de cette évolution 139
3. Qu’en est-il des intérêts de la France ? Une politique africaine qui ne permet pas à notre pays d’améliorer ses positions 140
a. Le positionnement économique de la France en Afrique 140
b. Un sans-faute diplomatique… 146
c. … Qui n’empêche pas l’image de notre pays de se ternir dans le regard des populations 147
i. La France aujourd’hui mal vue en Afrique 147
ii. Problématique de la jeunesse 149
B. REFORMULER LA RELATION FRANCO-AFRICAINE ET REFONDER SES INSTRUMENTS 151
1. Le projet ? Redéfinir une politique africaine ayant le développement pour axe central 152
a. Mettre les problématiques de développement au cœur de notre politique africaine 152
i. La nécessité d’une vision stratégique de long terme pour l’Afrique 152
ii. Concentrer la politique d’aide au développement de notre pays 153
iii. Et revenir aux fondamentaux 154
b. Mener une politique d’influence 155
i. La prise en compte de nos intérêts 155
ii. Le vecteur francophone 159
iii. Une perspective de désengagement militaire progressif et anticipé 160
c. Resserrer les liens : Regarder l’Afrique de demain sans oublier celle d’aujourd’hui 161
2. Les axes ? Se recentrer sur l’essentiel 163
a. Soutenir des processus endogènes de construction de légitimité 163
b. Le difficile impératif du renforcement des institutions 166
i. Pour des États stratèges 166
ii. Les problématiques sécuritaires 167
iii. La gouvernance démocratique 168
c. Des populations à aider 169
i. La santé 169
ii. L’éducation 170
iii. L’impératif de l’emploi 172
3. Les moyens ? Des instruments réformés 173
a. En premier lieu, un ministère de plein exercice aux côtés du MAEDI… 173
b. … disposant de marges de manœuvre retrouvées 175
i. Les arguments politiques 175
ii. Les aspects financiers 178
iii. Les nécessités : abonder le bilatéral et réactiver le FSP 179
c. Comment trouver les ressources nécessaires ? Quelques pistes à explorer 183
i. La question de la dotation excessive au Fonds mondial sida 183
ii. Les financements innovants 184
iii. Quelle pourrait être la contribution des entreprises au financement du développement ? 186
iv. La problématique des orientations sectorielle et géographique du FED 187
CONCLUSION 191
SYNTHÈSE DES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS 193
TRAVAUX DE LA COMMISSION 195
ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS 209
« L’Afrique est-elle bien partie ? » se demandait Béchir Ben Yahmed, fondateur du magazine Jeune Afrique, il y a quelques semaines (2). Cette question, que d’autres observateurs ont également posée ces derniers mois (3),
montre que le curseur de l’afro-optimisme se recentre quelque peu. De
fait, un regard sur la situation des pays africains, notamment d’Afrique
francophone, montre en effet que le réalisme conduit à tempérer
sérieusement cet optimisme.
Les pays africains affichent pour la
plupart et depuis plus d’une décennie des taux de croissance
exceptionnels, souvent au-dessus de 5 % annuels, frôlant parfois les
10 %. Certains observateurs estiment que cette tendance ne peut que se
confirmer dans le futur tant les conditions paraissent favorables,
notamment les besoins insatiables des pays émergents, de la Chine en
premier lieu, en matières premières, qui rendent le continent
particulièrement attractif du fait de ses richesses naturelles,
minérales, pétrolières ou gazières. Des exportations en croissance
exponentielle, la confiance inébranlable des investisseurs
internationaux, une main d’œuvre nombreuse, innombrable même, compte
tenu de la croissance démographique, inscriraient l’Afrique sur une
trajectoire émergente. Continent de l’avenir, l’Afrique décollerait à la
manière de la Chine et de l’Inde vingt ou trente ans plus tôt. Au
demeurant, ce n’est pas seulement à la seule aune de sa croissance
économique que ces observateurs portent sur l’Afrique un regard
admiratif : ils soulignent les progrès en matière de gouvernance,
politique comme économique, saluent l’assainissement des finances
publiques, les progrès de la démocratie, la baisse de la conflictualité.
Sans méconnaître ce que ces analyses
ont de pertinent, l’actualité est venue assombrir un peu l’enthousiasme
de ce tableau. La rapidité avec laquelle le Mali, vitrine démocratique
unanimement encensée jusqu’au dernier jour, s’est effondré, a
brutalement dessillé la communauté internationale. La tournure qu’a
prise la crise centrafricaine a réveillé les pires cauchemars et les
craintes d’un nouveau génocide sur le continent. Les métastases de Boko
Haram vers le Niger et le Cameroun font redouter un basculement de la
région dans un chaos comparable à celui que connaît le Nord-Est du
Nigeria depuis plusieurs années. Les velléités de quelques chefs d’État
de se maintenir au pouvoir envers et contre tout en modifiant les règles
du jeu, ont rappelé qu’en matière de gouvernance politique, rien
n’était encore acquis. Si certains en ont d’ores et déjà fait les frais,
comme Blaise Compaoré au Burkina Faso, d’autres se raidissent de
manière préoccupante en ce moment même, ce qui laisse augurer des
périodes de tension.
Nombre de pays africains, francophones
ou anglophones restent profondément marqués par d’importantes
fragilités structurelles qui handicapent leur développement, quand elles
ne l’hypothèquent pas pour longtemps. Ainsi en est-il en premier lieu
de la démographie, des contextes socio-économiques, des déséquilibres
internes et régionaux, ou de l’évolution des problématiques religieuses,
qui sont autant de facteurs de crises à court, moyen et long termes.
Il s’agit de porter aujourd’hui un
regard lucide sur ce qui se joue à quelques centaines de kilomètres au
sud de la Méditerranée.
C’est la raison pour laquelle votre
Mission a abordé son analyse de l’articulation entre stabilité et
développement en partant d’un constat aussi large que possible, tant au
plan géographique – l’Afrique francophone compte vingt et un pays (4),
de la Mauritanie à Madagascar, du Sénégal à Djibouti, du Tchad à la RDC
– qu’en ce qui concerne les réalités sociales, politiques, économiques,
qui sont autant de facteurs explicatifs, non seulement de leurs
situations présentes, mais aussi de leurs perspectives.
Ce parti pris invitait naturellement à
se pencher surtout sur les situations problématiques, approche
nécessaire pour essayer d’analyser les raisons qui ont conduit au fait
que, près de soixante ans après les indépendances, malgré les politiques
d’aide au développement, les pays africains soient toujours mal classés
en termes d’indices de développement, et fréquemment en situation
d’instabilité.
Inévitablement, dès lors qu’il s’agit
d’Afrique francophone, c’est aussi notre politique qui devait être
directement questionnée, dans sa cohérence, dans ses axes et ses
instruments, afin de pouvoir formuler quelques préconisations qui
devraient permettre à notre pays de mieux contribuer au développement et
à la stabilisation de la région.
Un paradoxe est particulièrement
frappant quand on examine l’évolution de la politique africaine de la
France au cours des dernières années.
D’une part, alors que notre pays
affiche depuis longtemps son souhait de redéfinir ses relations avec
l’Afrique et notamment sa volonté de réduire sa présence militaire, la
politique africaine de la France se traduit en fait par un engagement
croissant dans les crises qui secouent le continent. Au cours des cinq
dernières années, la France est intervenue en Côte d’Ivoire, au Mali et
en République centrafricaine. Par ailleurs, en tant que membre permanent
du Conseil de Sécurité, notre pays est souvent à l’initiative des
opérations de l’ONU. Cet engagement est tout à son honneur et a permis
de sauver des pays qui étaient au bord du gouffre. Mais il a des
limites : la France ne peut intervenir partout, ni rester éternellement
là où elle s’est engagée, ne serait-ce que parce ses propres capacités
sont restreintes. Par ailleurs, ces opérations ne sont pas suffisantes
pour rétablir des conditions de stabilité durable.
D’autre part, alors que la France
affiche sa volonté de mieux soutenir le développement économique et
social de l’Afrique, en réalité, l’aide au développement est sur une
pente descendante. Notre pays consacre des moyens budgétaires croissants
au titre de ses opérations militaires et de sa participation aux
opérations de maintien de la paix de l’ONU, mais son effort en faveur de
l’aide au développement régresse : la France déclare aujourd’hui 8,5
milliards d’euros au titre de cette aide, en diminution constante depuis
2011. Or, seule une politique de développement efficace peut contribuer
à une stabilisation durable du continent africain.
Votre rapporteur plaide donc pour un
rééquilibrage qui permette à la France de se désengager militairement du
continent africain en plaçant l’aide au développement au cœur de sa
politique africaine.
Ce rééquilibrage doit aussi permettre à
la France de se repositionner et de rétablir une image quelque peu
ternie. En effet, si les interventions militaires récentes ont reçu le
soutien des populations et de la communauté des États africains, il n’y a
rien de plus fragile que cette sorte de popularité. Comme on le verra à
la lecture de ce rapport, en dépit de ces actions courageuses et
généreuses, et en dépit des liens que la France a depuis toujours avec
l’Afrique francophone, son image est aujourd’hui brouillée. Il n’est pas
certain que si « l’Afrique est notre avenir », comme le titrait il y a
quelques temps un rapport du Sénat, notre pays y soit très bien vu et
s’y prépare comme il le devrait.
L’Afrique est certes en marche mais
elle doit faire face à des enjeux pour certains uniques dans l’histoire
de l’humanité. Elle est à nos portes et il était donc nécessaire de
porter le projecteur sur ces réalités qui lui poseront longtemps encore
de lourdes difficultés. En d’autres termes, le sujet, pour notre pays,
n’est pas seulement celui de notre commerce extérieur, du retour sur
investissement qu’on peut espérer en matière d’APD ou du positionnement
de nos entreprises. Il est d’autant plus important que l’on n’a pas
vraiment vu venir ni su anticiper les défis précédents que le continent
n’a pas réussi à relever, qui ont installé les situations de chaos que
l’Afrique connaît çà et là, qui nous ont obligé, et nous obligent
encore, à des réponses d’urgence, à des colmatages inefficaces et
coûteux.
L’Afrique francophone constitue un
ensemble de pays dont le dynamisme économique est, ces dernières années,
en moyenne supérieur au reste de l’Afrique subsaharienne. Néanmoins, à
l’instar du reste du continent, les limites de leurs modèles économiques
influent négativement sur leur développement. Les économies, peu
diversifiées, reposent encore grandement sur l’extraction des ressources
naturelles, le manque d’industrialisation étant général. La croissance
reste par conséquent vulnérable aux chocs exogènes éventuels, tels que
l’évolution des cours des matières premières, des hydrocarbures et des
ressources minières. Autant de facteurs dont les pays n’ont pas la
maîtrise, et qui les mettent en position de fragilité. On le constate
par exemple avec la baisse rapide du cours du pétrole depuis quelques
mois qui met fortement en difficulté un pays comme le Gabon. Il en est
de même des incidences de l’évolution des conditions climatiques sur les
productions agricoles, par exemple en pays sahéliens.
S’ajoutent à ces éléments d’autres facteurs qui freinent le développement, tel que l’insuffisance des infrastructures, notamment
en Afrique centrale et dans les États fragiles, au premier rang
desquels le manque d’électricité, principale entrave à
l’industrialisation. En outre, la question de la gouvernance reste un
sujetde préoccupation, l’instabilité politique, la corruption, voire les
guerres, constituant autant de freins au développement économique. On
verra à cet égard que l’Afrique francophone compte plusieurs pays dont
la situation de fragilité actuelle invite à une analyse des politiques
d’aide au développement.
1.
Des économies encore trop fragiles pour mettre les pays d’Afrique
francophone sur des trajectoires de développement consolidées
Certes, la croissance économique de
l’Afrique subsaharienne est aujourd’hui élevée, voire même très élevée,
que ce soit par rapport au reste du monde ou par rapport à sa propre
histoire. Le continent n’a plus rien à voir avec les décennies
cauchemardesques qu’il a connues par le passé, qui ont vu la croissance
stagner ou être négative, avec le cortège des conséquences que cela a
induit. Les investissements étrangers continuent d’affluer, les
fondamentaux économiques sont meilleurs que jamais, les indicateurs sont
pour la plupart au vert, les exportations croissent année après année,
la consommation interne augmente et l’endettement régresse.
Tout cela est indéniable. Il n’en
reste pas moins que la croissance ne parvient pas à réduire la pauvreté,
à de trop rares exceptions près, et les processus de développement
économiques et sociaux se grippent. Cela tient essentiellement au fait
que, structurellement, les économies africaines restent handicapées par
un certain nombre de caractéristiques qui n’évoluent que très
marginalement.
Comme le rappelait Arnaud Buissé (5),
sous-directeur des affaires financières multilatérales et du
développement à la Direction générale du Trésor, dans l’ensemble, depuis
plus d’une décennie, l’Afrique subsaharienne connaît une croissance
soutenue et elle est aujourd’hui la deuxième zone de croissance
économique au monde derrière l’Asie, avec des taux de 6 % en moyenne sur
les dix dernières années et de 5 % en 2014, supérieurs à la moyenne
mondiale. Le FMI prévoit même une hausse de la croissance dans les
années à venir. Cela a permis un enrichissement de la plupart des pays
du continent, qui affichent dans l’ensemble un PIB par habitant de
1 700$ en 2014, contre 850$ en 2004. D’ici cinq ans, il pourrait
s’élever à 2 300$.
Dans ce panorama global, on ne saurait dire que les pays d’Afrique francophone font mauvaise figure : sur
les cinq dernières années, le taux de croissance moyen a même été plus
élevé en Afrique francophone qu’en Afrique non-francophone, 4,3 % contre 3,4 %. En
2014, les pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale francophone
ont même affiché un taux de croissance moyen de 6,7 %, supérieur à la
croissance moyenne de l’Afrique subsaharienne. Certains d’entre eux
connaissent une croissance particulièrement élevée, en témoignent les
9,5 % du Tchad, 8,5 % de la Côte d’Ivoire et de la RDC ou encore les
6,3 % atteints par le Niger. Les prévisions font état d’un dynamisme
similaire pour les années à venir, avec des taux de croissance plus
élevés pour les pays d’Afrique francophone.
Cela étant, comme le souligne un récent rapport de la CNUCED (6), le continent africain « n’a
pas suivi le processus normal de transformation structurelle où, à un
niveau aussi bien intra-sectoriel qu’intersectoriel, des activités à
faible productivité sont progressivement remplacées par des activités à
forte productivité. » Dans un tel processus, la part élevée de
l’agriculture dans le PIB diminue progressivement à mesure que celle de
la production manufacturière augmente, avant de céder le pas au secteur
tertiaire. Ce n’est pas le cas en Afrique subsaharienne et cela n’est
pas sans incidence sur le futur.
En Afrique subsaharienne, l’agriculture représente toujours environ 60 % de l’emploi total, mais seulement le quart de son PIB. (7) Dans
un certain nombre de pays, notamment francophones, comme le Burkina
Faso, le Burundi, la Guinée, le Mali, le Niger ou le Rwanda, ce sont
même 80 à 90 % de la main-d’œuvre qui travaillent encore dans
l’agriculture. L’économie et, consécutivement, le développement
économique et social de ces pays, restent donc étroitement dépendants de
facteurs que les pouvoirs publics ne maîtrisent en rien, tels que les
conditions météorologiques ou les variations de cours sur les marchés
internationaux. Ainsi, au Burundi, l’essentiel des recettes
extérieures provient par exemple des cultures de rentes que sont le thé
et le café, cependant que le nécessaire à la consommation locale est
majoritairement importé. Certains pays ont ainsi vu leurs productions
agricoles augmenter ces dernières années, grâce à des conditions
favorables, tels le Cameroun, la RDC ou la Mauritanie, mais le Niger ou
le Burundi ont en revanche pâti des aléas climatiques.
En second lieu, comme les dernières Perspectives économiques en Afrique 2014 le rappellent, les industries extractives continuent
d’occuper une place importante dans les exportations et dans la
croissance économique du continent. Pour les pays richement dotés de
ressources naturelles, ce sont toujours les principales sources de
revenus de l’État. Au niveau continental, « les exportations sont
dominées par les produits pétroliers et miniers, qui constituent 69.5 %
du total en 2012 (pour une valeur de 438 milliards USD). À eux seuls,
les combustibles représentent 384 milliards USD d’exportations (60.9 %
du total). » (8)Cette
situation n’est pas non plus sans effets pervers en ce qu’elle place
les économies du continent dans la même position de dépendance que
l’exportation de produits agricoles vis-à-vis de la demande extérieure,
et de prix dont la fixation leur échappe. Cela vaut notamment dans un
contexte marqué par le fait que, si les pays d’Afrique subsaharienne
sont de plus en plus insérés dans le commerce mondial, leurs partenaires
ont évolué ces dernières années : comme on le sait, ce sont les
échanges avec les émergents qui ont cru, cependant que la part des pays
développés régressait. À cet égard, le fait que la croissance chinoise
se tasse et que sa demande de matières premières ait tendance à
diminuer, n’est pas sans conséquence pour des pays qui n’ont pas réussi à
diversifier leurs exportations, et la question du maintien des taux de
croissance africains actuels sur la durée est posée, la région étant
plus vulnérable du fait de son intégration plus poussée dans l’économie
mondiale (9). Ainsi, on sait d’ores et déjà que le redressement économique de la Guinée après
l’impact de l’épidémie d’Ébola sera contrarié par la conjoncture
mondiale dans le secteur du fer actuellement peu dynamique qui ne
permettra pas de soutenir son redémarrage, alors que les espoirs
d’accélération de la croissance reposaient sur les développements du
secteur minier qui assure 85 % des exportations du pays. Toutes choses
égales par ailleurs, c’est aussi le cas de la Mauritanie, non
touchée par l’épidémie d’Ébola, mais forte exportatrice de fer – le
secteur minier représentant le quart de son PIB et les deux-tiers de ses
exportations – qui pâtit également de la chute des cours internationaux
et de la baisse de la demande de la Chine, son, principal acheteur. Au Sénégal, le premier produit d’exportation, hors carburants, est l’or.
Le Gabon fait partie des pays
du continent qui retirent la majeure partie de leurs recettes publiques
de l’exploitation de leur pétrole qui représente dans ce cas entre 80 %
et 90 % de ses exportations. (10) La
chute du cours actuel ne peut qu’avoir un impact dramatique : depuis un
cours moyen annuel de près de 112$ en 2012, le prix du baril n’a cessé
de baisser pour s’établir en janvier 2015 à 47,71 $ contre 108,12 $ en
janvier 2014 (11).
La perte de recettes pour l’État gabonais, dont la production, comme
celle du Cameroun voisin, est par ailleurs d’ores et déjà en baisse, est
considérable, à la mesure de ce décrochage brutal, et le Premier
ministre, Daniel Ona Ondo, indiquait récemment à Jeune Afrique que cela allait « se
traduire par une baisse significative des revenus de l’État, nous
contraignant à élaborer un plan d’ajustement de nos dépenses publiques.
C’est ce que le gouvernement vient de décider, tout en veillant, comme
l’a prescrit le chef de l’État, à ce que les efforts d’ajustement ne se
fassent pas au détriment des plus démunis. ». (12)
En RDC, les deux piliers de
l’économie sont l’agriculture et les mines, qui ne créent cependant pas
assez de richesses et d’emplois. Selon les données de l’OCDE, « depuis
1970, l’agriculture emploie 70 % de la population active mais ne
fournit que 40 % de la production, ce qui atteste de sa faible
productivité et de son incapacité à nourrir convenablement la
population. Les ressources minières du pays, qui constituent un intérêt
stratégique mondial, ont vu leur importance relative diminuer à cause de
la chute brutale des cours à la fin des années 1970. ». Aujourd’hui, selon les Perspectives économiques en Afrique 2014,
la croissance, de +8,1 % en 2013, a entre autres été tirée par le
secteur minier dont la contribution au PIB, aujourd’hui à hauteur de
27,4 %, continue d’augmenter, cependant que dans le même temps, « le
secteur privé ne participe que marginalement aux réseaux internationaux
de production, intervenant surtout au bas de la chaîne de valeurs. La
participation du pays au commerce mondial est aussi limitée par la gamme
de produits offerts et des biens demandés (biens d’équipement et
aliments). Les exportations sont concentrées sur des matières premières à
faible valeur ajoutée. ». Or, si la production de cuivre de la RDC a
augmenté de plus de 50 % d’une année sur l’autre, si l’extraction d’or a
cru de près d’un tiers, celles de cobalt et du zinc ont en revanche
subi des baisses importantes du fait de la contraction de la demande
mondiale.
Les situations sont tout à fait comparables dans le cas de pays comme le Congo, dont
l’économie non diversifiée reste vulnérable aux cours du bois, du
pétrole, qui pèse pour 85 % de ses exportations et près des deux-tiers
de son PIB, et à la demande internationale, alors même que l’on estime
que l’exploitation de nouveaux gisements de minerais de fer et de
potasse contribueront à l’accroissement des exportations comme à la
hausse des IDE. La même situation prévaut au Tchad, qui fait
d’ores et déjà face, comme son voisin, à la baisse de la production
pétrolière qui lui assure cependant le tiers de son PIB et plus des
deux-tiers de ses recettes fiscales. L’économie tchadienne est à ce
point sensible aux aléas que c’est la baisse de la production du
principal site en 2013 qui seule explique la chute de près de 6 % du
taux de croissance de l’économie, passé de plus de 9 % en 2012 à 3,4 %
l’année suivante. La production est heureusement repartie à la hausse en
2014. Comme le soulignent les Perspectives économiques en Afrique 2014, « une
plus grande diversification des sources de croissance s’impose donc,
notamment à travers la création de chaînes de valeur dans les secteurs
où le pays dispose d’avantages comparatifs certains : l’élevage, le
coton, le tourisme, la pétrochimie et la gomme arabique. Une telle
diversification favoriserait non seulement la création nette d’emplois,
mais contribuerait aussi à élargir l’assiette fiscale grâce à un
meilleur niveau des recettes budgétaires et à l’efficience fiscale
susceptible d’être ainsi induite ». De son côté, l’économie du Cameroun reste
essentiellement articulée sur les productions du secteur primaire
(cacao, café, coton, bananes, grumes, caoutchouc, huile de palme, maïs
et riz), qui viennent aujourd’hui compléter les productions de pétrole
et de gaz. 80 % des exportations du pays reposent sur des produits peu
ou pas transformés.
Ces exemples pourraient être
multipliés à l’envi. Ils illustrent en tout cas le fait que la
croissance en Afrique subsaharienne, et notamment dans les pays
francophones de la zone, reste fragile et qu’elle ne se soit pas
traduite par des créations suffisantes d’emplois, les industries
extractives, très capitalistiques, dominant et restant les principaux
vecteurs. Cela explique, comme Henri-Bernard Solignac-Lecomte, chef de l’unité Afrique, Europe, Moyen-Orient de l’OCDE (13),
le faisait ainsi remarquer, que seulement 7 % des 15-24 ans aient
aujourd’hui un emploi décent et que les autres soient scolarisés,
chômeurs ou dans le secteur informel, non choisi. Dans les pays à revenu
intermédiaire, ce taux est à peine supérieur, 10 % seulement. Dans le
même temps, peu de nouveaux secteurs qui se développent en Afrique
créent des emplois, et l’on reste généralement, pour l’heure, dans les
secteurs traditionnels, peu pourvoyeurs de main-d’œuvre.
Dans ce contexte, la Côte d’Ivoire fait
peut-être figure d’exception, puisque, malgré dix années de troubles,
elle est indéniablement une puissance économique sous-régionale, avec un
PIB équivalent au tiers de celui de l’Union économique et monétaire
ouest-africaine, UEMOA (14) et
quelque 60 % des exportations agricoles de cet ensemble de pays. En
outre, la structure de son économie lui confère des atouts, dans la
mesure où son secteur agricole dynamique, qui lui permet de conserver la
place de 1er producteur mondial de cacao, occupant plus du
tiers du marché, ne pèse que pour 28 % de son PIB, un peu plus que le
secteur secondaire, 25 %, dominé par le raffinage de pétrole brut, le
BTP et l’agro-alimentaire. Consécutivement, le secteur tertiaire occupe
une place nettement supérieure à celle que l’on constate dans bien
d’autre pays. Y dominent la téléphonie mobile, que se partagent cinq
opérateurs, les activités bancaires et les technologies de
l’informatique et de la communication.
Malgré cela, la Côte d’Ivoire est toujours très mal positionnée en termes de développement : elle est au 171e rang mondial, selon l’Indice de développement humain du PNUD.
Très sensible à la conjoncture
économique mondiale qui influe sur sa propre croissance, le
développement de l’Afrique pâtit aussi d’un certain nombre de handicaps
qui peinent à être surmontés. Ils contribuent au manque de consolidation
de la situation économique des pays du continent, entre autres
francophones, qui empêche de les mettre définitivement sur la voie du
développement socioéconomique.
On ne compte plus les rapports des
institutions internationales qui mettent en avant, année après année,
les obstacles qui pèsent sur le développement de l’Afrique, qui sont les
mêmes en Afrique francophone comme dans le reste du continent. On se
contentera de quelques rappels, le cas échéant illustrés.
Le premier point à souligner porte sur la question des infrastructures insuffisantes,
chères, peu efficaces, en matière d’énergie, de transports, etc., qui
gênent considérablement la croissance, renchérissant les coûts et
pénalisant par exemple l’exportation des matières premières. Les Perspectives économiques en Afrique 2014 font
ainsi remarquer que le rythme de l’investissement africain dans les
infrastructures n’est pas en phase avec le flux de croissance. Il est de
l’ordre de 40 à 50 millions de dollars par an alors que, pour un taux
de croissance de 6 %, il devrait être de quelque 100 millions annuels.
Or, le déficit énergétique, qui induit de fréquentes
ruptures de courant, la nécessité d’investir dans des groupes
électrogènes, et plus généralement la défaillance de l’environnement
physique, créent un coût non-négligeable pour la compétitivité
africaine. C’est le cas par exemple au Congo où les déficits en la matière sont toujours importants, malgré l’augmentation de la capacité de production, et « la
fourniture peu fiable d’électricité est un des principaux facteurs
grevant la compétitivité de l’économie congolaise et limitant les
investissements étrangers ». C’est toujours le cas en RDC, qui
dispose pourtant du potentiel hydroélectrique le plus important au
monde, avec le barrage d’Inga, dans le Bas-Congo, évalué à 46 800 MW,
mais dont le taux d’électrification n’est que de 10 %. Si
l’Afrique veut accroître son taux de croissance annuel, il lui faudra
faire exploser son rythme actuel d’investissements publics en
infrastructures. Les infrastructures de transport sont également essentielles, par exemple dans le cas d’un pays enclavé comme le Tchad,
très dépendant des infrastructures de liaison des pays limitrophes, et
dont 85 % des exportations transitent par le port de Douala. Madagascar pâtit
de son côté de son éloignement, ainsi que du manque d’infrastructures
transnationales et de l’enclavement de ses zones de production agricole.
De même, les Perspectives économiques en Afrique 2014 estiment que les « principales contraintes qui entravent une plus grande participation du Congo aux CVM (15) » et
qui l’empêchent de participer mieux au échanges régionaux, sont
l’absence d’une infrastructure de transport de qualité, seuls 10 % des
routes étant bitumées, comme au Cameroun voisin, le chemin de fer étant par ailleurs délabré.
Les autorités camerounaises sont
conscientes de cette situation qui ont fait de la mise à niveau des
infrastructures du pays l’un des axes de leur stratégie de
développement « Cameroun vision 2035 ». Elles ont prévu de travailler sur le bitumage des routes avec l’ambition de « multiplier la fraction du réseau routier bitumé, soit une évolution de 10 % actuellement à 32 % à l’horizon de la vision » (16 ;
sur les technologies de l’information et de la communication, TIC, le
pays, classé aux début des années 2010 dans la dernière catégorie en
matière d’accès, vise la catégorie d’accès moyen à horizon 2035, et
souhaite quintupler le nombre de lignes téléphoniques et accroître la
couverture des réseaux de téléphonie mobile ; l’accès à l’eau potable,
qui devra être relevé de 50 à 75 %, par des investissements en matière
de capacités de stockage et de traitement et d’adduction d’eau potable
en réseaux ; la production énergétique, qui doit être doublée, « soit une évolution de la consommation d’énergie par unité de PIB de 27,7 % actuellement à 45 % à l’horizon de la vision » ; l’effort sur l’habitat cherchera à « réduire
de manière significative la proportion des ménages des villes vivant
dans un habitat précaire, celle-ci devra passer de 76,4 % à 20 % à
l’horizon de la Vision ». (17)
Malgré des investissements importants ces dernières années, le Congo est
en queue de peloton dans l’Indice de développement des infrastructures
en Afrique, établi par la Banque africaine de développement, qui relève que « le
retard du Congo est particulièrement important dans le domaine des
transports et de l’énergie. Les dimensions de l’indice de la BAD pour
lesquelles le Congo a obtenu de faibles scores concernent la qualité des
infrastructures routières et énergétiques et l’accès à l’eau potable.
Par exemple, le pays se classe au 32e rang sur les 53 pays du
continent pour la dimension Développement énergétique de l’indice.
S’agissant des transports, le pourcentage des routes revêtues en bon ou
assez bon état est de 38 % contre 79 % pour l’Afrique subsaharienne. Le
taux d’accès à l’électricité de près de 30 % de la population totale est
inférieur à la moyenne des autres pays en développement à faibles
revenus (41 %). » (18)On
pourrait multiplier les exemples en rappelant que ce n’est pas
seulement en termes de compétitivité économique que le manque
d’infrastructures est dommageable : il pèse aussi sur le quotidien des
populations. Ainsi, 1 % seulement des campagnes nigériennes est
électrifiée (19), et que cela impacte très directement la fourniture des services sociaux de base (20).
Ici encore, la Côte d’Ivoire tend à se distinguer de l’ensemble. Les Perspectives économiques en Afrique 2014 soulignent notamment que « le
pays dispose en effet d’un potentiel important en ressources naturelles
et humaines, sans oublier la qualité relative de ses infrastructures, à
l’échelle de la sous-région. » De fait, le pays a lancé une série de grands chantiers avec
l’appui de la communauté internationale, portant sur la restauration
des infrastructures économiques et sociales (routes, ports, hôpitaux,
universités, barrages hydro-électriques, centrales thermiques…), le
renforcement des filières agricoles et agroalimentaires, l’exploitation
de son potentiel minier, l’extension de sa capacité électrique, ainsi
que des projets d’environnement ou en matière de TIC. L’ensemble permet
de lui voir des perspectives économiques radieuses, malgré les fragilités politiques et sécuritaires.
Dans une moindre mesure, le Sénégal ambitionne
d’améliorer son positionnement sous-régional, grâce à un programme
d’infrastructures, dont le niveau pose encore problème aux investisseurs
et entrepreneurs, même si le pays se distingue d’ores et déjà par un
niveau relativement bon en matière routière, portuaire, aéroportuaire ou
ferrée, ainsi que par la qualité de son réseau de télécommunications.
Cela étant, l’accès à l’électricité – deux fois plus chère qu’en Côte
d’Ivoire pour une qualité de service bien moindre (21) –
reste l’un des problèmes importants. C’est entre autres choses la
dégradation des infrastructures touristiques qui explique le
fléchissement du secteur.
Le deuxième facteur négatif tient au manque d’investissements qui
a pesé sur le fait que les économies restent encore grandement
exportatrices de matières premières brutes et manquent d’industries de
transformation sur le continent. Carlos Lopes, (22) Secrétaire
exécutif de la Commission économique pour l’Afrique, Secrétaire
général-adjoint de l’ONU, rappelant qu’il y a trente ans, le revenu per capita de
l’Afrique était supérieur à celui de la Chine, soulignait que celle-ci
avait prouvé quelles performances étaient possibles. Elle le devait à un
certain nombre d’éléments, au premier rang desquels son industrialisation, étape que n’a pas encore atteint l’Afrique qui n’est pas encore dans l’ère industrielle, la valeur ajoutée manufacturière n’y étant que d’environ 9 % de l’économie, soit le taux le plus bas, la production du continent représentant aujourd’hui 0,4 % de celle du monde.
Ce problème ne vaut pas seulement pour
l’industrie, mais aussi pour l’agriculture, où cela est mis en évidence
par une productivité à la fois toujours extrêmement faible et
stagnante ; c’est la plus basse du monde, avec 1,5 t/ha. Au Sénégal,
par exemple, le secteur primaire occupe 50 % de la population active
mais ne pèse que pour 15 % du PIB. Dans ces conditions, la forte
concentration de population en zone agricole se traduit par une forte
pauvreté, compte tenu de l’importance de la population qui en dépend. En
outre, pour Carlos Lopes, si les tendances actuelles ne s’inversent
pas, la contribution du secteur primaire à l’économie, déjà faible, va
se dégrader, ce qui induira un accroissement de la pauvreté dans des
proportions effroyables. S’attaquer au problème de la productivité
agricole pour sortir une couche significative de la population de la
pauvreté est un préalable, qu’un certain nombre de pays ont surmonté
moyennant quelques solutions réplicables. Ainsi, en matière d’intrants,
ce qui a permis au Nigeria d’accroître sa productivité de + 300 % en
cinq ans. L’amélioration, même modeste, des investissements en
logistique, réfrigération, transports, etc., dont l’insuffisance est
cause de la perte de 30 % de la production, serait positive.
Au-delà du fait que son insuffisance
ne lui permet pas de contribuer autant que possible au développement,
l’industrialisation est d’autant plus indispensable qu’en 2040,
l’Afrique sera le continent le plus peuplé et la plus grande force de
travail ; il y a donc une jeunesse à former, à absorber, et des besoins
massifs d’emplois à pourvoir, essentiellement pour un marché africain
lui-même en fort développement du fait de la croissance démographique et
de la montée des classes moyennes. Pour Carlos Lopes, l’Afrique devrait
savoir retirer un bénéfice des nouvelles technologies, plus propres et
sophistiquées, et se positionner pour produire à la place d’autres
régions. Elle pourrait le faire à moindre coût car les autres sont
tenues par des plateformes technologiques qui vont devenir rapidement
obsolètes. C’est d’ores et déjà le cas en matière de services où l’Afrique a des avantages, cf. sa place de leader mondial en matière de taux de bancarisation mobile,
la moitié des transactions bancaires mobiles du monde se faisant en
Afrique, car le continent a fait directement le saut, sans passer par
l’étape de la bancarisation avec guichets qu’ont connue toutes les
régions. Dans cet ordre d’idées, on relève qu’il y a eu une explosion en
Afrique dans le secteur des services, qui est aujourd’hui presque au
niveau du reste du monde : 49 % de l’économie, contre 56 % en Europe,
même s’il s’agit d’un secteur encore grandement informel, précaire, qui
ne donne pas de base à un développement à grande échelle qui permette
une transition vers la modernité. Dans cet ordre d’idées, Lionel Zinsou (23) estimait que pouvait trouver ici à s’illustrer la théorie économique de l’« avantage de l’arriération », selon
laquelle le rattrapage des retards peut se faire par appropriation
immédiate des dernières technologies et des innovations dont elles sont
porteuses : l’arriération impose l’inventivité. Cela devrait se faire
sur d’autres créneaux que le e-banking, car l’Afrique ne pourra jamais
suivre le mode de développement qu’a connu la Chine, très polluant, qui
ne lui est pas accessible compte tenu des conséquences et des coûts. En
outre, l’Afrique n’a pas non plus le temps de rattraper son retard par
le développement des infrastructures classiques : un taux de croissance
de 5 % suppose une augmentation de la consommation d’énergie de 7 à
10 %, sachant que l’on est dans un contexte où, actuellement, 4 % des
communes rurales seulement ont accès à l’électricité, et que le
continent est en délestage total et permanent, y compris dans une ville
comme Lagos. Il faudra donc faire autrement, inventer des mix
énergétiques riches, par exemple, en tout cas, un modèle énergétique
différent, sans que l’on sache encore très bien ce qu’il sera.
Pour Henri-Bernard Solignac-Lecomte (24) les
choses pourraient heureusement changer dans la mesure où l’on commence à
parler aujourd’hui de politique industrielle en Afrique. En outre, la
croissance forte ces dernières années, pas seulement dans les pays
riches en ressources naturelles, pétrolières ou autres, a permis de
dégager les moyens d’une politique industrielle, économique. On est sorti des périodes antérieures difficiles, marquées par de forts endettements,
ce qui a par exemple permis à une vingtaine de pays de pouvoir mettre
en place des mesures contra-cycliques lors de la crise de 2008-2009,
pour en atténuer les effets sociaux grâce à la mobilisation des
réserves.
Cela étant, il faudrait que des nouvelles activités se créent, plus créatrices de valeur.
Il y en a encore très peu par manque de capitaux, d’entrepreneurs et
parce que les priorités ne changent pas suffisamment, faute de
politiques industrielles et de moyens. En fait de politique
industrielle, les propos que tenait à votre Mission le Secrétaire
général des services du Premier ministre camerounais, Louis-Paul Motaze (25),
sont éclairants. Il indiquait que le Cameroun pouvait se comparer avec
son équipe de foot : il avait des potentialités, mais on s’interrogeait
toujours sur les manières de les concrétiser. Il y a certes des accords
de partenariats économiques, mais la question première tourne autour de
ce que le Cameroun peut commercialiser ; des matières premières qui
peuvent être transformées, mais lesquelles et comment ? Si le pays
entend devenir un émergent à l’horizon 2035 comme il l’ambitionne, ces
transformations sont indispensables et il faut analyser les
potentialités, autour du cuir dans le nord par exemple, ou de
l’agriculture, définir des filières prioritaires pour baisser le déficit
de la balance commerciale, et réfléchir à des secteurs à développer. Le
gouvernement s’y emploie, mais le Secrétaire général regrettait que
rien ne soit encore suffisamment mûr pour être traité en
interministériel, les stratégies sectorielles dépendant de chaque
ministre.
En attendant ces politiques
industrielles, les revenus des États sont encore très majoritairement
tirés des royalties sur les multinationales exportatrices de matières
premières ; cela ne constitue une incitation à la création de nouveaux
impôts et favorise l’évasion fiscale de la part des particuliers… En
outre, leur relative volatilité n’est pas sans incidence forte sur les
finances publiques des pays concernés, comme on l’a vu dans le cas du
Gabon. S’agissant du Niger, c’est l’uranium qui a eu un impact
considérable. Emmanuel Grégoire, directeur de recherches à l’IRD, en retraçait l’historique (26) et
soulignait que c’était ce qui avait permis au budget national de passer
de près de 11 milliards de francs CFA en 1971 à 93,8 milliards en 1982.
L’uranium constituait alors plus de 80 % des exportations du pays et
50 % des recettes de l’État. Il est arrivé à point nommé pour prendre le
relais des exportations d’arachide qui avaient fait vivre le pays
depuis l’indépendance et cessèrent avec la sécheresse de 1973-1974, les
paysans privilégiant alors les cultures vivrières. Du point de vue
social, il permit à la fois la suppression de l’impôt, mesure qui
soulagea les paysans et les éleveurs affaiblis par la sécheresse, la
revalorisation du salaire des fonctionnaires (le salaire minimum passa
de 4 680 FCFA en 1970 à 13 500 en 1978) et l’équipement du pays en
infrastructures (écoles, dispensaires, routes, puits, etc.). Avec le
recul, on doit convenir que la situation économique et sociale du Niger
s’était améliorée de ce fait sous le régime autoritaire du général Seyni
Kountché. Cela étant, l’euphorie fut de courte durée en raison du
retournement du marché. Plus récemment, les perspectives étaient encore
positives et sur ces bases, le budget du Niger n’a cessé d’être en
progression : 731 milliards de francs CFA en 2009, contre 503 milliards
en 2005. En 2011, il a été fixé à 940 milliards de franc CFA, près de
1 900 milliards en 2014 contre 1 400 milliards pour l’exercice 2013. La
situation présente et l’état du marché international, risquent de
changer la donne.
On remarque aussi fréquemment, qu’il
n’y a pas non plus de fiscalité foncière, mais en revanche beaucoup
d’exemptions accordées pour des raisons politiques. Les conditions de cycles vertueux permettant de forger un contrat social qui
déboucherait sur une exigence de services publics de qualité pour les
citoyens et les entreprises locales, sur des administrations publiques
performantes ne sont donc pas favorisées. En revanche, nombreux sont les
freins à une meilleure qualité de la dépense publique et les
administrations restent très faibles et corrompues tout en étant
inefficaces.
Sans qu’il soit non plus nécessaire de
faire de trop longs développements tant ces aspects sont bien
documentés, on peut également mentionner la question de la formation des ressources humaines,
souvent insuffisante : comme on le verra, l’éducation étant l’un des
secteurs sociaux dans lesquels les pays africains sont peu performants,
qui laisse de côté un nombre important de personnes peu, voire non,
alphabétisées, le niveau de qualification de la main-d’œuvre s’en
ressent logiquement. S’agissant du Congo, par exemple, les Perspectives économiques en Afrique 2014 relèvent que « la
faible qualification de la main-d’œuvre disponible et l’inadéquation
des compétences constituent elles aussi une sérieuse entrave à la
progression du Congo vers des étapes de plus forte valeur ajoutée dans
les CVM. En effet, le pays reste confronté à un défi de taille
s’agissant de l’amélioration de la qualité de l’enseignement technique
et scientifique et du renforcement de ses capacités technologiques.
L’enseignement technique et professionnel attire moins de 10 % des
élèves. La pénurie de compétences combinée à l’absence d’investissements
dans les technologies limite les capacités des entreprises locales à
améliorer leur compétitivité et à satisfaire aux normes de qualité des
marchés internationaux. »
Il convient toutefois de se garder de toute généralisation. Ainsi, un pays comme le Cameroun,
qui n’est certes pas le plus mal placé du point de vue de son système
éducatif, même si un certain nombre de déficiences ont été constatées,
dispose de professionnels particulièrement compétents, et par
exemple d’ingénieurs dont le niveau n’a rien à envier à celui de ceux
formés en France. Plusieurs des entrepreneurs rencontrés lors du
déplacement dans le pays l’ont aisément confirmé.
En revanche, la qualité du climat des affaires est un facteur handicapant que beaucoup de pays connaissent. Le Cameroun en est un exemple particulièrement notable, en dépit des mesures décidées par le président Biya. Il pointe actuellement au 136e rang de l’indice publié annuellement par Transparency International (27) et,
à en croire l’avis de très nombreux interlocuteurs rencontrés, cette
position n’est en rien usurpée. Il n’est pas un chef d’entreprise qui
n’ait souligné l’ampleur du problème, la difficulté de comprendre le
fonctionnement des administrations, l’inventivité procédurière, les
multiples tracasseries, l’informalité, et partant, l’instabilité ; à
tout le moins, le pays est compliqué pour qui veut s’y implanter et se
lancer dans les affaires. Il n’est pas non plus un officiel ou un
responsable politique qui n’en ait convenu, soulignant que, quelque
précaution qu’on prenne, l’organisation du pouvoir au Cameroun est telle
qu’elle induit une imprévisibilité totale des affaires, dans un système
économique de fait largement dominé par les fonctionnaires chargés de
délivrer les autorisations, et disposant d’un pouvoir personnel
important. Les représentants de l’opposition ne sont pas isolés dans ces
constats : plusieurs des ministres et hauts fonctionnaires rencontrés
convenaient sans difficulté que de mauvaises habitudes avaient été
prises dont le Cameroun devait se débarrasser, regrettant que les
mécanismes de contrôle et de sanction soient insuffisants pour lutter
contre, et que c’était à bon droit que les entreprises étrangères se
plaignaient des tracasseries, de la corruption, du harcèlement qu’elles
subissaient, les mesures que le président Biya avaient prises étant trop
lentes à se mettre en œuvre.
« Non, l’Afrique n’est pas si bien
partie. (…) Il faut dire la vérité : l’Afrique, ce n’est toujours que
1,6 % du PIB mondial (4,5 % en parité de pouvoir d’achat) ! Trois pays
seulement, l’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Égypte représentent à eux
seuls la moitié de ce PIB. Un tiers des pauvres de la planète vit
toujours en Afrique ! » (28)
Comme le soulignent de leur côté les Perspectives économiques en Afrique 2014, « profitant
de la bonne tenue des cours des matières premières, les exportations
africaines ont progressé plus vite qu’ailleurs dans le monde en 2012,
avec un taux de 6.1 %. Mais elles ne représentent qu’à peine 3.5 % du
total mondial des exportations cette année-là – une part qui ne parvient
pas à décoller. » En outre, il apparaît que les exportations
agricoles, – et l’on a vu l’importance du secteur pour le continent -,
ont même reculé de 1 % en 2012, après avoir augmenté en moyenne de 14 %
par an entre 2005 et 2011. En valeur, ces exportations agricoles ne
représentent que 57 Mds$, soit 9,1 % du total des exportations de
marchandises africaines. Si près de la moitié de ces exportations, pour
un montant total de 26 Mds$, se sont faites en direction de l’Europe,
elles n’ont toutefois représenté qu’une très faible part des
importations agricoles européennes : 3,9 % (29).
Dans ce cadre global, rappeler le fait qu’au niveau mondial, les
exportations des Pays les moins avancés, PMA stagnent, voire même
perdent du terrain et n’atteignent aujourd’hui qu’à peine 1 % du total
mondial des exportations de marchandises, permet de mesurer le poids
économique extrêmement faible des 34 pays africains sur les 48 de cette
liste, et des seize francophones qui en font aussi partie.
Continent essentiellement pourvoyeur
de matières premières, agricoles ou minières, l’Afrique est donc encore à
l’heure actuelle un acteur économique des plus modeste. Même si la
consommation interne du continent a joué un rôle important dans la
croissance de ces dernières années, le poids de la dépendance aux
facteurs externes pèse lourdement. Cela n’est pas sans susciter des
interrogations sur le futur, eu égard aux perspectives démographiques et
à la problématique de la réduction nécessaire de la pauvreté.
Comme le notait Arnaud Buissé (30),
l’Afrique francophone est un sous-ensemble de 295 millions d’habitants
dont le poids économique et démographique est relativement faible, son
PIB étant de 240Mds$, quand le reste de l’Afrique subsaharienne est
peuplé de 645 millions d’habitants et atteint un PIB de 1 400 Mds$,
largement dominé par les deux poids lourds que sont le Nigeria et
l’Afrique du Sud.
De fait, les pays d’Afrique
francophone présentent les uns et les autres des PIB nécessairement
modestes. C’est bien sûr le cas des petit pays, comme le Togo ou le
Bénin, par exemple, dont les PIB respectifs dépassent à peine 3,8 Mds$
et 7,5 Mds$. C’est aussi le cas d’autres pays parmi les plus pauvres,
comme le Mali ou la Mauritanie, qui pèsent respectivement 10,3 Mds$ et
3,9 Mds$ de PIB.
Ceux qui pourraient représenter des
puissances économiques potentielles, eu égard à leurs ressources
naturelles, à leur taille, l’importance de leur population ou leur
parcours antérieur, comme la Guinée, le Gabon, le Congo, la RDC ou la
Côte d’Ivoire, restent aujourd’hui encore des acteurs de second rang,
voire pire. Ainsi, la Guinée n’atteint que 6 Mds$ de PIB pour une
population de plus de 11 millions d’habitants et des richesses
naturelles exceptionnelles ; le Gabon, qui a bénéficié de la
rente pétrolière plus que tout autre pays de l’aire francophone, mis à
part le Congo, affiche un PIB de 19,3 Mds$, celui du Congo étant de 14 Mds$, équivalent à celui du Tchad (13,5 Mds$). Le PIB de la Côte d’Ivoire, poids
lourd de l’Afrique de l’Ouest en phase de redressement, représente plus
du tiers de celui de l’ensemble UEMOA, ce qui permet de situer le poids
économique de ses sept autres partenaires. Il dépasse désormais les
31 Mds$ de PIB, équivalent à celui de la RDC, 32,7 Mds$. C’est d’un poids global équivalent, 29,6 Mds$, que pèse le Cameroun.
Au-delà des différences de taille, de
démographie et de potentiel, des raisons qui contribuent à déterminer le
poids de telle ou telle économie nationale, une constante domine : les
pays d’Afrique francophone pèsent modestement. On peut relever que, dans
le même temps, un pays comme le Ghana voisin, dont les caractéristiques
intrinsèques ne sont sans doute pas fondamentalement différentes de
celles de la Côte d’Ivoire, a un PIB supérieur à 48 Mds$.
Comme le relevait Yves Gounin, conseiller d’État, ancien conseiller juridique du Président de la République du Sénégal (31),
l’Afrique ne représente qu’1 % du commerce extérieur de la France et
nos partenaires africains les plus emblématiques sont très loin d’être
parmi nos principales relations commerciales, cf. le Mali, 142e partenaire économique de notre pays avant la crise dans laquelle il a sombré.
En dépit de son dynamisme économique,
le continent est malgré tout en situation de décrochage par rapport au
reste du monde. En 1960, le PIB par tête de l’Afrique subsaharienne
était égal à 5 % de celui des États-Unis ; il est aujourd’hui de 3 %. En
d’autres termes, la forte croissance des économies africaines ne se
traduit pas par une convergence entre plus pauvres et plus riches. En
outre, l’Afrique devra gérer une croissance démographique de plus d’un
milliard d’habitants supplémentaires d’ici au milieu du siècle, avec des
conséquences potentiellement explosives.
Comme le faisait remarquer Lionel Zinsou (32), compte tenu de la progression démographique, il
y a à la fois de moins en moins de pauvreté en Afrique, des classes
moyennes qui émergent et s’en sortent, mais en même temps de plus en
plus de pauvres. Ainsi, entre 1990 et 2010, la part de la population
vivant avec moins de 1,25$ par jour est passée de 56,5 % à 48,5 % en
Afrique centrale, en Afrique de l’est, en Afrique de l’ouest et en
Afrique australe ; néanmoins, le nombre de personnes vivant dans cette
extrême pauvreté a augmenté dans le même temps de 289,7 millions à 413,8
millions (33)
.
Croissance moyenne du PIB par habitant (2000-2010) (34)
Si l’on prend l’exemple du Bénin, de gros progrès ont été faits et
plus de 60 % de la population vivent aujourd’hui au-dessus du seuil de
pauvreté, alors qu’à l’indépendance, 80 % vivaient en-dessous. Le
changement est considérable, mais la population était alors de 2,5
millions d’habitants contre dix aujourd’hui, et les 40 % de la
population actuellement sous le seuil de pauvreté sont par conséquent
bien plus nombreux que la population totale du pays autrefois. Le Bénin
n’est pas isolé sur ce plan, et beaucoup de pays ont une croissance
importante mais néanmoins insuffisante pour diminuer le nombre de
pauvres.
À ce jour, parmi les pays à faible
revenu, seuls le Burkina Faso, l’Éthiopie, le Niger, le Mozambique,
l’Ouganda et la Tanzanie ont connu une baisse du nombre de pauvres. (35) Cela
n’est évidemment pas sans conséquence sur la stabilité des pays
concernés, dans la mesure où les inégalités croissantes, exacerbées,
sont facteurs de troubles, notamment dans les pays de rentes minières,
plus vulnérables ; les effets sont visibles, dans les bidonvilles, dans
les périphéries pauvres des villes, par exemple en termes de
délinquance.
Pour de multiples raisons, une hausse
de 1 % du PIB permet de réduire le taux de pauvreté de plus de 3 % en
Amérique latine, de 2,4 % en Asie du sud-est et de seulement 1,36 % en
Afrique subsaharienne. Elles tiennent à l’importance des inégalités de
revenu, d’accès aux services de santé et d’éducation, à la faiblesse des
infrastructures, au manque d’accès au crédit et à la protection
sociale, aux liens limités entre le secteur des matières premières et le
reste de l’économie ainsi qu’au « faible niveau du PIB par tête
moyen : pour deux pays connaissant un taux de croissance du PIB par tête
équivalent, celui qui a le PIB par tête initial le plus élevé
profiterait mécaniquement d’une réduction plus forte du taux de
pauvreté. » (36)
À ces facteurs s’ajoutent les inégalités entre hommes et femmes considérées comme « l’une
des causes structurelles et profondes majeures de l’incapacité de
l’Afrique à atteindre les ODM en matière de réduction de la pauvreté et
d’autres cibles de développement. Des barrières structurelles et des
normes sociales continuent d’entraver les femmes en leur interdisant de
participer à la croissance économique et au développement durable. Leur
autonomisation économique et sociale doit être au cœur des stratégies
visant à édifier des économies dynamiques et fédératrices. » (37) Sur ce dernier aspect, le diagramme ci-dessous montre le mauvais positionnement des pays d’Afrique subsaharienne francophone.
Inégalités entre les sexes et scolarisation dans le supérieur en 2012 (38)
Malgré les taux honorables qu’elle
présente depuis plusieurs années, la croissance économique a du mal à
enclencher des processus de développement et de réduction de la
pauvreté, au point que, en matière d’OMD, « considérés collectivement, les PMA africains sont (…) mal partis pour n’atteindre aucune des 14 cibles examinées. » (39). La plupart des pays d’Afrique francophone figurent dans cette catégorie.
Les pays d’Afrique francophone
présentent des indicateurs sociaux toujours extrêmement faibles, qui ne
sont toutefois pas fondamentalement inférieurs dans leur ensemble à ceux
que présentent les pays d’autres aires. Si l’on mesure la pauvreté
selon les trois principaux facteurs de privation qui contribuent à
l’indice de « pauvreté multidimensionnelle » utilisé par les
Nations Unies depuis 2010, – santé, éducation, niveau de vie – parmi les
pays francophones d’Afrique, ce sont le Burkina Faso, le Burundi, le
Mali et le Niger, aux côtés de l’Éthiopie, qui ont les niveaux les plus
élevés du continent. Certains pays, comme le Cameroun ou la Guinée, ont
réussi à réduire l’extrême pauvreté de moitié, conformément aux OMD, et
certains autres sont en passe d’atteindre cet objectif, comme le Mali,
la Mauritanie, le Niger ou le Sénégal, mais des pays comme Madagascar ou
la Côte d’Ivoire sont encore en retard.
Le PNB par habitant au Niger est
d’environ 408$ en 2013 et plus de 60 % de la population vivent avec
moins de 1$/jour. Cette proportion oscille entre 23,4 % de la population
en Mauritanie et 47,3 % au Bénin ou au Burkina Faso et au Tchad, où la pauvreté est plus prononcée en milieu rural, où résident 82 % de la population.
Mali : pourcentage de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (40)
De même, à Madagascar, en 2012, le PIB/habitant était de 461$ mais plus de 80 % ont moins de 1,25$ par jour : « Madagascar
figure parmi les pays où le taux de pauvreté est structurellement
élevé. Selon l’enquête nationale de suivi des OMD 2012/13, plus de 70 %
de la population vivent en dessous du seuil national de pauvreté, estimé
à 245 USD en 2012. Le ratio de pauvreté en milieu rural est supérieur à
75 % contre 55 % dans les villes de province et 31 % dans la capitale.
Dans les régions les plus pauvres du pays, les taux de pauvreté
atteignent des records, respectivement 97 % et 93 %, soit la
quasi-totalité de la population. » (41) Plus de la moitié de la population malienne vit également avec moins de 1,25$ par jour, et le revenu moyen est de 334$ en République centrafricaine.
Au Burundi, ce sont plus de
81 % de la population qui vivent avec moins de 1,25$ par jour (le revenu
moyen y est de 330$), à l’instar de plus de 87 % des Congolais (RDC).
La carte du continent reproduite ci-dessous illustre la situation
dramatique qui prévaut dans la plupart des pays. Parmi les pays
francophones, le Gabon est celui qui tire le mieux son épingle du jeu.
Niveaux de revenu moyen par habitant et parts sectorielles du PIB (42)
En premier lieu, l’espérance de vie est toujours très basse. Elle n’atteint pas les cinquante ans au Tchad, en République centrafricaine, est à peine supérieure en RDC et en Côte d’Ivoire (50,7 ans exactement dans ce dernier cas). Elle est un peu plus élevée auMali ou au Cameroun, 55 ans, et au Togo, 56,5 ans. Elle reste inférieure à soixante ans au Niger, en Mauritanie et au Bénin, pays dans lesquels elle oscille entre 58 et 59 ans. Au total, parmi les pays d’Afrique francophone, seuls le Gabon, le Sénégal (63,5 ans) etDjibouti apparaissent
comme offrant à leurs populations une espérance de vie supérieure à 60
ans. D’une manière générale, sur ce plan, mis à part le cas exceptionnel
de la Sierra Leone où l’espérance de vie est à peine supérieure à 45
ans, l’ensemble des pays anglophones est peu ou prou dans la même
situation, des pays tels que le Nigeria, l’Afrique du Sud, et le
Zimbabwe et l’Ouganda restant en-deçà de 60 ans d’espérance de vie.
La moitié de la population seulement a accès à l’eau potable en Mauritanie, contre les deux-tiers au Mali. Dans le même ordre d’idées, la carte ci-dessous met en évidence la situation toujours préoccupante du continent en matière de sécurité alimentaire, les niveaux de malnutrition étant pour l’essentiel sérieux ou alarmants.
Niveaux de malnutrition (43)
Parmi les pays francophones d’Afrique subsaharienne, seul le Gabon s’en tire plus honorablement. Au Tchad,
44 % de la population souffrent d’insécurité alimentaire récurrente, et
les autorités se sont fixées comme objectif de ramener le taux de
malnutrition aiguë chez les enfants de moins 5 ans à 10 % en 2015,
contre 16 % en 2012, et d’abaisser à 21 % la proportion d’enfants de
moins de 5 ans souffrant d’insuffisance pondérale, conformément à l’OMD
relatif à la réduction de la faim dans le monde (44). À Madagascar, ce sont 47,3 % des enfants de moins de cinq ans qui souffrent de malnutrition chronique, dont plus de 18 % de forme sévère.
Si l’on concentre l’attention sur la seule région sahélienne,
le constat est identique, au vu de la carte la plus récente qui montre
qu’une très grande partie du territoire est en ce moment même sous
pression avec quelques poches d’ores et déjà en crise pour des raisons
qui peuvent paraître conjoncturelles mais illustrent précisément les
problématiques au cœur de la réflexion de cette Mission d’information.
En effet, selon les conclusions de la dernière réunion du Réseau de prévention des crises alimentaires au Sahel et en Afrique de l’ouest, si
les stocks sont actuellement satisfaisants et les prix stables, ce qui
permettra un approvisionnement régulier des marchés jusqu’à la période
de soudure en milieu d’année, en revanche, les zones d’insécurité du
Mali, du Niger et du Nord-Est du Nigeria seront en difficulté. En outre,
quand bien même l’épidémie d’Ébola a-t-elle disparu des écrans, ses
conséquences continuent de s’en faire durement ressentir sur le
terrain : « En dépit du bon approvisionnement des marchés, la
dégradation du pouvoir d’achat des ménages les plus vulnérables dans les
pays affectées par Ébola, ainsi que l’afflux de populations
réfugiées et retournées du Mali et dans les zones voisines du Niger et
du Tchad en raison de l’insécurité civile, constituent des facteurs de
risques d’insécurité alimentaire et nutritionnelle. Cette situation
mérite une surveillance accrue, ainsi que des mesures d’atténuation.
Plus spécifiquement, dans les pays affectés par Ébola, l’analyse du
Cadre harmonisé conduite en février 2015 dans les trois pays affectés
(Guinée, Liberia et Sierra Leone), révèle qu’environ 2,2 millions de
personnes seront en situation d’urgence alimentaire et nutritionnelle en
juin-août si des mesures appropriées d’atténuation ne sont pas mises
en œuvre. » (45)
Cela, indépendamment du fait que
d’autres impacts d’Ébola auront des effets à moyen et long termes en
matière de sécurité alimentaire et de résilience des populations, dans
la mesure où le retour des paysans sera difficile dans les zones
affectées ; dans un contexte de baisse tendancielle des prix des
produits agricoles, donc de leurs revenus, il faudra du temps pour
qu’ils reconstituent les moyens de production qu’ils ont perdus. Sur la
base de la psychose générale des populations constatée durant
l’épidémie, on s’attend à des difficultés dans la mise en œuvre des
programmes d’assistance nutritionnelle.
La situation alimentaire et nutritionnelle projetée au Sahel et en Afrique de l’ouest, janvier-mars 2015 (46)
Comme le dit Sylvie Brunel dans son dernier ouvrage, « l’Afrique
sera développée quand le taux de mortalité infantile sera passé sous le
seuil symbolique de 50 ‰, qui est aujourd’hui celui de la majorité des
pays dits en développement. Elle affiche pour l’instant presque le
double, hormis en Afrique du Nord, infiniment plus avancée malgré la
situation désastreuse des campagnes marocaines. Un enfant sur deux qui
meurt avant l’âge d’un an vit en Afrique ! Il y a une génération, en
1990, c’était un sur trois. » (47) De fait, les indicateurs en matière de santé restent toujours aussi terribles.
Au Tchad, en plus d’une espérance de vie particulièrement
basse, près d’un enfant sur cinq meurt avant l’âge de 5 ans. Cette
situation sanitaire désastreuse s’explique essentiellement par le fait
que les structures de santé sont de faible qualité : nombre insuffisant
de médecins qualifiés et répartition déséquilibrée des personnels de
santé sur le territoire national. En 2012, le Tchad ne comptait en tout
et pour tout qu’un peu plus de 7 500 personnels de santé, qui relevaient
à près de 90 % du secteur public, le reste se répartissant entre
organisations confessionnelles et secteur privé (6 %), ONG (3 %) et
armée (2 %). En 2011, les dépenses de santé par habitant étaient de 35$,
pour une norme de 44$, fixée par l’Union africaine, et de 86$ fixée par
l’OMS. Elles atteignaient près de 10 % du budget en 2012, pour un
objectif fixé dans la Déclaration d’Abuja en 2001 d’au moins 15 %. Pour
insuffisant que ce soit en regard des objectifs, ce n’est cependant pas
l’effort le moindre : en 2012, la dépense moyenne par habitant en Guinée était de 9$, la Côte d’Ivoire ne consacrant que 5 % de son budget à la santé.
Regard sur le secteur de la santé en RDC (48)
Le gouvernement congolais a réussi à
mettre en place un système de santé visant une large accessibilité
(géographique, culturelle et financière) aux soins de base en s’appuyant
sur des structures opérationnelles adéquates. En effet, le système de
santé en RDC est axé sur la Stratégie des soins de santé primaires
(SSP), qui s’appuie sur les zones de santé (ZS) érigées en unités
opérationnelles de planification et de la mise en œuvre de la politique
de SSP.
Cependant, à ce jour, le secteur de la
santé accuse toujours de faibles performances au regard de la lenteur
du rythme des progrès enregistrés dans les principaux indicateurs de la
santé. Les indicateurs de morbidité, de mortalité et surtout d’espérance
de vie à la naissance (48,7) n’indiquent pas de progression du pays
dans le domaine de la santé. Il en va de même des indicateurs liés aux
OMD.
Le taux de mortalité infanto-juvénile a
connu un recul relativement important entre 2001 et 2010, passant de
213 ‰ à 158 ‰, soit une diminution annuelle de 32 ‰. Cette évolution
paraît toutefois insuffisante par rapport aux attentes des OMD, dont la
cible pour cet indicateur est projetée à 60 ‰ en 2015. Le rythme actuel
de régression de ce taux laisse entrevoir le taux de 134 ‰ en 2015.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que le pays avait
enregistré en 2009 l’un des taux de mortalité infantile les plus élevés
de la planète, soit 199 ‰, taux le classant en 2e position, après le Tchad.
Cette moyenne nationale cache une
forte disparité entre les différents milieux de résidence. Alors que le
milieu urbain avait enregistré un taux moyen de 111 ‰, un taux proche de
200 ‰, précisément 174 ‰, avait été observé dans le milieu rural. Le
même écart est observé entre différentes provinces : Kinshasa connaît le
taux le plus bas, moins de 100 ‰ (précisément 91 ‰), contrairement aux
provinces du Katanga, de Maniema, de Bandundu, du Sud-Kivu, du
Kasaï-Occidental et de l’Équateur, caractérisées par des taux supérieurs
à la moyenne nationale.
(…) seules quatre provinces sur onze
ont enregistré une baisse de la mortalité infanto-juvénile entre 2007 et
2010. Il s’agit de Kinshasa, du Bas- Congo, de la Province Orientale et
du Sud-Kivu. C’est dans cette dernière province que la plus forte
baisse (53 points) a été enregistrée. Par contre, les 7 autres provinces
ont vu les conditions sanitaires des enfants se détériorer. La
situation la plus critique a été observée au Nord-Kivu (moins 29
points). La permanence de l’insécurité dans cette province a
certainement affecté les conditions sanitaires de toute la population et
surtout des enfants.
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La situation est comparable au Congo (Brazzaville) qui présente « des indicateurs de santé parmi les plus faibles au sein du groupe de pays comparables », avec
notamment une mortalité maternelle de 426 décès pour 100 000 naissances
vivantes et une mortalité infanto-juvénile de 68 décès pour 1 000
naissances vivantes. Un quart des enfants sont affectés par la
malnutrition chronique et, excepté en matière de sida et de paludisme, « l’atteinte
des cibles des OMD sera très difficile en raison de l’insuffisance des
ressources financières, matérielles et humaines, de la pauvreté élevée
et de la faible coordination de la réponse nationale. » Dans le même ordre d’idées, on note également qu’à Madagascar, la réduction de la mortalité des enfants de moins de 5 ans marque actuellement le pas.
Part des dépenses de santé dans le PIB des pays d’Afrique de l’Ouest en 2012 (49)
Si l’on se concentre plus
spécifiquement sur les pays d’Afrique de l’ouest, la lecture du dernier
point de situation consacré à la santé effectué par la Banque africaine
de développement (50), met en exergue la faiblesse des systèmes de santé face aux défis auxquels ils sont confrontés. De sorte qu’au Bénin, par exemple, « le
taux de morbidité reste élevé malgré les programmes et les réformes de
santé mis en œuvre dans les dernières années. La situation sanitaire
demeure faible en raison d’une offre inadéquate de services sanitaires,
d’une pénurie des capacités humaines, d’une mauvaise maintenance des
infrastructures et de la précarité du mécanisme de financement de la
santé. » (51). C’est la même situation qui prévaut au Burkina Faso,
même si les budgets sont en augmentation et que les effectifs sont
croissants : la principale maladie endémique y est le paludisme, qui
frappe plus de 7 millions d’habitants sur 17, soit plus de 40 % de la
population. Si la prévalence du sida a heureusement fortement diminué,
d’autres indicateurs sont alarmants, tels ceux relatifs à la conjonction
entre la mortalité infantile et la malnutrition : 54 % des décès
infanto-juvéniles surviennent sur des terrains de malnutrition.
Le système de santé du Niger est également confronté à plusieurs défis d’importance, dont le moindre n’est pas la croissance démographique, thème crucial sur lequel on reviendra. La répartition spatiale de la population et l’instabilité des pays voisins,
qui entraîne un afflux massif de réfugiés, ajoutent à la pression sur
le système. Comme au Burkina Faso, si la prévalence du sida est faible,
celle de la tuberculose reste préoccupante ; le paludisme est la
première cause de décès (58 %), auxquels la pneumonie (12 %) et la
diarrhée (5,7 %) contribuent de manière importante. Les personnels de
santé disponibles sont insuffisants, tant en nombre qu’en qualification,
et les dépenses de santé privées et publiques (7,4 % du PIB sur les dix
dernières années), sont insuffisantes pour répondre aux besoins. Joseph Brunet-Jailly, enseignant à Sciences Po et consultant, ancien directeur de recherche à l’ORSTOM et à l’IRD, soulignait (52) le
fort décalage que l’on constate parfois entre les annonces faites par
les instances nationales et leur réalité sur le terrain. Ainsi, lorsque
le Niger a annoncé la mise en œuvre de la gratuité aux soins pour les
femmes et les enfants, l’impact a été presque nul pour certaines
populations, seules huit maternités nigériennes – dont trois se trouvent
à Niamey – étant capables par exemple de réaliser des césariennes. En
d’autres termes, il s’est agi d’annoncer la gratuité d’une prestation
qui de toute manière n’existe pas dans quatre régions sur huit.
Dans le même esprit, le Togo « fait
partie des pays où le ratio nombre de médecins/nombre d’habitants est
le plus faible. La situation s’aggrave depuis 30 ans du fait de
l’expatriation des médecins vers les pays occidentaux. Le nombre de
médecins pour 1000 habitants a chuté de 0,14 en 1984 à 0,05 en 2014. La
disponibilité en médecins baisse à mesure que l’on s’éloigne de la
région Maritime. Celle-ci compte 82 % des médecins, dont 77 % dans la
capitale Lomé. 18 % des médecins exercent dans le reste du pays, où
vivent 57 % de la population. La privation des soins de santé, d’hygiène
et d’eau potable concerne surtout le milieu rural, où vivent 78,9 % des
pauvres. En 2012, la part de la population ayant accès aux
installations sanitaires améliorées est de 2,5 % en milieu rural contre
25,5 % en milieu urbain. ». (53)
C’est la réaction des ONG et de la
communauté internationale qui a permis de contenir l’épidémie de fièvre
Ébola, révélant de ce fait toutes les failles des systèmes de santé des
pays d’Afrique de l’ouest et illustrant l’articulation intime entre les
problématiques de développement et de stabilité entendues au sens
large. Comme on l’a évoqué, le gouvernement guinéen ne consacre que 9$
par an et par personne à la santé, et ceux de la Sierra Leone et du
Liberia, à peine plus : respectivement 16$ et 20$, à comparer aux
standards minimums recommandés par l’Union africaine ou l’OMS. La
faiblesse de cet investissement conditionne directement le nombre de
médecins, d’infirmières et autres personnels de santé, d’équipements
divers, d’hôpitaux et de médicaments disponibles. Lorsque l’épidémie
d’Ébola a éclaté, il n’y avait que 51 médecins au Liberia – 1,4 médecin
pour 100 000 habitants selon certaines sources, par rapport au taux de 1
pour 600 recommandé par l’OMS -, et 1 pour 45 000 habitants en Sierra
Leone, laquelle compte à peine plus d’un millier d’infirmières et
sages-femmes. Toutes catégories confondues, le Liberia dispose d’un
professionnel de santé pour 3 500 habitants, la Sierra Leone d’un pour
5 300 habitants. (54)
Dans ces conditions, non seulement,
les systèmes de santé ne réussissent pas à faire face aux besoins
courants qui sont le quotidien des populations africaines, mais qu’une
épidémie surgisse et se répande rapidement comme celle du virus Ébola,
et des années d’efforts et de développement sont ruinés en quelques
mois.
Le coût humain de cette épidémie est d’ores et déjà considérable : 25 791 personnes ont été infectées à ce jour et l’on a enregistré 10 689 décès pour les trois pays les plus affectés (55), sur un total de 10 704 décès. En outre, des effets en cascade sont à prévoir d’ordre sanitaire (56),
ou social : l’épidémie a provoqué des tensions internes sur le tissu
social des pays concernés, pour partie déstructuré et déstabilisé. Le
coût économique et financier est également très élevé : la communauté
internationale a dû assumer en extrême urgence un effort considérable
pour venir à bout de l’épidémie – 4,3 Mds$, soit quinze fois le budget
annuel cumulé consacré à la santé par les trois pays les plus touchés (57) -,
et le choc est aussi majeur pour les économies. Il a provoqué un coup
d’arrêt brutal sur la croissance. Si les projections initiales ont
finalement, et heureusement, été atténuées (58), grâce à l’enraiement assez rapide de l’épidémie, elles restent dramatiques : « Selon
la Banque mondiale, Ébola devrait entraîner une perte d’activité de 1,6
milliard de dollars en 2015 dans les trois pays affectés (soit plus de
12 % de leur PIB combiné) : 540 millions de dollars en Guinée, 180
millions au Liberia et 920 millions en Sierra Leone. C’est bien plus que
le coût économique – déjà considérable – accusé en 2014 : plus de 500
millions dollars (environ 5 % de leur PIB combiné). ». (59) L’activité
des pays environnants est également impactée : il y a quelques mois
encore, la Banque mondiale et le FMI estimaient que l’Afrique
subsaharienne, dans son ensemble pourrait subir des répercussions
économiques de près de 33 Mds$, dans l’hypothèse la plus grave (60).
Si ces projections ont aussi été revues à la baisse, certains voisins,
tout indemnes qu’ils soient, en subissent les effets collatéraux, cf. le
Sénégal dont le tourisme est aujourd’hui en perdition, du fait de la
psychose internationale (61).
Distribution géographique des nouveaux cas et du nombre de cas confirmés au 15 avril 2015 (62)
Comme le souligne à juste titre la Banque africaine de développement, « la
structuration à long terme des systèmes de santé doit être érigée en
priorité par les États de la région. Cette structuration est nécessaire
pour empêcher que ce type de crise sanitaire se reproduise, pour
accompagner le formidable développement économique qui s’affirme dans la
majorité des pays de la région. » (63).
Cela est d’autant plus urgent que, comme le soulignait aussi Dominique Kérouédan, médecin, fondatrice et conseillère scientifique de la spécialisation « Global Health » de l’École des affaires internationales de Science Po et titulaire en 2012-2013 de la chaire « Savoirs contre pauvreté » du Collège de France (64),
l’Afrique, et notamment l’Afrique de l’ouest, est désormais face à de
très grands enjeux qui ont émergé, notamment autour de la croissance
démographique qui se traduit par l’arrivée de masses de jeunes non
instruits, sans accès à la santé et sans emploi. Beaucoup de ces jeunes
sont malades, du sida, de diabète, de maladies infectieuses, mentales,
et tout particulièrement, désormais, de maladies chroniques. Il y a là
un double fardeau pour les systèmes de santé, submergés par ces
multiples pathologies simultanées sans qu’il y ait eu de transition
épidémiologique, comme on l’a connu en Europe, où les systèmes de santé
ont eu le temps de se préparer à la transition entre maladies
infectieuses et maladies chroniques. En Afrique, tout arrive en ce
moment de manière simultanée, maladies infectieuses, problèmes de santé
maternelle et infantile, sous-nutrition, et maladies chroniques, comme
le diabète et le cancer, dont on n’a pas envisagé la prise en charge ni
médicale, ni en termes de santé publique, avec ce que cela suppose de
moyens à y consacrer.
C’est la raison pour laquelle la BAD
insiste sur la nécessité pour les États de la région d’accroître les
ressources consacrées à la santé, pour améliorer la disponibilité et la
qualité de l’offre de soins, notamment dans les zones les plus
défavorisés : Ils « doivent poursuivre leurs efforts pour
l’amélioration de leur système de santé, en cherchant à mettre en place
un modèle inclusif qui puisse à la fois protéger les populations les
plus vulnérables et accompagner leur transition économique et
sociale. ». (65) Cela
requiert de travailler sur des modèles économiques soutenables,
notamment dans un contexte de baisse des ressources de l’aide au
développement, de veiller, dans tous les pays de la région, à
l’accroissement des personnels de santé, indispensable à l’amélioration
des systèmes de santé, défi qui « exige des États qu’ils développent
les capacités de formation du personnel de santé et qu’ils renforcent
l’attractivité des conditions d’exercice des professionnels de la
santé. ». (66)
Or, comme le soulignait Dominique Kérouédan, on se situe dans un contexte général où, dans un pays comme la Côte d’Ivoire,
en situation de post-conflit, – comme le sont d’ailleurs de leur côté
le Libéria et la Guinée Bissau, la Guinée se trouvant dans une situation
guère éloignée -, le ministère de la santé ne dispose que d’un budget
égal à 4 % du budget de l’État, loin de l’engagement d’Abuja des États
africains de consacrer 15 % à la santé, que seuls quatre pays ont tenu à
ce jour. Pour le professeur Kérouédan, cela signifie clairement que la santé n’est pas une priorité politique des États,
et explique que l’épidémie d’Ébola ait explosé dans trois pays qui sont
parmi les plus en retrait sur ce plan. La situation est telle que dans
sa leçon inaugurale au Collège de France, elle estimait même que d’une
manière générale, en Afrique, il y avait de plus en plus de malades et
de moins en moins de soignants : « l’Afrique compte un quart de la
pénurie mondiale de soignants, confrontés sur ce seul continent à un
quart de la charge mondiale de maladies », cependant que, « en
toile de fond, sévissent les instabilités politiques et cinq crises :
alimentaire, énergétique et climatique, économique et financière, dont
nous pourrions explorer les effets sanitaires et géopolitiques
réciproques. » (67)
Accessoirement, on fera remarquer
qu’il n’y a jamais que 22 ans que la Banque mondiale faisait de la santé
le thème de son rapport annuel sur le développement dans le monde, et
insistait sur l’impératif d’« investir davantage dans des actions de
santé publique d’un bon rapport coût-efficacité de nature à améliorer
sensiblement l’état de santé des pauvres. » (68) Cela
faisait partie d’un ensemble de mesures jugées d’une importance
primordiale pour l’amélioration de la santé, parmi lesquelles figurait
le fait de donner « une solide instruction primaire à tous les enfants, en particulier aux filles. »
Les données relatives à l’éducation ne
sont pas moins alarmantes et montrent que la question reste un enjeu
crucial : le taux d’alphabétisation est encore inférieur à 50 % au Sénégal, 49,7 %
exactement, pour une durée moyenne de scolarisation de 7,8 ans. Les
chiffres mauritaniens sont légèrement supérieurs, 58 % et 7,9 ans, mais
très bas au Bénin où seuls 42,4 % de la population sont
alphabétisés, malgré une durée moyenne de scolarisation supérieure à 9
ans. De même, dans un pays comme le Mali, le taux
d’alphabétisation n’est aujourd’hui que de 31,1 % avec une scolarisation
moyenne de 7,2 ans. Cette donnée est cependant à mettre en regard
d’études de terrain qui montrent des résultats très médiocres : les
acquisitions en lecture et compréhension du français, qui devraient être
assurées par les deux premières années de scolarité, ne sont en effet
constatées que chez 8 % des enfants de 6 à 14 ans, cependant que les
acquisitions comparables dans les langues nationales, utilisées en début
de scolarité par une partie des écoles, ne sont obtenues que chez 3 %
des enfants concernés ; de même, les résultats attendus en calcul ne
sont obtenus que chez 9,5 % des enfants, la moitié d’entre eux ne
sachant même pas lire les chiffres (69).
Concrètement, si les enfants sont scolarisés, très nombreux sont ceux
qui quittent le système prématurément sans maîtrise des fondamentaux. On
ne s’étonne pas que le rapport annuel de développement du PNUD sur le
Mali considère le système éducatif comme étant « en état de crise », avec des résultats quantitatifs en progrès mais « une qualité en détresse » (70) : les effectifs explosent, certains
étudiants à l’université ne sachant pas lire et nombre de professeurs
se contentant de lire des ouvrages empruntés à la bibliothèque (71).
Cet état de fait se retrouve dans
d’autres pays de la région : les statistiques du PNUD indiquent par
exemple que la durée de scolarisation que peut espérer un enfant
nigérien est de 5,4 ans sur l’ensemble de sa vie scolaire. De fait, la
répartition de la population active selon le niveau d’éducation montre
des éléments préoccupants, que le tableau ci-dessous illustre : près de 80 % des Nigériens actifs n’ont aucune formation et l’on relève que les six pays les moins bien classés sur ce plan sont tous francophones. On verra plus bas (72) que
la question de l’éducation est d’ailleurs l’une de celles qui
représentent les plus grands défis pour le Niger, compte tenu des effets
conjugués de sa croissance démographique et de l’évolution profonde de
la société. De même, 70 % des Burkinabè n’ont aucune formation.
Répartition de la population d’âge actif selon le niveau d’éducation (73)
À Madagascar, en matière
d’éducation, des progrès ont certes été accomplis avec un taux
d’achèvement au primaire passé de 47 % en 2004 à 69 % en 2012.
Toutefois, le taux de scolarisation a connu une forte diminution,
passant de plus de 96 % en 2006 à moins de 70 % en 2012, c’est-à-dire
que, en raison notamment de l’insuffisance de l’offre éducative et des
moyens financiers des parents, près de 30 % des enfants ne fréquentent
plus aujourd’hui l’école primaire alors qu’ils n’étaient que 3 % dans ce
cas en 2006. Selon l’enquête de suivi des OMD 2012/13, les ménages
doivent dépenser en moyenne l’équivalent d’environ 22 euros pour un
enfant scolarisé.
Parmi les pays francophones d’Afrique centrale, on relèvera par exemple que le Cameroun présente un tableau plutôt positif,
dans la mesure où le taux de scolarisation dans le primaire est de 82,6
%, le taux d’alphabétisation étant de 73 % selon les dernières données
du PNUD. De fait, le pourcentage de la population active sans formation
est relativement faible par comparaison avec l’ensemble de la région,
inférieur à 20 %. Lors du déplacement de votre Mission dans le pays, de
nombreux interlocuteurs, notamment des milieux économiques français, ont
d’ailleurs tenu à insister sur l’excellence de la formation professionnelle dans
certaines branches, notamment les filières d’ingénieurs. On observe
néanmoins de fortes disparités régionales entre le Nord, et surtout
l’extrême nord et le sud du pays, en termes de taux de réussite scolaire
ou d’alphabétisation : « Dans le temps, le taux d’alphabétisation au
Cameroun était en progression de 7 points, entre 1996 (61 %) et 2001
(68 %) ; puis, ce taux s’est accru de 3,2 points, pour atteindre 71,2 %
en 2010. Dans le Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi
(DSCE), compte tenu de l’évolution antérieure de ce taux et de son
niveau actuel, les pouvoirs publics camerounais estiment pouvoir
parvenir à l’éradication de l’analphabétisme à l’horizon 2020. La
dimension spatiale de l’alphabétisation montre de profondes disparités
entre les régions, l’Extrême-nord, le nord, l’Adamaoua et l’est sont les
moins avancées. » (74)
Cette disparité régionale se note
aussi au niveau des conditions de scolarité, notamment des taux
d’encadrement, comme le montre le tableau ci-dessous, ou encore, des
redoublements, ou du taux d’abandon global, « plus élevé dans la région de l’Extrême-nord (5,4 %) et moins élevé dans le sud-ouest (0,2 %) » (75), pour des raisons principalement tenant au manque de moyens financiers (48,6 %).
Niveau d’encadrement au primaire et au secondaire en 2011 (76)
Les développements qui suivent
montrent que les pays d’Afrique francophone sont parmi les plus pauvres
en dépit de leur croissance mais que leur mauvais classement tient
davantage à leur appartenance à des aires géographiques particulièrement
exposées qu’à leur identité linguistique. Différents pays d’Afrique
anglophone ne sont pas mieux lotis.
Les statistiques annuelles publiées
par les Nations Unies sont éclairantes et permettent de mesurer d’emblée
l’ampleur du problème auquel font face les pays d’Afrique francophone.
Selon la dernière livraison des « Indicateurs du développement humain » que publie chaque année le PNUD (77) deux pays d’Afrique francophone, sur 187 pays classés, figurent dans la catégorie des pays à « Développement humain moyen » et parmi les pays à revenu intermédiaire : le Gabon, au 112e rang, et le Congo, au 140e rang.
Les autres pays d’Afrique francophone
relèvent tous de la catégorie des pays à développement humain faible, et
pour l’essentiel, figurent parmi les Pays les moins avancés (78), PMA : le Rwanda et le Cameroun sont respectivement 151e et 152e, suivis de peu par Madagascar, 155e de
la liste. Par ordre décroissant de développement humain, la position
des différents pays d’Afrique francophone est ensuite la suivante :
Comores, 159e ; Mauritanie, 161e ; Sénégal, 163e ; Bénin, 165e ; Togo, 166e, à égalité avec le Soudan ; Djibouti et la Côte d’Ivoire sont aux 170e et 171e rangs ; le Mali est 176e devant la Guinée, le Burundi et le Burkina Faso, respectivement à la 179e, 180e et 181e position.
Enfin, les quatre derniers pays du classement établi par le PNUD sont
également francophones : le Tchad, la République centrafricaine, la RDC
et le Niger sont échelonnés entre la 184e et la 187e places. Comme on le voit, ceux qui ne sont pas des PMA, le Cameroun et la Côte d’Ivoire, sont également mal positionnés. (79)
Les pays anglophones d’Afrique sont à peine en meilleure posture : Si cinq d’entre eux sont dans la catégorie « Développement humain moyen » – Botswana : 109e ; Afrique du Sud, 118e ; Namibie : 127e ; Ghana : 138e et Zambie : 141e – la majorité sont également des PMA, qui figurent dans des positions assez comparables.
Si l’on regarde l’évolution de ces
pays sur la longue période, on constate certes des améliorations pour
certains, mais aussi le fait que d’autres n’ont pas fait grand progrès
sur la décennie en cours.
Le Mali en 1992 : quelques constats (80)
« Le pays demeure pauvre, (…) et
aucune des différentes politiques économiques suivies depuis trente ans
n’a pu lui apporter de solutions efficaces. »
« L’industrialisation était symbole de développement (…) mais le bilan n’est pas très positif : tout ou presque est inadapté. »
« Nourrir le pays demeure par ailleurs
une préoccupation constante des pouvoirs publics. (…) Le pays était
excédentaire en céréales (et exportateur) entre 1960 et 1968. Producteur
de riz, il n’arrive pas à l’autosuffisance en ce domaine puisqu’il ne
produit encore que 85 % de sa consommation (et à peine la moitié les
mauvaises années, comme en 1984/1985). »
« La croissance urbaine demeure une
préoccupation. Bamako, sans doute proche du million d’habitants en 1992,
croît plus rapidement que ne le laisserait penser le dernier
recensement. Elle n’a pas bénéficié des investissements qui ont marqué
certaines autres capitales africaines. (…) tout le centre, vieilli et
inadapté, est à refaire (…) on note un développement considérable de
l’informel qui envahit les trottoirs du centre et l’accroissement des
activités agricoles dans la capitale. »
« Autre signe de pauvreté, la
situation catastrophique du système scolaire. Avec un taux de
scolarisation de 22 %, on est loin du rêve de l’éducation pour tous.
D’autant que les taux baissent et que la situation se dégrade.
L’enseignement fondamental est même le parent pauvre de l’éducation, les
gouvernements ayant accordé plus d’attention à l’enseignement supérieur
et à la formation des cadres. Là encore se manifeste la priorité de
fait donnée aux habitants des villes sur les paysans. La privatisation
s’étend aussi à ce secteur. »
« L’irrédentisme touareg est ancien,
il n’est d’ailleurs pas propre au Mali, mais il a été exacerbé par la
façon dont ce peuple a été traité depuis l’indépendance. »
« Le Mali entre en démocratie et la
transition s’est faite plutôt mieux qu’ailleurs. Après une longue
période où l’État sous ses diverses formes (coloniale, socialiste,
militaire) était omniprésent, mais souvent peu efficace, c’est bien à
présent la reconstruction de l’État qui est prioritaire. »
« Les pays occidentaux feront sans
doute un effort financier pour consolider la jeune démocratie, mais il
faudra bien que celle-ci trouve progressivement en elle-même ses moyens
de fonctionner. Or, dans la période actuelle, l’impôt ne rentre plus, et
paysans ou pêcheurs ont tendance eux aussi à rejeter les interventions
de l’État. Il s’agit dont aussi de restaurer l’autorité de l’État. »
|
Ainsi, entre 2008 et 2013, des pays
comme la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Mali, le Burundi ou le Burkina Faso
ont stagné et leur rang de classement est resté le même. D’autres, en
revanche, ont nettement chuté, comme le Sénégal qui a perdu six places
au cours de ces cinq années, tout comme Madagascar ou Djibouti qui ont
régressé chacun de trois places. Plusieurs enfin, sont également sur une
pente descendante, quoique moins accentuée. C’est le cas du Bénin, de
la Mauritanie, du Congo, de la Guinée, qui perdent chacun deux places
et, dans une moindre mesure, du Niger, du Togo ou de la République
centrafricaine, qui ont reculé d’une place. Au total, sur les années
2008-2013, seuls parmi les pays d’Afrique francophone, la RDC et le
Tchad, + un rang chacun, le Cameroun, + deux rangs, et surtout, le
Rwanda, + dix-sept places, voient leurs positions s’améliorer, parfois
très modérément, sur l’échelle mondiale du développement. (81)
La comparaison faite avec quelques
pays anglophones montre des trajectoires plutôt plus favorables dans
leur cas que dans celui des pays francophones. Ainsi, sur la même
période 2008-2013, le Botswana et l’Afrique du Sud ont progressé de deux
places, la Namibie et le Liberia de trois. Quelques-uns stagnent, tels
la Sierra Leone ou le Malawi, certains régressent, comme la Gambie ou
l’Ouganda, de quatre places l’une et l’autre, cependant que d’autres
sont en net progression : Tanzanie, + cinq places, Zambie, + sept, ou
Zimbabwe, + seize.
Si l’on affine la focale, on remarque
sans trop de surprise que les pays sahéliens sont tous en queue de
peloton et cela seul permet de ne pas faire de l’appartenance à l’aire
linguistique francophone le facteur explicatif de leurs mauvais
classements : leurs conditions naturelles particulièrement défavorables,
leur enclavement, les handicapent considérablement pour sortir de la « trappe du sous-développement » dans
laquelle ils sont, pour reprendre une expression popularisée ces
dernières années. Cela permet de souligner que la distinction entre pays
francophones et pays anglophones n’est pas particulièrement
pertinente : les processus de développement dans l’ensemble des pays
francophones sont variés, tout comme ils le sont dans les pays
anglophones. Les uns et les autres se sont émancipés par rapport à des
histoires coloniales propres, il y a eu des trajectoires individuelles,
des réussites et des échecs dans des pays francophones comme dans des
pays anglophones, et cela invite à s’intéresser aux contextes et
réalités locales réellement explicatifs. Pierre Jacquemot, ancien ambassadeur de France en RDC, président du GRET (82),
considère à ce propos que la distinction avec les pays anglophones
n’est en rien pertinente et qu’il n’y a aucune similitude dans les
processus dans l’ensemble des pays francophones de la même manière qu’il
n’y en a pas non plus entre les pays anglophones. Il y a eu des
réussites francophones et anglophones, et des échecs anglophones comme
francophones. Jean-Marc Châtaignier, alors directeur-général
adjoint de la mondialisation, des partenariats et du développement au
MAEDI et ancien ambassadeur de France à Madagascar (83),
soulignait pour sa part qu’il y a en fait plusieurs Afriques, des pays,
des populations, des modes de vie extrêmement différents, y compris au
sein de l’Afrique francophone.
Un constat en 2007 : « Le grand bond en arrière de l’économie centrafricaine » (84)
D’un tissu industriel qui n’a jamais
été très fourni, il ne reste plus que des lambeaux : une brasserie, une
usine de contreplaqué et des sociétés forestières – toutes étrangères –
qui, depuis l’assainissement du secteur en 2003, emploient 5 000
travailleurs permanents et autant de temporaires, soit la moitié de
l’ensemble de la main d’œuvre du secteur formel de l’économie (…).
L’État (…) tire à présent 18 % de ses recettes de la filière bois, plus
que du secteur minier en déliquescence. En 2005, la RCA n’a produit que
5kg d’or, alors que sa richesse phare – le diamant de joaillerie – s’est
affaissée autour de 400 000 carats par an, deux tiers de la production
d’il y a 30 ans. Du moins est-ce le chiffre des exportations
officielles. En raison d’une importante contrebande, trois fois plus de
gemmes centrafricaines (1 200 000 carats) arrivent en effet à Anvers.
(…) la filière coton n’est guère en meilleur état : en 2006, seulement 3
500 tonnes de coton-graine ont été exportées, une petite fraction des
50 000 tonnes produites dans les années 1970, sans parler des 200 000
tonnes récoltées en 2006 au Tchad voisin. La culture du café est
également devenue marginale, chutant de 15 000 tonnes par an à moins de
3 000 tonnes issues de petites plantations familiales. Ainsi, les
principales sources de monétarisation du monde rural se sont-elles
taries.
En même temps, l’agriculture vivrière
n’est guère plus qu’un moyen de subsistance. En raison d’une insécurité
devenue endémique, qui rend périlleuse toute tentative de
commercialisation, les paysans n’évacuent plus leurs produits – à tel
point que Bangui importe des oignons et des mangues, dont la RCA
regorge, depuis le Cameroun. C’est également dans ce pays voisin que se
sont réfugiés, avec leurs troupeaux, les éleveurs de bétail, souvent des
Peuhl. Les pasteurs se plaignent de l’insécurité due aux coupeurs de
route, les zaraguina, non seulement des vols de bétails, mais du
chantage avec enlèvements d’enfants. Le déclin des infrastructures de
transport, constant depuis l’indépendance, fait le reste. (…) L’ancien
premier ministre d’un éphémère gouvernement d’union nationale en 1996,
Jean- Paul Ngoupandé, à présent conseiller spécial du président Bozizé,
résume la situation à l’intérieur du pays comme « le retour à une vie précoloniale ».
(…) En raison de la vétusté de
l’aménagement hydroélectrique des chutes de Boali, qui fonctionne jour
et nuit avec du matériel inchangé depuis 1976, l’énergie centrafricaine
ne produit que 18 MW, alors que la capitale en consomme au moins 22 MW.
Pour l’eau, la desserte à Bangui est même inférieure à la fraction des
ménages ayant accès à l’eau courante dans l’arrière-pays : 22 % en
milieu urbain, contre 34 % en milieu rural. (…) C’est un indicateur de
la faiblesse du pouvoir d’achat dans un État où, à l’été 2007, les
arriérés cumulés dans la fonction publique, qui emploie quelque 20 000
agents, s’élevaient à 33 mois. Quant aux pensions et retraites, leurs
impayés se comptent désormais en trimestres : dix-sept, pour le moment,
soit plus de quatre ans.
|
Ces différences invitent à la prudence
dans les analyses. Il y a une Afrique émergente ou pré-émergente, une
Afrique fragile, à l’ouest, au Sahel ou en République centrafricaine. En
outre, de très grandes différences se voient aussi au sein d’un même
pays, comme en RDC ou au Nigeria qui connaissent l’un l’autre des
évolutions internes diverses. Des ruptures de rythmes de développement
se constatent aussi, entre l’Afrique de l’ouest, laissée pour compte,
avec son cortège de guerres, de maux, dont le dernier est Ébola, et
toute l’Afrique de l’est qui tend à décoller aujourd’hui grâce au
pétrole et au gaz, et à l’essor des classes moyennes. Du fait de son
positionnement géopolitique, l’Afrique francophone est malheureusement
aujourd’hui surtout en lien avec les groupes mafieux mondialisés, de
tous types, et consécutivement, avec de nombreux maux : tous les trafics
possibles, piratages, djihad, etc.
Nombre d’experts mettent en avant un
faisceau de facteurs qui relèvent en partie aujourd’hui de l’histoire
mais ont durablement marqué les pays du continent et ont pu jouer sur
les modèles de développement ultérieurement choisis. Sans qu’il soit
question de battre une nouvelle fois sa coulpe ni de survaloriser cet
aspect, on ne peut ignorer l’héritage culturel colonial et postcolonial,
les processus de décolonisation différents. Les problématiques
démographiques sont également différentes et jouent fortement sur les
questions économiques, dans la mesure où, à l’exception de la RDC, les
pays africains les plus peuplés sont tous anglophones : leur poids
économique est par conséquent mécaniquement supérieur, de même que les
possibilités qu’offre la taille de leurs marchés intérieurs.
L’ONU et la France sont
particulièrement engagées en Afrique au titre des opérations de maintien
de la paix. Sur les seize que conduit l’ONU aujourd’hui, neuf sont sur
le territoire africain, dont quatre dans des pays francophones. Les OMP
prennent une part de plus en plus importante dans les activités de l’ONU
ce qui témoigne à la fois de la gravité croissante des crises mais
aussi de l’engagement constant des Nations Unies.
S’agissant des effectifs, alors que
les Casques bleus étaient 12 000 en 1996, et 20 000 en 2000, ils sont au
nombre de 122 000 personnels civils et militaires aujourd’hui, dont
25 000 pour la MONUSCO (République démocratique du Congo), 9 626 pour
l’ONUCI en Côte d’Ivoire, 9 321 pour la MINUSMA au Mali, 7 912 pour la
MINUSCA en République centrafricaine.
Ces opérations sont de plus en plus
complexes. Les mandats de certaines missions ont été durcis depuis leurs
créations. Les opérations comportent aussi de plus en plus de
dimensions civiles : construction d’un État de droit, protection des
droits de l’Homme, soutien au processus politique, assistance économique
et humanitaire, processus de désarmement, démobilisation et
réinsertion, réforme des secteurs de la sécurité, assistance au
processus électoral…
Sur le plan financier, le budget de
l’ensemble des OMP n’a cessé de croître, passant de 840 millions de
dollars en 1998 à 7 milliards de dollars.
La France, et c’est à son honneur,
contribue fortement à cet engagement. Sur le plan financier, sa part en
tant que membre permanent du Conseil de Sécurité, est supérieure à celle
des autres membres ; elle représente 7% du budget, soit 490 millions de
dollars. Mais, surtout, elle est souvent à l’initiative, sur le plan
diplomatique, au titre de sa qualité de membre permanent du Conseil de
Sécurité, mais aussi au titre de son expérience du terrain et du fait de
l’efficacité de son armée qui est l’une des rares à pouvoir « entrer en
premier » sur un champ de bataille et créer les conditions d’un
rétablissement de la sécurité, étape souvent indispensable avant le
déploiement des Casques Bleus. Car, pour important que soit l’engagement
de l’ONU, celui-ci est à la fois toujours trop lent et jamais assez
efficace pour rétablir la paix dans des situations de conflit d’une
certaine intensité. L’actualité des dernières années a démontré à
plusieurs reprises cette réalité qui fait que les acteurs d’un conflit
se tournent volontiers vers la France dans ce type de circonstances.
Pour avoir eu l’occasion de s’entretenir avec de nombreux interlocuteurs
au siège de l’ONU à New York, dans le cadre d’une mission de la
commission des affaires étrangères, votre rapporteur sait à quel point
l’investissement de la France est fort et apprécié.
La France est particulièrement engagée
dans les pays francophones ; ces dernières années notamment, en Côte
d’Ivoire, au Mali et en RCA. Chacune de ses interventions dans ces trois
pays a été un succès du point de vue du rétablissement d’un climat de
sécurité. Sans ces interventions, quelle serait la situation de la Côte
d’Ivoire, du Mali ou de la RCA ?
Votre rapporteur ne reviendra pas
longuement sur ces réussites incontestables de la politique africaine de
la France, d’abord parce que ces réussites sont justement
incontestables et n’appellent pas de longs commentaires, mais aussi
parce qu’il est tout aussi important de mesurer toute l’étendue des
risques qui menacent l’Afrique aujourd’hui et de se pencher sur deux
autres dimensions : en amont, la prévention des conflits, et en aval, le
rétablissement d’une situation de paix complète.
Un rapide survol de l’histoire du
continent montre aisément que l’Afrique non francophone a également, et
longtemps, souffert de crises politiques parfois très violentes et de
plus ou moins longue durée et qu’il n’y a pas de « fatalité francophone ».
Il suffit pour s’en convaincre de
rappeler les deux millions de morts de la guerre du Biafra à la fin des
années 1960 au Nigeria, jamais stabilisé jusqu’à aujourd’hui, marqué par
d’innombrables coups d’État et une alternance de rébellions tant au
nord qu’au sud, les guerres civiles du Liberia, entre 1989 et 1996 puis
entre 1999 et 2003, celle de Sierra Leone, de 1991 à 2002, ou de Guinée
Bissau (1998-1999), ainsi que les tensions internes que connurent, voire
connaissent encore, des pays comme le Soudan – qui a connu de multiples
conflits depuis son indépendance, dont la plus longue guerre civile
africaine, terriblement meurtrière – le Zimbabwe, le Kenya ou l’Ouganda,
pour ne pas parler de la Somalie. Cela étant, même si un coup d’œil sur
l’Afrique de l’Ouest depuis une quinzaine d’années met en évidence une
zone dans laquelle les conflits sont d’une particulière intensité, on
peut souligner aussi que la plupart des pays, sauf la Guinée Bissau,
avaient obtenu leur indépendance de manière pacifique et que, mise à
part la guerre du Biafra, il n’y avait pas eu de conflit dans les années
1960-1970. Sur la dernière période en revanche, il y a à la fois une
flambée de la violence et des conflits, ainsi qu’une poussée de
l’extrémisme religieux, porteuses d’inquiétudes pour l’avenir, en ce que
cette situation peut contribuer à renforcer la fragilisation de la
région. Cela se produit aussi à un moment où la croissance économique de
la sous-région est parmi les plus élevées du continent.
Ces quelques cas parmi bien d’autres
montrent que, d’une manière générale, l’histoire de l’Afrique depuis les
indépendances est traversée de nombreuses tensions et crises, dont les
causes, internes comme externes, sont multiples. Des pays qui donnent
aujourd’hui une image de stabilité démocratique, comme le Ghana, ont eux
aussi connu des périodes troublées avant de trouver l’apaisement et
d’entrer dans une voie démocratique. Rares sont ceux qui ont échappé aux
crises politiques, quelques formes qu’elles prennent. Parmi ceux-ci, le
Sénégal figure au rang des exceptions, suivi désormais, depuis plus de
vingt ans, du Malawi et de la Zambie.
Il n’est pas inutile de relever qu’on a
d’ailleurs tendance à retenir l’image d’un degré particulier de
violence qui contribue à donner au continent une singularité dont il se
passerait aisément, qui lui vaut de manière à peu près systématique
qu’on lui associe les qualificatifs infamants de « génocide », « purification ethnique », « guerre tribale » et autre « crise humanitaire ». Carlos Lopes (85) fait
ainsi remarquer que cette image négative de l’Afrique est quelque peu
exagérée, dans la mesure où il y a plus de conflits et de piraterie en
Asie qu’en Afrique. De même, la crise sanitaire d’Ébola n’a-t-elle
affecté qu’1 % de l’économie africaine, ce que pèsent les trois
principaux pays touchés, mais l’imaginaire collectif y a associé
l’ensemble du continent, alors que 99 % de l’Afrique n’étaient pas
touchés, ou que l’épidémie était arrivée plus facilement à Madrid ou aux
États-Unis que dans n’importe quelle capitale africaine, fut-elle
proche…
Les anciennes colonies françaises
n’ont donc rien eu à envier aux portugaises – Angola et Mozambique, –
belges – Rwanda, Burundi ou Congo -, britanniques – Nigeria, Ouganda et
Sierra Leone : à divers moments de l’histoire récente, les unes et les
autres ont connu des crises politiques qui ont d’ailleurs fréquemment
commencé par des modalités violentes d’accession à l’indépendance,
souvent extrêmement brutales, que ce soit par leur durée ou par le
nombre de victimes qu’elles ont provoquées. En revanche, dans l’espace
francophone d’Afrique subsaharienne, il n’y a guère qu’au Cameroun et,
plus tôt, à Madagascar, que l’indépendance a été acquise dans
l’affrontement violent avec la France.
Au milieu de la décennie 1960, certains observateurs (86) estimaient
que les régimes mis en place au lendemain des indépendances, souvent
autoritaires, ont connu dans l’ensemble une longévité certaine. On
jugeait que la loi-cadre, – la « loi Defferre » de 1956 – avait permis
tant bien que mal et surtout « sans troubles majeurs, sans maquis, sans affrontements autres que pacifiques à la tribune du Parlement français », la
mise en place de treize gouvernements et des institutions étatiques
correspondantes. On remarquait que des coopérations et des solidarités
régionales tentaient aussi, certes difficilement, de se mettre en place,
cf. le Conseil de l’Entente entre la Côte-d’Ivoire, la Haute-Volta, le
Dahomey et le Niger et, malgré les échecs, cf. celui de la Fédération du
Mali, on relevait une volonté d’aller de l’avant, autant que possible
ensemble. De sorte que, même si « l’Afrique de l’ancienne mouvance
française a été secouée, en six ans d’indépendance, par bien des
tempêtes et des complots, (…) par comparaison avec d’autres territoires
au sud du Sahara, ou avec tant de jeunes États arabes ou asiatiques,
elle n’est pas tellement « mal partie ». Le chaos congolais, l’horrible
guerre du Vietnam, les déchirements internes du Yémen ou du Nigéria,
l’affrontement racial de Rhodésie, l’incertitude troublée de l’Angola ou
du Mozambique, les conflits périodiquement renaissants entre l’Inde et
le Pakistan, les massacres d’Indonésie, lui ont été épargnés. » Le tableau s’est néanmoins assombri assez rapidement.
Pour se limiter à la période qui a
suivi les indépendances et à l’Afrique subsaharienne, et en considérant
l’aire francophone au sens large, un relevé des conflits et violences
qui ont émaillé les cinquante dernières années présente un tableau
édifiant.
Rares sont en effet les pays d’Afrique francophone qui n’ont en effet pas connu de crises politiques et sécuritaires : des guerres civiles ont éclaté dans l’actuelle RDC (1960-1965, de nouveau de 1977 à 1983 et enfin de 1996 à 2003), au Tchad, à partir de 1965 et jusqu’en 1994, à Djibouti entre 1991 et 1994, au Congo (1996-1999) et enfin en Côte d’Ivoire, au tournant des années 2000. Des guerres ou violences ethniques ont endeuillées le Rwanda à diverses reprises (1959-1966, puis 1990-1994 ; fin des années 1990), le Burundi (1965, 1972-1973, en 1988 puis 1993-2001), le Congo en 1993, l’actuelle RDC en 1984, entre 1993 et 1996. Dans un ordre d’idées proche, le Mali a connu des rebellions touareg en 1962-1963, puis de nouveau dans les années 1990-1995, comme son voisin nigérien. Des violences civiles ont
eu lieu au Cameroun et au Zaïre dans les années 1960, de nouveau au
Cameroun dans les années 1980, en République centrafricaine au début des
années 2000. Les affrontements interétatiques ont été plus
rares : en plus des très brefs conflits frontaliers qui ont pu opposer
des pays comme le Mali et le Burkina Faso, en 1974 puis à la fin de
l’année 1985, ou encore la Mauritanie et le Sénégal, en avril 1989, on
peut aussi signaler ceux ayant opposé le Burundi au Rwanda entre 1962 et
1964, l’Angola au Zaïre dans les années 1977-1978, la Mauritanie au
Sénégal à la fin des années 1980, le Tchad à la Libye (1978-1987), ou
encore le différend entre le Cameroun et le Nigeria autour de la
presqu’île de Bakassi à partir du milieu des années 1960. Enfin, à la
différence de ce que l’on a pu constater dans d’autres régions, les
conflits à visée sécessionniste sont quasiment absents du
tableau, puisqu’il n’y a guère que celui de la Casamance au Sénégal,
depuis les années 1980 que l’on puisse considérer comme tel.
Ce relevé rapide donne néanmoins un
aperçu éclairant : les pays de la zone francophone d’Afrique qui n’ont
pas connu de situation de conflits de quelque nature et ampleur que ce
soit sont peu nombreux, surtout si on y ajoute les coups d’État et
crises de gouvernance.
S’agissant de l’Afrique de l’ouest, le Sénégal est
le seul pays qui soit totalement exempt de coups d’État ou de
tentatives à un moment ou un autre de son histoire. Il a non seulement
fait preuve d’une grande stabilité mais les transitions s’y sont
déroulées sans heurts majeurs, et une volonté de libéralisation de la
vie politique, a très tôt favorisé la liberté d’expression, l’éclosion
de mouvements politiques et syndicaux. Il en est allé tout autrement
dans les autres pays.
En janvier 1963, au Togo, le
président Eyadéma arrive au pouvoir en renversant Sylvanus Olympio ; il
restera au pouvoir jusqu’à son décès et son fils, Faure Ngassingbé,
prendra sa succession en 2005 aux termes d’élections largement
contestées et suivies de violences graves ayant fait des centaines de
tués. AuBénin voisin, c’est le président Kérékou qui est renversé en 1972. En 1968, au Mali,
qui avait connu des troubles dans son septentrion dus à la rébellion
touareg, Moussa Traoré renverse Modibo Keïta, au pouvoir depuis 1960, et
est lui-même défait en 1991 par le général Amadou Toumani Touré, qui
inaugure ainsi le premier de ses mandats, et sera victime à son tour en
2012 du coup d’État fomenté par le capitaine Sanogo à la faveur de la
poussée djihadiste. À l’Est, le Niger connaîtra également à
plusieurs reprises des tensions internes de même type : après un premier
coup d’État de Seyni Kountché en 1974 contre le président Hamani Diori,
suivra une longue période de stabilité mais les années 1990 seront
houleuses, la période de démocratisation étant marquée par plusieurs
coups d’État : renversement de Mahamane Ousmane par Ibrahim Baré
Maïnassara en 1996, lui-même défait trois ans plus tard par Daouda Malam
Wanké. Salou Djibo a enfin renversé le président Mamadou Tandja en
2010.
Les années 1980 au Burkina Faso sont
particulièrement agitées : après un premier coup d’État en 1980,
suivront ceux de 1982 puis d’août 1983, qui voit l’arrivée au pouvoir de
Thomas Sankara, lui-même éliminé quatre ans plus tard par son compagnon
d’armes Blaise Compaoré qui devra lui-même quitter le pouvoir, renversé
par la rue à la fin de 2014, après que son régime ait eu à connaître
nombre de soubresauts sur les dernières années, cf. les manifestations
violentes de la population des années 2003, 2006, 2007, 2008 et 2011 (87).
En Mauritanie, après une longue
période de régime à parti unique, avant même l’ouverture à la
démocratisation, la fin des années 1970 sera également difficile : deux
coups d’État successifs auront lieu en 1978 et 1979, un troisième en
1984. Le début des années 2000 sera à peine plus calme, qui verra le
renversement du président Maaouiya Ould Taya en 2005 puis celui du
président Abdallahi en 2008 par le général Mohamed Ould Abdel Aziz.
Après une longue période de dictature à partir de l’arrivée au pouvoir
de Lansana Conté en 1984 qui renverse le Président de la République en
place, la Guinée inaugure une période de troubles violents en
2008 lorsque le capitaine Camara suspend la constitution et toutes les
institutions républicaines. De son côté, le modèle ivoirien s’est
effondré en 1999 avec la prise de pouvoir par Robert Guéï contre Henri
Konan Bédié qui a marqué le basculement du pays dans le chaos, dont il
sort aujourd’hui difficilement après les épisodes que chacun a en
mémoire.
En Afrique centrale, le bilan n’est pas bien meilleur. Comme on l’a souligné, l’histoire contemporaine du Tchad n’est
qu’une longue suite de guerres civiles depuis le milieu des années
1970 : François Tombalbaye est renversé en 1975, Goukouni Oueddei prend à
son tour le pouvoir par la force en 1979, avant d’en être chassé par
Hissen Habré trois ans plus tard. Il est à son tour renversé en 1990 par
Idriss Deby, dont la présidence a elle-même connu des périodes de très
vives tensions, la dernière en 2008, véritable guerre civile, ayant
failli lui être fatale. La République centrafricaine est
également un pays dans lequel les troubles politiques se succèdent de
manière continue : renversement de David Dacko en 1966 par Bokassa qui
inaugurera la période que l’on sait, jusqu’en 1979. Dacko, de nouveau au
pouvoir à partir de 1979 sera défait deux ans plus tard par André
Kolingba ; en 2003, Ange-Félix Patassé est renversé par François Bozizé,
lui-même renversé par Michel Djotodia en 2013. L’actuelle République démocratique du Congo a
débuté la longue période d’instabilité politique qu’elle connaît dès le
milieu des années 1960 avec l’arrivée au pouvoir de Mobutu Sese Seko en
1965 par un coup d’État. Il maintiendra le pays sous la dictature
jusqu’à ce que Laurent-Désiré Kabila ne l’en dépossède en 1997 avant
d’être assassiné en 2001 et remplacé par son fils, toujours au pouvoir
aujourd’hui. Sur son flanc est, depuis une cinquantaine d’années, le Burundi vit
au rythme d’un coup d’État tous les dix ans : le premier a lieu en
1966, son auteur étant à son tour renversé en 1976 ; Pierre Buyoya le
défait en 1987, avant d’être l’auteur d’un autre putsch en 1996 contre
le président Sylvestre Ntibantunganya. S’il n’y a pas eu d’autre coup
d’État depuis, on sait que la situation politique interne est loin
d’être sereine. Toutes choses égales par ailleurs, le Rwanda, avant
le génocide qui l’a marqué en 1994, était lui aussi sujet à des
troubles politiques internes qui s’étaient traduits par l’arrivée au
pouvoir du président Habyarimana par un coup d’État en 1973. Au Congo, Marien
Ngouabi, arrivé au pouvoir par un coup d’État en 1967 est renversé dix
ans plus tard. En 1979, Denis Sassou Nguesso accède à la présidence de
manière violente, puis une seconde fois en 1997 après la guerre civile
qui l’oppose au président Pascal Lissouba.
Enfin, l’Afrique francophone de l’océan indien n’est pas non plus épargnée : les Comores ont
vécu à partir du milieu des années 1970 une succession de coups d’État
militaires : 1975, 1976, 1978, reprise dans les années 1990 : 1995 et
1999. Madagascar sort aujourd’hui d’une longue période d’instabilité ouverte en 2009 à la fin du mandat du président Ravalomanana.
Au total, on compte pas moins d’une
cinquantaine d’épisodes de prises de pouvoir de manière violente dans
les pays d’Afrique francophone, sur une période également d’une
cinquantaine d’années, et il n’est pas une décennie qui n’en ait été
totalement indemne.
Un focus sur quelques cas particuliers
permettra de situer l’ampleur du problème, et d’illustrer la
problématique de l’articulation entre développement et stabilité.
S’agissant des questions de stabilité
interne, un certain nombre de préoccupations justifient de maintenir un
regard attentif. Si des pays comme le Tchad, qui ont longtemps eu des
problèmes internes sérieux, paraissent aujourd’hui stabilisés, c’est son
cas depuis 2008, il n’en reste pas moins que les défis restent
importants : problèmes de développement, environnement régional
fortement instable, auxquels s’ajoutent des menaces externes
importantes, parmi lesquelles Boko Haram, la situation au Darfour, la
crise du sud libyen, celle du Soudan du Sud ou la République
centrafricaine. Les exemples sont nombreux de pays de la région cumulant
les handicaps : la République centrafricaine et la République
démocratique du Congo notamment, sur lesquelles on reviendra plus
particulièrement.
Pour Thierry Vircoulon, directeur du projet « Afrique centrale » de l’International Crisis Group (88), on constate surtout dans cette région une cyclicité des crises à la racine de laquelle se retrouve toujours le même système de gouvernance basée sur la rente et la gérontocratie. Au
demeurant, les indicateurs de gouvernance dans les différents pays de
la région montrent une évolution la plupart du temps négative, quels que
soient les critères pris en compte, de sorte que l’on est dans une
logique de déclin.
L’opération Sangaris, décidée en
quelques heures par le Président de la République, a permis d’éviter que
la RCA ne sombre dans le chaos d’une guerre civile et de mettre en
place des autorités de transition. Grâce à cette décision courageuse et à
l’efficacité des forces françaises, la population de Bangui a échappé
au pire.
Une opération de maintien de la paix
ambitieuse, la mobilisation des pays africains et celle des ONG et des
bailleurs internationaux, témoignent que la République centrafricaine
n’est plus totalement abandonnée à son sort par la communauté
internationale et c’est évidemment une excellente chose.
Cependant, il convient de mesurer toute la difficulté de la tâche qui est encore largement devant nous.
La catégorie « État failli » utilisée
ces dernières années pour les situations les plus désespérées ne suffit
peut-être pas pour qualifier la République centrafricaine, et l’ICG
n’hésitait pas, dès 2007, à employer le terme d’« État fantôme » à son endroit : « La
République centrafricaine est pire qu’un État failli : elle est
quasiment devenue un État fantôme, ayant perdu toute capacité
institutionnelle significative, du moins depuis la chute de l’Empereur
Bokassa en 1979. » (89) Cet
État fantôme hante un territoire supérieur à celui de la France sur
lequel vivent, ou plutôt survivent, quelque 4,2 millions d’habitants,
selon les estimations les plus aléatoires en l’absence de données
fiables, « les statistiques en République centrafricaine (RCA) étant
devenues aléatoires en l’absence de recensements d’un état civil et
d’une administration dignes de ce nom, voire de routes, d’écoles et de
postes de santé, surtout à l’intérieur du pays. »
De fait, pour s’en tenir à la période
postérieure à l’indépendance, le pays n’a vécu qu’une interminable
descente aux enfers et l’on voit mal comment il aurait pu en être
autrement, compte tenu de l’état d’exploitation et de
sous-administration dans lequel le colonisateur l’avait entretenu, qui
est venu prolonger, par sa violence, par le travail forcé et le choc
microbien, les effets des razzias d’esclaves menées par les États
voisins musulmans du XVIIe au XIXe siècle. Il
n’est pas indifférent de rappeler que l’on estime que la population
devait être de quelque 5 millions d’habitants au XVIIIe siècle
mais de moins d’un million en 1940. André Gide et Albert Londres ont
écrit l’un et l’autre à quelques années de distance des pages
inoubliables sur ces questions en relatant leurs périples sur les rives
de l’Oubangui-Chari. (90) Philippe Hugon, directeur de recherche à l’IRIS, rappelle de son côté (91) que « la
colonisation française a été, avec celle du Congo belge, une des plus
violentes d’Afrique. Elle a très peu modernisé un pays de faible
densité. Le système de traite a dominé avec un niveau très faible
d’infrastructures. La scolarisation n’a progressé qu’après-guerre. Le
taux de scolarisation était de 1,5 % en 1939 et de 34,5 % en 1958.
Périphérie orientale de l’AEF, l’Oubangui Chari était administré de loin
par Brazzaville, marginalisé et relié à la côte par les fleuves Congo
et Oubangui. »
La longue et sanglante décennie
ubuesque de la dictature Bokassa, au pouvoir de 1965 à 1979, inscrira
durablement le pays dans les conditions d’un chaos permanent dont les
différents acteurs resteront longtemps à la manœuvre. Les Kolingba,
Patassé et autre Bozizé, qui « gouverneront » à tour de rôle le pays
d’une main tout aussi brutale, sont en scène dès le début des années
1980, sans que notre pays soit jamais bien loin. Pillages, massacres,
tribalisation, clochardisation de la population, appauvrissement du pays
du fait d’une économie ruinée, contribuent à une dérive que rien ne
peut enrayer, surtout pas les multiples mutineries auxquelles se livrent
les diverses factions de forces armées au long des années 1990. Les
interventions successives de l’armée française seront de peu d’effet,
non plus que les tentatives de sauvetage que les voisins de la RCA
mettent en place sous l’égide de la France, prémices des opérations
onusiennes qui commenceront dès 1998. Rien ne réussira cependant à
empêcher la violence, – qu’elle provienne de coups d’État, de
répressions sanglantes ou de rébellions -, ni les pillages systématiques
et les razzia continues. Les foyers insurrectionnels, notamment dans le
nord-ouest du pays ne cesseront d’être entretenus par des mouvements
politico-militaires qui attisent les révoltes dans leurs fiefs et
finissent par capter la quasi-totalité de la rente politique (92), la rébellion devenant « l’antichambre du pouvoir ». Dès
le milieu des années 2000, le Haut Commissariat aux Réfugiés compte
plus de 100 000 déplacés dans le nord-ouest du pays, qui ont dû fuir les
exactions systématiques qui, des forces armées, qui, des rebelles. S’y
ajoutent sur le flanc opposé du pays, la « darfourisation » du
nord-est, lointaine périphérie totalement oubliée, contaminée par le
conflit aux marches du Soudan avec lequel la République centrafricaine
partage quelque 1200 kms de frontières, « contrôlés » par deux postes
frontières seulement, à 700 kms l’un de l’autre : « Bangui, distant
de près d’un millier de kilomètres, est inaccessible par la route
pendant la moitié de l’année, durant la saison des pluies qui s’étend
sur six mois et qui coupe cette portion du territoire du reste du pays.
Il n’y a aucune route d’accès goudronnée, praticable à tout moment. Dans
la Vakaga, il n’existe d’ailleurs plus aucune route bitumée, et guère
davantage d’infrastructures sanitaires ou scolaires. L’administration y
est réduite à sa plus simple expression. Les fonctionnaires, impayés
depuis si longtemps qu’ils se perdent dans le calcul de leurs arriérés,
travaillent quand ils peuvent se permettre ce ” service public “, qui a
cessé d’être leur gagne-pain. » (93)
Toutes choses égales par ailleurs,
comme cela se constatera sur d’autres zones frontalières troublées, par
exemple entre l’extrême nord camerounais et le nord-est du Nigeria, sur
lesquelles vivent des populations identiques, les mêmes causes –
enclavement, marginalité, détérioration des conditions de vie –
produisant les mêmes effets, les tensions et conflits s’y s’ont
également multipliés et le mécontentement ira peu à peu en se
militarisant au long des années 2000.
De son côté, un observateur particulièrement avisé, Didier Niewiadowski, ancien conseiller de coopération et d’action culturelle à l’ambassade de France à Bangui, a également décrit (94) comment
cette fiction d’État, d’une extrême faiblesse générale et qui a même
totalement disparu de certaines régions du pays définitivement livrées à
elles-mêmes, dont les pouvoirs publics décrédibilisés ont perdu toute
légitimité, a peu à peu laissé s’installer une totale anarchie, dans un
contexte de disparition de tout État de droit, où la prédation et
l’insécurité se sont imposées dans un système dans lequel règne la loi
du plus fort sur une population paupérisée par une économie ruinée,
livrée aux prédateurs, dont les structures ont été détruites.
Tout cela pour dire que la crise
actuelle particulièrement dramatique qui a suscité la réaction militaire
de la France et qui a reçu le soutien unanime de la communauté
internationale est tout sauf une surprise. Les racines en sont très
profondes, dues à des tensions anciennes que les acteurs en place n’ont
cessé d’alimenter avec attention. En ce sens, pour Thierry Vircoulon (95),
la crise de la République centrafricaine apparaît comme un modèle, par
cette descente aux enfers progressive qui a synthétisé plusieurs crises
en une seule : sous-développement inégalitaire entre les régions
induisant un ressentiment de la population locale contre le gouvernement
central ; crise générale de l’État, avec notamment un délitement des
services de sécurité et une insécurité croissante ; économie de trafics
en tous genres – diamants, ivoire – aux mains des factions armées (96) et
la disparition de l’économie formelle ; cela, dans un contexte de
ressentiment religieux croissant depuis des décennies entre chrétiens et
musulmans. Si des éléments déclencheurs autour de la fraude électorale
lors de la consultation de 2011 ont fait brutalement monter la tension
d’un cran sur la dernière période et mené à la crise actuelle, les racines structurelles sont donc installées depuis longtemps, et
n’ont pas été traitées à temps, alors que, pour s’en tenir à la période
immédiate, à l’orée des années 2010, tous les indicateurs économiques
et sociaux du pays étaient déjà ceux de temps de guerre (santé,
mortalité infantile, scolarisation, etc.).
Dans un tel contexte, indépendamment
du fait que la tenue d’élections régulières et apaisées dans le courant
de l’année 2015 semble relever de la gageure, on imagine mal les
conditions de la stabilité durable du pays et de son développement
réunies sans que les racines de la crise soient enfin traitées. C’est un
lieu commun de rappeler que les gouvernements centrafricains n’ont
jamais, du moins sur la dernière période, gouverné que Bangui et ses
abords immédiats. Or, comme le rappelait récemment un autre rapport de
l’ICG (97),
l’essentiel se joue ailleurs, dans le reste du pays, et notamment dans
les affrontements traditionnels entre communautés d’éleveurs et
d’agriculteurs que la crise actuelle à contribuer à exacerber, et qui ne
cesseront de contribuer à déstabiliser le pays s’il n’y est pas apporté
de solution. Victimes de représailles car assimilés à la Seleka, de
très nombreux pasteurs se sont réfugiés au Tchad et sur le flanc est du
Cameroun, et ces déplacements forcés ont eu d’ores et déjà des
incidences dramatiques, telles que l’effondrement de la filière élevage,
la radicalisation de groupes d’éleveurs et l’interruption de la
transhumance entre le Tchad et la République centrafricaine.
L’aggravation de ces tensions rurales traditionnelles risque de dériver
en une guérilla des plus périlleuse.
Plus au sud, depuis le génocide Tutsi
au Rwanda de 1994, la région des Grands Lacs est devenue une poudrière
dans lequel plusieurs pays sont impliqués et/ou affectés par ricochets.
C’est notamment le cas de la République démocratique du Congo, qui n’a
cessé d’être la proie de tentatives de déstabilisation sur son flanc
est.
L’ONU y est engagée depuis déjà de
très longues années. Il serait fastidieux de rappeler toutes les
péripéties auxquelles la MONUSCO a été confrontées avec des moyens
militaires souvent insuffisants pour qu’elle puisse remplir
convenablement son mandat. Récemment, néanmoins, les Casques bleus ont
marqué des points importants contre les milices qui mettaient le nord du
pays à feu et à sang grâce à la création d’une force robuste capable de
mener de véritables opérations de guerre. Cependant, cet investissement
conséquent ne peut à lui seul créer les conditions d’une paix durable.
Il faut rappeler que la région des
Kivu a tout d’abord été le terrain d’affrontements interminables entre
forces ougandaises et rwandaises dont les populations locales ont été
victimes de dommages collatéraux, si ce n’est directs, tant les pertes
ont été effroyables : Pierre Jacquemot, ancien ambassadeur de France en RDC et aujourd’hui président du GRET et chercheur associé à l’IRIS, rappelait ainsi (98) que, selon les rapports de l’ONU, il manquait aujourd’hui plus de cinq millions de Congolais (99).
Des massacres ont eu lieu en maints endroits de la région, comme à
Kisangani, où des centaines de milliers de civils ont été tués en marge
des combats opposant alors le Rwanda à l’Ouganda en lutte pour
l’appropriation des diamants, car, qu’il s’agisse ou non d’un
« contre-génocide » contre les civils ou réfugiés Hutus, l’ampleur
considérable des crimes contre l’humanité qui ont été commis a aussi
pour cause la gestion des ressources minières de ce pays : « Le Congo se
retrouva alors sous plusieurs tutelles : celle de ses nouveaux alliés
et celle des anciens qui du Rwanda continuaient de prélever les
ressources du Kivu (20 millions de dollars par mois partirent vers
Kigali en 1998). Les zones occupées furent systématiquement dépouillées
de leurs ressources. Les stocks de minerais, mais aussi de café, de
bois, le bétail et les fonds qui se trouvaient dans les territoires
conquis furent transférés vers les deux pays alliés, le Rwanda et
l’Ouganda, ou bien exportés sur les marchés internationaux par les
” hommes forts ” des régimes en place. La ” convoitise ” était si
pressante que les Rwandais et les Ougandais, pourtant associés, en
vinrent en août 1999 à se battre férocement à Kisangani dans une
débauche de tirs de mortiers et de combats au corps à corps qui
n’avaient d’autre motif que le contrôle des diamants de la région. La
contrebande du Mandrax (Quaalude), en provenance d’Inde et à destination
de l’Afrique du Sud, a également servi à acheter armes et munitions
pour poursuivre les combats au Congo. Pour les nouveaux petits despotes,
spéculateurs, aventuriers, mercenaires, la persistance de l’insécurité
devint le moyen principal d’enrichissement. Puis, le mode de prédation
qui reposait sur le prélèvement des stocks changea. L’on passa
progressivement à une phase plus systématique d’extraction et
d’exploitation directe des ressources par des commandants, se changeant
pour l’occasion en petits entrepreneurs, prenant la haute main sur les
mines et les circuits. Une économie de guerre s’est organisée. Elle est
toujours présente. En octobre 2003, le dernier soldat rwandais s’est
retiré du Congo. Mais la présence rwandaise dans l’Est n’a jamais cessé,
appuyant l’action de groupes armés violents, à l’instar du M23, qui
revendiquent d’éradiquer les derniers génocidaires hutus encore cachés
dans les collines du Kivu. » (100)
D’une manière plus générale, au-delà
du seul cas congolais, tous les pays africains qui ont connu des
conflits ont tendance à en connaître d’autres, amplifiés par le
financement des activités criminelles qui alimentent l’instabilité. En
cela, la problématique de la convoitise, particulièrement nette
dans l’est de la RDC, est prégnante, sur la base de déterminants qui se
retrouvent fréquemment, comme on l’a également vu dans le cas de la
République centrafricaine : existence d’une économie minière artisanale
autour de ressources très recherchées aujourd’hui, comme le coltan, le
tungstène et d’autres minerais, que différents groupes armés contrôlent,
favorisant en retour la récurrence de conflits. Depuis les années 1990,
cela n’a jamais été éradiqué. Avec le temps, la destination des trafics
change, de nouveaux canaux se sont ouverts vers l’Asie par exemple,
mais les mêmes méfaits continuent de terroriser les populations. Les
moyens pour lutter contre cela sont insuffisants : les quelque 20 000
Casques bleus positionnés dans l’extrême est de la RDC peuvent
difficilement lutter contre une rapacité de plus en plus féroce.
De manière plus classique, d’autres
ressources naturelles sont également susceptibles de raviver des
tensions déstabilisatrices pour la RDC. Ainsi en est-il des gisements
pétroliers dans l’est du pays, avec les réserves découvertes ces
dernières années autour du Lac Albert, sur la frontière avec l’Ouganda,
avec lequel les relations ne sont pas les meilleures ; ainsi en est-il
aussi au sud du pays, avec l’Angola, en ce qui concerne actuellement
l’off-shore, sujet de discorde tendue entre les deux pays, qui
pourraient s’aggraver, notamment, et l’on estime que « des réserves
potentielles de pétrole chevauchant les frontières du pays avec
l’Ouganda, l’Angola et éventuellement d’autres voisins pourraient
raviver d’anciennes querelles frontalières une fois les explorations
entamées. Dans un contexte général de ruée vers l’or noir en Afrique
centrale et orientale, l’absence de frontières clairement délimitées
constitue un sérieux péril pour la stabilité régionale. » (101)
Ainsi pourrait-il en être également
sur les autres lacs frontaliers de la RDC, dans lesquels des
explorations ont lieu depuis longtemps qui laissent espérer des
potentialités importantes, sources d’appétits prédateurs à la hauteur
des gains espérés.
À ces facteurs connus de
déstabilisation, ouverte ou potentielle, s’ajoutent d’autres causes qui
font de la RDC l’un des pays de la région les plus fragiles de l’avis de
divers interlocuteurs de votre Mission, qui considèrent la gouvernance
du pays comme des plus problématique. Le pays est sujet à une très
grande fragmentation politique depuis l’ère Mobutu, à des intérêts
politiques prédateurs et centrifuges qui n’aident évidemment pas à
conforter ses capacités de résistance face au voisinage compliqué du
Rwanda, au contraire très structuré, comme à celui de l’Angola sur le
sud-ouest. De fait, la stabilité politique interne reste aujourd’hui
précaire. En témoigne le fait que de fréquents troubles ont lieu
régulièrement, ainsi les émeutes de janvier 2015 qui firent près d’une
cinquantaine de tués, principalement dans la capitale, autour de la
question de la modification de la loi électorale, sujet brûlant en RDC
comme ailleurs sur le continent, qui permettrait au président Kabila de
postuler pour un nouveau mandat en 2016. Le Président de la République,
François Hollande, avait eu l’occasion en octobre 2012, d’exprimer son
point de vue quant à la manière insatisfaisante dont les dernières
élections s’étaient déroulées, dont la vie démocratique fonctionnait, en
n’hésitant pas à déclarer (102) qu’il avait vis-à-vis de la RDC deux préoccupations, la première étant « la
situation dans ce pays, qui est tout à fait inacceptable sur le plan
des droits, de la démocratie et de la reconnaissance de l’opposition. La
seconde, c’est l’agression, dont ce pays est l’objet, venant de
l’extérieur, sur ses frontières et notamment au Kivu. »
Les exemples que l’on vient de montrer
permettent d’illustrer la situation de fragilité des pays d’Afrique
centrale. Ils pourraient être dupliqués et l’on aurait tout aussi bien
pu choisir de faire quelques développements sur le Burundi ou sur le
Tchad. L’un comme l’autre sont en effet confrontés à des problématiques
internes qui sont également porteuses de tensions à venir.
S’agissant du Burundi, des
progrès conséquents avaient été enregistrés à la fin des années 2000 en
termes de réconciliation interethniques et de démocratisation de la vie
politique, grâce notamment à l’inclusion des anciens rebelles au sein
des forces armées nationales, et grâce au soutien de la communauté
internationale pour la mise en œuvre de l’accord de paix. Ces aspects
positifs laissaient augurer que le Burundi était sur la voie d’un réel
apaisement, certes semée d’embûches mais néanmoins prometteuse. Cela
étant, des crispations et de vives tensions ont resurgi dans les années
2007-2008, qui ont mené le pays à l’impasse politique et
institutionnelle et ont fait craindre le retour de dérives ethnicistes
dans le débat – que les élections générales de 2010 n’ont fait que
confirmer : émergence d’une nouvelle rébellion, entrée dans la
clandestinité des Forces nationales de libération et blocage total du
dialogue politique entre le gouvernement et l’opposition (103).
La situation n’a depuis lors cessé de
se détériorer, sur fond de corruption généralisée, et de problématiques
foncières d’autant plus aiguës qu’elles s’inscrivent dans le cadre d’un
pays surpeuplé, où la densité est de quelque 400 habitants au km2 et
la croissance démographique forte, sur un territoire très restreint,
qui doit en outre faire face au retour de centaines de milliers de
réfugiés de Tanzanie. On peut craindre que cette situation ne conduise
le pays à une impasse durablement dangereuse pour l’avenir, en termes
politiques, sociaux, sécuritaires et humanitaires. Pour ne prendre qu’un
unique aspect : « La superficie moyenne d’une exploitation agricole
est aujourd’hui estimée à moins d’un demi-hectare, renforçant la
surexploitation, l’érosion et l’acidification des sols. De surcroit, la
destruction massive des écosystèmes risque d’affecter durablement
l’équilibre écologique et la sécurité alimentaire. En 2013, le Burundi
présentait l’indice de la faim le plus élevé d’Afrique et un taux de
malnutrition de près de 75 %. » (104)
Surtout, à très court terme, on ne
peut pas ne pas s’inquiéter de la crispation politique qui s’accroît
dangereusement à quelques semaines des élections prévues pour le mois de
juin prochain, du fait de la volonté du Président Nkurunziza de se
représenter pour un troisième mandat malgré une forte opposition
interne, tant au sein de son exécutif, que de son propre parti, malgré
les prises de position de l’Église catholique et les appels à la raison
lancés par Ban Ki-moon. (105) Une
forme de fuite en avant risque de conduire le pays au bord de l’abîme
une fois de plus, quelques années après qu’il soit sorti exsangue d’une
longue et meurtrière guerre civile.
De son côté, si le Tchad a connu une guerre civile meurtrière en 2008, qui a vu les rebelles repoussés in extremis après
être entrés dans la capitale et avoir assiégé le palais présidentiel,
la situation ne s’est cependant jamais définitivement apaisée. Des
troubles ont continué d’avoir lieu l’année suivante, des arrestations
d’opposants, accusés de fomenter un complot contre le président Déby ont
eu lieu à la mi-2013.
Si l’on ne saurait croire que la
situation politique intérieure est aujourd’hui stabilisée, c’est
cependant peut-être de ses frontières que le pays doive surtout craindre
des impacts sur son devenir. La tension avec son voisin soudanais a
longtemps été vive et le conflit du Darfour n’a cessé d’alimenter les
crises tchadiennes internes, dont la dernière en février 2008. Si un
accord de paix entre les deux pays en janvier 2010 et la reprise des
relations diplomatiques a permis un apaisement, voire même une reprise
de leur coopération, il n’en reste pas moins que le flanc est du Tchad,
éloigné et peu administré, est une zone de fragilité certaine pour
N’Djamena. Les frontières sud-ouest avec le Cameroun et le Nigeria sont
aujourd’hui gravement fragilisées du fait de la présence de Boko Haram
et de la régionalisation du conflit à laquelle il a décidé de prendre
part compte tenu des risques majeurs, ne serait-ce que sur un plan
économique, que l’extension de la secte au nord Cameroun pourrait
représenter pour lui, l’essentiel de ses approvisionnements et
exportations transitant par l’axe N’Djamena – Garoua – Douala. Jean-Baptiste Bokam,
secrétaire d’État auprès du ministre de la défense, chargé de la
gendarmerie, indiquait même à votre Mission que les camionneurs ne
pouvaient d’ores et déjà plus emprunter l’axe Maroua-Kousseri, dans
l’extrême nord (106).
Au nord comme au sud, la situation de chaos qui prévaut aujourd’hui en
Libye et en République centrafricaine est évidemment source de forte
préoccupation. Pour ne pas parler, enfin, de la situation dans le Sahel,
pour laquelle le Tchad a prêté le concours précieux que l’on sait aux
forces françaises lors de l’opération Serval.
La Côte d’Ivoire revient de loin, et
il convient de souligner en premier lieu, qu’une guerre civile a été
évitée grâce à l’intervention de l’ONUCI et des forces françaises en
2011, qui ont permis, après plusieurs mois de très vive tension et
d’affrontements, que l’ancien président Gbagbo laisse le pouvoir au
vainqueur de l’élection du 28 novembre 2010, Alassane Ouattara. Ce
nouvel épisode traumatisant montrait que la Côte d’Ivoire restait un
pays fragile et instable, dont l’apaisement justifiait une attention
particulière.
Plus de quatre ans après ce dernier
épisode, la Côte d’Ivoire reprend son souffle. Pour certains, les
élections de 2015 donneront la clef de la sortie de crise en désignant
une équipe gouvernementale légitime pour se charger de la suite des
réformes structurelles entreprises, alors même que des signes de
fragilités persistent néanmoins (107).
Cependant, sans revenir ici sur les
fondements de la catastrophe que la Côte-d’Ivoire a vécue, force est de
constater que le processus de sortie de cette crise a été lent, qu’il a
subi de multiples aléas au long des années 2000, souffrant de multiples
blocages dus au manque de volonté des parties en présence, quels que
soient les efforts de la communauté internationale. Il aurait
difficilement pu en être autrement après plus d’une décennie de guerre
civile et de marasme économique, politique et social, qui ont provoqué
des blessures qui seront longues à cicatriser.
Des périodes de très vives tensions
ont émaillé cette période, cf. par exemple la rupture du cessez-le-feu
de 2004, et les exactions dont les membres de la communauté française
ont été victimes. De nombreuses tentatives ont été menées par la
communauté internationale pour résoudre le conflit – embargo sur les
armes décidé par les Nations Unies, accords de Marcoussis, médiation de
la CEDEAO, menée par le président burkinabè Blaise Compaoré, qui aboutit
aux accords de Ouagadougou de 2007 – qui contribuèrent à ouvrir la voie
à l’élection présidentielle d’octobre-novembre 2010. Cela étant, le
président Laurent Gbagbo, refusant de reconnaître sa défaite, fit de nouveau basculer le pays dans un cycle de violence de plusieurs semaines.
Les enjeux auxquels la Côte-d’Ivoire
fait face depuis lors consistent en premier lieu à réussir le processus
de réconciliation nationale, mené à bien par une Commission « Dialogue,
Vérité et Réconciliation » dont les travaux ont longtemps peiné à
avancer et à donner des résultats concrets et prometteurs. En parallèle,
le rétablissement de la sécurité sur le territoire national s’est
effectué dans un contexte tendu, troublé, tout du moins dans les
premiers temps, de tentatives d’attentats, de lenteurs extrêmes dans le
désarmement des milices et la réinsertion de leurs membres dans la
société civile ou dans les forces armées nationales.
Selon un récent rapport de l’ICG (108),
dans le Grand Ouest, zone la plus instable du pays, au début de 2014,
les tensions communautaires restaient fortes, la réconciliation n’avait
toujours pas été lancée. En lieu et place d’un traitement politique et
économique des problématiques en jeu dans cette région qui, mise à part
la capitale, a été la plus durement touchée par les tensions et les
violences, la réponse du gouvernement est restée essentiellement
sécuritaire, alors même que la question foncière entre propriétaires
autochtones et paysans étrangers qui a présidé dans les années 1990 aux
crispations intercommunautaires, n’était pas réglée.
Comme le souligne le dernier rapport du Secrétaire général des Nations Unies relatif à la Côte-d’Ivoire (109),
ce n’est finalement qu’au milieu de l’année 2014 que le dialogue
politique entre le gouvernement et l’opposition a repris, que des
mesures d’apaisement, avec l’élargissement de certains proches de
l’ancien président Gbagbo, ont été adoptées, et qu’une commission
électorale indépendante a été constituée, chargée de mettre en place le
processus électoral pour les élections présidentielles prévues pour le
mois d’octobre prochain.
Toutefois, si des améliorations
opportunes sont enfin notables, les questions foncières restent un
facteur de tensions communautaires et de vifs incidents continuent
d’éclater, cependant que des troubles se produisent parfois au sein de
certaines unités des forces armées et que le processus de désarmement,
démobilisation et réinsertion tend à trouver ses limites naturelles,
faute de débouchés possibles : « Le 4 novembre, l’Autorité du
désarmement, de la démobilisation et de la réinsertion (ADDR) a annoncé
que quelque 44 000 anciens combattants, dont 3 538 femmes, avaient été
désarmés et que le nombre de ceux qui devaient l’être avant le 30 juin
2015 avait été revu et s’établissait à 67 460. Au 1er décembre, selon
les statistiques officielles, 27 034 armes, y compris des grenades, et
1 537 engins explosifs avaient été collectés. ». (110) Par
ailleurs, des troubles continuent toujours de survenir, comme c’est le
cas depuis plusieurs années, sur la frontière sud-ouest du pays, depuis
le Liberia.
La toile de fond de la crise
ivoirienne réside pour partie dans l’augmentation de la pauvreté depuis
les années 1980, dans un contexte de diminution des recettes que le pays
tirait de l’exportation du cacao et du café, qui représentaient 20 % de
son PIB à la fin des années 1970, et de forte croissance démographique (111),
qui ont peu à peu produit les conditions favorables à l’exacerbation
des tensions communautaires latentes, à la montée de la xénophobie
envers les Burkinabè (112).
On imagine mal que le pays puisse retrouver le chemin d’un apaisement
durable et consolidé sans que ces problématiques soient traitées en
profondeur et fassent l’objet de solutions partagées par les différentes
communautés du pays.
Est-il certain, au vu des soubresauts
politiques qui agitent actuellement le pays, autour du procès du clan
Gbagbo, que la réconciliation politique, premier pas, sans doute, de ce
processus, soit en cours, si ce n’est seulement esquissée ?
Sur le flanc est de la Côte d’Ivoire, la Guinée ne
laisse pas d’inquiéter non plus. Cinquante ans de dictature de Sékou
Touré (1958-1984) et de Lansana Conté (1984-2008) ont laissé le pays
exsangue. Après une tentative de coup d’État d’une brutalité extrême
suivie d’une période de plusieurs mois de transition militaire,
l’élection d’Alpha Condé, opposant de toujours, à la présidence en 2010,
ouvrait une fenêtre d’opportunité pour que le pays prenne enfin un
autre chemin. Cinq ans plus tard, la situation sur le plan du
développement, de la gouvernance politique et de l’institutionnalisation
reste cependant des plus critique. Les indices de développement humain
restent particulièrement bas, comme on l’a vu, le pays pointant au 179e rang malgré des richesses naturelles exceptionnelles.
En premier lieu, les clivages
ethniques continuent de structurer très fortement les divisions
politiques et les risques de dérapage sont toujours très vifs. Le
dialogue entre gouvernement et opposition n’a cessé d’être heurté, comme
les événements qui se sont produits au long de l’année 2014 l’ont
abondamment montré, que ce soit autour de l’organisation des prochaines
consultations électorales, sur la question du rôle de la Commission
électorale nationale indépendante, CENI, à la légitimité contestée par
l’opposition, ou lorsque le Président de la république accusait
récemment l’opposition de chercher à provoquer un coup d’État.
Comme le souligne un récent rapport de l’ICG (113),
un certain nombre de problèmes subsistent qu’il est urgent de régler au
risque de voir s’enraciner les conditions d’une crise particulièrement
grave. De nombreux affrontements intercommunautaires ont fréquemment
lieu et les risques d’extension à la faveur des élections, faute de
dialogue apaisé, sont préoccupants. Cela, d’autant plus que les
mauvaises conditions politiques, économiques et sociales aggravent les
unes et les autres le contexte général. Comme le souligne le rapport de
l’ICG, « il ne se passe pas de semaine sans manifestations locales,
de faible ampleur mais parfois violentes, à Conakry ou dans certaines
grandes villes, autour de l’accès à l’eau et l’électricité, ou des abus
des forces de l’ordre », de sorte que « la routinisation de la violence de rue est bien un problème de long terme pour la Guinée. » Le
ralentissement de la croissance en Guinée en 2012 et 2013 s’explique,
certes pour partie, par la baisse des investissements dans le secteur
minier, essentiel pour un pays aussi richement doté, mais aussi par les
mouvements de contestation politiques liés à l’organisation des
élections législatives (114).
S’y ajoute le fait que les tensions interethniques à vif peuvent être
facilement aggravées par des imprévus, notamment en Guinée forestière,
comme la récente épidémie du virus Ébola qui a mis en lumière le profond
manque de confiance des Guinéens envers leur État. C’est dans un tel
contexte, aujourd’hui très tendu, que les prochaines élections
présidentielles devraient être organisées dans le courant de l’année.
Le Mali bénéficiait dans la
région d’une image de pays stable et bien positionné dans une
trajectoire démocratique, jusqu’à ce que, à la suite du conflit en
Libye, des mouvements touareg prennent le contrôle du nord du territoire
au cours du premier semestre 2012, puis passent à l’offensive en
janvier 2013, avec l’intention évidente de prendre le contrôle de la
capitale, Bamako. L’intervention française décidée alors permit de
donner un coup d’arrêt à l’offensive puis de libérer les territoires du
nord de l’emprise des mouvements terroristes.
Cette opération brillante, soutenue
par l’écrasante majorité de la population du Mali, par l’ONU et les pays
africains voisins a empêché la création au Sahel d’un État terroriste
et a en outre permis au Mali de recouvrer sa souveraineté sur son
territoire. Les forces françaises ont pu réduire leur présence à mesure
que l’opération de maintien de la paix de l’ONU – la MINUSMA – se
déployait. La France a également mobilisé ses partenaires européens dans
une opération européenne de formation de l’armée malienne afin que
celle-ci puisse prendre en charge la sécurité du territoire. Après les
élections de 2013, la sécurisation a permis également à une partie des
déplacés et réfugiés chassés par la violence des mouvements touareg de
revenir peu à peu dans le nord du pays (115).
Cependant, il est clair qu’il n’est
toujours pas envisageable que les forces françaises se retirent
complètement du Mali car ni l’ONU ni l’armée malienne ne sont en mesure
d’assurer seules la sécurité du pays. Pour notre pays, il y a là, sinon
un risque d’enlisement, du moins une question très préoccupante,
notamment en raison du risque que la France passe du statut de puissance
libératrice à celle de puissance occupante aux yeux de la population.
Par ailleurs, les raisons de fond qui
sont à l’origine de la crise, à savoir le sous-développement du nord du
pays et le statut de la minorité touareg, n’ont pas disparu. La sortie
de crise avance aujourd’hui lentement, conditionnée au processus de paix
et à la relance d’une politique de développement inclusive et de
décentralisation qui tienne compte des revendications des populations du
nord.
À la date de rédaction de ce rapport, l’« Accord pour la paix et la réconciliation au Mali »,
paraphé début mars à Alger par le gouvernement malien et une partie des
mouvements rebelles, la « plateforme Gatia », est toujours refusé par
les principaux groupes armés.
Ses chances d’application sont considérées comme faibles par certains observateurs, qui voient la situation dans une impasse (116). La question de la « reconnaissance
officielle de l’Azawad comme une entité géographique, politique et
juridique ainsi que la création d’une assemblée interrégionale
regroupant les régions de Gao, Tombouctou, Kidal » est notamment au
cœur de la revendication de la Coordination des Mouvements armés de
l’Azawad, CMA, dont les positions ne progressent pas dans ce document,
par rapport à l’accord préliminaire de Ouagadougou, signé en 2013.
D’autres analystes pensent toutefois
qu’au Mali, suite à la réussite des opérations militaires, le pays est
sur la bonne voie, qu’il y a des perspectives très positives concernant
la sortie de crise, qu’on est désormais entré en phase de consolidation
politique après les élections présidentielles et législatives qui se
sont bien déroulées. Ils ajoutent que, même si beaucoup de chemin reste à
faire, le processus est apaisé et même assez transparent et exemplaire,
que la réconciliation est durablement engagée.
Cela étant, il n’est pas certain que l’accord conclu le 1er mars
dernier soit vraiment de nature à apaiser durablement les tensions
politiques et sécuritaires entre le nord et le sud du Mali, tant il
paraît difficile à faire accepter par les populations concernées.
Par ailleurs, comme le rappelait dernièrement Jeune Afrique (117),
au plan sécuritaire, la situation ne laisse pas non plus d’inquiéter :
nombre de terroristes ont beau avoir été neutralisés, l’Adrar des
Ifoghas a beau avoir été « nettoyé » par les troupes françaises en 2013,
le terrorisme continue de sévir, y compris désormais à Bamako même,
comme on l’a vu tout dernièrement, et dans le nord du pays les groupes
terroristes bénéficient de nombreuses complicités. Les forces de la
MINUSMA sont prises pour cible. Quand bien même l’accord de paix
serait-il signé, il faudrait encore longtemps pour assécher le vivier
qui les reconstitue : « ” Et même, grogne un diplomate sahélien.
Imaginons qu’un accord soit trouvé. Cela ne réglera pas le problème de
fond. Les jihadistes disposent dans nos pays d’un vivier inépuisable
d’apprentis jihadistes. ” Voilà des années qu’Aqmi, le Mujao, Ansar
Eddine (au Mali, au Niger et en Libye) et Boko Haram (au Niger, au
Cameroun, au Tchad et au Nigeria) recrutent de la chair à canon. Des
jeunes désœuvrés, qui habitent souvent des zones abandonnées par l’État
central et investies par les mouvements caritatifs salafistes ; des
jeunes à qui l’on promet quelques milliers de francs CFA et une arme… ».
De la Mauritanie au Tchad, il
n’est pas un seul des pays de la région qui n’ait connu récemment de
crise interne. Chacun de ces pays a été le théâtre d’un ou de plusieurs
coups d’État au long de son histoire postcoloniale, jusques et y compris
dans la période récente. Les gouvernements de la Mauritanie en ont
ainsi été victimes à répétition, même si l’on doit reconnaître que les
militaires putschistes y remettent souvent le pouvoir aux civils. Ce fut
le cas en 2007, année qui vit l’élection pour la première fois depuis
près de trente ans d’un civil à la présidence après le coup d’État ayant
renversé le colonel Taya. Pour peu de temps, puisque dès 2008, un
nouveau coup d’État installait le président Aziz, toujours au pouvoir
aujourd’hui, légitimé par les urnes.
Comme on l’a rappelé plus tôt, si le Niger est
aujourd’hui politiquement stabilisé, c’est un pays qui a connu au cours
de son histoire récente une instabilité politique assez marquée qui a mis à mal ses institutions politiques dans les années 1990 et 2000 (118).
Depuis 1974, pas moins de quatre coups d’État militaires ont eu lieu.
Les périodes de régime policier ont alterné avec les velléités
d’apaisement, la démocratisation des années 1990 a été chaotique sur
fond de difficultés économiques et budgétaires, de sécheresses, de
rébellions touareg armées ou de contestations sociales. Le dernier coup
d’État en date a renversé le président Tandja en 2010. Les militaires
ont rapidement rendu le pouvoir aux civils et le président Issoufou est
au pouvoir depuis 2011. En outre, indépendamment du fait qu’il est
aujourd’hui menacé sur son flanc sud par les attaques de Boko Haram
contre sa souveraineté, ses populations et ses intérêts, force est de
constater que son évolution interne et les problématiques auxquelles il
doit faire face, dès à présent et pour l’avenir, sont d’une redoutable
ampleur. Enfin, après plus de trente ans de stabilité, néanmoins
traversée de périodes de troubles politiques et sociaux sérieux,
notamment ces toutes dernières années, leBurkina Faso vient de
connaître un épisode de crise politique qui s’est conclu par le
renversement par la rue du président Blaise Compaoré, lui-même parvenu
au pouvoir en 1983 par un coup d’État qui avait coûté la vie au
Président Sankara.
Ces rapides rappels mettent en lumière
que les pays d’Afrique francophone sont finalement très peu nombreux à
n’avoir jamais été menacés par des crises politiques internes ou des
agressions externes. Il n’y a en effet guère que le Sénégal en
Afrique de l’ouest et le Gabon en Afrique centrale, qui en aient été
exempts depuis leur indépendance. Peut-on aussi inclure dans cette
catégorie des pays dont la stabilité signifie avant tout continuité des
autorités politiques au pouvoir, indéboulonnables depuis des dizaines
d’années ?
4. Les facteurs de crises aujourd’hui à l’œuvre : un empilement d’héritages aux effets divers et cumulatifs
Cela étant, on ne peut se contenter
d’une simple énumération qui pourrait être complétée par d’autres
histoires, de celle de Madagascar, des Comores, ou du Congo Brazzaville.
Il convient de relever un certain nombre de caractéristiques qui
invitent à la réflexion, étant entendu que les facteurs de
conflictualité à l’œuvre s’entremêlent fréquemment. Pour la commodité et
la clarté de l’analyse, on distinguera trois aspects.
Il n’est sans doute pas pertinent de
distinguer entre la nature des colonisations française, britannique,
portugaise ou belge pour déterminer l’impact que telle ou telle aurait
particulièrement eu. Certaines ont cependant eu plus de vocation
économique que d’autres. Ainsi de la comparaison que l’on peut faire des
colonisations du Niger par la France et du Nigeria par le Royaume-Uni.
Le processus a été fort différent, et l’empreinte coloniale a façonné le
politique et l’économique jusqu’à aujourd’hui. Le Niger a été colonisé a minima,
il fallait surtout tenir le territoire militairement mais sans idée de
développement, c’était une marche de l’empire, à la périphérie, un pays
reculé, très peu peuplé et désertique. L’uranium est venu plus tard, et
longtemps, on a consacré au pays peu de moyens, sans y mettre de
perspective de développement, et dans une logique de sécurisation du
territoire et de ses alentours. D’où le fait qu’il y ait eu peu
d’investissements en matière d’infrastructures, d’éducation ou autres
jusque dans les années 1960, Niamey est une ville très récente, qui
s’est développée sur le tard, sans rien autour. Même si ensuite, le
Niger et le Nigeria ont eu chacun leur histoire et leurs logiques
propres, le fait que la colonisation du Nigeria se soit faite au
contraire dans une logique d’entreprise et de commerce, de partenariat
économique fort avec le Royaume-Uni, n’est pas indifférent. On peut faire une même analyse en citant le cas de la Mauritanie,
gérée depuis Saint-Louis du Sénégal et qui n’avait quasiment pas de
routes asphaltées à son indépendance, ni même de capitale : ce n’est
qu’à l’approche de l’indépendance qu’on s’est avisé de la nécessité d’en
fonder une, et que la première pierre de Nouakchott fut posée en
présence du général de Gaulle en 1958…
Cela étant, comme le faisait récemment remarquer Bertrand Badie (119),
si les colonisations ont eu des effets en ce sens, à regarder ce qu’a
vécu le continent depuis cinquante ans, les unes sont à l’évidence
autant porteuses de conflictualité que les autres, en ce qu’elles ont
légué aux pays conquis un certain nombre de caractéristiques communes : « une
incertitude institutionnelle grave qui se reproduit à travers des États
manqués, des États bien souvent prédateurs, ou ” fantômes “, un contrat
social faible qui se vérifie à travers des constructions nationales
inachevées, des déséquilibres économiques et des pathologies sociales
qui doivent beaucoup aux styles divers de la colonisation. ». Bertrand
Badie relativise en revanche la question du caractère arbitraire des
frontières africaines définies à Berlin, estimant qu’« on peut
trouver de multiples exemples qui semblent indiquer que le tracé des
frontières coloniales a conduit à des contentieux et des guerres. Mais
après tout, n’est-ce pas vrai sur tous les continents ? Il serait facile
de pointer toutes ces frontières pleines de litiges qui ont dessiné au
fil des siècles la carte de l’Europe et conduit à des guerres. Je dirai
même que l’arbitraire frontalier n’est pas plus dramatique en Afrique
qu’ailleurs. Il est comme partout déterminé par les aléas du jeu de
puissance. ». En ce sens la colonisation française n’est pas plus condamnable que n’importe quelle autre.
Sur cette question mais avec une autre grille de lecture, Jean-Pierre Dozon, anthropologue, directeur de recherches à l’IRD et directeur d’études à l’EHESS, soutient également (120) qu’il
est faux de dire que c’est de l’artificialité des frontières que
proviennent les difficultés actuelles des pays africains. Au contraire,
au fil du temps, parfois même très vite, elles ont pris de l’épaisseur,
au point que des nationalismes, des chauvinismes sont apparus, au point
que les mouvements rebelles, pour la plupart, inscrivent leur lutte dans
le cadre territorial et national hérité de la colonisation (121). Une conscience nationale a émergé, s’est affirmée dans chacun des pays, parfois jusqu’à finir par être exacerbée, cf. l’« ivoirité », après la « francité » promue par Senghor, ou même la « gabonité ».
En outre, si l’idée panafricaniste a très tôt échoué, c’est aussi
précisément parce que les leaders se sont repliés sur leurs espaces
nationaux, se sont eux-mêmes affrontés, cf. les oppositions entre
Senghor et Modibo Keita dès 1960, au moment de la Fédération du Mali.
Ces différents aspects – montée des nationalismes, échec du
panafricanisme, apparition des mouvements d’indépendance nationale –
confirment s’il en était besoin que l’Afrique ne saurait se résumer aux
ethnies qui la composent.
Il ne s’agit pour autant pas de nier
que l’héritage colonial a parfois durablement bouleversé la donne et
entraîné des disparités régionales à l’intérieur des espaces nationaux.
Les régions utiles, dans lesquelles il y avait des intérêts économiques,
une mise en valeur intéressante à faire, autour du café, du cacao, de
l’arachide, ont été privilégiées sur les autres régions, qui ont plutôt
servi de réservoirs de main d’œuvre. Cela a induit des disparités
fortes, entre nord et sud souvent, comme en Côte d’Ivoire, au Bénin ou
au Togo, qui ont marqué durablement l’histoire de ces pays, cf. les
problématiques migratoires et foncières articulées sur la base des
cultures coloniales en Côte d’Ivoire. Cela a souvent correspondu à la
distribution des cartes ethniques par les administrateurs coloniaux. On a
nommé les pays sur la base des ethnies – « pays wolof », « pays
baoulé », etc. – et on a porté des jugements sur les populations, des
« étiquetages ethniques », qui ont fini par faire sens sur la longue
durée : comme on le sait, le génocide rwandais est inexplicable sans la
racialisation qui a induit des divisions et des oppositions entre Tutsis
et Hutus qui autrefois n’étaient pas des ethnies séparées mais de
simples groupes sociaux partageant tout, langue, culture, etc. Au final,
c’est un « legs singulièrement baroque [qui a été] laissé à des États formellement indépendants. » (122)
On ne peut nier que la fragilité de
certains États, leur déséquilibre structurel territorial, leurs
inégalités internes, viennent en partie de ce legs qui a forgé
l’histoire, que les Pères de la nation n’ont pas corrigé : le repli sur
des territoires aux indépendances, la constitution de partis uniques, se
sont faits sur l’idée que le multipartisme entretiendrait les divisions
héritées de la période coloniale, et les coups d’État qui ont eu lieu
parfois assez tôt, ont souvent été la revanche des groupes marginalisés
par l’époque coloniale, comme au Togo par exemple.
Pour autant, jusque dans les années 1990,
malgré ces fragilités et ces coups d’État, il y avait des perspectives,
du développement, des projets parfois très importants, financés par la
France ou la Banque mondiale, et qui ont aussi donné des résultats : la
formation, la santé s’amélioraient, l’espérance de vie augmentait,
l’urbanisation progressait et les capitales et autres villes se
développaient ; on avait même déjà un début de classes moyennes,
aspirant à un mode de vie occidental. C’était aussi la période de
l’affrontement idéologique entre les deux blocs et, consécutivement, de
leur surenchère, avec des financements correspondants, qui permettait
par exemple au Bénin, marxiste-léniniste, d’utiliser le Franc CFA, comme
le Congo Brazzaville ; une période de paradoxes donc, où des visions
d’avenir se mêlaient avec des socialismes africains, où les perspectives
étaient positives et les attentes très différentes par rapport à celles
d’aujourd’hui, où l’Asie n’attirait pas l’attention, souligne aussi Bruno Losch, directeur de recherches en économie politique au Centre de coopération internationale pour le développement (CIRAD) (123), avant qu’en trente ans, la situation se retourne pour des raisons structurelles.
Même s’il est aujourd’hui banal de
mentionner le rôle des institutions de Bretton Wood et l’effet des
ajustements structurels dans la manière dont ils ont pesé dans les
années 1980-1990 sur la capacité des États à remplir leur rôle, il n’est
pas inutile de rappeler ici quelques vérités dans la mesure où l’on est
au cœur de la problématique qui intéresse cette Mission. Cela dit sans
oublier cependant que nombre de pays africains étaient en quasi faillite
lorsque la Banque mondiale et le FMI leur ont imposé les solutions
drastiques sous lesquelles ils durent vivre durant de longues années.
Des défaillances originelles préexistaient qui ne doivent pas être
écartées.
Cela étant, comme le rappelle Bruno Losch, compte
tenu d’une colonisation, et partant d’une décolonisation, plus tardives
qu’ailleurs, l’ensemble de l’Afrique subsaharienne est la région où les
transformations structurelles et économiques sont les plus décalées par
rapport au reste du monde. Du fait de ce retard chronologique, ce
sont de jeunes États non consolidés, sans expérience dans la durée, qui
ont été rattrapés très vite, dès les années 1980, par la libéralisation
et les injonctions des ajustements structurels qui ont mis un frein au
développement de leurs politiques publiques, de leur consolidation et
modernisation. Injonctions en partie justifiées, compte tenu des
endettements budgétaires parfois dramatiques, mais fortes pour le
désengagement de l’État, la dérégulation, et l’arrêt de politiques
publiques autonomes. Nombre d’experts (124) interrogés
par votre Mission ont insisté sur cet aspect crucial : au-delà des
capacités administratives des États à mener des politiques publiques, ce
sont aussi les capacités de régulation politique qui
permettaient l’inclusion des différents groupes sociaux qui ont été
laminées par les crises économiques et financières et les contraintes
imposées par les bailleurs. D’une certaine manière, l’Afrique en paie
encore le prix aujourd’hui en termes d’instabilité. C’est une des
réalités du problème aujourd’hui dans un continent balkanisé, divisé en
49 États pour ce qui concerne l’Afrique subsaharienne.
L’une des conséquences des politiques
de libéralisation, du désengagement de l’État au profit des marchés
« régulateurs » s’est traduite par le fait que les administrations
publiques peu structurées se sont retrouvées dans l’incapacité de
produire des politiques publiques intégrées avec une vision stratégique
de développement. L’approche sectorielle de l’APD n’a pas permis de
compenser cela, faute de vision intégrée des perspectives globales qui
aurait été nécessaire pour prendre en compte l’ampleur des défis d’un
pays ou d’une région. Les préoccupations des uns et des autres ne se
sont pas recoupées ni coordonnées dans des perspectives nationales ou
régionales. Sans ces anticipations, sans les instruments d’alerte pour
apporter des réponses aux défis, on s’est inscrit dans une dynamique de
crises très fortes qui sont apparues comme inattendues, faute d’avoir
été perçues et anticipées.
Le retrait de l’État, vu par la Banque mondiale (125)
« Comme cela arrive souvent avec des
changements de cap aussi radicaux, les pays ont parfois eu tendance à
aller trop loin. Les efforts de rééquilibrage des dépenses et des
emprunts de l’État ont péché par manque de coordination et ont rarement
su faire la part des choses. Ainsi, pour régler les intérêts de leur
dette, des pays surendettés ont eu autant recours – sinon plus – à
l’amputation de programmes d’importance capitale dans les domaines de
l’éducation, de la santé et de l’infrastructure qu’à la réduction de
crédits destinés à des actions faiblement prioritaires, à une fonction
publique hypertrophiée et à des entreprises déficitaires. Ces
compressions ont touché surtout les budgets d’équipement et, en Afrique,
les dépenses de fonctionnement et d’entretien, réduisant d’autant la
productivité des investissements. Le résultat, dont l’Afrique,
l’ex-Union soviétique et même certaines parties d’Amérique latine
fournissent l’exemple le plus frappant, a été un abandon des fonctions
vitales de l’État qui a porté un coup à la protection sociale et sapé
les bases du développement des marchés. Cet excès de zèle dans le rejet
de l’État a eu pour effet de détourner l’attention du débat stérile
opposant État et marché, pour la centrer sur la question plus
fondamentale de la crise d’efficacité de l’appareil public. Dans
certains pays, la crise a abouti à l’effondrement pur et simple de
l’État. Dans d’autres, l’affaiblissement de la capacité d’action de
l’État a conduit les organisations non gouvernementales, les
associations et autres groupements – autrement dit, la société civile – à
essayer de prendre sa place. Dans leur engouement pour le marché et
leur rejet de l’interventionnisme, beaucoup en sont venus à se demander
si le marché et la société civile ne pourraient pas un jour supplanter
l’État. Mais la leçon qui se dégage d’un demi-siècle marqué par
plusieurs courants de pensée sur le rôle de l’État dans le développement
est plus nuancée. Le développement par l’État a échoué ; mais un
développement sans l’État échouera aussi. En effet, un État efficace est
indispensable au développement. »
|
De sorte que l’on peut considérer que
les États africains, depuis les indépendances n’ont cessé d’être soumis à
de fortes tensions (126),
qu’ils ont tenté de surmonter tant bien que mal dès les débuts de leur
brève histoire avec des trajectoires et réussites diverses. La remise en
cause de leurs rôles et capacités institutionnels s’est cependant
renforcée dans les années 1990, c’est-à-dire au moment précis où les
attentes et exigences des sociétés civiles se sont accrues à la faveur
des processus de démocratisation naissants, où les besoins augmentaient
du fait de la pauvreté croissante. La communauté internationale s’est
mise à privilégier les secteurs sociaux, en oubliant que les États,
comme au Mali pour ne prendre que cet exemple, avaient aussi à assurer
des missions régaliennes, et les institutions financières
internationales privilégièrent alors les organisations de solidarité
pour pallier les déficiences des États (127).
Ce sont autant d’éléments convergents
qui ne contribuèrent pas à en renforcer la légitimité, sans participer
non plus au soutien des sociétés civiles africaines. Ce sont autant
d’aspects aux effets cumulatifs que les États africains, certains
particulièrement faibles, n’ont toujours pas réussi à surmonter à
l’heure où ils doivent faire face à des menaces et « facteurs de
stress » peut-être plus forts que jamais.
À la fin de l’année dernière, The Lancet (128) avait
beau jeu de pointer la responsabilité du FMI, en rappelant que s’il
avait annoncé un financement de 130 M$ pour lutter contre l’épidémie
Ébola (129),
la principale raison de la propagation si rapide de l’épidémie résidait
dans faiblesse des systèmes de santé de la région, alors que les trois
pays sont soutenus par le FMI depuis une vingtaine d’années (130). The Lancet rappelait
ainsi que les prêts du FMI sont octroyés moyennant des conditionnalités
très strictes qui imposent aux bénéficiaires des objectifs économiques
de court terme, prévalant sur les investissements en santé et éducation.
En l’espèce, s’agissant précisément des programmes de réformes
économiques, le FMI a tout d’abord exigé des réductions dans les
dépenses publiques, une priorisation du service de la dette et le
renforcement des réserves de change. En second lieu, le FMI demande
souvent l’instauration d’un plafonnement des salaires de la fonction
publique, sans considération de l’impact de ces exigences sur les
secteurs prioritaires, de l’opinion même de ses services d’évaluation
interne. En l’espèce, cela a eu des effets très concrets sur
l’émigration des médecins : en 1995 et 1996, le FMI a ainsi exigé la
réduction de 28 % de la fonction publique de la Sierra Leone, et les
limitations salariales se sont poursuivies jusque dans les années 2000 ;
de sorte que, entre 2004 et 2008, l’OMS constatait que le taux de
professionnels de santé était passé de 0,11 pour 1000 habitants à 0,02.
Enfin, le FMI a aussi plaidé au début des années 2000 pour une
décentralisation des systèmes de santé, dans le but d’apporter une
meilleure réponse locale aux besoins, mais cela a eu pour effet de
rendre difficile une mobilisation nationale coordonnée et centralisée,
indispensable pour pouvoir faire face à une épidémie de cette nature.
Dès 2007, le FMI constatait d’ailleurs une détérioration de la qualité
des services de santé décentralisés. Pour les auteurs de l’étude, tous
ces effets ont été cumulatifs et ont contribué au manque de préparation
des services de santé pour répondre à l’épidémie. Aujourd’hui, comme Lionel Zinsou (131) le
soulignait, un pays comme le Libéria, avec des recettes fiscales de
18 % assises sur un PIB annuel d’un milliard de dollars, qui correspond à
un jour de celui du Nigeria, ne peut rien faire pour se relever :
consacrerait-il 10 % de son budget national à la santé, ce ne serait
jamais que 18 millions, c’est-à-dire une somme très insuffisante pour
instaurer son système de santé.
Parmi les fragilités internes qui
caractérisent les pays africains, notamment francophones, un certain
nombre portent sur des aspects institutionnels, entendus au sens large.
Comme le faisait remarquer Hugo Sada, ancien délégué à la paix et à la sécurité de l’Organisation internationale de la francophonie, OIF (132),
subsistent encore beaucoup de faiblesses, – fragilités, manques de
moyens, de crédibilité, etc., y compris sur les institutions de
contrôle, Cour des comptes, cours constitutionnelles, etc. – alors même
que l’on a assisté depuis les années 1990 à une « prolifération institutionnelle », souvent
inspirée des traditions juridiques de notre pays. Les questions
constitutionnelles ont retrouvé une acuité particulière ces derniers
mois : l’ouverture démocratique s’était traduite par une vague de
réformes constitutionnelles dans les pays francophones qui ont consolidé
les régimes pluralistes, mais on constate aujourd’hui une vague
d’instabilité institutionnelle marquée des volontés de changements ou de
révisions post-crise, notamment autour de la question récurrente de la
durée et du nombre des mandats présidentiels. Beaucoup de choses sont
aujourd’hui remises en question qui tendent à décrédibiliser les
institutions, cf. les manipulations qu’on a connues en RDC, ce qui s’est
récemment joué au Burkina Faso, et n’est pas encore définitivement
réglé dans d’autres pays, comme le Congo, la RDC, le Rwanda, le Burundi,
le Bénin, où ces questions sont encore sur la table (133).
Dans ce même ordre d’idées, les problématiques judicaires sont
aiguës, qui font que l’on est souvent encore loin d’une justice fiable
en Afrique, où la corruption, les pressions politiques et autres sont
très fortes. Les exemples que l’on peut glaner de-ci, de-là, de déboires
subis par des entreprises françaises tentant de se développer sont
nombreux. Les nombreux programmes de réforme et de renforcement des
institutions judiciaires, ne donnent que des résultats faibles et de peu
d’impact, et tend à se développer une insécurité juridique
préjudiciable aux investissements étrangers, comme le faisaient
remarquer Etienne Giros, président délégué du CIAN, et Stephen Decam, secrétaire général, lors de leur audition (134).
Enfin, la question des appareils sécuritaires est
également majeure. Le Mali a récemment montré que les siens étaient
particulièrement inadaptés pour faire face à une crise majeure et
d’autres cas, cf. la Côte d’Ivoire, mettent en évidence la difficulté de
traiter cette question de manière à retrouver le chemin de la stabilité
interne, comme en témoignent les difficultés des programmes de
démobilisation et de désarmement. Au-delà de ces deux cas, la
problématique de l’état dans lequel se trouvent les armées africaines
depuis très longtemps est cruciale. Comme on a pu le dire, « les États africains sont malades de leurs armées. Et les armées victimes de leurs États. ». (135) Nombre
de gouvernements ont maintenu leurs forces armées dans des conditions
de délabrement total, par crainte, ont constitué en parallèle des unités
d’élites et autres « Garde présidentielle », comme au Cameroun, plus
fiables car reposant sur un esprit de clan, mieux équipées et
entraînées. De l’ancien Zaïre à la Côte d’Ivoire, en passant par la
Sierra Leone, la République centrafricaine et d’autres théâtres de
crises récents, les exemples sont nombreux où la paupérisation des
armées régulières a conduit à l’inefficacité totale de l’outil
militaire, mais aussi aux mutineries et aux pires dérives de la part de
troupes gangstérisées contre les populations civiles qu’elles étaient
censées protégées.
c. Causalités internes et externes se conjuguent étroitement pour fragiliser les pays d’Afrique francophone
Au sein de la communauté des experts
et acteurs que votre Mission a entendus au long de cette année, il y a
unanimité pour considérer que la faiblesse des États africains héritée des années 1990 pèse toujours lourdement sur leur situation actuelle. Laurent Bossard, directeur du secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’ouest, mettait en avant l’influence extraordinaire de l’affaiblissement des États sur le développement des trafics qui
ont trouvé un terrain des plus favorable. Il rappelle que le seul
trafic de cigarettes représente aujourd’hui 1 milliard d’euros annuels.
S’y ajoutent de nombreux autres : drogues, essence, médicaments, armes,
êtres humains, etc., et tout le reste qui participe de l’économie du
trafic qui s’est instaurée et a pris un poids disproportionné, suffisant
pour pénétrer toutes les sphères de la politique, des forces de
sécurité, de l’économie. La corruption généralisée vient de cette
situation. Ces données sont à mettre en balance avec le fait que le
budget national d’un pays comme la Guinée Bissau, qui ne relève certes
pas des pays francophones, équivaut au prix de quatre tonnes de cocaïne.
Comment s’étonner qu’un tel pays soit aujourd’hui totalement aux mains
des narcotrafiquants ? L’économie mafieuse est pratiquée par tout
le monde et elle n’est en outre pas considérée comme anormale par les
populations, cf. « l’économie de la route » entre la Tunisie et la
Lybie, qui repose sur la satisfaction des besoins des trafiquants et des
réseaux, en termes de véhicules, d’approvisionnements divers, de
réparations, etc., fait en conséquence vivre beaucoup de monde et
représente aujourd’hui un poids considérable. Il en est évidemment de
même ailleurs.
L’exemple de la Guinée Bissau illustre
le fait que la fragilité des États et les situations conflictuelles
sont le produit de facteurs exogènes et endogènes, parfois
opportunistes, que les institutions ne réussissent pas à atténuer ou
juguler. Toutes zones géographiques confondues, les situations de crise
que l’Afrique a connues ces dernières années répondent précisément à ces
cas de figure : des institutions faibles qui cèdent sous les coups
de boutoir des menaces polymorphes, déstabilisatrices, laissant
s’enclencher des cercles vicieux.
Dans ce même ordre d’idées, la piraterie maritime,
sur la façade atlantique, dans le Golfe de Guinée a pris une ampleur
considérable au point d’être désormais supérieure à ce qu’elle a été
dans le Golfe d’Aden en 2012. C’est devenu un problème majeur qui
impacte fortement les activités économiques des pays côtiers. Cela
participe de ce que Pierre Jacquemot appelle la problématique de la convoitise, comme
dans la région des Grands Lacs où les facteurs de conflictualités sont
particuliers. Les déterminants en sont l’existence d’une économie
minière artisanale autour de ressources très recherchées aujourd’hui,
comme le sont le coltan, le tungstène, et d’autres minerais, que
différents groupes armés contrôlent, favorisant en retour la récurrence
de conflits. (136)
Parmi les facteurs les plus déstabilisateurs, on sait la part qu’ont joué les trafics de drogue dans
la déliquescence de l’État malien, démocratique et naguère encore
reconnu pour sa stabilité, en le faisant basculer dans les mains des
trafiquants et djihadistes ; plus généralement, dans la fragilisation de
la gouvernance publique au niveau régional, à mesure que l’effet de
contamination progresse, pays après pays, induisant une menace
sécuritaire majeure : 17 % de la drogue consommée en Europe transitent
aujourd’hui par l’Afrique de l’ouest, soit 21 tonnes et 1,7 milliard de
dollars. On sait aussi que cette région n’est plus seulement une voie de
passage mais aussi désormais de production, ce qui n’est pas sans
susciter des craintes quant au développement d’un marché local, qui
viendrait nécessairement renforcer la cohorte des bandes armées qui
sévissent d’ores et déjà, d’autant plus plausibles sur fond de chômage
et de misère, et que des armes légères sont en circulation.
La régionalisation de cette question illustre la problématique plus générale de l’exportation de la conflictualité,
que l’on constate aussi aujourd’hui dans le cas du Nigeria avec Boko
Haram, essaimant sur le Cameroun, le Niger et le Tchad. Des conflits
intérieurs débordent d’autant plus facilement au niveau régional que les
liens et continuités entre pays sont étroits, que les populations et
communautés sont identiques, de même que les langues et cultures, les
pratiques et les échanges. Les risques de régionalisation des conflits
en sont d’autant plus élevés, comme on l’a montré s’agissant du nord
Cameroun, en parfaite unité sociale avec l’extrême nord-est du Nigeria.
La menace de l’extrémisme religieux est
devenue une problématique majeure aujourd’hui dans des aires dans
lesquelles il y a encore vingt ou trente ans, on considérait que le
radicalisme n’aurait jamais de prise sur la tolérance portée de tout
temps par les congrégations soufies Qadiriyya et Tijaniyya.
On sait ce qu’il en est advenu, à la faveur de la configuration des
territoires, de la porosité des frontières, du manque de contrôle de
leurs territoires par les États, qui ont facilité la mobilité des
groupes djihadistes, lesquels ont aussi su profiter des besoins sociaux
des populations et pallier les insuffisances des États. Toutes choses
égales par ailleurs, ce sont aussi des problématiques de marginalisation
économique, culturelle, de pauvreté croissante, d’exclusion, que l’on
retrouve comme facteurs récurrents des tensions et conflits autour des
Touaregs, depuis l’époque coloniale et même la fin du XIXe siècle. La dimension islamiste s’y est aujourd’hui ajoutée.
Les questions sociales, les inégalités, sont aussi à la base des migrations régionales,
qui existent de tout temps, les populations, notamment en Afrique de
l’ouest, étant parmi les plus mobiles du monde. Dans des contextes de
pénurie, de problématiques foncières accrues, elles ont aujourd’hui des
effets certains sur les tensions qu’elles peuvent aggraver ou
entretenir, par des phénomènes de marginalisation politique et sociale,
de discriminations, de concurrence quant à l’accès à la terre, cf. ce
qui s’est passé en Côte d’Ivoire, pour ne prendre que cet exemple, quant
à l’accès à l’emploi, à l’urbanisation croissante et sauvage des
périphéries.
Ces phénomènes sont d’autant plus aigus sur fond de croissance démographique forte et d’évolution environnementale défavorable,
qui se manifestent par exemple dans la problématique de l’accès aux
terres agricoles en réduction, en concurrence avec la descente vers le
sud des nomades pastoraux en recherche de moyens de subsistance (137).
À cet effet, les problématiques de changement climatique sont en Afrique, et spécialement en Afrique francophone, d’une particulière acuité. Comme le soulignent les Perspectives économiques en Afrique 2014 (138), « l’accélération
de la fréquence des catastrophes naturelles liées à l’environnement –
changements des schémas pluviométriques, inondations et sécheresses par
exemple – affecte la société et l’économie, et les événements
climatiques rejaillissent lourdement sur les communautés pauvres et
vulnérables qui n’ont que peu de mécanismes de compensation ou de moyens
de subsistance alternatifs. ».Des investissements colossaux seront
nécessaires pour faire face à ces changements, mais, avant tout, ce sont
des populations rurales, pasteurs et cultivateurs, qui sont durement
touchées. Des effets collatéraux, induits des impacts climatiques sur
l’environnement, en découlent, d’ordre social, économique, et politique.
Le cas de la Côte
d’Ivoire : comment les vecteurs de conflits se sont imbriqués pour créer
et entretenir un climat propice à la guerre civile (139)
|
Ces nombreux facteurs, dont
l’énumération ci-dessus ne prétend en rien à l’exhaustivité, rendent les
quelques progrès qui ont pu être faits contre la pauvreté, dans quelque
secteur qu’ils se situent et de quelque manière qu’ils aient été
obtenus, particulièrement fragiles. Fondamentalement, le contexte
général des pays concernés, et ceux d’Afrique francophone en
particulier, reste celui d’une vulnérabilité aux chocs externes, d’une déficience des institutions, d’un creusement des inégalités,
voire d’une inertie politique peu à même d’apaiser les tensions, de
traiter les problématiques de fond et de sortir des crises.
Cela étant, l’essentiel, se joue
peut-être ailleurs que sur le terrain des aspects purement
institutionnels et juridiques, ou des facteurs exogènes de tension : la nature du contrat social au sein des sociétés africaines, et le divorce entre gouvernants et gouvernés.
Depuis les ouvertures démocratiques du
début de la décennie 1990, les élections sont logiquement devenues la
norme exclusive de transfert du pouvoir. Cela est évidemment heureux. Il
reste néanmoins encore beaucoup de problèmes compte tenu des contextes
et les processus sont fragiles. Car s’il n’y a plus de coups d’État
militaires, ou beaucoup moins, les violences électorales et
post-électorales, en revanche, ont augmenté, souvent manipulées, aux
effets incendiaires. La raison tient au fait que c’est le contrôle de l’État qui permet encore celui de l’économie et de ses avantages connexes,
c’est-à-dire la répartition des rentes et des mannes financières. C’est
ce qui explique la difficulté, voire l’impossibilité de l’alternance,
dans des systèmes encore aujourd’hui de type féodal, qui fonctionnent
fondamentalement sur la base du clientélisme et de la rétribution.
Raison pour laquelle, comme le faisait remarquer incidemment Henri-Bernard Solignac-Lecomte (140), ce n’est pas en essayant d’éradiquer la corruption qu’on changera quoi que ce soit au déficit de gouvernance publique.
C’est en abordant la question plus fondamentale du contrat social, de l’intégration sociale,
nécessairement ténus dans un tel substrat où l’appartenance à une même
communauté politique ne va pas de soi, où la logique de captation du
pouvoir et de ses attributs efface celle de solidarité nationale, tant
ce sont des solidarités de clientélisme et d’allégeance qui
prédominent. (141)
Consécutivement, comme le défend Séverine Bellina, directrice de l’Institut de recherche et de débat sur la gouvernance (142),
la recherche d’une voie de sortie efficace et pérenne à la
problématique de l’instabilité, doit fondamentalement passer, et en
priorité, par la question de la légitimité de l’État, dans ce qui
fonde l’adhésion des populations et l’ancrage réciproque entre sociétés
civiles et institutions. Or, on est généralement dans des contextes
dans lesquels les États ne contrôlent pas leurs territoires, dans
lesquels il n’y a pas de liens entre les États « formels » et leurs
populations, dans lesquels des gérontocratiesdéconnectées des réalités
sociales et générationnelles, s’accrochent au pouvoir, source de la
redistribution, orchestrent le clientélisme à tous les échelons de
l’État et de la société civile et divisent, sur des bases
ethno-régionales, (143) pour
mieux régner, et produisent, de ce seul fait, de l’instabilité.
L’exemple récent du Burkina Faso le démontre, celui d’autres pays, – le
Cameroun, notamment – demain le confirmera probablement. (144)
Sur la légitimation du pouvoir à Madagascar (145)
« Madagascar connaît, depuis près de
deux siècles, le retour périodique d’une crise multiforme chaque fois
qu’un pouvoir autoritaire, bras armé de l’oligarchie dominante de son
époque, arrive à bout de souffle. Régulièrement, la crise fait
apparaître la permanence d’un fossé d’incompréhension entre la
population et la classe dirigeante. Depuis l’État royal du xixe siècle,
les tentatives de construction d’un État-nation sur le modèle
occidental se sont heurtées à la résistance d’une culture politique
malgache non reconnue, fondée sur la parenté, sur une forme de mission
céleste et sur la terre des ancêtres. En se défiant, les deux forces
antagonistes se sont perverties mutuellement au point de déboucher sur
une situation d’anomie sociale et politique dont on ne voit pas la
fin. »
« Quel sens en effet pouvait avoir le
vote individuel dans un pays dont le contrat social reposait sur une
valeur collective et religieuse telle que la fihavanana, qui ne
laisse aucun place au libre choix individuel ? D’ailleurs, le paysan qui
constitue plus de 80 % de la population en 1960 ne pense nullement que
c’est à lui de désigner celui qui doit exercer le pouvoir, mais à Dieu
et aux ancêtres. On n’élit donc pas un individu, mais ces ancêtres. (…)
Il faut ajouter que la règle de l’élection à la majorité est très mal
acceptée car elle contrevient par trop à l’idéal d’unanimisme qui est
recherché. Elle est perçue comme un facteur de division qui peut
déboucher sur le tabataba, la perturbation de l’ordre de la société et du monde et le fanjakana baroa, l’anarchie. »
|
Cette déconnexion n’est pas seulement à
l’origine de crises politiques comme celle qui a renversé le président
Blaise Compaoré il y a quelques mois, mais aussi de violences plus
graves, voire de poussées identitaires et, éventuellement, d’extrémisme
religieux. Cela s’inscrit aussi dans des contextes démographiques dans
lesquels le gap générationnel, au sein de sociétés pourtant très
hiérarchisées, tend à devenir explosif, comme on le verra dans le cas de
l’extrême nord-Cameroun, au sein des sociétés Mbororo, en
déliquescence (146).
Au niveau national, cette question met en évidence que si les crises
que connaissent les pays africains sont dues à de nombreux facteurs
exogènes connectés entre eux, elles ont aussi chacune, comme le
soutenait aussi Richard Banégas, (147) des
aspects endogènes profonds, communs, qui relèvent avant tout de la
question de la citoyenneté, de situations non réglées, qui sont causes
de tensions structurelles internes qui ne pourront être résolues qu’au
niveau national.
Cela est d’autant plus important que
les problématiques auxquelles les populations sont confrontées sur le
terrain entretiennent des sentiments d’injustice profonde et d’abandon
lorsque les services sociaux de base sont inexistants, que les divers
facteurs de stress, environnemental, par exemple au nord Mali, sur fond
de désertification, de sécheresse, de rareté de la terre et de l’eau,
sont aggravés par l’affaiblissement des institutions traditionnelles.
Carlos Lopes (148) indiquait
que dans le cadre du mécanisme de révision par les pairs, institué au
sein de l’Union africaine, sur les questions de gouvernance, le problème
n° 1 identifié est précisément celui de la gestion de la diversité,
sur lequel se fondent les conflits internes, les problèmes ethniques,
religieux, etc. Dans la mesure où les enjeux de demain qui s’annoncent
pour les pays d’Afrique francophone ne diffèrent pas de ces
caractéristiques, comme on le verra dans les développements suivants, se
dessinent d’ores et déjà les inflexions qui pourraient être apportées
aux politiques d’aide au développement.
Depuis des décennies, l’Afrique fait
donc face à de nombreux défis qu’elle a du mal à surmonter. Ce constat
serait en soi préoccupant s’il ne s’inscrivait en outre dans des
perspectives incertaines pour les deux axes de réflexion de votre
mission. Sans jouer les Cassandre, on conviendra que les scénarios que
l’on peut aujourd’hui lire sur le futur du continent sont inquiétants.
Le premier scénario tient à la question démographique, unique, d’une
telle magnitude qu’entre dividende démographique et fortes tensions, la
balance semble irrémédiablement pencher vers celles-ci, tant
l’hypothèque que la démographie fait peser sur le développement et la
stabilité de l’Afrique subsaharienne parait élevée.
Le second scénario tient aux
incertitudes qui se dessinent quant au futur de certains des pays de la
zone francophone : le Niger et le Cameroun, pour ne prendre que ces deux
exemples que l’on traitera en détail, sont probablement au seuil de
difficultés aggravées qui sont à leur tour porteuses d’instabilité tout
en impactant sévèrement le développement. Ces deux pays ne sont pas les
seuls qui auront à faire face à ces problématiques, que l’on pourra
retrouver peu ou prou ailleurs.
« Les sociétés africaines, du fait
de leurs conditions écologiques, du niveau très élevé de la mortalité et
de leur histoire démographique particulière, jalonnée de séries de
catastrophes (traite des esclaves, travaux forcés pour les
colonisateurs, épidémies…) sont marquées par une expérience séculaire
d’insécurité et ont développé, pour s’en prémunir, une véritable
” culture de forte fécondité “. » (149)
Le sujet a tellement été traité qu’on a
quelque peu l’impression de répéter des choses maintes fois entendues,
mais on ne peut éviter de l’aborder dans le cadre d’un rapport sur la
stabilité et le développement de l’Afrique francophone, tant la question
démographique est unanimement considérée comme la problématique numéro 1
sur le continent.
Certains défendent l’idée que la
trajectoire sur laquelle est inscrit le continent africain en termes de
démographie le place dans une dynamique favorable qui en fera dans les
prochaines décennies l’atelier du monde. De fait, l’Afrique a d’ores et
déjà la population la plus jeune du monde, les deux tiers de ses
habitants ayant moins de 25 ans, et elle pourrait en conséquence
disposer d’une main d’œuvre non seulement très jeune mais de plus en
plus qualifiée, bon marché par rapport à celles des pays émergents dont
le coût ne cessera dans le même temps de se renchérir ; en conséquence,
tout prédestinerait le continent le moins développé à rejoindre enfin le
reste du monde. En outre, le dynamisme de la démographie serait plus un
atout qu’une fatalité sur un continent encore à peu près vide, à la
densité encore très faible. Enfin, c’est aussi un élément qui
permettrait au continent de soutenir sa croissance de manière endogène,
par augmentation mécanique de la demande et de la consommation.
Tout cela est assurément vrai.
Néanmoins, aux yeux de votre Mission, cette lecture se heurte toutefois
au fait qu’il y a encore loin de la coupe aux lèvres et qu’un certain
nombre de conditions devront être remplies pour que le continent tire
parti du dividende démographique, ne serait-ce qu’en termes
d’infrastructures, de formation, de créations d’emplois ou
d’environnement des affaires, pour que cela se traduise dans les faits
et que le continent s’impose.
Surtout, les implications des
projections démographiques les plus récentes invitent à tempérer quelque
peu cet optimisme, tant le défi paraît redoutable. Il concerne tout
particulièrement l’Afrique francophone, et notamment la zone sahélienne.
Le défi démographique auquel est confronté l’Afrique est unique. Les
projections sans cesse révisées des Nations Unies montrent que la
croissance démographique africaine, toujours forte, va se poursuivre. La
baisse de la fertilité étant très lente, cette croissance démographique
est même d’ampleur inégalée à l’échelle mondiale : à titre de
comparaison, il faut rappeler que, de 1960 à 2010, la population a
augmenté de manière équivalente en Chine, en Inde et en Afrique, entre
550 et 600 millions de personnes supplémentaires. Mais, alors que dans
les quarante prochaines années la population chinoise va diminuer, que
celle de l’Inde va continuer de croître, certes, mais plus lentement
qu’auparavant, celle de l’Afrique va doubler : après avoir
augmenté de 550 millions d’habitants au cours du dernier demi-siècle,
elle augmentera de nouveau d’1,1 milliard de personnes au cours des
quatre prochaines décennies. Au total, en un siècle, de 1950 à 2050, la
population d’Afrique subsaharienne aura été multipliée par 10 et sera
passée de 180 millions d’habitants à 1,8 milliard, sans d’ailleurs que
l’on soit certain, à ce jour, que cette hypothèse n’est pas
considérablement sous-évaluée. Dans l’histoire de l’humanité, aucune
région du monde n’a jamais eu à connaître une croissance de sa
population d’une telle magnitude. Au milieu du siècle, la population
de l’Afrique subsaharienne pourrait être de l’ordre de 2,1 milliards
d’individus et sur une trajectoire de 3,8 milliards en 2100, selon une
hypothèse moyenne de baisse de la fécondité. (150) Parmi
les vingt pays aujourd’hui les plus peuplés, trois sont africains : le
Nigéria, l’Éthiopie et la RDC ; ils seront six en 2050 et dix en 2100.
Cela étant, la question démographique
en Afrique est sans doute aussi variée que le continent lui-même : les
pays d’Afrique australe ont aujourd’hui quasiment achevé leur transition
démographique, ceux d’Afrique de l’est se sont pour la plupart engagés
dans cette voie, mais ceux d’Afrique de l’ouest et centrale,
francophones pour l’essentiel, sont plus en retard. Plus précisément, ce sont les plus pauvres des pays africains qui connaissent les taux de croissance démographique les plus élevés.
D’une part, les PMA, au niveau mondial, ont un taux d’accroissement
démographique quasiment double par rapport à ceux des autres pays en
développement, mais au sein des PMA, les pays africains présentent des
taux nettement supérieurs à la moyenne, qui ont permis à des pays comme
le Niger, Djibouti ou l’Ouganda de multiplier par six leurs populations
depuis 1950, quand le groupe des PMA ne faisait « que » la quadrupler.
Comme ont pu le faire remarquer Jean-Michel Severino et Olivier Ray, « D’autres
parties du monde ont eu à gérer une explosion démographique et urbaine.
Cependant, les Africains devront compter avec une situation sans
précédent au XXIème siècle. Trois facteurs rendent l’équation
démographique africaine particulièrement périlleuse : tout d’abord,
l’Afrique se verra refuser la soupape de sécurité de la migration
lointaine qui était tellement précieuse pour l’Europe du XIXème siècle
et l’Asie du XXème siècle. Deuxièmement, cette augmentation prodigieuse
de la densité de la population du continent prend place au moment même
de l’histoire durant lequel l’humanité découvre l’offre limitée de
ressources naturelles. Donner tort à Malthus une nouvelle fois va
demander une importante mobilisation… Enfin, l’Afrique subira tous les
périls de sa croissance démographique sous les caméras de CNN, le regard
hautain de la communauté internationale et un maillage toujours plus
serré de normes internationales. ». (151)
La question démographique est
particulièrement aiguë dans la région sahélienne, où les taux annuels
d’accroissement naturel sont les plus élevés, entre 2,5 % par an dans un
pays comme la Mauritanie et plus de 3,6 % au Tchad et au Niger. Elle
risque de l’être d’autant plus à l’avenir que, dans certains pays, la
croissance démographique est actuellement en phase d’accélération et va
s’amplifier.
La population du Tchad a été
multipliée par quatre depuis l’indépendance, de trois millions
d’habitants en 1960 à douze en 2012 et elle continue de s’accroître de
quelque 400 000 individus chaque année. Surtout, les résultats du
dernier recensement montrent uneaccélération de la croissance démographique, contrairement aux projections qui avaient été faites il y a peu : « Sur
la base des données anciennes de l’Enquête démographique et de santé
réalisée au Tchad en 2004, la Division de la population des Nations
unies avait anticipé une baisse de la fécondité et l’avait estimée à 6
enfants par femme en 2010. Les résultats du recensement de juin 2009
(…), indiquent au contraire une augmentation récente de la fécondité,
(…) de 7,1 enfants par femme, et les données (…) pour les cinq années
précédentes une fécondité de 6,9 enfants par femme. C’est la deuxième
fécondité la plus élevée du monde après celle du Niger. La combinaison
de ces évolutions de la fécondité et de la mortalité a conduit à une
accélération de la croissance naturelle de la population qui est passée
de 2 % par an au début des années 1960 à plus de 3 % par an à partir des
années 1980. » (152) Selon les recensements de 1993 et de 2009, elle est actuellement de 3,6 %.
Indice de fécondité moyenne (2005-2010) (153)
Jean-Pierre Guengant, directeur de recherche émérite à l’IRD, explique que « l’augmentation
rapide de la population totale est la conséquence de la baisse de la
mortalité, au moins jusque dans les années 1980, et du maintien sur une
période exceptionnellement longue d’une fécondité élevée. Dans ce
contexte, l’urbanisation a fortement progressé (154) et
elle a été amplifiée par les migrations consécutives aux grandes
sécheresses et aux troubles intérieurs qu’a connus le Tchad. Par contre,
la seconde phase de la transition démographique, la baisse de la
fécondité n’a pas encore commencé. En effet, non seulement la fécondité
n’a pas baissé ces dernières années, mais elle a même augmenté. » (155)
Le cas du Niger est tout aussi
symptomatique. Ici aussi, en 2012, le dernier recensement a surpris qui a
conduit à revoir à la hausse les projections antérieurement faites,
compte tenu de taux de fécondité supérieurs à ceux espérés. Le pays, sur
la base d’une croissance démographique de 4 % l’an, compte sans doute
désormais quelque 19 millions d’habitants (156), contre 3 à son indépendance, à raison d’un accroissement de 700 000 personnes chaque année. Le Mali ne
déroge pas à cette règle : on estime que la population a dépassé les 16
millions d’habitants en 2014, elle a donc été multipliée par trois
depuis l’indépendance, et le dernier recensement, en 2009, a également
montré une population bien plus importante qu’il n’était prévu, ainsi
qu’une accélération de la croissance démographique, désormais supérieure
à 3 % l’an, soit quelque 500 000 personnes.
Si l’espérance de vie est toujours
faible au Sahel, la baisse importante de la mortalité infantile ne s’est
toujours pas accompagnée d’une diminution de la fécondité, et le nombre
moyen d’enfants par femme est ainsi de 4,4 en Mauritanie, de 4,6 au
Sénégal, de 6,5 au Mali, de 7,1 au Tchad. Comme on le sait, c’est le
Niger qui détient le taux de fécondité le plus élevé du monde, chaque
femme y donnant naissance en moyenne à 7,2 enfants, et l’on ne peut
ignorer que les enquêtes sociales montrent que le désir d’enfants y est
nettement plus élevé : 9,7 pour les femmes et 11,9 pour les hommes, ce
qui renvoie à des pratiques et des perceptions, en matière de
contraception et de fécondité (157) qui ne laissent pas augurer une diminution très rapide des taux de fécondité dans ce pays.
Les projections des Nations Unies
formulent actuellement des hypothèses sur la base de 4,2 enfants par
femme au Mali et 5 au Niger en 2050. Ces données mettent la région
sahélienne, aujourd’hui peuplée de 125 millions d’habitants, sur une
trajectoire de quelque 330 millions d’habitants en 2050 et de plus de
650 millions en 2100. Concrètement, la population de chacun des pays
sahélien sera multipliée par 2 à 4. De sorte que si rien ne change, le
Tchad, pour ne prendre que cet exemple, comptera 50 millions d’habitants
en 2050. Cette perspective met la région devant un nombre
impressionnant de défis qui ne le sont pas moins, d’ordre économiques et
sociaux en tout premier lieu, afin de satisfaire les aspirations et
besoins des futures générations en santé, éducation, formation, dans des
contextes d’urbanisation croissante qui devront être maîtrisés de
manière optimale.
Les informations données par le
dernier rapport de la CNUCED sur les perspectives que cette croissance
démographique représente en matière d’arrivées sur le marché du travail
sont impressionnantes : « Au Niger, il y avait 224 000 nouveaux venus en 2005, chiffre qui devrait être multiplié par cinq (1,4 million) en 2050. » (158). Outre
le fait que le Niger n’aura évidemment jamais, en tout cas pas à cette
échéance, un tissu industriel ou économique comparable à celui de la
France qui peine à insérer moitié moins de jeunes chaque année, le défi
qu’il doit relever s’inscrit dans un contexte où les handicaps initiaux
sont élevés et sont autant de contraintes sur les performances qu’il
peut réaliser. Il en est à ce titre du Niger comme des autres pays
sahéliens.
Ainsi en est-il de l’agriculture.
Dépendante des conditions climatiques qui s’aggravent, compte tenu de
l’impact du changement climatique sur les écosystèmes, sa productivité
augmente certes, mais insuffisamment pour faire face à l’augmentation
des populations. Ainsi en est-il également des performances des systèmes
de santé, en déclin, comme le sont de leur côté les systèmes éducatifs.
Dans ces conditions, aggravés par un contexte d’insécurité régionale
croissante, dans lequel les États ne sont pas capacité à l’heure
actuelle d’assumer leurs fonctions sur l’ensemble de leur territoire, on
peine à imaginer que le futur de la région sahélienne ne soit pas
périlleux, tant il paraît porteur de risques sociaux et partant
politiques, nationaux comme régionaux : instabilité, pressions
migratoires, etc.
Zones de pression sur les terres et les eaux (159)
Si les enjeux sont particulièrement
forts dans la zone sahélienne, d’autres pays d’Afrique francophone se
trouvent dans des configurations qui, pour être peut-être moins aiguës,
n’en sont pas moins relativement comparables. Ainsi, les indices de
fécondité moyenne sont-ils également très élevés en RDC ou en Afrique de
l’ouest. Si la population du Niger ou du Tchad double tous les 20 ans,
il n’en faut que 25 au Cameroun pour faire de même, et tous les pays
dont les taux de fécondité oscillent dans les mêmes ordres de grandeur
sont dans la même situation.
En conséquence, ces divers éléments
incitent à conclure que les défis sont d’une ampleur exceptionnelle pour
que les pays africains, et spécialement ceux d’Afrique francophone,
tirent réellement le profit que la croissance de leur démographie
pourrait leur apporter.
Parmi les principaux aspects à prendre
en compte pour des prochaines décennies, la question de la démographie
africaine est par conséquent cardinale. Elle conditionne directement le
développement des pays concernés par des taux de fécondité élevés,
au-delà celui de régions entières, et partant, leur stabilité.
Comme Jean-Pierre Guengant le rappelait en conclusion de son analyse du cas tchadien, « historiquement
parlant, il n’y a pas d’exemples de pays qui se soient développés avec 6
à 7 enfants par femme en moyenne sur longue période. Ainsi, parmi les
10 pays ” en développement ” du G20, tous sauf un avaient au début des
années 1960 entre 6 et 7 enfants par femme. En 2005-2010 ces pays
avaient entre 1,3 et 3 enfants par femme (pour respectivement la Corée
du Sud et l’Arabie Saoudite). Pour cela, ces pays, à quelques rares
exceptions près, ont développé l’information sur la planification
familiale et l’accès aux services correspondants. Et la maîtrise de la
fécondité dans ces pays a été un levier favorisant leur développement,
développement qui a leur a permis parallèlement d’accélérer
l’utilisation de la contraception, de promouvoir l’émancipation des
femmes, et d’améliorer la qualité de leur capital humain. La
non-maîtrise de la fécondité au Tchad, conduit (…) au maintien d’une
croissance démographique de 3,5 % par an pendant plusieurs décennies.
Une telle croissance démographique n’est pas soutenable. Elle compromet
les chances du Tchad de réduire significativement la pauvreté et de
diversifier son économie afin d’arriver à un développement durable. Dans
ce cas en effet, les sommes nécessaires pour simplement faire face à
l’augmentation continue du nombre des accouchements, des effectifs
d’enfants à vacciner et à scolariser, seraient supérieures à la
croissance économique du pays et aux recettes de l’État, ce qui
priverait celui-ci de toute marge de manœuvre pour intervenir dans
d’autres secteurs (agriculture, infrastructures, etc..). On serait alors
dans un scénario du type ” les lions pris au piège ” avec une économie
peu productive, dont la croissance dépendrait essentiellement de
l’exportation de matières premières, et une pauvreté toujours
importante ». (160)
De son côté, lors d’un débat récent (161), Jean-Marc Pradelle,
alors directeur de l’agence de l’AFD du Tchad, rappelait que dans un
contexte de croissance démographique de 3,5 % l’an, il faudrait
quasiment un demi-siècle, 46 ans exactement, avec une croissance
économique annuelle de 5 %, pour doubler le niveau de vie par habitant
du Tchad, indépendamment du fait qu’une population de 50 millions
d’habitants en 2050 serait très lourde de conséquences pour les familles
comme pour l’État en termes d’éducation et de santé. Pour mémoire, il
s’agit d’un pays dans lequel, selon les derniers Indices de développement humain du
PNUD, le RNB moyen par habitant était de 1622$ en 2013, et où 47 % de
la population vivent sous le seuil de pauvreté, soit avec moins de 1,25$
par jour… Les problématiques sont comparables dans les pays voisins :
le Mali a réussi à multiplier son PIB par 4,4 entre la fin des années
1960 et 2010, mais ne l’a augmenté que de 65 % par habitant. Dans
l’hypothèse d’une croissance démographique de 3 % l’an et avec une
croissance économique de 5 %, il faudrait plus de 35 ans pour doubler le
PIB par tête.
On touche ici directement du doigt le
fait que la théorie de la convergence entre riches et pauvres n’est
désormais plus une réalité, sauf à la mesurer en siècles, ainsi qu’un article de The Economist le soulignait récemment (162), qui indiquait que dans les circonstances actuelles, il faudra plus de trois cents ans pour que les pays émergents, compte non tenu de la Chine, rejoignent les niveaux de revenu des pays développés. On
n’ose imaginer la durée nécessaire aux pays en développement, a
fortiori aux PMA dont fait partie le Tchad, pour réussir cette
performance… Ainsi que le fait remarquer Sylvie Brunel, « il
est prématuré de parler de rattrapage. L’exemple du Rwanda illustre à
merveille la force et les limites du redressement africain : certes le
taux de croissance économique de ce pays est supérieur à 8 % par an et
son PIB par habitant a été multiplié par trois depuis le génocide de
1994, mais en 2014, il ne dépasse toujours pas 700 dollars. » (163)
Tout cela met en évidence qu’une telle
croissance démographique annihile les bénéfices de la croissance
économique, quand bien même celle-ci paraît remarquable, comme les
afro-optimistes se plaisent à le souligner depuis quelques années. À ce
propos, Henri-Bernard Solignac-Lecomte, chef de l’unité Afrique, Europe, Moyen-Orient de l’OCDE (164),
faisait remarquer que même si cette croissance économique de plus de
5 % l’an sur plus d’une décennie est nettement supérieure à ce que
l’Afrique connaissait auparavant, elle est à comparer avec celle de la
Chine, qui a maintenu 10 % de croissance sur trente ans, avec une
politique d’enfant unique par famille.
L’Afrique est donc encore très loin des conditions qui ont permis le décollage industriel de la Chine.
L’urbanisation augmente en Afrique et
la croissance des villes s’y fait bien plus vite que ce que l’on a pu
connaître en Europe au moment de l’exode rural, puisque, depuis les
années 1960, en moyenne, la population des villes a été multipliée par
dix. Cela étant, il y aussi de plus en plus de ruraux. Au Bénin, par
exemple, comme Lionel Zinsou le soulignait (165),
les ruraux sont aujourd’hui cinq millions, soit deux fois la population
totale du pays à l’indépendance. Les deux phénomènes sont concomitants
et les villes en Afrique ne vident pas les campagnes. Cela n’est
pas sans incidences concrètes, d’ores et déjà visibles, comme la crise
de 2008 l’a mis en lumière : il y a eu tout d’abord les émeutes urbaines
de la faim au premier semestre, dues à l’augmentation historique du
prix des denrées alimentaires qui a frappé de plein fouet des
populations consacrant parfois la moitié de leurs revenus à
l’alimentation. En milieu d’année, une cassure s’est produite, qui a vu
la chute brutale des prix du pétrole, ainsi que de ceux des matières
premières, qui a entraîné la ruine des campagnes à leur tour, et suscité
d’autres troubles. Les intérêts des villes et des campagnes sont donc
très différents et leurs populations respectives sont en opposition.
Cela est évidemment porteur de tensions sociales, de tensions sur les
écosystèmes et consécutivement, facteur d’instabilité.
Cela étant, même si l’on est parti
d’un niveau très bas, l’urbanisation de l’Afrique est un phénomène
historique unique car il ne s’est pas accompagné d’industrialisation.
Comme le fait remarquer Bruno Losch (166),
économiste au CIRAD, la structure économique de l’Afrique
subsaharienne, basée sur l’extraction des ressources naturelles, du
sous-sol ou de l’agriculture, est toujours peu diversifiée. Cela a des
conséquences sur la structure de la population active dont plus de 60 %,
en moyenne, sont dans le secteur primaire et l’agriculture. S’est
surtout développé un tissu économique informel urbain et les économies
restent encore aujourd’hui elles-mêmes pour l’essentiel informelles,
tant dans le rural que dans l’urbain : l’informel représente 80 % de la
valeur ajoutée du Niger et occupe neuf actifs sur dix. Les changements
structurels qui se sont faits sur une période de deux siècles dans les
autres régions du monde, à partir de la révolution industrielle,
l’Afrique doit les faire à marche forcée, dans un contexte mondial
différent, en réussissant simultanément le défi inégalé de la transition
démographique. Un pays comme le Niger est encore très largement rural,
avec le cinquième seulement de sa population vivant en milieu urbain, et
il en sera de même sur les vingt ans à venir, même si d’ores et déjà
Niamey regroupe plus de 40 % de la population urbaine et que 85 % de la
population totale sont concentrés sur le cinquième du territoire, à
savoir le sud du pays. Toutes choses égales par ailleurs, la situation
est comparable au Mali, aux deux-tiers rural, même si Bamako regroupe à
lui seul le tiers de l’habitat urbain, et devrait compter entre 9 et 13
millions d’habitants en 2050.
Or, et il s’agit là de la seconde
exception mondiale, la population rurale africaine, toujours majoritaire
jusqu’en 2030-2040, va continuer de croître après 2050. Les campagnes
africaines vont continuer à se peupler, qui se traduira par une
densification de l’ensemble des territoires, ruraux et urbains, unique
par son ampleur, laquelle doit être mise en perspective avec la
structure des économies africaines.
L’enjeu réside donc dans les capacités d’absorption de cette population :
les jeunes actifs en âge de travailler, qui représentent aujourd’hui
quelque 17 à 18 millions d’entrants sur le marché du travail chaque
année sur l’ensemble du continent, seront 25 millions en 2025, et 30
millions en 2030. Sur la période 2010-2025, le cumul représente 330 millions de nouveaux jeunes actifs à
insérer – l’équivalent de la population des États-Unis d’Amérique –
dont les deux-tiers sont des ruraux. La mesure est donnée de l’enjeu
majeur sur l’espace rural africain pour les prochaines décennies. Selon
le rapport précité de la CNUCED sur les PMA (167), « l’enjeu
fondamental en matière d’emploi dans les PMA est de créer des emplois
productifs et d’assurer des moyens de subsistance pour les millions
d’individus qui arrivent chaque année sur le marché du travail.
L’ampleur de ce défi ne fera que croître dans les années à venir. Il est
utile d’illustrer ce que cela signifie réellement pour différents PMA.
Dans 45 des 48 PMA pour lesquels des données sont disponibles, on
observe un accroissement du nombre de nouveaux venus sur le marché du
travail, et en 2050 cette population continuera d’augmenter. ». Or, à
l’heure actuelle, le taux d’activité de la jeunesse dans un pays comme
le Niger est globalement faible, marquée par un fort sous-emploi,
notamment en zone rurale, un taux d’activité féminin bas, et une forte
prégnance du secteur informel. Cela se traduit par un taux de dépendance
fort, puisque l’on compte environ trois dépendants par actif.
Pour être tout à fait concret, il
importe de souligner précisément ce que signifie pour les pays concernés
une telle croissance démographique en termes d’impacts sur leur
développement, eu égard aux besoins sociaux à satisfaire, tout en
gardant présent le fait qu’à l’heure actuelle, ils n’ont pas été en
mesure de répondre à ceux auxquels ils sont confrontés.
Dans un contexte de doublement des
populations tous les vingt ans, améliorer la couverture des besoins
pour, en outre, atteindre des niveaux leur permettant de combler leurs
retards, suppose des efforts qu’on peine à voir à la portée des pays
sahéliens, ne serait-ce qu’en matière de santé que d’éducation.
Ainsi, au Niger, cela devrait se
traduire par une multiplication par 4 ou 5 du ratio de personnels
médicaux et de lits d’hôpital par habitant avant 2030 ; cela signifie
multiplier les moyens actuels humains et financiers que le pays consacre
au secteur par 8 ou 10, soit une croissance des moyens de 9 à 12 % par
an pendant vingt ans. S’agissant de l’éducation, d’ici quinze ans, la
population scolarisable du secteur primaire aura augmenté de 70 à 100 %,
selon les hypothèses démographiques retenues, et sera multipliée par
deux pour le secondaire et le supérieur. Si le Niger, qui consacre
actuellement entre 13 et 18 % de son budget à l’éducation, entend former
sa jeunesse et atteindre des niveaux de scolarisation comparables à
ceux constatés dans les pays émergents, il devra très fortement
augmenter les moyens humains et financiers qu’il y consacre, faute de
quoi les résultats atteints jusqu’à aujourd’hui, pour faibles qu’ils
soient – taux de scolarisation de 54 % dans le primaire et de 11 % dans
le secondaire en 2008 – ne pourront que régresser. Plus précisément :
ils ne pourront que continuer à régresser. Or, comme Joseph Brunet-Jailly le relevait (168),
sans même que l’on parle de formation supérieure, c’est l’éducation de
base qui est un préalable au développement, afin que secteur participe à
la croissance et à l’augmentation de la productivité.
En effet, la question de l’éducation
est d’ores et déjà, et depuis plusieurs années, sinon plusieurs
décennies, un sujet particulièrement problématique au Niger : comme le
souligne une récente étude réalisée sous l’égide de l’Institut
Français de recherches en Afrique,
l’IFRA d’Ibadan, et du Laboratoire d’études et de recherches sur les
dynamiques sociales et le développement local, Lasdel, de Niamey (169),
l’école publique n’arrive plus à assurer la formation d’une élite et à
l’insérer dans la société moderne. Apparaissent d’ores et déjà de vives
critiques formulées par une jeunesse qui craint pour son avenir contre
l’incohérence des politiques qui sont conduites et l’incompétence des
dirigeants, contre les politiques d’emploi et l’organisation du marché
de l’emploi. Des « incertitudes explosives » commencent en
conséquence à poindre compte tenu de la facilité avec laquelle une
jeunesse désœuvrée, déscolarisée, non formée, chômeuse, population
durablement précarisée par excellence, peut basculer dans des pratiques
délinquantes, extrémistes, la manipulation politique.
Ainsi en est-il aussi de la question
de la sécurité alimentaire. Le Niger est également un pays de la bande
sahélienne confronté de manière récurrente à une insécurité alimentaire
grave, dont témoignent, entre autres, les taux de malnutrition très
élevés, qui impactent notamment sur les taux de mortalité infantile :
60 % des 175 000 décès annuels que connaît le Niger touchent des enfants
de moins de cinq ans. Cette insécurité alimentaire résulte évidemment
de conditions agro-climatiques particulièrement sévères, marquées par
une faible pluviosité, des ressources naturelles dégradées, lesquelles
ont pour effets des niveaux de productivité pastorales et agricoles
insuffisants. S’y sont ajoutées des conditions d’ordre social, politique
et économique, qui ont chacune contribué à l’enracinement de cette
instabilité alimentaire : pauvreté, notamment en milieu rural ;
déséquilibre territorial ; politiques agricoles privilégiant les
cultures d’exportation au détriment des cultures vivrières. Le Plan de
Développement économique et social, PDES, actuel, entend corriger le tir
en matière de sécurité alimentaire, nutritionnelle et de développement
agricole via l’« Initiative 3N » – Les Nigériens Nourrissent les Nigériens – et une loi de programmation triennale vise à « renforcer
les capacités nationales de production alimentaire, d’approvisionnement
et de résilience face aux crises et aux catastrophes » et couvrir
les besoins de 19 millions d’habitants. Les objectifs sont ambitieux qui
visent à porter la superficie des terres irriguées à 125 000 hectares
en 2015, à augmenter de 10 % la contribution des cultures irriguées à la
production alimentaire, à produire quelque 5 millions de tonnes en
2015, contre 3,5 millions en 2011, à accroître de 40 % la production de
viande, de 45 % celle de lait. Pour autant, il apparaît qu’un certain
nombre de risques existent qui peuvent avoir des impacts sérieux
fragilisant les résultats recherchés, au point que le plan pourrait même
s’avérer inefficace en cas de crise alimentaire grave (170) .
La croissance démographique pose donc
de redoutables défis, dont celui de l’insertion économique de la
jeunesse n’est pas le moindre. Dans les circonstances présentes, la
démographie ne peut que peser de manière très négative, si l’on la met
en balance avec le taux de croissance économique et les indicateurs
sociaux actuels, avec l’urbanisation rapide, si ce n’est exponentielle,
et l’exode rural. Or, selon l’étude précitée sur le Niger (171),
il apparaît que les autorités politiques tendent à fortement
sous-estimer aujourd’hui le risque que représenterait une jeunesse qui
resterait durablement désœuvrée. Des recrutements ont été récemment
faits dans la fonction publique, qui concernent la jeunesse éduquée,
mais la situation des jeunes défavorisés, déscolarisés, voire même
n’ayant jamais été scolarisés, est critique, d’autant plus que le marché
de l’emploi ne les prend pas en compte. D’ores et déjà, monte une
petite délinquance parmi cette jeunesse précarisée et sans avenir ; leur
dénuement, entretenu par l’inactivité et la pauvreté, les fait aisément
basculer dans la consommation de drogues, colles et autres médicaments
frelatés de contrebande, et consécutivement, dans les pratiques
antisociales qui accompagnent habituellement de telles addictions :
incivilité, violence sociale, criminalité, prostitution, manipulations
diverses, cf. les émeutes de janvier dernier à Niamey qui ont visé en
quelques heures une soixantaine de lieux de cultes chrétiens disséminés
dans toute la ville, et ont été essentiellement le fait de jeunes,
équipés et préparés.
À plus ou moins long terme, peut-on
exclure des risques de déstabilisation politique ou sociale, dans un
contexte d’urbanisation croissante, propice à l’émergence de violences
de quartiers, de phénomènes de bandes criminelles ? Peut-on exclure
aussi le recrutement de jeunes sans avenir par des mouvements armés
djihadistes, d’autant plus que l’on sait que ceux-ci fournissent
revenus, logistiques, armes, voire même épouses et statut social ?
Ainsi, le report sine die de l’ouverture du site d’Imouraren, qui
tient autant à l’état du marché de l’uranium aujourd’hui, qui rend son
exploitation non rentable, qu’aux conditions de sécurité qui prévalent
sur la zone nord du pays : Areva, qui s’était engagée à investir sur le
site plus d’un milliard d’euros et à en extraire 5 000 tonnes d’uranium
par an, a procédé fin janvier au licenciement économique de la
quasi-totalité des quelque 1 200 employés qui laisse présager que le
site ne sera jamais mis en exploitation (172). En outre, ces employés auraient dû être rejoints par plus de 5 000 autres une fois la mine en exploitation (173).
Il s’agit donc en premier lieu d’une véritable catastrophe économique
et sociale pour une région sinistrée, mais on peut aussi craindre
qu’elle soit porteuse de conséquences graves et durables, et se traduise
par un inévitable appel d’air pour une main d’œuvre essentiellement
touareg, jeune et disponible, qui était en attente de revenus promis et
dont on ne voit pas désormais quelles autres perspectives que celles de
recrutements par les bandes armées, les trafics mafieux voire autres
groupes djihadistes, peuvent s’offrir à elle. Jeune Afrique économie rapportait récemment la réaction des salariés du site en ces termes : « Les
syndicalistes sont en colère. Non pas en raison de la fermeture du site
– ” on a compris que le contexte est difficile et que l’entreprise va
mal “, admet l’un d’eux -, mais parce qu’ils ont l’impression d’être
considérés comme de simples objets. Omar Djidji tient à rappeler le
contexte dans lequel lui et ses collègues ont été recrutés il y a six
ans : ” Areva a sillonné tout le pays, le nord notamment. Ils sont venus
nous chercher dans nos villages. Ils ont pris des jeunes de 18-20 ans, à
qui ils ont promis un emploi pour 30, 40 ans. À l’époque, c’étaient des
célibataires. Aujourd’hui, ils ont une famille. La plupart ont
contracté des crédits à la banque pour se construire une maison près de
la mine. Comment vont-ils rembourser ? L’entreprise a une responsabilité
sociale “. Le syndicaliste n’hésite pas à parler de ” désastre
social ” ». (174)
Comme le faisait remarquer Alexandre Marc (175),
expert principal de la Banque mondiale sur les pays fragiles, la
question cruciale porte sur la capacité de l’économie, y compris
informelle, à absorber la population croissante des jeunes, à leur
donner des moyens de subsistance et plus de considération sociale et
politique. De la réponse donnée à ces aspects dépendra l’évolution de la
menace qu’ils peuvent représenter pour la sécurité et la stabilité.
Leurs difficultés sont liées à l’insuffisance des systèmes sociaux
actuels, notamment éducatifs, au manque de débouchés que la croissance
procure, faute de créations d’emplois suffisantes.
La situation d’instabilité dans
laquelle se débattent depuis longtemps un trop grand nombre de pays
d’Afrique francophone ne semble malheureusement pas destinée à
s’apaiser. Aux indices de fragilités présents, d’autres phénomènes
s’ajoutent qui pourraient être redoutables pour le moyen et long termes.
Votre Mission a déjà longuement évoqué
le Niger à plusieurs reprises au cours de ce rapport, tant il lui
semble que ce pays cristallise l’ensemble des défis qui assaillent la
région sahélienne et, plus largement, les pays d’Afrique francophone.
Les dérives djihadistes de la radicalisation islamiste sont au cœur de
nos préoccupations depuis quelques années. On en a récemment vu les
effets au Mali, on voit désormais ce qui pourrait se passer avec la
dissémination de Boko Haram depuis l’extrême nord-est nigérian.
La génération spontanée n’existe pas
plus en cette matière qu’en toute autre, et ces mouvements viennent de
loin ; ils nous prennent néanmoins de court et nous obligent à
intervenir en urgence, cf. l’opération Serval au Mali, ou l’opération
Sangaris en République centrafricaine. Sans doute est-il temps de
réviser nos politiques et nos instruments pour être à même de mieux
anticiper. À cet égard, le Niger fait partie des pays confrontés à des
évolutions profondes qui pourraient être préoccupantes pour le futur
proche, si l’on en croit les indices d’ores et déjà visibles. Il
convient d’y être attentif.
Retraçant l’historique de la « déferlante religieuse sur fond de marasmes sociaux et de contestations politiques » (176) qui a touché les pays africains à partir de la fin des années 1970, Jean-Pierre Dozon distingue le mouvement fondamentaliste izala. Inspiré
de la théologie wahhabite saoudienne et des principes salafistes,
l’izala apparut en 1978 dans les États du nord Nigeria et annonça tout
d’abord vouloir s’en prendre aux traditions confrériques, imposer la
charia dans l’ensemble du pays, ce, avant que le mouvement millénariste Maiatsine ne
surgisse à son tour et commence à massacrer musulmans comme chrétiens.
L’izala bascula elle aussi rapidement dans la violence, les heurts avec
les populations chrétiennes sous influence croissante des églises
évangélistes et pentecôtistes augmentèrent, « ce qui fit de très
nombreuses victimes et produisit de nombreuses destructions de mosquées
et d’églises dans plusieurs grandes villes de la Fédération. »
D’abord clandestin au Niger, le
mouvement prit peu à peu de l’ampleur dans les années 1990, au point que
son expression contestataire initiale – articulée sur le rejet des
innovations, des coutumes soufies – s’est développée et à imprégné
l’ensemble de la sphère sociale dans les années 2000, à la mesure de
l’islamisation de la société nigérienne (177).
Aujourd’hui, son discours contestataire concerne également le domaine
politique dans la mesure où il appelle à un changement radical de la
Constitution, condamnée pour être laïque et mécréante, suscitant peu de
réactions, montrant ainsi « qu’une partie de la sphère musulmane se désolidarise totalement de l’État », ce qui peut être « un indicateur inquiétant des potentielles fractures à venir au sein de la société nigérienne. » (178)
Dans ce processus, qui a été favorisé
par la liberté d’expression et d’association en vigueur dans le pays, le
courant izala a été un acteur clef en faveur de la défense de
l’identité musulmane au sein d’un Niger laïc, défense qui a pris la
forme « d’un moralisme qu’il voudrait imposer à toutes les normes
sociales. Les oppositions à la laïcité qui se sont exprimées à travers
toutes les tentatives de réforme de la loi fondamentale et qui
continuent encore à s’exprimer contre des initiatives de ratification de
conventions internationales – jugées trop féministes et par conséquent
contraires à l’esprit et même au texte du Coran et des Hadiths –
insistent sur le fait qu’une morale laïque fait violence à l’identité
religieuse nigérienne. » (179). De fortes mobilisations se sont exprimées pour marquer l’opposition à des normes et pratiques sociales « considérées
comme non-islamiques ou anti-islamiques : les campagnes de promotion de
la planification familiale invitant à l’usage du préservatif dans le
cadre de l’espacement des naissances, les tentatives d’institution d’un
Code de la Famille, la ratification de conventions internationales
promouvant les droits des femmes, ont ainsi suscité la critique,
l’opposition et le rejet de cette société civile islamique qui prend de
plus en plus un rôle public. ». (180) Incidemment,
on peut estimer que dans un tel contexte, une politique de planning
familial et de contrôle des naissances a sans doute peu de chance de se
développer au Niger, alors même qu’elle semble pourtant indispensable
compte tenu des perspectives démographiques qu’on a présentées plus
haut. Ainsi, fin 2012, le projet de loi sur la protection de la jeune
fille scolarisée, qui visait à en interdire le mariage, sauf décision
judiciaire expresse préalable, a suscité une levée de boucliers des
associations islamistes et de femmes musulmanes, et a contraint le
gouvernement à céder (181).
L’une des manifestations les plus
visibles de cette islamisation de la société nigérienne porte sur
l’éducation, et illustre, s’il en était besoin, la problématique de la
faiblesse de l’État.
En réponse aux difficultés de l’État
nigérien à maintenir un système d’enseignement public de qualité faute
de moyens, notamment face à l’explosion démographique, se développe,
depuis déjà longtemps, une offre privée, « basée sur l’apprentissage des principes islamiques »,
officielle – medersas, écoles franco-arabes – ou informelle – écoles
coraniques. Cette offre répond à la déception des parents confrontés à
l’échec d’un modèle public paupérisé, qui a souffert d’une baisse
sensible de qualité. Or, comme le soulignent les chercheurs de
l’IFRA/Lasdel (182),
cette offre privée se diffuse d’autant plus facilement qu’elle
s’inscrit précisément dans ce contexte d’islamisation de la société, et
donc d’évolution de la demande éducative, et qu’elle a en outre
bénéficié des incitations des plans d’ajustement structurels imposés par
les institutions de Bretton Woods qui ont encouragé le développement
d’une offre éducative privée et le transfert vers le secteur privé et la
société civile d’une partie des prérogatives de l’État en matière de
politique éducative.
L’État nigérien tente de garder la
main sur les contenus pédagogiques, les medersas privées étant
officiellement sous contrôle public, mais son manque de moyens rend ses
outils de suivi et d’inspection illusoires (183).
On constate des pratiques de contournement de leurs obligations
officielles tant en matière de contenu que de forme de l’enseignement de
la part des associations religieuses, qui fonctionnent de manière
opaque.
L’État est donc confronté à
l’explosion d’une demande d’éducation à contenu religieux qui correspond
à une réalité sociale qu’il ne peut ignorer alors même qu’il n’est pas
en mesure de son côté de simplement faire respecter la législation
existante ni bien sûr conforter son propre modèle laïc en crise. Ainsi,
pour répondre aux objectifs d’augmentation du taux de scolarisation, un
système de recrutement d’enseignants a-t-il été mis en place qui
privilégie le nombre et le faible coût, au détriment de la qualité de la
formation. Ces « contractuels de l’enseignement » sont recrutés à
un très bas niveau, correspondant au BEPC, formés en quelques semaines à
peine, sans parfois posséder eux-mêmes les connaissances minimums
qu’ils sont censés ensuite dispenser à la centaine d’élèves dont ils
sont chargés. (184)
L’attractivité de l’enseignement
religieux privé est à la mesure du ressenti des parents vis-à-vis de cet
échec : promesse de progrès social, l’école publique restitue l’enfant,
qui en outre, a été absent des champs pendant sa scolarité, sans
métier, ni même savoir lire et écrire. Les auteurs de l’étude en
concluent : « Cette érosion de l’école publique laïque accompagne un
mouvement de désengagement de l’État qui souhaite se décharger d’un
secteur budgétivore, affecté par la corruption, la dégradation des
infrastructures et la forte croissance démographique. À court et moyen
termes, le caractère laïc de l’éducation publique au Niger et les
valeurs républicaines et démocratiques qui s’y rattachent, ne peuvent
qu’en souffrir. » (185)
La faiblesse de l’État pèse de manière
dramatique sur sa capacité à répondre aux besoins et attentes de la
population – d’autant plus que les financements privés, qu’ils soient
nationaux ou internationaux, ne manquent pas : mécènes, ONG ou
associations arabes – et alimente le cercle vicieux. On retrouve des
problématiques comparables sur d’autres terrains, dans d’autres pays
aussi, et Jean-Pierre Dozon fait justement remarquer que l’évangélisme
protestant et l’islam prospèrent sur le dos de pouvoirs d’État
déclinants pour s’approprier quantité de leurs fonctions dans les
domaines de l’éducation et de la santé et tendre à la gouvernance confessionnelle (186).
Elles traduisent à leur niveau la difficulté dans laquelle se débattent
aujourd’hui même les institutions étatiques pour répondre aux besoins
de la population, difficultés qui laissent mal augurer du futur, dans la
mesure où les conditions ne feront que s’aggraver avec la croissance
démographique. Gilles Holder, anthropologue à l’Institut des mondes africains de l’EHESS et à l’IRD, fait la même analyse concernant le Mali en estimant qu’à la faveur de la démocratisation, « en
accédant à l’espace public, les organisations musulmanes vont
bénéficier du retrait de l’État à la fois dans son contrôle politique du
religieux (effet de la démocratie) et sa capacité à mener des
politiques publiques dans les domaines de la santé, l’éducation et la
pauvreté, jugés trop coûteux (effet de la libéralisation). Ce délestage
programmé de l’action publique vers le secteur privé – ONGs de la
société civile inclues – va conduire la société malienne à sortir
progressivement du politique et cesser de considérer que l’État libéral
peut améliorer ses conditions de vie. Parallèlement, cette même société
malienne va adhérer de plus en plus aux discours et aux valeurs des
acteurs islamiques, lesquels ne se bornent plus à interpeler l’État,
mais s’engagent dans un repositionnement qui les font passer du débat
sociétal (les valeurs) au débat social (l’action). » (187)
S’agissant du Niger, cette réalité sociale et religieuse s’est d’autant plus rapidement imposée qu’elle a été portée par le très profond fossé générationnel entre
les élites dirigeantes et la jeunesse, pour laquelle, aujourd’hui, le
véritable Islam est épuré, salafiste, sans marabouts ni clergé, lequel
est perçu comme corrompu. Cela au point que « pour une grande partie
des jeunes Nigériens – y compris ceux qui ne se réclament pas du
mouvement izala – le wahhabisme est devenu la norme ; la référence à la
Sunna et aux Salafs a supplanté les pratiques antérieures, notamment
celles de la Tidjaniyya, considérées par cette génération de fidèles
comme hérétiques. » (188) Cette
perception de la jeunesse participe donc aussi d’une contestation des
autorités, des aînés, comme on l’a constaté ailleurs, et du refus de
suivre les modèles de la génération précédente, incarnée par les
parents, les leaders traditionnels, vus comme dans l’erreur quant à leur
pratique de l’islam. Peu à peu, de nouvelles pratiques se sont imposées
en matière de mariages, de baptêmes, des formes d’autocensures sont
apparues, dans les milieux artistiques et les média. Il y a par exemple
désormais des prêches systématiques à la télévision publique, une
industrie du prêche s’est organisée à la faveur des évolutions
technologiques, qui rencontre un grand écho (189).
Dans le même ordre d’idées, la vie étudiante à l’université, où les
mosquées se sont multipliées ces dix dernières années, tourne désormais
sur un axe religieux. Le courant izala, à la différence de Boko Haram,
ne s’inscrit pas contre l’État, ni contre la démocratie et respecte
l’État de droit ; il n’en reste pas moins qu’en quelque deux décennies
il a contribué à très profondément modeler la société dont la
religiosité est aujourd’hui exacerbée.
Fort heureusement, jusqu’à
aujourd’hui, le courant izala n’a pas eu au Niger la violence de la
branche nigériane originelle, même si, comme le rappelle l’ICG, « sa
volonté de purifier la pratique de l’islam et sa critique des confréries
soufies engendrent des tensions conduisant à l’incendie de mosquées ou à
des affrontements entre croyants. ». (190) Des
manifestations musclées et sporadiques se sont aussi produites contre
le festival de la mode de Niamey en 2000, l’élection de Miss Niger en
2005, ou encore des actes de vandalisme contre des bars ou des lieux de
prostitution de Niamey, (191) mais
dans l’ensemble, on considère que les tensions sont apaisées et que le
courant izala a clairement choisi une voie politique, et l’on peut même
dire qu’il s’est intégré dans le système, s’est institutionnalisé au
sein de l’État démocratique et laïc.
Pour autant, peut-être n’est-il pas
exagéré de faire quelques rapprochements ou parallèles, quand bien même à
ce jour rien de concret n’est venu vraiment les étayer. Mais peut-on
ignorer que Boko Haram est d’une certaine manière une forme de
dissidence de la branche nigériane de l’izala, résultant de l’expulsion
de son fondateur, Mohamed Yusuf, pour cause de divergence théorique,
notamment sur les questions d’éducation ? Comme le rappelle aussi l’ICG,
de nombreux Nigériens qui étaient fidèles du Maitatsine au
Nigeria, ont fui la violente répression du mouvement par l’armée
nigériane dans les années 1980 pour revenir au Niger jusqu’aux régions
de Maradi et Zinder, où le mouvement izala recrutera ensuite de nombreux
adeptes. Malgré l’action des services de sécurité nigériens, on ne doit
pas s’étonner que « la région est du Niger est loin d’être
imperméable aux idées véhiculées par Boko Haram. En effet, dès 2007, un
groupe à l’idéologie similaire s’est formé à Diffa et a tenté de
s’imposer, notamment au sein de la mosquée centrale de la ville. La
virulence des prêches, dénoncée par des membres des mouvements
confrériques, a amené les autorités à interdire l’accès de cette mosquée
aux membres du groupe, qui se sont alors retirés dans des villages
voisins. Parallèlement à ce phénomène de reproduction dogmatique, il
semble que des militants de Boko Haram aient trouvé refuge au Niger,
notamment après les actions de répression menées par l’armée nigériane,
et composeraient par conséquent des ” cellules dormantes ” du mouvement
sur le territoire du Niger. Ceci est d’autant plus vraisemblable qu’il
existe des liens socio-économiques anciens et très étroits entre la
région de Maiduguri et la région de Diffa, de nombreuses familles étant
implantées de part et d’autre de la frontière. Le sud-est du Niger,
éloigné de la capitale, échappe déjà dans une certaine mesure au
contrôle de l’État (par exemple, la monnaie nigériane y est plus
couramment utilisée que le franc CFA) et pourrait donc constituer un
nouvel espace de recrutement et/ou de repli pour des mouvements comme
Boko Haram, tout particulièrement si la répression au Nigeria continue à
faire de nombreuses victimes parmi les populations civiles. » (192)
Ce qui s’est passé dans les villes de
Diffa et de Bosso au début du mois de février 2015 met naturellement en
évidence ce que cette étude annonçait il y a deux ans, notamment
l’activation des cellules dormantes, concomitante des attaques lancées
par Boko Haram contre le Cameroun, le Tchad et le Niger. Est-il
illégitime d’avoir des inquiétudes sur ce qui peut ressembler aux
prémices d’une tentative de déstabilisation qui annoncerait une « boko-haramisation » du
sud-est nigérien ? À cela s’ajoute le fait qu’une certaine opposition
au pouvoir nigérien n’hésite pas à prendre tout prétexte pour enflammer
la société et à jouer la carte de l’affrontement religieux, cf. les
manifestations violentes qu’ont connues Niamey et d’autres grandes
villes en janvier 2015.
Ces différents éléments s’inscrivent
dans un contexte régional plus général. Quand bien même l’État nigérien
assure un meilleur contrôle de son territoire immense – près de
1,3 million de km2 – que certains de ses voisins, son
environnement immédiat le met d’autant plus à la merci de l’importation
de troubles multiples que la topographie contribue à l’implantation
aisée de mouvements armés. L’histoire récente depuis le début des années
2000 a montré comment des mouvements comme AQMI ont pu mener des
opérations contre les intérêts nationaux ou occidentaux. Les incidents
armés ne se comptent plus, les enlèvements ont été jusqu’à frapper la
capitale même, ainsi que les attaques contre des sites industriels, ceux
d’Areva en premier lieu, enlèvements d’employés en 2010 ou attaque d’un
commando suicide en mai 2013 contre le site d’Arlit.
S’y ajoutent quelques faiblesses internes. On a ainsi pu relever des « dysfonctionnements et des déséquilibres préoccupants » (193) au
sein des forces de sécurité nigériennes, que ce soit en termes
logistiques ou en matière d’encadrement. Dans un contexte régional où le
Niger doit faire face sur l’ensemble de ses marches, sans exception, à
diverses menaces, cela ne peut manquer de retenir l’attention. En outre,
le pouvoir civil doit évidemment compter avec les forces armées qui
n’ont cessé de jouer alternativement un rôle d’arbitre ou de
perturbateur depuis au moins le milieu des années 1970, et rien n’exclut
qu’elles ne décident d’intervenir à nouveau en cas de crise, interne ou
extérieure. À l’heure actuelle, la faible qualité du dialogue politique
entre la majorité et son opposition, les tensions qui se renforcent, ne
permettent pas de qualifier de très saine la situation interne au plan
institutionnel. Par ailleurs, si la question touareg peut apparaître
mieux traitée qu’elle a pu l’être au Mali voisin, cf. par exemple la
nomination d’un premier ministre touareg,Rafini Brigi, elle n’en
est pas moins toujours sujet à des tensions qui pourraient resurgir, les
racines du malaise étant encore importantes, dont les fondements sont
aussi générationnels et religieux.
Quoi qu’il en soit, ces divers
éléments ne sont pas de nature à permettre de prévoir un avenir
particulièrement serein au Niger dont la stabilité et le développement
dépendront inévitablement de sa capacité à surmonter des défis qui
seraient difficiles à traiter pour quelque pays que ce soit. Le fait
qu’ils menacent le plus pauvre d’entre eux tend à déséquilibrer la
balance et à rompre l’équilibre des chances.
Niger : Fragilités internes et menaces régionales (194)
La situation du Cameroun ne manque pas
de préoccuper les observateurs au point que votre Mission a jugé utile
d’y consacrer un certain nombre d’auditions et de faire un déplacement
sur place.
Quels que soient les pronostics que
l’on déduira de ce qui suit, le diagnostic est clair : le
sous-développement est la principale fragilité de ce pays et c’est cela
qu’il convient de comprendre en tout premier lieu.
Certes, la situation politique est un
aspect du problème à moyen terme, notamment lorsque le président Biya
atteindra le terme de son mandat.
Le Cameroun n’a connu que deux
présidents depuis son indépendance, Ahmadou Ahidjo et Paul Biya.
Aujourd’hui, se pose la question de la succession de celui-ci, âgé de 82
ans et Président depuis novembre 1982, soit plus de 32 ans, après avoir
été Premier ministre pendant les 7 ans et demi précédents.
Les vingt-deux ans de la présidence
Ahidjo ont été caractérisés par l’installation d’un système centralisé
et policier de plus en plus clientéliste, dans lequel la cooptation des
élites, la corruption et la répression ont été les trois piliers
essentiels, dans un contexte économique favorisé par les revenus de la
production pétrolière. (195)
Les trois décennies de présidence Biya
ont été de leur côté marquées par une crispation entre le nord et le
sud, coïncidant avec une très difficile démocratisation.
Le régime fait face à des explosions
régulières mais tient, malgré tout, et se reproduit. Le pouvoir exécutif
lui-même, articulé autour du Président de la république et de
l’administration publique attire beaucoup de compétences, de jeunes
diplômés. Le pouvoir camerounais se maintient aussi grâce au parti
présidentiel : le RDPC, hégémonique, dispose de 148 députés sur 180 et
de 82 sénateurs sur 100, dont trente nommés par le Président de la
République, qui peut ainsi renforcer le poids du parti au sein du
parlement (196).
Le parti contrôle 305 communes sur 360, la haute fonction publique, la
totalité des nominations, ce qui lui permet de s’assurer de la loyauté
des fonctionnaires et des élites. En outre, le régime a toujours
maintenu un fort appareil de renseignements, de forces spéciales,
notamment la Garde présidentielle.
Cela étant, cet apparent monolithisme
est traversé de fragilités profondes et de tensions internes fortes qui
pourraient d’autant mieux trouver à s’exacerber que les structures
susceptibles de canaliser la contestation sont quasiment absentes. Les
formations d’opposition sont des micro-partis, incapables de rivaliser
avec le RDPC, seule force structurée. Les quelques partis qui ont eu une
importance dans le passé, l’UPC en premier lieu, n’ont pas su
s’adapter, sont restés sur des schémas anciens et ne représentent plus
de forces d’opposition, dont des leaders nouveaux auraient repris le
flambeau. On ne voit pas quelle force politique pourrait aujourd’hui
faire descendre les gens dans la rue. De leur côté, les églises et
organisations de la société civile restent sur des positions très
prudentes.
Les éléments de fragilité du Cameroun
sont tels que l’on doit se poser la question des scénarios possibles en
cas de crise de succession, si Paul Biya ne se représentait pas en 2018,
à 85 ans. Un coup de force militaire paraît improbable, mais les
Nordistes souhaiteront sans doute revenir au pouvoir après une longue
marginalisation. On peut à juste titre s’inquiéter d’un scénario
comparable à celui que la Côte d’Ivoire a connu, à savoir une
détérioration plus ou moins rapide à la faveur d’une lutte de
succession, dans le cadre d’un pays très centralisé.
La situation sécuritaire dans
l’extrême nord du pays est une autre fragilité. Comme beaucoup
d’interlocuteurs rencontrés sur place le soulignent, nombreux sont ceux
qui estiment que les forces armées sont assez mal outillées et peu
entraînées, à la différence de celles du Tchad auxquelles il a été fait
appel en janvier dernier, pour lutter contre Boko Haram. Ce sont surtout
les forces spéciales qui initialement étaient en première position et
elles sont aujourd’hui renforcées par des troupes régulières : 4 000
militaires supplémentaires ont ainsi été mobilisés, mais les moyens
restent considérés comme insuffisants et cela prendra du temps de
reconstruire une armée efficace qui n’a aujourd’hui que de faibles
capacités. En outre, si le conflit devait durer, la réactivation des
clivages qui existent au nord entre chrétiens et musulmans, où une bonne
partie des élites sont musulmanes, ne serait pas à exclure.
Votre rapporteur voudrait insister sur
l’analyse des racines de cette crise dans le nord qui remontent à
plusieurs décennies. Fort de quelque quarante ans de terrain dans le
nord Cameroun, Christian Seignobos (197),
directeur de recherche émérite à l’IRD, a fort bien détaillé la lente
dérive de la région vers l’insécurité dans laquelle elle a aujourd’hui
basculé, pour des raisons conjuguées de non développement et
d’islamisation rampante. N’étaient les vols traditionnels de bétail,
l’insécurité était inexistante dans les années 1970. Les conflits s’y
réglaient traditionnellement. Le phénomène ancestral des coupeurs de
route (198) est
réapparu à la fin des années 1980, réintroduisant une insécurité qui
n’a cessé de se radicaliser, prospérant sur les zones transfrontalières
avec le Tchad et le Nigeria, au point que les années 1990 « apparaissent comme l’âge d’or des grandes embuscades sur les routes du Cameroun septentrional. ». (199)
Une alchimie explosive s’est
faite à cette époque de plusieurs rencontres et coïncidences. Celles de
soldats tchadiens désœuvrés avec les éleveurs Mbororo transhumants en
phase de sédentarisation, et de ce fait en situation de stress
démographique. En quelques années, la sédentarisation, ayant induit une
augmentation du nombre d’enfants par famille, a délité les mécanismes de
partage des troupeaux, provoqué une montée de la frustration des
cadets, en conséquence leur rancœur, leur révolte, et des affrontements
intergénérationnels. Celles de difficultés économiques, de conditions de
survie locales avec une« économie du crime » qui a pu d’autant
mieux prospérer qu’elle a su s’adapter et se moderniser. Les haches,
machettes et autres outils ont cédé la place aux kalachnikovs et aux
moyens d’actions plus modernes, telles les motos chinoises bon marché.
Les effets de cette dérive se font aujourd’hui sentir non seulement au
nord Cameroun mais aussi en République centrafricaine et au Nigeria :
ils font partie des éléments constitutifs du surgissement de la Seleka,
comme aussi, en grande partie, de Boko Haram dont l’enracinement
régional s’explique aussi par ces raisons.
« En définitive, l’embuscade sur les
routes du bassin tchadien en général et dans les zones frontalières en
particulier est un phénomène ancien. Elle tire ses sources dans la
précarité économique qui, au fil des ans, a érigé les déviances de
subsistance en modes parallèles d’accumulation. À la timidité de la
sanction sociale dans les villages se sont ajoutés d’autres vecteurs de
la violence, au nombre desquels figurent en bonne place la dissémination
des armes à feu, la colère des millions de sans-emploi et la
transmigration de milliers d’anciens combattants ou soldats des armées
régulières désœuvrés et disposés à tirer parti de leur expertise dans le
maniement des armes. Les modalités des échanges économiques qui
s’inscrivent dans la continuité du commerce caravanier précolonial,
alliées à l’efficacité tardive ou partielle des mesures de lutte mises
en place par les États, ont favorisé la perpétuation de l’agression à
main armée. Menée souvent avec un réel sens de la coordination, une
division du travail hiérarchisée, une tactique soucieuse de l’efficacité
et des modalités de retraite sécurisée après l’attaque, l’embuscade
organisée par des bandes imposantes s’apparente à une opération
militaire classique. » (Issa Saïbou, 2004)
|
Pour Christian Seignobos, Boko
Haram est en effet arrivé à point nommé pour se greffer tout d’abord sur
ce mouvement de coupeurs de routes, en apportant une parole religieuse
qui a pu se diffuser et gagner en popularité chez les Kanouri et dans
d’autres ethnies de la région. Mais en outre, le discours anticolonial,
le retour au XIXe siècle précolonial qu’il prône, voire même à
un passé antérieur, a coïncidé avec la radicalisation progressive de
l’islam dans la région, d’où la Tijaniyya a progressivement
disparu. Cette islamisation profonde date des années 1990 et n’a depuis
son apparition cessé de s’étendre très vite jusqu’à aujourd’hui. En ce
sens, Abubakar Shekau, leader de Boko Haram, et autres surfent sur la
vague d’un salafisme populaire venu de loin, depuis le début des années
1980, par exemple avec le mouvement izala qui a surtout essaimé
dans le sud du Niger, comme on l’a vu, et défend des pratiques de plus
en plus rigoristes que tout observateur a vu venir : construction de
mosquées, conversions de chrétiens, etc.
Les avis sont partagés quant à la nature religieuse ou non de la crise. Pour Christian Seignobos, s’il y a collusion entre Boko Haram (200) et
certains leaders politiques, s’il y a une dimension évidemment purement
criminelle dans ses activités, il ne faut pas se leurrer : ce mouvement
est avant tout de nature religieuse et son discours se diffuse d’autant
plus dans la société locale qu’il fait écho à des comportements sociaux
anciens, tel le refus de l’école, très ancien dans le nord du Cameroun.
La politique du président Ahidjo qui souhaitait le rééquilibrage entre
nord et sud et a fait venir pour cela des enseignants expatriés, a été
mal vécue tant par le sud, qui y a vu une manière de favoriser
exagérément le nord, que par le nord-même pour lequel l’école ne saurait
être gratuite : elle se mérite et se monnaie, cf. l’école coranique, et
le papier ne peut être que religieux. En d’autres termes, personne n’a
vu que la promotion de l’école gratuite risquait de se heurter à des
réalités qui rendrait son acceptation difficile. D’autres
interlocuteurs (201) analysent
également cette évolution dans des termes comparables, et confirment
que tout a commencé dans les années 1980, avec la transformation des
courants théologiques, la perte d’influence de la Tijaniyyaconcomitante de la montée du mouvement izala dans les années 1980, avant que la radicalisation n’intervienne dans les années 1990. La
greffe a d’autant mieux pris que l’on est dans une région de très
grandes inégalités sociales, où les écarts de richesse sont extrêmes et
fortement visibles. D’une certaine manière, se paient ainsi le déclassement des zones sahéliennes qui existe depuis toujours, et la marginalisation du nord qui n’a jamais cessé, même au temps du président Ahidjo.
Dans un récent entretien à Jeune Afrique, l’ancien ministre camerounais Marafa Amidou Yaya estimait que « ces
régions, comme celles qui jouxtent la frontière avec la Centrafrique,
ont été laissées à l’abandon ces trente dernières années. Aucun projet
économique d’envergure n’y a vu le jour. Il y a des différences, bien
sûr, et la situation n’est pas la même dans l’Adamaoua, qui est de plus
en plus reliée au reste du Cameroun, que dans le nord ou l’Extrême-nord.
Le nord est une région qui pourrait être très riche, mais l’État
n’exploite pas ce potentiel. L’Extrême-nord, enfin, est la région la
plus peuplée du pays, mais elle est complètement abandonnée à elle-même.
Elle subit les affres de la sécheresse, des inondations, de la famine,
des épidémies et d’un déficit de scolarisation… Pas étonnant que les
jeunes soient sensibles aux sirènes de Boko Haram. ». (202)
Ce ne sont pas seulement des représentants de l’opposition ou des observateurs qui formulent ce constat. Ainsi, l’archevêque de Douala, Mgr Samuel Kleda, originaire de l’extrême nord, confirmait les propos de l’ancien ministre Marafa dans des termes identiques (203) et les membres de l’Exécutif aussi. Ainsi, le vice-Premier ministre, Amadou Ali,
également originaire de l’extrême nord et en fonction depuis dix ans,
insistait sur le besoin de développement des régions septentrionales, en
défendant devant votre mission le plan d’urgence décidé par le
président Biya en mai 2014 pour un montant de 925 Mds de FCFA. S’il
n’avait pas de précision à apporter, ignorant où en était la mise
en œuvre, il balayait l’ensemble des secteurs à prioriser : éducation,
formation, agriculture, pêche, élevage, infrastructures et tourisme. (204) De même, le secrétaire général des services du Premier ministre, Louis-Paul Motaze (205), ou encore René Sadi, ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation (206),
pour lequel la réponse de long terme à Boko Haram, qui a su profiter de
la précarité, du manque de perspectives, du chômage, de la pauvreté,
est à chercher dans le développement de la région, étaient sur une
tonalité identique. Tout le monde convient sans difficulté qu’oubliée
jusqu’à aujourd’hui des schémas de développements nationaux, cette
région est devenue le terrain favorable à la diffusion en profondeur de
la secte. Cela s’est fait d’autant plus facilement qu’il s’agit
aussi d’une région habituée de tout temps à l’illégalité : il y a
toujours eu beaucoup de contrebande, de pétrole avec le Nigeria, de
coton, etc. Comme le faisait remarquer Marie-Emmanuelle Pommerolle (207),
aujourd’hui directrice de l’IFRA de Nairobi, appartenir à Boko Haram
n’a rien d’extraordinaire dans un tel contexte, même si la violence
extrême dérange aujourd’hui dès lors que les recrutements ne se font
plus seulement sur des bases volontaires, mais contraintes. Quoi qu’il
en soit, cette situation contribue aussi à entretenir le ressentiment
des populations contre un État qui n’a jamais été protecteur.
Dans ce contexte, la question de la
nationalité nigériane ou camerounaise des acteurs est un faux problème.
Comme on l’a souligné, les liens communautaires de chaque côté de la
frontière sont toujours très forts ; historiquement, il y a toujours eu
des transfuges, car ce sont les mêmes communautés musulmanes, Fuldé,
Haoussa, Kanouri et autres, qui vivent dans cette région. En outre, cet
extrême nord-est du Nigéria appartenait autrefois au Cameroun, le
« Cameroun britannique nord » n’ayant rejoint le Nigeria qu’en 1961, au
moment de la consultation organisée par les Nations Unies. En d’autres
termes, au nord, tout conflit ne peut être que transnational, toute
rébellion est par nature transnationale, et il ne peut y avoir de
tension forte au nord-est du Nigeria sans qu’il y en ait aussi dans
l’extrême nord du Cameroun. Tout cela explique qu’il y ait aujourd’hui
beaucoup de Camerounais au sein de Boko Haram : le n° 2 de la secte est
sans doute Camerounais, et il n’est pas exclu qu’Abubakar Shekau
lui-même soit d’origine camerounaise. Auparavant, Mohamed Marwa,
prêcheur radical qui fonda au Nigeria la secte millénariste Maitatsine,
était également camerounais.
En revanche, le vice-premier ministre du Cameroun, Amadou Ali (208),
originaire de l’extrême nord, voit plutôt dans ce qui se joue sur le
terrain la répétition de ce qui se produit ailleurs sur des schémas
identiques, à savoir notamment une évolution des affrontements traditionnels dus
à des rapports de forces locaux, la dimension religieuse n’étant pour
lui qu’un alibi, la résistance, et notamment, le refus de l’école
occidentale, par exemple, ayant toujours existé de la part de nombre de
familles musulmanes.
Le fait que cela se soit accru ces vingt dernières années a renforcé l’acuité d’un problème très ancien : « Boko Haram » est par exemple une expression qui existe depuis très longtemps, au moins depuis le début des années 1950, qui désignait tout ce qui, provenant de la colonisation, était prohibé (209).
En résumé, ici comme ailleurs, les éléments qui allaient devenir
quelques années plus tard constitutifs d’une crise majeure se sont
installés, ou réinstallés, progressivement, sur la longue durée. Amadou
Ali rappelait par exemple que les années 1880-1900 avaient
également connu une guerre sur la même zone qui ambitionnait un califat à
Kousseri, et témoignait aussi qu’enfant, au début des années 1950, il y
avait déjà une certaine violence, que le phénomène des coupeurs de
route existait, et qu’avec sa réapparition ces dernières années, on
assistait ni plus ni moins qu’à la récurrence de problématiques anciennes non suffisamment traitées.
Quoi qu’il en soit, force est de
constater qu’on les a laissées venir et s’enraciner sans apporter
d’autres réponses qu’erronées ou inefficaces. En premier lieu, la
réponse du gouvernement camerounais et des pays voisins à la fin des
années 1990 a été exclusivement répressive, car, il y a une dizaine
d’années, ce phénomène paraissait faire partie du paysage.
Aucune autre stratégie, de prévention
ou d’anticipation, n’a été entreprise pour renforcer le tissu
économique, alors même que la région est en proie à des troubles
politiques et sociaux récurrents, ou que des mouvements, aujourd’hui
Boko Haram, Maitatsine dans les années 1980, Yan Shi’a dans
les années 1990, avaient commencé de s’installer et d’essaimer dans le
voisinage nigérian immédiat, à la faveur notamment d’un discours
religieux et d’un appui aux revendications sociales des populations les
plus défavorisées.
La réponse internationale à l’aggravation de la menace de Boko Haram
En mai 2014, le sommet de Paris a
précisé et coordonné la réponse sécuritaire à apporter à Boko Haram : il
a réuni les chefs d’État de la région pour renforcer la coopération
régionale contre Boko Haram, et obtenir la libération de jeunes filles
enlevées à Chibok. L’organisation de patrouilles conjointes a été prévue
entre forces des pays de la région, ainsi que le partage de
renseignements. La Commission du bassin du Lac Tchad devait être
réactivée pour définir une stratégie de lutte contre le terrorisme. Les
pays occidentaux sont convenus de coordonner leur action, et les
bailleurs de fonds ont été invités à se mobiliser pour des programmes en
faveur des populations des régions affectées.
Le 20 janvier s’est tenue à Niamey une
première réunion régionale consacrée à la question de Boko Haram, afin
de définir une solution internationale, suite à l’ampleur et aux
implications de l’attaque sur Baga. Le sommet de l’Union africaine
d’Addis-Abeba a ensuite confirmé les orientations définies à Niamey :
création d’une force multinationale de 7500 hommes, composée des pays
membres de la commission du bassin du Lac Tchad : Cameroun, Tchad,
Nigeria et Niger plus Bénin ; demande d’une résolution du Conseil de
sécurité des Nations Unies ; mise en place d’un trust fund pour le financement.
Devant l’aggravation de la situation
en février 2015, le Tchad a déployé ses forces armées et des combats ont
été engagés. Le Cameroun avait jusqu’alors une position purement
défensive de « containment » de Boko Haram hors de son territoire, a renforcé ses positions le long de la frontière avec 4000 hommes.
Lors d’une réunion à Yaoundé, début
février, le Tchad, le Niger, le Nigeria, le Cameroun et le Bénin se sont
mis d’accord pour mobiliser une force qui sera finalement de 8700
hommes et non de 7500, policiers, civils et militaires. Les détails
concrets devaient être transmis au Conseil de paix et de sécurité de
l’Union africaine pour approbation et transmission au Conseil de
sécurité des Nations Unies. En l’état actuel des informations, le
Nigeria et le Tchad devraient apporter chacun entre 3 200 et 3 500
hommes, tandis le Cameroun et le Niger mettront 750 soldats chacun. La
contribution du Bénin n’a pas encore été précisée.
Cette force aura une zone
opérationnelle recouvrant les pays du bassin du Lac Tchad (Niger,
Nigeria, Cameroun et Tchad), et les soldats de la force pourront se
déplacer sur l’ensemble de ce territoire sans requérir d’autorisation,
réglant ainsi en partie l’épineuse question du droit de poursuite entre
le Cameroun et le Nigeria. Le QG sera basé à Ndjamena, et le principe
d’un commandement tournant a été retenu, chaque pays conservant sa
liberté de manœuvre sur son propre territoire.
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En second lieu, les réponses des
bailleurs de fond n’ont cessé de fluctuer, dans cette région comme
ailleurs. De décennie en décennie, les projets économiques ont succédé à
des projets agronomiques eux-mêmes remplacés par d’autres quelques
années plus tard sans que les réalités sociales, concrètes, de terrain
soient jamais prises en compte, proposant des axes insistant sur de
supposées problématiques régionales correspondant surtout à nos propres
préoccupations. Ainsi de la dimension « écologiste » des projets pour
lutter contre les phénomènes d’érosion naturelle, tels que promus par la
Banque mondiale, non appropriables par les populations Kanouri locales,
supposément bénéficiaires, lesquelles, n’en percevant pas l’intérêt ne
pouvaient, a fortiori, en garantir le succès. (210)
Au vu de ces bilans et constats,
contrastés, la question qui se pose pourra paraître brutale : en quoi
notre politique africaine a-t-elle répondu aux objectifs de
développement et de stabilité de nos partenaires d’Afrique francophone ?
Ces pays sont pour la plupart
d’anciennes colonies, avec lesquels nous avons des liens privilégiés,
politiques, culturels et commerciaux. Depuis que notre pays s’est doté
d’une politique d’aide au développement, ce sont ces mêmes pays qui sont
« notre cœur de cible ». Que ce soit au sein de l’ancienne zone de
solidarité prioritaire ou aujourd’hui, ils ont toujours été parmi nos
premières priorités, destinataires de l’essentiel de nos financements.
Près de soixante ans après leur indépendance, ils n’ont cependant
toujours pas réussi à sortir du sous-développement dans lequel ils sont
englués.
La situation est telle que, malgré ces
aides, aucun d’entre eux n’est en effet jamais sorti de la catégorie
des PMA de laquelle ils relèvent pour la plupart, comme on l’a vu.
À moyen terme, mis à part le cas
particulier de la Guinée équatoriale, aucun ne devrait non plus en
sortir. Depuis la création des PMA par les Nations Unies en 1971, seuls
quatre pays ont réussi à le faire : le Botswana (1994), le Cap-Vert
(2007), les Maldives (2011) et les Samoa (2014). D’ici 2021, on
considère que la Guinée équatoriale et Vanuatu – si tant est que le
désastre que le typhon Pam a provoqué à la mi-mars n’ait pas ruiné
durablement ses efforts – en sortiront, ainsi que, probablement, Tuvalu.
L’Angola et Kiribati semblent pouvoir prochainement remplir les
conditions pour être admissibles au processus ; les îles Salomon
commencent à répondre à certains des critères. Le Timor-Leste et le
Bhoutan pourraient également devenir admissibles. Ainsi, sur la présente
décennie, dix des 49 PMA, en incluant les Maldives et les Samoa,
pourraient avoir rempli les critères de sortie, mais aucun pays
d’Afrique francophone n’en fait partie (211).
Consécutivement, plus de 40 % des PMA seront alors des pays d’Afrique
francophone, contre moins d’un tiers aujourd’hui. Il y a dans ce constat
et ces perspectives une coïncidence malencontreuse qui interpelle
inévitablement notre action et invite à s’interroger sur son utilité, sa
finalité, la pertinence des axes par lesquels elle intervient, les
moyens qu’elle y consacre et leur adéquation aux besoins de nos
partenaires africains : ce sont précisément sur les secteurs que nous
privilégions que ces pays prioritaires sont les plus mal classés, la
santé, l’éducation, pour ne prendre que ces deux seuls critères.
Ce n’est pas le lieu ici de reprendre
en détail les débats mille fois engagés sur l’efficacité de l’aide, sur
ses conditions et modalités. On sait, comme le rappelait Jean-Marc Châtaignier (212),
que la mesure de l’efficacité de l’APD est particulièrement difficile,
que des conditions très variées jouent sur son impact et son rôle
concret dans le développement d’un pays, parmi les multiples sources de
financement qu’il reçoit et qui peuvent contribuer à son décollage.
Néanmoins, il n’est pas illégitime de se demander en quoi les
instruments que l’on a mis en place ont été à la hauteur des enjeux. En
ce sens, il n’est pas inutile de garder en mémoire quelques-unes des
analyses qui ont été faites ces dernières années de l’APD de la France,
qui sont toutes arrivées à des conclusions identiques, aux termes
desquelles on observe une véritable distorsion entre les priorités
géographiques et sectorielles que notre pays affiche et promeut sur la
scène internationale et ce qu’il fait concrètement. Ce à quoi on
pourrait aussi ajouter un dernier axe de réflexion, tout aussi
important, celui de savoir si nos politiques ont contribué comme elles
l’auraient dû à la défense et à la promotion de nos intérêts politiques
et économiques, spécialement dans les pays d’Afrique francophone.
L’impression ressort que les
réorientations qui ont été décidées dans les années 1990 n’ont pas été
les plus heureuses : la France s’est alors alignée sur les thèses
dominantes et pour diverses raisons, a abandonné des secteurs qui
faisaient sa force, comme le rural, a changé de stratégies, comme en
matière de santé, alors qu’elle y avait développé un travail de terrain
unanimement salué qui lui permettait en outre d’exercer un véritable
leadership international qu’elle a aujourd’hui perdu. C’est l’époque où
ses modalités de financement ont évolué, et transité beaucoup plus
qu’auparavant par le canal multilatéral, ne laissant finalement plus
qu’une part résiduelle et insignifiante au bilatéral à disposition des
postes diplomatiques. C’est aussi l’époque où son assistance technique a
commencé de diminuer de manière drastique, ce qui a conduit, en
quelques années, à une perte de proximité et d’intelligence du terrain,
de connaissance. Autant de points qui ont contribué à affaiblir sur la
durée un positionnement et une visibilité aujourd’hui moins bons.
Ces différents aspects appellent une
analyse critique de notre APD et des autres instruments de la politique
africaine car, au-delà de la seule question du développement économique
et social de nos partenaires, la plupart, si ce n’est la totalité des
crises récentes, sécuritaires ou humanitaires, sur lesquelles la France
et la communauté internationale ont dû intervenir en urgence, n’étaient
pas des surprises. Bien au contraire, elles étaient annoncées depuis
longtemps, les déterminants de leur déclenchement ont mis du temps à
s’installer, à se développer ; on n’a pas pu ne pas les voir venir et
monter en puissance, mais pour autant, ce que l’on a mis en place pour
prévenir le surgissement des crises a souvent été de peu d’effet.
N’en déplaise au discours officiel, la
politique d’aide au développement, telle qu’elle est conduite depuis
des années, prête le flanc à la critique. Il y a en effet maintenant
longtemps que de nombreuses voix se font entendre pour dénoncer un
certain nombre de ses caractéristiques. La représentation nationale
n’est pas la dernière sur ce sujet. Elle n’a malheureusement jamais
réussi à se faire entende de l’Exécutif, qui continue, débat budgétaire
après débat budgétaire, à camper sur des positions de plus en plus
intenables et à rester sourd aux invitations qui lui sont faites de
réorienter certains axes et instruments. Le présent rapport est
l’occasion de revenir sur ces questions cardinales, eu égard aux
situations constatées sur le terrain.
Il ne s’agit évidemment pas de jeter
le bébé avec l’eau du bain, de soutenir que l’APD est inutile et
coûteuse et que du passé il faut faire aujourd’hui table rase.
Évidemment excessif, un tel discours serait non constructif, inaudible,
et surtout, irresponsable : tout au contraire, c’est précisément
parce que l’Afrique est dans cet état, faute de développement ou de mal
développement, et face à ces défis majeurs, que l’APD est plus que
jamais nécessaire. Plus modestement, il s’agit d’inviter à une réflexion collective en mettant le doigt sur ce qui doit être revu.
La France, longtemps critiquée pour
son manque de vision stratégique en matière d’APD a comblé cette
faiblesse en publiant tout d’abord un document-cadre fin 2010, « Coopération au développement : une vision française » (213), définissant les enjeux stratégiques, l’approche et la méthode, destiné à maximiser l’impact des actions de notre pays.
Ce document partait du constat selon
lequel les bénéfices de la mondialisation étaient inéquitablement
répartis, faute d’une gouvernance suffisante. La France plaidait pour
une mondialisation maîtrisée, porteuse de valeurs, et sa politique
d’aide au développement devait y contribuer, en tenant compte à la fois
de la diversification croissante des trajectoires économiques des pays
en développement et de l’interdépendance, également croissante, des
sociétés, qui imposait la recherche de consensus sur les enjeux globaux.
Notre pays en privilégiait quatre, considérés comme complémentaires :
une croissance durable et partagée ; la lutte contre la pauvreté et les
inégalités ; la préservation des biens publics mondiaux ; la stabilité
et l’État de droit.
Pour les atteindre, le document-cadre
soulignait la nécessité d’une approche globale du financement du
développement, qui ne devait pas se limiter aux ressources de l’aide
publique, mais prendre aussi en compte l’ensemble des autres modalités
concourant au développement des pays bénéficiaires : financements
innovants, cohérence des politiques publiques, promotion des droits et
normes, de la gouvernance, circulation des idées. Compte tenu de la
diversité des situations au sud, la France faisait le choix d’une
allocation différenciée de ses financements, et distinguait quatre
groupes de pays ou zones géographiques – l’Afrique subsaharienne,
priorité de la politique de coopération, « en raison de sa proximité géographique et culturelle, notamment linguistique, et de l’ampleur des enjeux communs » ;
le monde méditerranéen ; les pays fragiles et les pays en crise ; les
pays émergents -, étant entendu que cette différenciation se traduisait
sur le plan financier en termes de choix d’instruments et de degré de
concessionnalité. C’est en vertu de ce principe que 60 % de l’effort
financier de l’État se trouvaient concentrés sur l’Afrique
subsaharienne, quatorze pays pauvres prioritaires bénéficiant de plus de
50 % des subventions octroyées par notre pays : Bénin, Burkina Faso,
Comores, Ghana, Guinée, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République
centrafricaine, RDC, Sénégal, Tchad et Togo.
Les décisions qui furent prises
ultérieurement par le gouvernement ont consolidé plus que modifié ces
orientations générales, malgré un ample débat de société.
Ainsi, les décisions du CICID du 31 juillet 2013, réuni quelques mois après la clôture des Assises de la solidarité et du développement international, que le Président de la République avait convoquées, ont été présentées comme la traduction de la « rénovation de notre politique de développement appuyée sur quatre axes : – redéfinir nos priorités géographiques et sectorielles ; - renforcer la cohérence de cette politique avec les autres politiques publiques ; – assurer une plus grande coordination de l’ensemble des acteurs du développement ; - améliorer l’efficacité, la redevabilité et la transparence de notre politique, domaines dans lesquels la France a réalisé d’importants progrès depuis un an. » (214)
Cela étant, en fait de redéfinition
des priorités géographiques, à part la suppression de la ZSP,
officiellement confirmée, le gouvernement décidait surtout de « fonder l’attribution des aides sur des partenariats différenciés, reposant en particulier sur le niveau de revenu et la proximité géographique, culturelle et linguistique avec la France ». Se
retrouvait en conséquence le même schéma que précédemment, sans
différence de fond avec le document-cadre de 2010 : la concentration des
subventions sur un nombre limité de pays pauvres prioritaires,
aujourd’hui au nombre de seize (215) bénéficiant
d’au moins la moitié des subventions de l’État et les deux tiers de
celles mises en œuvre par l’AFD ; la priorité à l’Afrique et à la
Méditerranée, pour lesquels le gouvernement décidait de consacrer au
moins 85 % de l’effort financier de l’État en faveur du développement ;
le voisinage du sud et de l’est de la Méditerranée ; les pays en crise
et en sortie de crise ou en situation de fragilité ; le reste du monde,
notamment les pays d’Asie, d’Amérique latine et des Caraïbes,
majoritairement des pays à revenu intermédiaire à croissance rapide ou
émergents.
À son tour, indépendamment des réformes de structures du dispositif auxquelles elle a procédées (216), la loi du 7 juillet 2014 n’a
pas dit autre chose et son rapport annexe a notamment repris ces
questions dans les mêmes termes. Les objectifs de la politique d’aide au
développement et les principes sur lesquels elle est fondée réaffirment
la recherche de cohérence avec les autres politiques publiques pouvant
avoir un impact sur les pays en développement, de complémentarité entre
les divers instruments multilatéraux, une meilleure concentration des
actions, géographiques et sectorielles, visant à l’efficacité de l’aide
justifie celle des ressources et le choix des instruments sur la base de
critères de différenciations, également géographiques et sectoriels.
Dans le même ordre d’idées, le contrat
d’objectifs et de moyens qui lie l’Agence française de développement à
ses tutelles opérationnalise la feuille de route ainsi définie. En
cohérence avec la volonté d’œuvrer à une mondialisation plus juste, à
l’introduction d’une relation de partenariat entre donateurs et
bénéficiaires et de concentrer les ressources publiques sur un nombre
restreint d’enjeux, le premier COM mettait l’accent sur la croissance
durable et partagée, sur la lutte contre la pauvreté et les inégalités,
la préservation des Biens publics mondiaux et la promotion de la
stabilité et de l’État de droit. Il entendait ainsi répondre aux
problématiques globales qui constituaient l’architecture du
document-cadre de 2010. Les secteurs d’intervention de l’AFD se voyaient
ramenés à cinq : la santé, l’éducation et la formation
professionnelle, l’agriculture et la sécurité alimentaire, le
développement durable et le soutien à la croissance. L’AFD recevait
mandat d’intervenir dans quatre zones géographiques, en conformité avec
les partenariats différenciés, – à savoir l’Afrique subsaharienne, la
Méditerranée, les pays en crise ou en sortie de crise et les pays
émergents -, tout en adaptant le degré de concessionnalité de ses
instruments financiers à la situation de ses partenaires.
De la même manière, le deuxième COM de
l’agence tient compte des évolutions intervenues depuis lors, de sorte
que l’accent est porté sur les priorités géographiques et sectorielles,
sur la cohérence de l’aide avec les autres politiques publiques, la
coordination de l’ensemble des acteurs et l’amélioration de
l’efficacité, de la redevabilité et de la transparence. En d’autres
termes, les réelles innovations en termes d’approches résident
essentiellement dans les thématiques relatives à la diplomatie
économique et dans le rayonnement de la France à laquelle l’action de
l’AFD participe.
La France ne cesse de mettre en avant urbi et orbi sa
générosité et le niveau des financements qu’elle consacre à l’aide au
développement. En fait, même s’il paraît considérable au regard des
sommes annoncées – 8,5 Mds€ nets déclarés au CAD pour l’année 2013 (217) -,
l’effort global que notre pays consacre à cette politique publique est
en baisse constante depuis plusieurs années. Ses moyens se réduisent
comme peau de chagrin, et il s’agit même de l’un des budgets de l’État
qui contribuent le plus, et de loin, à l’effort de réduction des
déficits publics, comme l’a montré notre collègue Hervé Gaymard dans son
dernier avis budgétaire (218).
Après avoir atteint 0,5 % en 2010, l’APD de la France se rapproche
désormais de la moyenne des pays du CAD, puisqu’elle n’a plus représenté
que 0,37 % de notre PIB dans l’exercice 2014. Elle diminue désormais non seulement en pourcentage mais aussi en volume.
On ne redira jamais assez que la
comptabilisation particulièrement extensive de notre aide publique au
développement qui intègre dans la déclaration faite au CAD des dépenses
qui parfois n’ont que peu à voir avec les supposés destinataires et pour
certaines, ne contribuent même en rien à leur développement, vise avant
tout à un affichage sur la scène internationale destiné à permettre à
notre pays de continuer de figurer dans le peloton de tête des bailleurs
internationaux. Ainsi en est-il des dépenses consacrées à l’accueil des réfugiés en
France, qui ont représenté plus de 340 M€ dans la déclaration APD pour
2013. À titre de comparaison, on rappellera que le Royaume-Uni déclare à
ce titre un montant dix fois moindre, alors que notre pays n’accueille
que deux fois plus de réfugiés que lui. Ainsi également en est-il des dépenses d’écolage,
– 641 M€ ont été comptabilisés à ce titre en 2013 -, soit près des
deux-tiers de l’APD française du secteur. On sait cependant que cela
n’est désormais plus suffisant pour masquer l’évolution préoccupante de
notre effort : alors même que la France, à l’encontre de ce qu’elle a
toujours défendu, et continue même encore de proclamer (219),
inclut désormais dans sa déclaration au CAD les recettes de ses
financements innovants, notre APD chute brutalement, bien plus,
proportionnellement, que celle d’autres pays, parfois même dans ces
conditions budgétaires au moins aussi contraintes que les siennes, le
Royaume-Uni en premier lieu. Il importe de sortir enfin d’une situation
qui ne peut qu’affecter la crédibilité de notre pays et notamment
vis-à-vis de nos partenaires africains, et finira par rendre les
plaidoyers de la France inaudibles.
Indépendamment du fait que ces deux rubriques pèsent près d’un milliard d’euros dans notre déclaration d’APD, on rappellera sans plus insister, qu’elles sont régulièrement considérées par les pairs du CAD comme abusives.
Ainsi, la revue quadriennale de 2013 a-t-elle donnée lieu au commentaire suivant : « La
manière dont la France déclare son aide au CAD et l’utilisation qu’elle
fait de l’APD au sens du CAD pour piloter son aide au développement
présentent pourtant des défauts pour son efficacité et pour sa
crédibilité. Tout d’abord la France fait le choix de déclarer certains
éléments considérés comme ne favorisant pas effectivement le
développement économique et l’amélioration des conditions de vie dans
les pays concernés (les frais de scolarité en France des étudiants
étrangers, les aides aux TOM ou encore le coût d’accueil des réfugiés
issus de pays en voie de développement), qui tendent à décrédibiliser la
réalité de l’effort fourni par la France en faveur du développement. » (220)
C’est aussi sur le choix des
instruments que notre pays utilise pour mettre en œuvre sa politique
d’aide au développement qu’il est critiqué, dans la mesure où ils sont
nettement déséquilibrés, ce qui induit de fortes contradictions entre
les objectifs annoncés, les plaidoyers auxquels notre pays se livre sur
la scène internationale, et la réalité de son action.
Si la qualité des équipes d’experts et
le travail de terrain de l’AFD, opérateur principal de notre politique
d’APD, sont unanimement reconnus et loués, la politique générale de
l’agence n’est pas sans appeler de fréquentes observations, dans la
mesure où ses tutelles l’ont encouragée à étendre son offre de prêts à
mesure que les moyens de l’État d’intervenir en subventions diminuaient
drastiquement. L’AFD a désormais un champ d’intervention géographique
non limité et si ses instruments les plus concessionnels sont destinés
aux pays les plus pauvres, il n’en reste pas moins que l’enveloppe des
subventions est aujourd’hui à son étiage, comme le confirme le tableau
ci-dessous.
Répartition des subventions bilatérales 2011-2013 (221)
Dans
le même ordre d’idées, la répartition des moyens entre instruments
bilatéraux et multilatéraux est aussi sur la sellette, dès lors que le
choix du multilatéralisme pour le financement quasi-total de certains
secteurs dans lesquels notre pays avait naguère une influence et une
renommée d’efficacité à peu près unique – en d’autres termes, la santé
en pays d’Afrique francophone – a conduit à une dilution de la
spécificité de notre pays, désormais invisible (222) au
sein d’opérateurs que, malgré son effort financier, il ne maîtrise en
rien. Ces questions ont été largement traitées par les travaux de la
Commission des affaires étrangères ces dernières années, rapports
d’information ou avis budgétaires (223).
De
sorte que, combinant effets d’affichage obtenus par la prise en compte
de dépenses abusivement considérées comme de l’aide au développement, et
politique extensive de prêts qui, quoi qu’en dise le gouvernement,
flèche mécaniquement les destinataires de notre APD, on arrive à des
situations difficilement compréhensibles et fortement contradictoires.
On conviendra ainsi que la politique d’aide au développement perd de sa
lisibilité lorsque des pays comme le Brésil et la Chine figurent parmi
ses principaux bénéficiaires ; que la priorité donnée à l’Afrique
subsaharienne, et notamment aux seize pays les plus pauvres, ne saute
pas aux yeux lorsqu’un seul d’entre eux, la RDC, figure parmi les dix
premiers bénéficiaires, comme la Cour des Comptes avait beau jeu de le
souligner dans sa dernière analyse d’exécution budgétaire : « Parmi
les dix premiers pays bénéficiaires de l’APD au sens du CAD, la Chine
occupe la quatrième position, et le Brésil, la sixième position (contre
la deuxième en 2012). Quatre pays d’Afrique subsaharienne figurent parmi
ces dix bénéficiaires. Parmi eux, seule la République démocratique du
Congo figure dans la liste des pays pauvres prioritaires arrêtée par le
CICID en juillet 2013. » (224)
Il y a déjà quelque temps que la Cour
est dubitative sur la priorité africaine de l’aide au développement de
notre pays et le réalisme des objectifs qu’il s’est donnés. Dans son
rapport public de 2012, elle avait déjà souligné que malgré l’effort de
concentration affiché dans le document-cadre de 2010, l’Afrique ne
représentait que 45 % du total de l’aide bilatérale française en 2010, à
mi-chemin de ce que l’Union européenne (33 %) et la Banque mondiale
(58 %) consacraient alors au continent. D’autres études et évaluations
ont peu ou prou conclu dans les mêmes termes.
Ce rapport a notamment traité de
l’importance des problématiques de santé et d’éducation pour le sujet
qui intéresse cette Mission. Un éclairage plus particulier sur ces deux
secteurs mettra en lumière les contradictions que l’on vient d’évoquer.
On estime que plus de 170 millions de
personnes pourraient sortir de la pauvreté si l’ensemble des élèves des
pays à faible revenu quittaient l’école avec des compétences de base en
lecture, ce qui permettrait un recul de la pauvreté mondiale égal à 12
%. De même, les progrès réalisés dans l’éducation des femmes au niveau
mondial au cours des quarante dernières années ont évité plus de 4
millions de décès d’enfants, un enfant né d’une mère sachant lire ayant
50 % de chances en plus de survivre au-delà de ses 5 ans. En outre, si
l’impact sur l’égalité hommes-femmes est également fort, chaque
année de scolarisation supplémentaire fait progresser le PIB annuel de
0,37 %. On a vu en présentant la problématique de l’éducation au Niger, à
quel point cet enjeu est effectivement crucial pour le développement de
pays bénéficiaires. Mais le Niger n’est aujourd’hui plus en mesure de
maintenir à flot un système éducatif de qualité qui puisse répondre aux
besoins de formation de sa jeunesse, spécialement de ses enfants, eu
égard aux moyens dont il dispose dans le contexte d’explosion
démographique que l’on a décrit. Face à l’islamisation croissante et
rapide de la société, le modèle public et laïc est désormais fortement
concurrencé par une offre privée au contenu religieux affirmé, que le
gouvernement n’a pas non plus les capacités de contrôler.
Cette situation critique est porteuse
de risques importants pour l’avenir du pays dans la mesure où,
conditionnant le niveau d’alphabétisation de sa jeunesse, elle impacte
directement toutes les composantes de son développement : développement économique, qui requiert évidemment des ressources humaines formées et compétentes ; développement social,
et l’on sait à cet égard l’étroite articulation entre niveau
d’éducation, notamment des filles et des femmes, et progrès sanitaires
; développement politique et démocratique apaisé, une jeunesse désœuvrée et non éduquée étant aisément manipulable et utilisable, a fortiori dans un contexte d’instabilité régionale, de chômage généralisé, de présence de mouvements mafieux et extrémistes.
C’est à cette aune qu’il convient de
regarder la question de l’aide au développement de notre pays dans le
secteur éducatif. La France a opportunément fait de l’éducation une des
« priorités majeures » de sa politique d’aide au développement, « choix
de solidarité », « choix stratégique ». Adoptée par le CICID en 2009
pour la période 2010-2015, sa stratégie se donne deux objectifs en
direction des seize pays pauvres prioritaires : l’accès à une éducation
primaire de qualité pour l’ensemble des filles et des garçons, à parité,
et la promotion d’une vision intégrée de l’éducation, qui inclut
l’enseignement et la formation professionnelle pour répondre aux défis
de la jeunesse. En outre, la France dit articuler cette politique
sectorielle avec la promotion du français, notamment dans les pays
d’Afrique francophone, ainsi qu’elle l’a encore précisé devant le CAD de
l’OCDE lors de la dernière revue par les pairs en 2013. Si la loi de
juillet 2014 a tenu à confirmer fortement ces orientations en
argumentant sur les raisons faisant de l’éducation de base une priorité
majeure (225),
le CICID de juillet 2013 les a cependant quelque peu infléchies en
mettant l’accent sur l’enseignement supérieur, sur l’articulation entre
politique d’enseignement et formation professionnelle, sans même
mentionner l’éducation primaire.
De fait, l’éducation de base ne reçoit que le dixième de ce que notre pays déclare consacrer à l’éducation.
C’est une constante depuis plusieurs années. La revue du CAD de 2013
notait que l’éducation constituait le premier poste de dépenses de l’APD
bilatérale, soit 17 % en moyenne et quelque 1,6 Md de dollars, mais ce
montant est en grande partie destiné à couvrir les frais d’écolage. En revanche, soulignaient les pairs, « seulement 10 % des fonds alloués à l’éducation (166 millions USD) financent l’éducation de base en 2010-2011. », (226) après
avoir chuté drastiquement depuis 2008, et continué de le faire jusqu’en
2013. Si l’on en croit les statistiques de l’OCDE (227), depuis une dizaine d’années, la tendance est en effet nettement orientée à la baisse, et en cinq ans, de 2008 à 2013, les dépenses consacrées à l’éducation de base ont perdu 246 millions d’euros, soit une diminution de près de 60 %. Les
derniers chiffres indiquent un étiage inférieur à 102 M$ en 2012, qui
remonte légèrement en 2013, à 114,4 M$, toutes modalités de financements
confondues, sur un total sectoriel de 1 440 M$. On ne peut voir dans ces données qu’une contradiction forte avec la stratégie qui a été adoptée.
S’agissant du cas particulier du Niger, cette même année 2013, l’APD de
la France à l’éducation, au sens large, s’est élevée à 6,06 M$ (en
engagements), dont les deux-tiers, plus de 3,9 M$ ont été consacrés à
l’enseignement supérieur. La différence, 2,14 M$, a été répartie entre
divers postes, notamment la formation professionnelle, et la part consacrée à l’éducation de base s’est élevée à 623 000 dollars, soit 469 000 euros… À
titre de comparaison, cette même année, l’Allemagne consacrait 2,68 M$ à
l’éducation de base au Niger. On notera en outre que 2012 a été une
année exceptionnelle pour le Niger puisque, alors que la moyenne
annuelle de l’APD française en éducation y oscillait entre 7 et 8 M$,
notre pays a alors engagé 23,3 M$ pour ce secteur ; néanmoins,
l’éducation de base n’a reçu que la portion congrue, et même
proportionnellement bien plus faible, puisque 888 000 dollars seulement y
ont été consacrés, soit 3,8 %. En termes de priorité… Cette année-là,
la RFA engageait de son côté 12,17 M$. (228)
Cette contradiction entre la stratégie
et la réalité des faits est d’autant plus dommageable que, en
parallèle, elle s’accompagne désormais de renoncements de la part de
notre pays, qui ne peuvent que nuire à son image. Ainsi que le rappelait
notre collègue Hervé Gaymard dans son avant-dernier avis budgétaire,
notre pays a été l’un des premiers soutiens du Partenariat mondial pour l’éducation lancé en 2002 pour appuyer la réalisation de l’OMD 2 relatif à la scolarisation primaire universelle d’ici
à 2015. Au 31 décembre dernier, la France figurait au dixième rang des
donateurs du PME, avec un total de contributions de quelque 97,6 M$,
très loin toutefois du Royaume-Uni, premier financeur (851,3 M$), et des
Pays-Bas, deuxièmes (645,4$) (229).
L’action du PME, unanimement jugée comme remarquable, a été consacrée
au soutien à l’éducation dans les pays les plus pauvres ; elle a
notamment permis de financer la scolarisation de 23 millions d’enfants
supplémentaires, de construire 37 000 salles de classe, de fournir 220
millions de manuels scolaires, de former plus de 400 000 enseignants et
de servir chaque jour 700 000 repas aux élèves. Le nombre d’enfants
scolarisés dans les pays africains soutenus par le PME a progressé de 64
%, soit le double du rythme d’accroissement enregistré dans les autres
pays. Ses actions mettent notamment l’accent sur la scolarisation des
filles pour leur permettre d’achever le cycle primaire dans les pays
concernés, et les demandes exprimées par les pays en développement sont
très fortes : en 2013, elles ont représenté plus de 1,2 Md$ pour une
soixantaine de pays. Pourtant, arguant du contexte budgétaire difficile,
la France a choisi de ne pas reconduire son engagement lors
de la dernière reconstitution financière du PME pour la période
2015-2018, alors même que, comme le soulignait la Coalition française
pour l’éducation pour tous, relais français de la Campagne mondiale pour
l’éducation, « le poids actuel du PME, ses articulations avec les
pays d’Afrique, notamment francophones (pays de coopération prioritaire
de la France) et ses priorités stratégiques « épousées » par la France
dans sa déclaration (la qualité, l’accent sur les apprentissages, la
formation des enseignants)… justifieraient un engagement accru de la
France dans ce Partenariat. » (230)
Il se confirme donc que notre pays a
beaucoup de mal à respecter les priorités qu’il s’est lui-même fixées et
que son soutien direct à l’enseignement de base est finalement des plus
réduits. Cela est d’autant plus préoccupant que ce très modeste effort
consacré à ce qui continue d’être présenté comme une priorité, se
traduit par un saupoudrage dont on peut questionner la pertinence et
l’intérêt lorsque, s’agissant des pays francophones, l’examen des
données du CAD de l’OCDE permet de constater que, à l’instar de la RFA
comme on vient de le voir dans le cas du Niger, les États-Unis,
finançant de manière nettement supérieure l’éducation de base dans des
pays comme le Mali, le Sénégal et surtout la RDC, défendent mieux la
francophonie que la France, comme le montre le tableau ci-dessous :
Pays
|
2008
|
2009
|
2010
|
2011
|
Mali
|
||||
France
|
0,8
|
5,5
|
0,7
|
1,2
|
États-Unis
|
15,4
|
9,6
|
2,4
|
12
|
RDC
|
||||
France
|
0,9
|
7,7
|
0,7
|
0,6
|
États-Unis
|
11,6
|
12,6
|
11,5
|
20,7
|
Sénégal
|
||||
France
|
3,4
|
1,6
|
2,3
|
3,1
|
États-Unis
|
13
|
11,5
|
11,4
|
11,8
|
Engagements de la France et des États-Unis en éducation de base,
au Mali, en RDC et au Sénégal, de 2008 à 2011, en M$ (231)
Comme l’éducation, la santé figure
parmi les premières priorités de la politique d’aide au développement de
notre pays, qui y consacre depuis longtemps des financements très
importants : les montants déclarés au CAD à ce titre ont parfois
dépassés les 800 M€ (en 2010). S’ils sont depuis un peu moins élevés,
ils en restent encore proches. Ils transitent à plus de 80 % par le
canal multilatéral, ce qui traduit clairement les choix stratégiques que
notre pays a faits au tournant des années 2000 concernant un secteur
pour lequel les effets de leviers que permettent les instruments
multilatéraux sont opportuns eu égard aux coûts exigés par la lutte
contre les grandes pandémies ou les principaux fléaux sanitaires et
sociaux contemporains. Dans les quelque 150 M€, à peine, que la France
continue de dépenser en bilatéral dans le secteur, les crédits consacrés
aux seize pays pauvres prioritaires sont nettement résiduels, comme le
montre le tableau ci-dessous, la santé étant parmi les moins dotés :
moins de 2M€ par an et par pays.
Versements en M€
|
2 008
|
2 009
|
2 010
|
2 011
|
2 012
|
Éducation
|
193
|
202
|
204
|
209
|
196
|
Santé
|
27
|
33
|
29
|
29
|
31
|
Développement durable
|
35
|
53
|
47
|
47
|
40
|
Agriculture et sécurité alimentaire
|
63
|
42
|
49
|
45
|
50
|
Soutien à la croissance
|
23
|
17
|
22
|
17
|
18
|
Gouvernance
|
39
|
33
|
31
|
35
|
31
|
Total
|
380
|
381
|
382
|
383
|
366
|
Dons de la France consacrés aux OMD dans les 16 PPP, hors opérations de dette (dépenses bilatérales)
Depuis plusieurs années, la France a
défini une stratégie spécifique pour le secteur, révisée en 2012. Ses
priorités thématiques sont les suivantes : le « renforcement des systèmes de santé les
plus fragiles (extrême pauvreté, situations de crise), notamment en
Afrique francophone, via l’appui au financement durable et solidaire de
la santé, la formation de ressources humaines compétentes et motivées,
et le développement de systèmes d’information sanitaire fiables » ; la santé des femmes et des enfants, via la promotion de la santé, des droits sexuels et l’accès au planning familial, le soutien aux OMD 4, 5 et 6 (232), la lutte contre la malnutrition ; les maladies transmissibles, pour
lesquelles la France met un accent particulier sur la lutte contre le
VIH Sida, le paludisme, la tuberculose et les maladies tropicales
négligées ; les maladies (ré)émergentes et l’approche « One Health », sur
les maladies non transmissibles. Au plan géographique, les priorités
définies ici mettent en avant en premier lieu les seize pays pauvres
prioritaires d’Afrique francophone, les pays en crise et en sortie de
crise, la zone méditerranéenne, l’outre-mer ; enfin, la coopération
scientifique et universitaire avec les pays en développement est
également soulignée.
Ces priorités amènent à trouver
surprenant que la décision du CICID de juillet 2013 relative au secteur
santé se contente d’indiquer que « La France met un accent
particulier sur l’aide au développement dans le domaine de la santé. Le
gouvernement français réitère son engagement pour combattre les trois
grandes pandémies, notamment via le Fonds mondial de lutte contre le
sida, la tuberculose et le paludisme, pour lutter contre les maladies
négligées, améliorer la santé des mères et des enfants et pour
promouvoir la couverture sanitaire universelle. La France entend
maintenir son engagement parmi les tout premiers contributeurs mondiaux à
l’aide au développement en matière de santé. » Le renforcement des systèmes de santé, pourtant première priorité de la stratégie, dont on a revu toute l’importance avec l’épidémie d’Ébola, est ici absent.
Ce constat invite à revenir sur
l’évolution de cette politique sectorielle. Depuis plusieurs années, la
représentation nationale comme de multiples experts et observateurs, ne
cessent de critiquer le sort exceptionnellement favorable qui est
réservé à un seul instrument multilatéral, le Fonds mondial de lutte contre le sida,
la tuberculose et le paludisme. Sans revenir sur le détail de la
question qui excède le propos de ce rapport, on rappellera simplement
que depuis la création du Fonds, la France fait partie des tout premiers
contributeurs, puisqu’elle se classe au deuxième rang des donateurs derrière les États-Unis,
avec un cumul de quelque 3,8 Mds$ versés entre 2002 et 2012, auquel
s’est ajouté un engagement supplémentaire de 1,4 Md$ pour la période
2014-2016.
La critique portée à ce financement ne
vise pas l’instrument lui-même, même s’il a pu faire lui aussi l’objet
de questionnements lors des évaluations qui en ont été faites. Elle
porte sur l’incohérence de notre politique. En consacrant des
montants aussi élevés, qu’au demeurant elle sanctuarise maintenant au
prix du non-respect de ses engagements envers d’autres actions et
instruments multilatéraux, comme l’Alliance GAVI ou le Fonds pour
l’initiative Muskoka, dernièrement amputés de fonds qui leur avaient été
promis, notre pays privilégie un nombre très réduit de pathologies qui
sont très loin d’être les plus responsables de la mortalité maternelle
et infantile dans les pays en développement : selon l’OMS, c’est en
effet la prématurité qui est la première cause de décès d’enfants de
moins de cinq ans en 2013, environ la moitié de ces décès étant dus à des maladies infectieuses.
Pour le dire autrement, les seules pathologies infectieuses sont cause
du tiers de la mortalité infantile dans le monde, soit quelque 2,5
millions de décès d’enfants chaque année, plus de la moitié, 1,3
million, étant dus à la pneumonie. Les données de l’OMS montrent en
outre que la situation dans les seize pays prioritaires de l’APD
française, ne diffère pas de ce tableau général : 27 % des décès des
enfants de moins de cinq ans au Bénin sont dus à deux pathologies
seulement, la diarrhée et la pneumonie ; c’est aussi le cas de 30 % des
causes de mortalité infantile au Burkina Faso, de 33 % de ceux constatés
aux Comores, de 34 % au Burundi ou au Mali, et jusqu’à 36 % au Niger,
qui n’est surpassé en Afrique que par la Somalie. (233) Plus largement, plus de 40 % de la mortalité en Afrique continuent de résulter de maladies infectieuses et
d’infections respiratoires. Indépendamment du fait que l’évolution de
certains indices relatifs à la mortalité néonatale en Afrique est
préoccupante, qui nécessite que les efforts ne soient pas diminués, on
doit aussi faire remarquer, par comparaison, que le sida tue aujourd’hui
1,7 million de personnes par an, la tuberculose 1,4 million et le
paludisme 660 000.
Est ainsi mis en évidence le fait que l’allocation de nos ressources au profit d’un instrument ne permet pas de soutenir nos priorités stratégiques.
Ce faisant, notre pays privilégie aussi un instrument critiqué pour ne
pas contribuer au renforcement des systèmes de santé ; pour financer
prioritairement des actions dans des pays non francophones, qui
reçoivent déjà beaucoup d’aides, notamment anglo-saxonnes, publiques et
privées, alors même que l’Afrique de l’ouest n’a pas bénéficié d’aides à
la hauteur des enjeux auxquels elle fait face. Sans qu’il s’agisse de remettre en question l’utilité du Fonds mondial sur son créneau, on
doit dénoncer l’incohérence que le soutien que la France lui porte
traduit dans la conduite de sa politique. Cela d’autant plus que malgré
l’unanimité des avis d’experts, y compris ceux sollicités par le
gouvernement lui-même, notre pays persiste et signe en augmentant ses
financements de 20 % depuis 2011. Or, pour Dominique Kérouédan (234),
qui rappelait qu’on ne comptait plus les rapports – Morange, Gentilini,
Kourilsky, etc. – qui avaient lancé des alertes sur la situation
sanitaire de l’Afrique francophone et sur les insuffisances de notre
politique d’aide au développement, sur ses déséquilibres, cette
politique n’est finalement d’aucune efficacité, car il ne sert à rien de
cibler trois maladies si dans le même temps on ne soutient pas les
systèmes de santé des pays.
Causes de mortalité des enfants de moins de 5 ans (235)
Comme on l’a vu, l’épidémie d’Ébola
est venue confirmer que l’essentiel réside effectivement dans les
systèmes de santé robustes si l’on entend que les pays africains soient
en mesure de faire face à une crise sanitaire comme celle-ci, qui ne
manquera pas de se reproduire. Pour Dominique Kérouédan en effet, ce
n’est pas le nombre de projets et de financements qui sont consacrés à
quelques pathologies qui importent : les pays qui devraient
bénéficier de plus d’attention sont ceux qui sont les plus vulnérables
en termes de pauvreté, de menaces, c’est-à-dire de maladies mais surtout
de manque de capacités, de professionnels, de gouvernance, etc., dans lesquels, au demeurant, les progrès des OMD sont également les plus en retard.
Une analyse historique de la coopération française en matière de santé :
« L’assistance technique de la coopération sanitaire française » (236)
« La caractéristique la plus
singulière de la coopération française pendant toutes ces années a été
de disposer d’un atout et d’un instrument majeurs qui la distinguent des
autres coopérations : son assistance technique (…). Les assistants
techniques, plongés dans les réalités quotidiennes et les contradictions
nationales de l’entreprise du développement, acquièrent au fil des
années auprès de partenaires nationaux, souvent exceptionnels, une
expérience unique et irremplaçable. Véritables experts du développement,
ils sont une source précieuse de connaissance des problématiques
sanitaires et sociales de terrain au service de la décision en santé
publique à l’échelle nationale, et de la définition des orientations
politiques de la France et à l’échelle internationale. En 1982,
l’assistance technique française sur le terrain représente à elle seule
50 % de l’assistance technique mise à disposition des pays en
développement par les pays développés.
C’est grâce à la diversité et à la
souplesse de cette assistance technique qu’ont pu être initiées, à la
fin des années 1980, des expériences novatrices, qui ont, depuis lors,
fait leurs preuves et constituent aujourd’hui des piliers du
développement des systèmes de santé :
- la création des centres de santé
communautaires, qui assurent la réalisation du service public de santé,
dans le cadre du partenariat public-privé ;
- de manière prometteuse, et dans une
approche pilote, l’installation de médecins de campagne qui ouvrent la
voie à la médicalisation des zones rurales par des professionnels
n’appartenant pas à la fonction publique, projet fortement soutenu par
l’association Santé Sud dans de nombreux pays d’Afrique francophone ;
Santé Sud Mali a reçu un prix pour ces initiatives à la Conférence
mondiale sur les personnels de santé réunie à Bangkok en janvier 2011
sous l’égide de l’OMS.
- la mise en place de mutuelles de santé, destinées à assurer une protection sociale en complément des financements publics.
(…) l’Association des professionnels
de santé en coopération, (…) prendra des positions remarquées dans les
années 2000 auprès du Haut Conseil de la coopération internationale, de
l’Assemblée nationale, du Conseil économique et social, du réseau
Coordination Sud, auprès d’autres instances nationales, ainsi que des
institutions européennes et internationales, y compris de l’OMS. »
La réforme de la coopération française
« La dynamique novatrice et pertinente
des années 1990 subit une inflexion soudaine à la fin de la décennie,
liée à la réforme de l’aide publique au développement. (…) Privée de ses
moyens humains et financiers, l’aide bilatérale française voit sa
voilure considérablement réduite. Ceci nuit considérablement à la
visibilité politique de la France là où sa coopération sanitaire est
reconnue et attendue sur le continent africain en même temps qu’à
l’échelle internationale, comme en préviennent et le déplorent à
l’unanimité les rapports indépendants cités plus loin. Notons qu’en même
temps que la France réduisait comme peau de chagrin sa contribution
bilatérale en faveur des systèmes de santé, les coopérations techniques
belge, allemande, canadienne et européenne diminuaient de manière
substantielle leurs aides bilatérales aux pays d’Afrique francophone. »
|
Si l’on regarde à présent une priorité
géographique et non plus sectorielle, celle qui est menée en région
sahélienne, les conclusions ne sont pas moins critiques.
Notre pays a toujours été un acteur
important dans la région sahélienne, où son action de développement a
notamment visé six pays d’Afrique de l’ouest : Mali, Mauritanie, Niger,
Burkina Faso, Sénégal et Tchad, pour ce qui concerne la partie
ouest-africaine de l’arc sahélien. Ce sont des pays qui n’ont jamais été
des « orphelins de l’aide », puisque sur les dernières années,
plusieurs d’entre eux, tels le Sénégal, le Burkina Faso, le Mali,
recevait en moyenne environ un milliard de dollars, comme en témoigne le tableau ci-dessous, construit sur la base des données statistiques de l’OCDE (237).
Année
|
2007
|
2008
|
2009
|
2010
|
2011
|
2012
|
2013
|
Burkina Faso
|
953,87
|
1018,97
|
1071,92
|
1081,36
|
993,2
|
1155,12
|
1040,14
|
Mali
|
1018,27
|
963,65
|
997,2
|
1154,13
|
1284,3
|
995,18
|
1382,15
|
Mauritanie
|
357,84
|
450,68
|
351,68
|
422,07
|
438,08
|
711,42
|
416,44
|
Niger
|
546,89
|
609,53
|
453,05
|
726,38
|
628,46
|
895,94
|
780,43
|
Sénégal
|
849,87
|
1191,03
|
1099,21
|
917,08
|
1019,21
|
1122,9
|
947,47
|
Tchad
|
363,37
|
395,28
|
553,7
|
518,96
|
475,35
|
504,74
|
397,42
|
Montant d’APD pour six pays sahéliens (2007-2013), en millions de dollars
Parmi ceux-ci, on voit que le Mali
était souvent le mieux doté, bien mieux que la Mauritanie ou le Tchad
notamment, et la totalité des bailleurs internationaux était auprès de
lui : la Banque mondiale, via l’Association internationale de
développement, AID, l’Union européenne, la Banque africaine de
développement, ainsi que les institutions onusiennes, PNUD, UNICEF,
Programme alimentaire mondial (PAM) ou Fonds des Nations Unies pour la
population (FNUAP). L’Union européenne, via le 10e FED, était le premier bailleur dans la région, avec des moyens destinés aux six pays de la région supérieurs à 2,7 Mds€. Une stratégie intégrée pour le Sahel en 2011,
notamment centrée sur le Mali, la Mauritanie et le Niger, était
articulée sur le développement, la bonne gouvernance et le règlement des
conflits internes ; la politique et la diplomatie ; la sécurité et
l’État de droit ; la prévention et la lutte contre l’extrémisme violent
et la radicalisation.
De la part de la France, les pays de
la région recevaient également des financements fort importants, que
retrace le tableau ci-dessous.
APD bilatérale nette
|
APD multilatérale imputée nette
|
|||||||||
2006
|
2007
|
2008
|
2009
|
2010
|
2006
|
2007
|
2008
|
2009
|
2010
|
|
Sahel (périmètre restreint)
|
||||||||||
Burkina Faso
|
131,4
|
114,8
|
142,0
|
77,4
|
63,8
|
53,7
|
58,8
|
58,3
|
79,3
|
69,4
|
Mali
|
81,6
|
214,0
|
81,9
|
74,7
|
77,6
|
61,0
|
52,1
|
54,2
|
40,0
|
41,7
|
Mauritanie
|
31,6
|
37,9
|
29,4
|
35,0
|
32,2
|
23,7
|
26,1
|
16,7
|
12,2
|
14,8
|
Niger
|
88,8
|
56,7
|
67,8
|
57,4
|
50,0
|
43,1
|
36,6
|
44,9
|
25,1
|
42,1
|
Tchad
|
42,1
|
47,9
|
39,5
|
41,0
|
40,7
|
14,4
|
20,1
|
33,2
|
32,2
|
30,0
|
Sénégal
|
287,5
|
176,7
|
189,0
|
140,9
|
157,2
|
49,2
|
35,8
|
57,5
|
80,4
|
43,6
|
Évolution des montants d’APD bilatérale nette et multilatérale imputée de la France pour les pays du Sahel entre 2006 et 2010 (238)
Sur les dernières années, l’aide de la France au Mali intervenait
en application d’un document-cadre de partenariat qui avait fléché cinq
objectifs pour les années 2006-2010, articulés sur les OMD : lutte
contre la pauvreté et atteinte des Objectifs du millénaire pour le
développement, avec une priorisation des secteurs de l’éducation et de
la formation, de l’eau et de l’assainissement, de la sécurité
alimentaire ; développement économique, moyennant des appuis au secteur
productif, notamment aux filières agricoles, aux services financiers
(microfinance), aux coopérations décentralisées et aux actions des ONG, à
l’insertion socioprofessionnelle des jeunes dans les grandes villes,
(Kayes) ; maîtrise du français dans le système scolaire, et
environnement francophone dans les domaines culturels et audiovisuels ;
consolidation de la gouvernance : soutien à la réforme et à la
modernisation de l’État, dans la perspective de l’établissement d’un
environnement stable et sûr, nécessaire au développement du pays, avec
des actions au bénéfice de l’état civil, de la modernisation de la
gestion des finances publiques et un soutien à la loi d’orientation
agricole. L’essentiel des crédits bilatéraux, 80 %, concernaient
l’éducation et la formation, l’eau et l’assainissement ainsi que l’appui
au secteur productif. La France soutenait également le « Programme spécial pour la paix, la sécurité et le développement du nord », PSPSDN, du gouvernement malien ; on peut également mentionner un Fonds de solidarité prioritaire, FSP, « Renforcement de la gouvernance au Mali », piloté par le MAEE.
Néanmoins, ces soutiens conséquents
qui couvraient l’essentiel du champ défini par le cadre stratégique de
lutte contre la pauvreté, CSLP, que le Mali avait adopté en 2002, ne lui
ont pas permis de présenter des indices sociaux moins désastreux que
ceux qu’on a rappelés plus haut, ni d’atténuer l’incidence de son taux
de natalité sur ses perspectives de développement, ou encore d’améliorer
un réseau d’infrastructures particulièrement étique, notamment dans le
grand nord. (239)
En outre, à la surprise générale, ce
pays considéré comme le parangon de la démocratie en Afrique, jusqu’au
renversement du président Amadou Toumani Touré, le modèle à suivre par
tout le continent, du moins les pays d’Afrique de l’ouest, a
littéralement implosé sous les yeux incrédules de la communauté
internationale. Certes, le renversement du colonel Kadhafi en Libye a
libéré des forces qui ont pu déferler sur le Mali ; certes, des
revendications insatisfaites des communautés du nord n’attendaient sans
doute qu’une occasion pour être réactivées, – la rébellion touareg
n’avait d’ailleurs pas attendu si longtemps en reprenant les armes dès
2006 -, et ces acteurs ont su opportunément profiter d’une conjoncture
plus favorable ; certes la situation régionale s’était dégradée avec
l’arrivée des trafiquants de drogue latino-américains depuis quelques
années et avait introduit des germes de fragilité, notamment au sein des
institutions…
Mais au-delà des facteurs externes qui
ont contribué à faire tomber le pays comme un fruit trop mûr, ce qui
s’est passé en 2012, et la brutalité avec laquelle cela s’est passé, révèle surtout des fragilités internes aux racines profondes.
En d’autres termes, les chocs externes
ont été d’autant plus efficaces que le terrain leur était favorable. Il
l’était d’autant plus que l’aide internationale n’avait pas contribué
au traitement de la problématique majeure de la faiblesse de l’État et
de l’artificialité des constructions institutionnelles qu’elle
promouvait depuis une vingtaine d’années. En cela, les analystes sont
unanimes (240).
Il y a longtemps que l’on sait la récurrence des rébellions touarègues,
qui ont éclaté dans les années 1962-1964, puis en octobre-décembre
1990, en 1994-1995, encore en 2006 ; que l’on sait que les
revendications nordistes se fondent sur des sentiments de
marginalisation, de relégation économique ; que la problématique de la
décentralisation comme réponse aux promesses faites d’autogestion et
d’autonomie régionale a longtemps tardé à se mettre en place, et de
manière insatisfaisante ; que l’on sait aussi comment les problèmes de
carence des infrastructures étatiques dans les régions nord a contribué à
alimenter le ressentiment des populations pastorales, dans un contexte
environnemental et climatique où les cheptels disparaissaient. (241) Ces questions, évidemment toujours présentes aujourd’hui, mettent en évidence une crise profonde, à la foisinstitutionnelle,
dans laquelle l’État n’est pas en mesure de contrôler son territoire,
de répondre aux attentes de ses populations dans leur diversité, mais
aussi d’ordre sociétal où se constatent de forts décalages entre
l’État, déconnecté des populations, avec lesquelles il n’a plus de lien
formel et auprès desquelles il perd toute légitimité (242).
Là résident précisément les fragilités profondes, connues, sur
lesquelles il aurait été essentiel d’anticiper pour prévenir les risques
de crises, d’instabilité, comme celle qui a mis à bas le pays.
Or, à voir les orientations prises
pour soutenir le Mali dans son processus de sortie de crise, tout semble
se passer comme si la communauté internationale avait, à peu de choses
près, repris le fil de son action comme avant la crise, sans prendre la
véritable mesure des enjeux.
Certes, selon ce que Pierre Duquesne, alors ambassadeur chargé des questions économiques de reconstruction et de développement, rappelait (243),
le monde entier s’est porté au chevet du pays à la Conférence de
Bruxelles de mai 2013. Des innovations méthodologiques opportunes ont
été introduites dans l’élaboration de la feuille de route de la
reconstruction du pays, dans la simultanéité des actions sur tous les
axes afin de mieux prendre en compte les interactions entre les
différentes problématiques. Les autorités de transition ont elles-mêmes
élaboré le plan pour la relance durable du Mali, qui couvre pour la
première fois tous les aspects, sécuritaires, politiques, culturels, au
cours d’un processus où tous les courants étaient représentés, dans une
perspective de projection au-delà des échéances immédiates, et une
stratégie post-électorale a été définie. Les collectivités
territoriales, la diaspora, la société civile et les ONG
internationales, ainsi que les entreprises nationales et internationales
ont été associées dans un processus participatif. Les acteurs ont
coïncidé sur le fait que la crise n’était pas un accident de parcours,
et qu’aux causes exogènes des aspects structurels propres au Mali
s’étaient ajoutés qui avaient conduit à la situation actuelle, qui
supposait d’éradiquer la corruption, de décentraliser le pays avec des
transferts réels et efficaces de ressources, de l’ordre de 30 % à
l’horizon 2018 et d’améliorer la gestion publique au niveau des recettes
et des dépenses, via la réussite d’une réforme fiscale.
Pierre Duquesne se montrait optimiste,
soulignant le bilan et les progrès faits depuis la Conférence de
Bruxelles. Sans nier les interrogations qui persistaient, il voyait dans
le fait que les élections aient eu lieu, dans l’accord de
réconciliation de Ouagadougou, dans les premiers décaissements des fonds
promis par les bailleurs, de son point de vue mieux coordonnés, des
indices très positifs. Il mettait en avant la capacité de
l’administration malienne, faible mais néanmoins réelle, qui permettait
au pays, à la différence d’autres, d’absorber cette manne dont une bonne
partie était versée par aide budgétaire (244).
En outre, l’opération Serval avait provoqué un choc positif et lancé
une dynamique : il y avait désormais une population et une élite
désireuses de changer les choses. En parallèle, les Maliens prenaient
des initiatives concrètes, comme en témoignait la loi contre
l’enrichissement illicite, la lutte, engagée au plus haut niveau, contre
la corruption des magistrats, l’institution d’un vérificateur général,
les avancées en matière de décentralisation, le Président de la
République en ayant la vision et la volonté. Malgré des difficultés, en
matière de gestion des finances publiques, beaucoup de choses
progressaient, comme dans le secteur agricole, autour de l’idée
d’agropoles, avec les PME et les industries de transformation, une
réflexion était en cours sur le développement urbain de Bamako, sur la
politique éducative ou d’autres. Dans le nord même, à Tombouctou, on
constatait un changement de perception dans la population et même si
l’on n’était pas encore revenu à la situation antérieure à la crise, on
était néanmoins sur la bonne voie.
Un an plus tard, des questions fortes
continuent de se poser qui laissent penser que les leçons n’ont pas
forcément été tirées des échecs précédents de l’aide au développement ou
des solutions politiques apportées aux différends. S’agissant de l’aide
de la coopération internationale, une forme de consensus s’est dégagée
après la crise de 2012 sur le fait que le processus politique contre la
dictature, au début des années 1990, avait pour partie conditionné le
regard de la communauté internationale sur le pays. Comme le rappelait Alain Antil, directeur du programme Afrique subsaharienne de l’IFRI (245),
on a finalement admis que cela avait incité à fermer les yeux sur
beaucoup de dérives, notamment sur une évaporation massive des crédits
de l’APD, de notre pays comme des autres bailleurs, alors même que
Bamako faisait preuve d’une grande capacité à détourner les objectifs de
ses destinataires. La récurrence des problèmes du nord, qui n’a cessé
d’être délaissé depuis très longtemps, n’est bien sûr pas étrangère à
cet état de fait. Si le nord a été destinataire de projets de
développement, au demeurant assez nombreux, les intermédiaires locaux
cooptés par le pouvoir central ont joué leur partition pour des raisons
de clientélisme sans souci de développement, cependant que les acteurs
occidentaux se sont laissés aveugler sans réagir, alors que tous les
signaux étaient au rouge. Ni la répétition et l’accélération du problème
touareg, ni la radicalisation religieuse depuis quinze ans, ni
l’ambiguïté d’ATT quant à son pacte de non-agression, ni les risques
d’exportation des problèmes maliens vers le Niger et la Mauritanie
n’étaient ignorés.
La décentralisation au Mali, entre autres problématiques complexes (246)
La consolidation de l’État se présente
effectivement comme le point aveugle de la réforme de décentralisation,
d’autant que cette dernière a été présentée dans les localités comme «
le retour du pouvoir à la maison ». Dans les villages, cette expression a
été notamment comprise comme un retour à l’ordre ancien, celui des
chefferies de canton, voire des chefferies précoloniales, notamment au
niveau territorial. En termes politiques, les élus communaux ont été
lors du premier scrutin généralement choisis dans les familles détenant
la chefferie traditionnelle locale, mais la diversité des stratégies
politiques et l’emprise grandissante des partis au niveau local ont
permis à toutes les composantes de la société (nobles et hommes de
caste) d’accéder au statut de conseiller communal lors des derniers
mandats (hormis les jeunes et les femmes qui restent minoritaires dans
ces assemblées). Dans les communes rurales, les stratégies pour l’accès
au pouvoir mêlent logiques politiques, sociales et territoriales avec
des configurations de conseils communaux allant parfois à l’encontre des
résultats des urnes, le jeu des alliances pour l’élection du maire et
de ses adjoints se réalisant dans un second temps, indépendamment du
choix des électeurs. Ce soupçon sur la légitimité des pouvoirs se
décline ainsi à tous les niveaux, depuis la faiblesse des taux de
participation aux élections jusqu’aux accords entre partis allant à
l’encontre des voix des électeurs. Quid alors du sens de la
démocratie et de son apprentissage quand les rapports de pouvoir et de
contre-pouvoir se négocient hors des arènes classiques ? Si cette
question vaut pour toutes les démocraties, elle se pose avec une acuité
plus forte dans le cas du Mali où d’autres notions, notamment celles de
société civile et de consensus, sont tiraillées entre différentes
logiques. Par exemple, si la société civile malienne a été largement
soutenue par les institutions internationales ces vingt dernières
années, en référence à son rôle dans la chute de la dictature en 1991,
son implication a davantage été recentrée sur la problématique du «
développement » et moins sur sa fonction de contre-pouvoir dans l’arène
politique. À cela s’ajoute l’injonction de consensus promu ces dix
dernières années par le gouvernement d’ATT, qui participe non seulement à
l’affaiblissement politique de l’État mais aussi des pouvoirs locaux,
dont la légitimité (basée sur la compétition entre partis) se retrouve
elle-même diminuée malgré la décentralisation.
Les faiblesses de la société malienne
(analphabétisme, corruption, clientélisme) ont produit de nouvelles
fractures sociales et spatiales qui sont présentes dans tout le pays, et
pas seulement au Nord. Comment redessiner un horizon commun et sur
quelles bases territoriales ? (…) la voie de la décentralisation est une
voie réaliste (entre une restauration du régime antérieur et la
création d’une République islamique), une plus grande autonomie des
régions supposant aussi, au niveau national, un travail qui consiste à «
redéfinir un autre roman (national) qui mêle plusieurs épopées dont les
uns et les autres pourraient être fiers ». Encore faudrait-il que les
assises politiques de cette reconstruction par le haut et par le bas
acquièrent une légitimité, non seulement issue des urnes, mais aussi
basée sur un renouvellement du pouvoir au sein de la Nation.
|
Tout se passe comme si l’on avait
besoin de céder à la facilité, pour pouvoir présenter un exemple
gratifiant au sein de l’espace francophone, en complément de celui du
Sénégal. Le refus d’écorner la belle image rend sourd aux signaux
d’alerte, pourtant très nombreux.
« Il y a moins de dix-huit mois,
Bamako était l’une des capitales africaines les plus prisées par les
sommets internationaux qui venaient y célébrer une démocratie
exemplaire, une économie en croissance, une société tolérante et une
culture ouverte au monde. En dépit de l’activité du Groupe salafiste
pour la prédication et le combat (GSPC), devenu Al-Qaïda au Maghreb
islamique (AQMI), qui organisait ses opérations dans le Sahel à partir
de son sanctuaire malien depuis 2003, en dépit aussi de l’atterrissage
d’un cargo rempli de cocaïne dans la région de Gao en 2009, révélant
l’une des principales plaques tournantes de la drogue en direction de
l’Europe, le Mali était présenté, jusqu’à la fin de l’année 2011, comme
un modèle africain – et francophone – de stabilité démocratique se
préparant à des élections générales en toute transparence. (…) Comment
en est-on arrivé là ? Pourquoi n’a-t-on vu dans le Mali qu’une
république paisible qui sentait bon la démocratie et la laïcité et fermé
les yeux sur un pays musulman profondément travaillé par un déni du
politique ancré sur un malaise social et sociétal pointé par toutes les
statistiques de ces dernières années ? En réalité, la réponse est sous
nos yeux. La communauté internationale organise, en ce moment même, une
magistrale occultation de ces dix-huit derniers mois en imposant une
élection présidentielle le 28 juillet prochain, au prétexte de mettre en
place un pouvoir qui, s’il sera peut-être légal, ne sera en rien
légitime. En effet, l’État malien semble n’être désormais qu’une
production de la communauté internationale – entendez le jeu d’intérêts
multiples mais convergents entre les États-Unis et la France – qui, à
travers les outils techniques et financiers que constituent la Banque
mondiale, le Fond monétaire international, les Nations Unies, ou encore
l’Union européenne, s’attache à stabiliser juridiquement cet espace
économique qu’est l’Afrique de l’ouest. » (247)
|
Les choses ont-elles changé sur ces
points ? Rien n’est moins sûr et le tonneau des Danaïdes continue de
recevoir des financements plus considérables que jamais : aux 3,5 Mds€
promis au Mali à la conférence de Bruxelles se sont ajoutées fin 2013,
de nouvelles promesses pour un montant cumulé de 20 Mds€ pour les cinq
pays sahéliens. Ces montants massifs sont à mettre en balance avec le
fait que le PIB d’un pays comme le Mali, est équivalent à 2 Mds, comme
le rappelait Laurent Bossard, directeur du secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’ouest (248).
Les informations recueillies de
diverses sources et experts rencontrés par votre Mission lui font croire
qu’à ce jour, rien n’est intervenu pour contrebalancer la faillite de
la coopération ni apporter des instruments nouveaux, et l’on ne voit pas
comment les mêmes causes ne produiraient pas finalement les mêmes
effets. L’impression prévaut que l’essentiel pour la communauté des
bailleurs est d’afficher ses engagements, de mettre en évidence aux yeux
de l’opinion publique que l’on n’abandonne pas le Mali, et que tout le
monde se précipite à son secours. Le contexte opérationnel reste
cependant toujours problématique, cf. la question de la coordination
inter-bailleurs : les Nations Unies ont leur secrétariat en Algérie,
l’Union africaine le sien à Niamey, pour ne prendre que ces exemples, et
les initiatives et les stratégies sur le Sahel se sont multipliées plus
que jamais, au point que chacun à la sienne : les Nations Unies, l’UE,
la BAD, la Banque mondiale, l’Union africaine…
De fait, force est de constater que, malgré l’enthousiasme initial, les problèmes sont plus que jamais à vif : tout d’abord, au plan de la situation des populations sur le terrain, qui conduit un coordonnateur de Médecins sans frontières au nord Mali à déclarer en mars 2015 qu’« Une grande partie de la population malienne a un accès limité aux soins. Aujourd’hui, l’aide humanitaire est plus que jamais nécessaire.
Actuellement, au Nord Mali, les besoins sont nombreux. La santé, mais
aussi l’éducation, le manque d’eau potable… Par exemple, les centres de
santé sont souvent non fonctionnels, mal équipés et manquent de
personnels ou même de médicaments de base. Les écoles n’ont plus
d’infrastructures ni d’enseignants pour accueillir les élèves. L’eau
potable se fait rare car les points d’eau (forages) existants sont
abîmés faute d’entretien, ce qui oblige les populations à utiliser des
eaux impropres à la consommation avec tous les risques liés à l’hygiène
que cela induit. » (249)
Il résulte de cette analyse que l’un
des aspects les plus frappants tient à l’incapacité de notre pays et de
la communauté internationale à anticiper les crises qui surviennent en
Afrique francophone. S’agissant de la France, cela semble une
surprenante faiblesse compte tenu de sa connaissance particulièrement
fine des réalités de terrain.
Comme on l’a dit, les crises qui ont
surgi étaient écrites, des signes avant-coureurs les avaient les unes et
les autres annoncées : la crise sécuritaire qui a frappé le Mali en
2012 n’est pas autre chose que la nième récurrence d’épisodes antérieurs
que la communauté internationale avait tenté tant bien que mal de
résoudre ; les éléments de la crise qui décompose en ce moment la
République centrafricaine sont également installés depuis longtemps, et
il n’y a jamais qu’une quarantaine d’années que le virus Ébola a
commencé à frapper diverses régions africaines. Il en a été de même en
Côte d’Ivoire, comme auparavant sur de précédents théâtres de crise. Il
en sera peut-être de même demain ailleurs.
Comme on l’a rappelé en décrivant
l’évolution du nord Cameroun, celles de la Côte d’Ivoire, de la
République centrafricaine ou du Niger, nombre d’analystes et
d’observateurs ont depuis longtemps étudié les effets directs du non-développement de régions entières sur la montée de l’insécurité,
sur l’aggravation des tensions traditionnelles du fait de la
modification de certains facteurs, qui auraient dû alerter les
décideurs, les inviter à réviser des politiques inefficaces ; leurs
travaux sont restés à peu près lettres mortes. De même, nombre de
chercheurs ont perçu et analysé très tôt les évolutions au sein de
l’islam africain. Ainsi, pouvait-on lire dans un des tout premiers
numéros de la revue Politique africaine, il y a près de 35 ans que « la
menace la plus sérieuse pour le pouvoir des confréries ne vient pas des
socialistes ou des nationalistes africains occidentalisés, mais de
l’intérieur du monde de l’islam. Lorsqu’on regarde les courants
réformistes dans le monde musulman contemporain, et en particulier au
Maghreb, on comprend qu’il y a de bonnes raisons de penser que les
idéaux islamiques fondamentalistes peuvent s’affirmer de nouveau en
Afrique noire. L’islam y est d’abord venu à travers le Sahara, depuis le
Maghreb. Ce furent les Arabo-Berbères qui, à l’origine, ont porté
l’islam en pays noir (à partir du XIe siècle) ; et en
conséquence l’Afrique noire est toujours demeurée dans une certaine
mesure sensible au développement de la pensée et des pratiques
musulmanes du Nord. Dans ces conditions, le développement de la
Salafyya, mouvement réformiste fondamentaliste, au Maghreb pourrait être
de mauvais augure pour les confréries soufies d’Afrique noire. Au
Maghreb, l’islam fondamentaliste se répand en dehors des cités et villes
coloniales, et son programme réformiste part à l’attaque, de façon
déterminée et avec un certain succès, contre l’hégémonie spirituelle et
temporelle des confréries soufies. ». (250) De
nombreux anthropologues et sociologues ont également montré que les
crises, violentes, au sein de l’islam burkinabè dans les années 1970,
sont apparues après que le réformisme wahhabite avait commencé de monter
dans la société dès le milieu des années 1960, (251) ou
encore comment les associations islamistes ont commencé à connaître de
plus en plus de succès auprès de la jeunesse dakaroise dès les années
1970-1980. (252) On
a vu plus haut que l’islamisation progressive de la société nigérienne,
ses incidences politiques profondes, en matière familiale, sociale,
éducative, la pression qu’elle exerce dangereusement sur l’État laïc,
sont des questions également, et depuis longtemps, fort bien
documentées. On les constate aussi au Mali : « Ce n’est pas au Nord
seulement que la religion a un bras politique. Au Sud, l’islamisme peut
mobiliser 50 000 personnes contre un code de la famille qu’il juge trop
éloigné de la charia et prendre la tête de la commission électorale
indépendante dans la foulée. Si on en est là, c’est que l’État s’est
montré si obstinément prédateur que la population ne le supportait plus,
et ceci, aussi bien au Sud qu’au Nord. » (253)
Tout cela n’a pas empêché qu’une forme
de discours lénifiant prévale longtemps sur l’Afrique de l’ouest selon
lequel l’islam traditionnel porté par les confréries soufies constituait
un rempart « naturel » contre les influences wahhabites et que la
greffe de la radicalisation n’aurait jamais aucune chance de prendre sur
les sociétés d’Afrique subsaharienne… Jean-Pierre Dozon (254) souligne
au contraire le fait que cette islamisation est très forte malgré
l’implantation du catholicisme sur les zones côtières, en Côte d’Ivoire,
au Bénin, au Togo, etc., le wahhâbisme tendant à s’imposer partout
contre l’« Islam noir » confrérique ; il relève en outre qu’il y a
simultanément une prolifération d’églises évangélistes, au point qu’il
n’y a plus de cinéma à Abidjan, tous sont occupés par des églises
évangélistes !, cela ne cessant de croître. Logiquement, cette montée de
la religiosité induit celle d’un néo-conservatisme africain qui impose
une moralisation forte se traduisant entre autres par la montée de
l’homophobie, qui se développe autour de traditions réaffirmées, avec de
nouvelles législations, mais aussi de la violence, sur fond
d’anti-occidentalisme. En ce sens, le sida a joué comme un révélateur,
autour de l’idée, que l’on retrouve aujourd’hui avec l’épidémie d’Ébola,
d’un Occident décadent et coupable, en contrepoint duquel se développe
un afro-centrisme articulé sur la thématique de la pureté…
Quoi qu’il en soit, grâce notamment à
un dispositif d’expertise très dense, notamment universitaire, sur les
différentes problématiques qui intéressent le continent africain, la
France dispose d’une connaissance particulièrement fine des réalités de
terrain. Les centres français de recherches africanistes sont en effet
nombreux, leurs équipes pluridisciplinaires jouissent d’une renommée
indiscutée, le réseau des Instituts français en Afrique, institutions sans équivalent en Europe, est remarquable. Son directeur, Justin Vaïsse (255), indique que le Centre d’analyse, de prospective et de stratégie, CAPS,
du ministère des affaires étrangères, consulte ces chercheurs français,
mais aussi étrangers, spécialistes de l’Afrique, notamment ceux
travaillant sur les domaines sociaux, religieux, politiques et
économiques, qu’il est aussi en contact avec les IFRE à l’étranger,
comme avec les ONG, les journalistes, et partage ses informations de
manière informelle avec les autres instances en interministériel.
Néanmoins, parmi les chercheurs et observateurs que votre Mission
a pu interroger, plusieurs trouvent regrettable que le gouvernement ne
fasse pas un meilleur usage de leurs travaux et voient un découplage
dommageable entre l’analyse, l’expertise scientifique et la décision
politique qui semble finalement n’être pas informée ou essentiellement
basée sur des impératifs de court terme. Il en résulte un certain
sentiment d’inutilité à voir leurs connaissances non utilisées, quand
bien même la finalité de leurs travaux, financés sur fonds publics,
n’est le plus souvent pas immédiatement opérationnelle, sentiment
d’autant plus fort que les exemples étrangers montrent qu’il peut en
être autrement : au Canada, par exemple, la circulation de l’information
et les échanges entre les décideurs politiques et la recherche
universitaire sont selon eux notablement supérieurs à ce qu’ils sont en
France.
À cette connaissance scientifique très
importante, qui pourrait constituer un atout majeur, si ce n’est
unique, pour la définition d’une politique africaine sur le long terme,
notre pays pouvait ajouter celle de ses assistants techniques qui,
dans les secteurs qui étaient les leurs, sociaux notamment, étaient
aussi de remarquables informateurs des réalités concrètes. La réduction
progressive de cette coopération s’est traduits par une moins bonne
connaissance du terrain, pourtant essentielle. Pour Dominique Kérouédan (256),
dans le domaine de la santé, cette évolution s’est révélée tragique à
la fois pour la qualité de notre politique d’aide au développement et
pour notre influence. Aujourd’hui, nous sommes en retrait sur tous les
plans, en premier lieu, en ce qui concerne notre présence ; l’assistance
technique n’est plus que résiduelle, les intéressés ne sont plus en
poste sur le terrain mais dans les ambassades, ce qui induit une perte
d’expertise dont découle une impossibilité d’anticiper et d’avoir un
regard prospectif, et pèse sur la prise de décisions politiques. Pour
Dominique Kérouédan, des problématiques majeures, telle que la manière
dont les enjeux sanitaires de la région ouest-africaine, vont affecter
le social, l’emploi, dans les années à venir, la manière dont les États
s’y préparent, dont nous-mêmes nous y préparons, etc., sont désormais
ignorées, faute de documentation et de dispositifs permettant d’ajuster
les politiques et de répondre à des phénomènes aux dimensions
démographiques, urbanistiques, sécuritaires, nutritionnelles, etc., que
l’on ne peut plus comprendre, faute de présence sur le terrain. Les
orientations prises dans le cadre de la MAP santé ou dans l’évaluation
de la contribution de la France à l’initiative Muskoka en témoignent
déjà.
Cette question est cruciale et se répète ailleurs. Évoquant d’autres secteurs, des experts comme Olivier Lafourcade (257),
ancien directeur des opérations de la Banque mondiale, président du
Conseil d’administration d’« Investisseurs et partenaires », ou Jean-Marc Châtaignier (258), tenaient des propos identiques en rappelant que la France avait par exemple un avantage comparatif unique sur les problématiques agricoles sahéliennes,
elle disposait probablement des meilleurs centres de recherche en
agriculture sahélienne et tropicale au niveau mondial, tels que le
Centre de recherches Agropolis à Montpellier, qui compte 2 500
scientifiques, l’Institut des régions chaudes, le CIRAD, l’IRD et
d’autres, qui ne sont malheureusement pas suffisamment utilisés alors
qu’ils représenteraient un apport indispensable. Opinions que partage Bruno Losch (259),
pour lequel s’il n’y a pas d’anticipation ni d’instrument d’alerte pour
apporter des réponses aux défis « d’ampleur tectonique » comme le sont
les enjeux démographiques africains, on ne peut que s’inscrire dans une
dynamique de crises généralisées et de conflits très forts auxquels on
ne s’attend pas ; ou encore Thierry Vircoulon (260) sur les problématiques purement sécuritaires, qui soulignel’impératif d’investir dans la connaissance pour comprendre ce qui se joue et être en capacité de faire de la prévention.
On ne peut donc que regretter que
notre pays prenne le chemin exactement inverse, cf. le projet de
suppression de deux IFRE sur quatre, l’IFRA du Nigeria et le CFEE
d’Addis-Abeba, qui mobilise et inquiète vivement la communauté
scientifique. De l’avis de votre Mission, il ne s’agit pas seulement de
la suppression de pôles de recherche scientifique, ce qui en soit est
très regrettable, ce sont aussi les capacités à anticiper de notre outil diplomatique et partant, notre politique et, eu égard au contexte et aux enjeux, notre sécurité qui peuvent en être affectées.
À cet égard, Olivier Ray (261), responsable de l’unité « Prévention des crises et post-conflit » de l’AFD, invitait à prendre garde aux coûts de l’inaction en
matière de situations de tensions, qui pourrait être d’autant plus
élevés que l’on est aujourd’hui confrontés à des problématiques graves
en termes géostratégiques. Éviter que l’Afrique ne bascule dans les
pires scénarios suppose de gérer les risques et les interdépendances
entre le nord et le sud qui ont des enjeux communs. Cela suppose d’une
part de clarifier les objectifs de notre politique d’aide au
développement, on y reviendra, mais aussi d’investir dans la prévention, dont
le coût devrait être utilement mis en balance avec celui des OPEX que
la France a engagées ces dernières années, Serval, Sangaris ou Barkhane
aujourd’hui, qui représentent chacune des dizaines de millions d’euros,
ainsi que celui des OMP onusiennes auxquelles la France participe.
Ainsi, selon les données pour 2015 (262),
la France a tout d’abord budgété un total de 378,5 M€ au titre des OMP
de l’ONU, dont 73,3 M€ au titre de la MONUSCO (RDC) ; 57,8 M€ au titre
de la MINUSMA (Mali) ; 27 M€ au titre de l’ONUCI, (Côte d’Ivoire) ; 25,4
M€ au titre de la MINUSCA, (République centrafricaine), soitquelque 183,5 M€ pour les quatre OMP relatives à des pays d’Afrique francophone. Si
l’on y ajoute le coût des opérations bilatérales engagées sur les
crédits du ministère de la défense, l’avis budgétaire de notre collègue
Guy Teissier nous rappelle qu’en 2014 la France avait des effectifs
d’OPEX s’élevant à 770 hommes en Côte d’Ivoire, 1 161 au Tchad
(Épervier), 2 331 au Mali, 2 294 en République centrafricaine dans le
cadre de Sangaris, auxquels s’ajoutaient 86 personnels affectés à l’EUTM
Mali et 162 sur EUFOR RCA. Notre collègue relevait que les budgets
initialement programmés à ce titre sont systématiquement sous-évalués et
que les surcoûts sont considérables : 1,25 milliard en 2013, 1,13 Md€ en 2014.
Doit-on s’étonner dans ces conditions
que la diplomatie française donne aujourd’hui l’impression de subir en
Afrique plutôt que d’agir ? À entendre les nombreux diplomates que votre
Mission a rencontrés, se dégage en effet comme un sentiment
d’impuissance ou d’inefficacité. Certains argumentent que le ministère
essaie d’anticiper, de voir les signaux annonciateurs, mais l’on n’est
jamais que sur le court terme. Les crises sont parfois soudaines, nous
dit-on, le déferlement d’une rébellion ancienne sur une capitale peut
être imprévisible, le décryptage de ses intentions, de ses financements,
de ses ambitions immédiates est parfois difficile, et, finalement, même
si cette crise n’est pas une nouveauté, « on s’adapte plus qu’on anticipe »,
comme certains le reconnaissaient. A cet effet, on peut rappeler que le
Centre d’analyse, de prospective et de stratégie du MAEDI travaille sur
trois horizons de temps différents : le long terme, à quinze ou vingt ans, qui n’est toutefois pas la priorité dans la mesure où l’essentiel de l’activité porte sur les crises que le ministre doit gérer ; le moyen terme,
entre deux et six ans, qui permet d’établir une sorte de cartographie
donnant un indice des fragilités potentielles, sans caractère prédictif,
sur la base des données transmises par les postes diplomatiques,
prenant en compte les intérêts français et les possibles répercussions
sur la sécurité intérieure ; le court terme, enfin, entre deux et
six mois, avec un outil d’alerte précoce en place depuis l’été 2014,
sur la base de données qualitatives, mêlant information de terrain et
intuition, pour donner au ministre et au Président de la République une
estimation des évolutions des crises en cours ou probables. Les
préoccupations actuelles portent par exemple sur la volatilité politique des régimes africains et les évolutions prévisibles dans un contexte « post-Compaoré », avec les nombreuses élections présidentielles et législatives à venir sur la période 2015-2016, les événements burkinabè ayant montré la mobilisation des populations.
Sur ce plan, il est sans doute utile
de travailler sur les scénarios possibles de la succession de Paul Biya
mais la question peut se poser de savoir si cela est suffisant eu égard
aux enjeux. Alain Antil, directeur du programme Afrique
subsaharienne de l’IFRI, confirmait que de son point de vue, sur le
Cameroun, on ne travaille effectivement que sur le court terme, sans
voir le « post-Biya » et les risques majeurs y compris en termes de
cohésion du pays. Même si des choses sont faites en coulisse, comme sur
différents pays, il estimait qu’il y a un déficit fort de notre
action s’agissant du Cameroun, et que le fait que nous soyons parfois
prisonniers de certaines amitiés prive d’une capacité critique, induit
une bienveillance quelquefois inquiétante. Des messages plus forts
seraient parfois opportuns, qui grandiraient la France, comme François
Hollande avait su le faire à Kinshasa.
De même, s’agissant des questions plus
transversales de sécurité, la réflexion au sein du CAPS semble surtout
porter sur la gestion de crise, que la France est en fait à peu près
seule à pouvoir maîtriser dans la région, raison pour laquelle elle
intervient, bien plus que sur la prévention de moyen terme.
Pour votre Mission, se paie peut-être
ici, outre la déconnexion avec la recherche, un manque certain de
coordination entre les différents instruments que plusieurs
interlocuteurs ont souligné. On a ainsi eu confirmation que le CAPS du
MAEDI, la DAS du ministère de la défense travaillaient de manière
isolée, sans échanger sur leurs analyses, ignorant parfois les sujets
qu’ils étudient. Ce manque de coordination au niveau de l’analyse
institutionnelle se retrouve aussi au niveau opérationnel : que l’on
sache, les dispositifs interministériels de réaction aux crises et de
suivi et d’anticipation à moyen terme, qui avaient été mis enœuvre à
l’orée des années 2000 à la demande du Premier ministre Lionel Jospin,
réactivées dix ans plus tard, semblent être restées lettres mortes. En
ce sens, notre pays semble peiner à réformer ses outils de prévention et
gestion de crises. Comme le remarquait Thierry Vircoulon, l’intérêt
politique à agir avant que les crises n’éclatent est en fait
quasi-inexistant, quel que soit le coût qu’on doive supporter
ultérieurement, la difficulté étant aussi de mobiliser des outils et des
crédits avant que la crise ne surgisse…
Votre Mission voit dans cette absence
d’anticipation, de vision préventive l’une des raisons qui conduit de
manière regrettable, à ce que l’on peut qualifier de militarisation
coûteuse de notre politique africaine.
Certains observateurs se demandent si
le ministère de la défense n’a pas pris une trop grande place dans notre
politique africaine. Jeune Afrique titrait l’an dernier : « France-Afrique : comment l’armée a pris le pouvoir » (263). Pour Christophe Boisbouvier, les nécessités de la realpolitik,
cf. le devoir de réagir en urgence aux crises malienne et
centrafricaine, ont renforcé la très étroite relation qui unit le
Président de la République à Jean-Yves Le Drian, qui a joué dans la part
que le ministère de la défense a pris dans la gestion des affaires
africaines. Les relations particulières qui, du fait des circonstances
se sont nouées au fil des mois avec le président tchadien, principal
allié militaire sur le terrain, auraient contribué à déplacer le curseur
vers le ministère de la défense, si ce n’est le ministre, comme
interlocuteur privilégié des pays africains.
Selon les analyses de Jeune Afrique (264),
pour beaucoup de chefs d’État d’Afrique de l’ouest, le ministre de la
défense est devenu l’interlocuteur français numéro 1, d’autant plus
aisément que la sécurité est la priorité de la sous-région. À titre
d’exemple, on peut relever que, à peine le président Ismaïl Omar Guelleh
se plaint-il dans les colonnes de Jeune Afrique que « La France ne nous considère pas » (265), que Jean-Yves Le Drian annonce dès le lendemain (266) être
prêt à se rendre à Djibouti dans les premiers jours d’avril. Si le
ministre de la défense se rend très souvent sur le terrain, en revanche
les autres acteurs de la politique africaine se déplacent moins. Le
reproche en a été exprimé par certains de nos interlocuteurs lors de
notre déplacement au Cameroun, ce dont Sébastien Minot (267), sous-directeur Afrique centrale, était convenu : il y a peu de visites
gouvernementales au Cameroun, avec lequel manque un dialogue politique
fort, et l’on regrette sur place que les plus hautes autorités de l’État
ne viennent pas plus souvent ; la dernière visite du Premier ministre
français remonte à 2009, celle d’un Président de la République à 1999.
Au-delà du cas du Cameroun, c’est l’ensemble des pays de la région
d’Afrique centrale qui expriment une grande attente de visites, qui
seraient utiles pour traiter des évolutions négatives que connaissent
certains d’entre eux, même s’il est entendu que l’exercice est
difficile, cf. les questions constitutionnelles abordées avec les
présidents congolais ou burkinabè au cours des derniers mois.
De fait, comme le souligne entre autres observateurs attentifs, Laurent Bigot (268),
ancien sous-directeur Afrique de l’Ouest du MAEE, désormais consultant
indépendant, il y aurait aujourd’hui une surreprésentation des
militaires dans la prise de décision sur les questions africaines, qui
ont pris une place laissée vacante par les diplomates du Quai d’Orsay
ou même de l’Élysée. L’État-major particulier du Président de la
République occupe aussi un espace sans cesse croissant et beaucoup de
décisions sont prises par des acteurs hors la sphère diplomatique. Cette
surreprésentation tiendrait aussi à l’évolution de la sociologie
interne au Quai, et au fait que les compétences traditionnelles que le
ministère avait sur l’Afrique francophone ont peu à peu été remplacées
par d’autres, tenues par des diplomates qui n’ont pas la même fibre,
issus de la filière swahiliphone, plus naturellement tournés vers
l’Afrique de l’est que vers l’Afrique de l’ouest. À ce sujet, Aline Lebœuf et Hélène Quénot-Suarez dans une étude récente de l’IFRI (269) soulignent « la
volonté marquée de normaliser le recrutement des « Africains » du
gouvernement et des administrations a conduit à privilégier la mise en
poste de diplomates africanistes. Ayant passé le concours d’Orient, ils
sont donc swahiliphones. C’est un remarquable atout pour l’ouverture de
la France à des pays africains qu’elle connaît encore peu. Dans le même
temps, l’Afrique de l’Est, où le swahili est utilisé, est une zone où la
France a un faible avantage comparatif et peu d’intérêts stratégiques.
Il reste donc finalement peu de spécialistes pour traiter de la zone
Afrique de l’Ouest et les rares en poste n’ont pas toujours la
possibilité, nous l’avons dit, d’aller sur le terrain et de se créer un
réseau de contacts dans leur zone de travail. » Or, c’est précisément dans cette zone que le besoin d’expertise est aujourd’hui le plus criant. Au point qu’Alain Antil (270) estime
même que le Quai d’Orsay ne pèse plus sur le Sahel, le fait que l’on
ait envoyé 3 000 militaires au Mali mais un seul diplomate de renfort à
l’ambassade de France à Bamako contribuant à le prouver…
Le risque de cette évolution est
pluriel. De la même manière que l’on s’est interrogé plus haut sur
l’efficacité des politiques d’aide au développement telles qu’elles
étaient conduites, le bilan en matière de stabilité d’une telle
politique appelle aussi plusieurs remarques.
Tout d’abord, comme on l’a vu, les
interventions militaires successives n’apportent pas par elles-mêmes
d’apaisement durable, encore moins de paix définitive.
Ensuite, sur la longue durée, les
pressions internationales pour arracher les accords de paix ont accouché
de solutions fragiles. Sans l’adhésion de la « base », qu’elle soit
partisane, ethnique, religieuse ou autre, les accords obtenus par la
communauté internationale avec des acteurs réticents à les signer ou les
respecter, risquent fortement d’achopper au moment de leur
ratification.
La France est louée pour oser, seule
parmi les puissances occidentales, engager ses hommes sur le terrain
dans les moments les plus difficiles pour l’Afrique, mais elle ne doit
pas donner uniquement cette image. Le problème est aujourd’hui que, quoi
que la France fasse, elle se retrouve facilement montrée du doigt :
qu’elle intervienne et elle est accusée de néocolonialisme,
d’ingérence ; qu’elle s’abstienne, et son indifférence lui sera
reprochée. On en voit aujourd’hui les illustrations dans des pays aussi
divers que le Mali, la République centrafricaine ou le Cameroun.
Cette situation n’est pas soutenable
durablement, tant en termes politiques que militaires, tant en termes
budgétaires que d’image de notre pays, même si la France est la seule à
pouvoir agir sur le continent comme elle le fait. Elle l’est d’autant
moins aussi, que malgré tous les efforts, par exemple concernant la
reconstruction de la République centrafricaine où tout reste à faire,
les résultats ne sont pas au rendez-vous. S’il est heureux que l’on
réussisse à entraîner dans l’aventure d’autres pays européens et
organisations internationales, force est de constater la difficulté, si
ce n’est l’impasse, dans laquelle on se trouve aujourd’hui.
Cela étant, la sortie de la phase
militaire pour aborder la reconstruction est un processus complexe qu’un
pays seul ne peut réussir. Cela renvoie à la nécessité de nouvelles
approches, complémentaires, à la question de la coordination entre
projets des bailleurs, qu’on a abordée s’agissant du Mali, à celle du
leadership que la France entend conserver sur une région clef pour elle.
On y reviendra dans la toute dernière partie de ce rapport.
3. Qu’en est-il des intérêts de la France ? Une politique africaine qui ne permet pas à notre pays d’améliorer ses positions
Au-delà de la question de la stabilité
et du développement de l’Afrique francophone, se pose aussi celle de
savoir dans quelle mesure notre politique contribue à conforter nos
intérêts sur le continent. Sous cet angle, votre Mission a choisi de se
pencher sur deux aspects : celui de la relation économique ; celui de
l’image de notre pays.
Cette question est de celles qui ont
été les plus débattues au cours des dernières années, sur la base du
constat selon lequel la France serait aujourd’hui en train de décrocher
dans le paysage économique africain, que quelques nouveaux venus, la
Chine en premier lieu, viendraient lui tailler des croupières sur ses
terres de prédilection, sans égard pour l’ancienneté de ses positions.
De fait, partant des situations monopolistiques qui étaient les siennes
autrefois, l’évolution aurait difficilement pu être différente.
Au demeurant, comme on l’a rappelé,
pour diverses raisons, tenant à son poids démographique, l’Afrique
francophone pèse d’un poids relativement faible, d’environ 240 Mds$ de
PIB global pour une population inférieure à 300 millions d’habitants.
Les géants économiques et démographiques du continent sont ailleurs.
Cela ne l’empêche pas d’avoir des taux de croissance plutôt légèrement
supérieurs à ceux d’autres zones géographiques, dans un contexte général
où les forces et faiblesses des uns et des autres sont grossièrement
les mêmes : fondamentaux économiques et perspectives à peu près
comparables ; forces et faiblesses également proches.
Cela étant, on peut difficilement suivre les observateurs, comme Yves Gounin (271) qui
se plaisent à relativiser l’intérêt économique de la France sur
l’Afrique, compte tenu de la faiblesse de ces échanges. Dans la
conjoncture que l’on connaît, on ne peut ignorer l’importance que
l’Afrique francophone représente pour notre commerce extérieur. En 2014,
les exportations françaises vers l’Afrique subsaharienne dans son
ensemble ont représenté 12 Mds€, dont 7 Mds à destination des pays
francophones, malgré leur poids économique inférieur. En outre, comme Arnaud Buissé (272) le
rappelait, la part de marché française dans les deux plus grosses
économies africaines, l’Afrique du Sud et le Nigeria, n’est que de 2,5 %
et 3,5 % respectivement, nos exportations ne pèsent que 0,6 % et 0,25 %
de leur PIB, alors que les données sont nettement en notre faveur dans
les pays de l’aire francophone : la France détient ainsi quelque 28 % de
parts de marché au Gabon, 19 % au Congo, 16 % au Tchad ou 15 % au
Niger.
Ces relations commerciales nous
permettent de réaliser un excédent enviable d’1 Md€ sur l’ensemble de
l’Afrique subsaharienne, et, si l’on considère uniquement les pays
francophones, de 4,5Mds€. Nos excédents commerciaux se retrouvent par
exemple vis-à-vis du Togo (700 M€), du Sénégal (650 M€), du Gabon
(550 M€), du Cameroun (425 M€) ou encore du Mali (340 M€). L’Afrique
francophone représente un enjeu commercial d’autant plus important
lorsqu’on met ce bilan en balance avec le déficit commercial global de
notre pays, de 70Mds€ l’an dernier.
Pour autant, on fera aussi remarquer que dans la liste des cinquante pays prioritaires du commerce extérieur que la stratégie de décembre 2012 (273) a
définie, l’Afrique brille par sa discrétion : il n’y a en tout et pour
tout que quatre pays d’Afrique subsaharienne qui y figurent : l’Afrique
du Sud, la Côte d’Ivoire, le Kenya et le Nigeria. La Côte d’Ivoire est
donc le seul pays d’Afrique francophone considéré comme suffisamment
prometteur pour justifier d’une attention particulière de la part des
services du commerce extérieur. Ces quatre pays dans leur ensemble sont
perçus comme intéressants eu égard à leurs besoins en infrastructures,
et aux fortes perspectives d’augmentation des achats de biens de
consommation, possiblement la plus forte au niveau mondial. Dans ces
pays, comme dans les pays émergents, l’objectif affiché est de « sortir du seul prisme des grands contrats et conquérir des parts de marché dans le commerce courant. » La mise en œuvre de la stratégie se déclinera par une « démarche
verticale, de contacts entre gouvernements, puisque les États y
conservent souvent des responsabilités importantes en termes de
définition des normes, de commandes et politiques publiques. » Pour
autant, aucun de ces quatre pays africains n’est considéré comme cible
pour notre secteur de « produits agricoles et agroalimentaires », ni
pour celui de l’équipement agricole. Ils ne figurent pas non plus parmi
ceux qui sont ciblés pour les secteurs « santé et bien-être », « haute
technologie électronique et numérique » ou « ville durable » : ce
dernier point est peut-être celui qui surprend le plus, dans la mesure
où les problématiques d’infrastructures urbaines, d’assainissement, de
gestion des déchets, de traitement des sites pollués, ainsi que
l’urbanisme, la construction, l’efficacité énergétique ou la mobilité
urbaine, sont aujourd’hui au cœur des stratégies mises en œuvre par
l’AFD, notamment dans les pays émergents. Finalement, aucun des quatre
axes de la stratégie de commerce extérieur ne vise concrètement l’un ou
l’autre des quatre pays africains. À l’évidence, ce n’est pas sur
l’Afrique, ni surtout l’Afrique francophone, que le gouvernement compte
pour rééquilibrer notre commerce extérieur.
Reste que dans ce tableau, la France perd effectivement des parts de marchés en Afrique subsaharienne,
au profit des émergents les plus importants que sont la Chine et
l’Inde, mais aussi d’autres pays : le Brésil, la Turquie, la Malaisie,
l’Iran, les États-Unis et bien d’autres. Selon le rapport qu’Hubert Védrineet ses cosignataires avaient remis au ministre de l’économie et des finances en décembre 2013 (274),
la part de marché de la Chine en Afrique est passée de moins de 2 % en
1990 à plus de 16 % en 2011, tandis que celle de la France déclinait de
10,1 % en 2000 à 4,7 % en 2011. Sur l’ensemble de l’Afrique
subsaharienne, la Chine fait désormais jeu égal avec nous dans les
quatorze pays de la zone Franc. En revanche, en volume et en valeur, nos
exportations continuent d’augmenter, multipliée par deux dans le même
temps, et notre stock d’IDE progresse fortement, multiplié par quatre
entre 2005 (6,4 Mds€) et 2011, année où il a atteint 23,4 Md€. Ce qui
fait dire à Etienne Giros (275) qu’il
n’est pas juste de dire que la France perd pied en Afrique. Au
demeurant, le président délégué du CIAN soulignait qu’il était
nécessaire de tenir compte des caractéristiques propres aux positions de
notre pays vis-à-vis de l’Afrique : d’une manière générale, les
entreprises françaises sont plus dans des stratégies d’implantation que
d’exportation, ce qui fait que des groupes comme Bolloré, gestionnaire,
entre autres, de quatorze grands ports africains, ou Castel, réalisent
des opérations majeures, en termes d’investissement, sur fonds propres,
qui n’apparaissent pas dans les statistiques du commerce extérieur. Dans
le même esprit, on peut aussi citer le cas de l’usine Renault de Tanger
qui fournit le marché africain.
Les graphiques ci-dessous montrent
l’évolution comparée des parts de marché de notre pays et de quelques
autres, dont la Chine et les États-Unis, en Afrique centrale sur la
période 2000-2012 (276) : la France et les pays européens déclinent clairement au profit des émergents.
Cela étant, il est préoccupant de voir
que dans un pays comme le Cameroun, par exemple, la réduction de nos
parts de marché est plus rapide que celle de quiconque. Comme le
souligne Pascal Maccioni, chef du service économique régional de
Yaoundé, la France est le principal perdant dans ce jeu de la
concurrence, sa part s’érodant sur tous les marchés, même si elle reste
deuxième fournisseur avec un peu plus de 15 % du marché en 2012, et
cette érosion de notre présence relative doit inciter à chercher quel
dividende il serait possible de tirer de l’arrivée de nouveaux
partenaires, commerciaux comme investisseurs.
On ne doit cependant pas oublier que
le grignotage de nos parts de marché s’accompagne aussi de la montée des
IDE de la part des émergents, et d’implantations d’entreprises. En
d’autres termes, si les positions françaises en Afrique francophone
bénéficient encore de la proximité et de la coopération de notre pays
avec ces différents pays, sans doute convient-il de rester attentif aux
évolutions.
Il est donc important que notre pays
réussisse à maintenir une relation privilégiée avec les pays
francophones. Sans s’interdire les incursions opportunes sur des régions
du continent auxquelles notre pays est moins accoutumé, comme les
émergents anglophones, par exemple, il serait suicidaire de lâcher la
proie pour l’ombre. À cet égard, le rapport Védrine concluait
aussi sur la mise en retrait de l’État français sur la dernière
décennie, et appelait à une relance des relations administratives et
politiques de haut niveau. Il n’est pas certain que depuis lors de
grands changements soient intervenus. Il n’est pas fréquent que le
Premier ministre, ou le ministre de l’économie se rende en Afrique, et
l’on a vu ce qu’il en était de la dernière période où c’est surtout le
ministre de la défense qui est sur le terrain, plus que le ministre des
affaires étrangères. L’actualité sur le front des tensions sécuritaires a
aidé cette évolution, mais on aurait sans doute avantage à s’inspirer
des pratiques de quelques gouvernements européens en matière d’impulsion
politique.
Les échanges commerciaux entre la France et le Cameroun :
le point au premier semestre 2014 (277)
Entre les premiers semestres 2013 et
2014, les échanges franco-camerounais (selon les douanes françaises) ont
enregistré une nouvelle baisse, après celle enregistrée entre les
premiers semestres 2012 et 2013 (-1 %) passant de 458 M EUR à 420,7 M
EUR (-8,2 %). Cette diminution des flux commerciaux échangés entre le
Cameroun et la France pendant le premier semestre 2014 est liée à une
baisse de 8,1 % des exportations françaises, couplée à une baisse de
8,2 % des importations. La France reste parmi les grands clients du
Cameroun. Historiquement premier fournisseur du Cameroun, la France
occupe depuis 2013 la troisième place, derrière le Nigeria et maintenant
la Chine. Sa part de marché s’est érodée au cours des vingt dernières
années, passant de 38 % en 1990 à environ 14,1 % en 2013, et s’établit à
18,1 % hors hydrocarbures en 2013. Les exportations françaises sont
essentiellement constituées de biens intermédiaires (produits
pharmaceutiques), de biens d’équipement et de produits agricoles.
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Cela étant, des initiatives intéressantes sont prises aujourd’hui, en premier lieu le Forum AfricaFrance pour
une croissance partagée, lancé en février dernier. Pour autant si les
partenariats entre l’Afrique et la France, entre leurs entreprises,
leurs communautés sont indispensables, qui contribuent à leurs
prospérités respectives, il convient de ne pas oublier que la relation
économique sera d’autant plus étroite et fructueuse pour chaque partie
que ce ne sera pas seulement sous l’angle de la « diplomatie
économique » que la France l’articulera. À ce propos, Laurent Bigot (278) estimait
que l’on serait dans l’erreur à trop centrer notre politique africaine
sur ce volet car cela revient à tendre nous-mêmes les verges pour nous
faire fouetter par une concurrence très forte qui joue contre nous. Le
marché est ouvert, et ceux qui se sentaient autrefois dans une relation
privilégiée avec nous n’ont pas de scrupule à faire jouer la
concurrence, chacun d’entre nous a pu le constater lors de ses
déplacements sur le terrain. Il ne faut donc pas perdre de vue que notre
influence est assise avant tout chose sur nos avantages comparatifs,
sur nos valeurs, grâce auxquels les Africains nous perçoivent
différemment que comme un partenaire commercial. Pour l’ancien
sous-directeur d’Afrique de l’Ouest du MAEDI, c’est précisément la
défense de ses principes et de ses valeurs, c’est son influence sur le
terrain de l’idéal, d’un projet de société, qui peuvent permettre à la
France de décrocher des contrats, c’est de cela que devrait découler la
politique économique.
À cet égard les représentants de la
communauté française des affaires que votre Mission a eu l’occasion de
rencontrer lors de son déplacement à Douala et à Yaoundé en janvier
dernier, ont considéré que ce n’était pas tant d’instruments
complémentaires, telle qu’une banque du commerce extérieure, ou de
financements, que les entreprises françaises avaient besoin, elles les
trouvent aisément sur le marché local ; ce qui fait défaut,
assument-ils, c’est en premier lieu l’envie de venir se frotter aux
réalités de terrain de la part des entreprises, ce qui renvoie aux
raisons fondamentales pour lesquelles il leur est si difficile de percer
à l’international, toutes géographies confondues. Ils estiment en revanche que notre pays dispose de certains atouts pour résister à la concurrence, notamment chinoise. La promotion de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises,
notamment, permet de durcir le niveau de la compétition et ne peut
qu’être positive, comme le rapport « Un partenariat pour l’avenir »
l’avait d’ailleurs souligné (proposition n° 8 : Promouvoir l’économie
responsable et l’engagement sociétal des entreprises).
Comme le souligne Jean-Christophe Belliard, directeur Afrique du MAEDI (279),
sur la scène diplomatique internationale, et notamment sur le continent
africain, l’image de la France est aujourd’hui unique. Elle permet à la
France de pouvoir convoquer la Conférence de Bruxelles de mai 2013 pour
la reconstruction du Mali, de réunir au sommet de l’Élysée en décembre
2013 plus de participants qu’il n’en viendra au sommet Union
européenne-Afrique en avril 2014, ou encore, au Président François
Hollande d’être l’unique invité d’honneur au cinquantenaire de l’Union
africaine, ainsi qu’au 100e anniversaire du Nigeria, alors même que la France avait soutenu le Biafra dans sa guerre d’indépendance.
Ces succès sont les fruits
indiscutables de l’engagement de notre pays sur le front des crises. La
France fait des efforts militaires que d’autres ne font pas, au Mali, en
République centrafricaine, plus généralement dans le Sahel où elle est
présente continument. Elle est dans une phase où les circonstances lui
permettent de montrer son savoir-faire militaire, ses capacités de
projection sur la scène internationale, et cela est porté à son crédit
par des pays comme la Chine ou la Russie.
Sur d’autres théâtres ou face à
d’autres menaces, la France est sans doute moins directement exposée,
mais elle n’en joue pas moins sa partition. Ainsi en est-il de la
problématique de la piraterie dans le Golfe de Guinée qui touche
l’Afrique de l’ouest et l’Afrique centrale, et notamment des pays comme
le Gabon, le Cameroun, le Congo. La France soutient les efforts de la
Communauté économique des États d’Afrique centrale, CEEAC, qui coordonne
son action avec la Communauté économique des États d’Afrique de
l’ouest, CEDEAO. Après les opérations menées depuis Djibouti par l’Union
européenne sur la façade est du continent avec l’opération Atalante,
sur initiative de la France, la préoccupation s’est reportée ces
derniers temps sur la côte atlantique où la piraterie est devenue un
fléau majeur, compte tenu des connexions désormais avérées entre groupes
terroristes et mafieux de diverses origines, et des potentialités de
déstabilisation, de risques de dommages considérables pour les économies
régionales dont les importations et exportations, par exemple
d’hydrocarbures, transitent par le Golfe, qu’il s’agisse des pays
côtiers ou des pays enclavés de l’intérieur, Tchad et Niger notamment.
Lors de son déplacement au Cameroun, votre Mission a eu l’occasion de
visiter le Centre interrégional de coordination, qui met en œuvre la stratégie de sécurisation maritime du Golfe, de s’entretenir longuement avec ses responsables (280) et
de constater l’implication durable de notre pays, – l’opération Corymbe
a été lancée il y a plus de vingt ans -, tant en présence qu’en
assistance technique.
D’une manière générale, cette
politique d’intervention rencontre l’assentiment des populations et des
autorités des pays africains, au-delà de la sphère francophone. Elle
permet globalement à notre pays d’avoir un dialogue politique et d’être
en accord sur de nombreux sujets avec divers partenaires, comme c’est le
cas avec le Nigeria. Il importe de capitaliser ce crédit pour en tirer
profit sur le long terme.
Cela étant, malgré ces succès
diplomatiques, les pays dans lesquels la France est aujourd’hui mal vue
ne sont pas rares. Cela se constate à plusieurs niveaux, pour diverses
raisons, et se traduit de manière parfois spectaculaire, comme au
Cameroun, comme votre Mission a pu le constater.
Dans ce qui se joue autour de la
relation bilatérale de la France avec les différents pays, l’histoire
pèse aujourd’hui encore d’un poids majeur. Ainsi en est-il au Cameroun,
pays dans lequel la France fait actuellement les frais de campagnes de
presse étonnamment agressives. À l’heure où le pays fait face aux
assauts de Boko Haram, les accusations de soutien que la secte
terroriste recevrait de la part de notre pays sont fréquentes. On voit
derrière Boko Haram la main de la France, qui serait obnubilée par la
déstabilisation du président Biya.
À écouter Mathias-Éric Owona-Nguini (281), par exemple, c’est en fait depuis l’indépendance que le rapport avec la France est compliqué et conflictuel, et tant que le Cameroun n’aura pas réussi à dépassionner cet épisode, cet amour-haine sera difficile à combattre (282).
L’idée est encore présente aujourd’hui de l’usurpation du pouvoir par
la France au moment de l’indépendance. Ce sont d’ailleurs des partisans
ou anciens membres de l’UPC, écartée alors, qui mènent campagne dans
certains média, comme Afrique Media, chaine de télévision qui
diffuse des « débats » d’opinion, dans lesquels un délire antifrançais
est déversé à longueur de soirées, dans l’objectif de faire le buzz pour la population sur un discours probablement supposé rassembleur.
Quoi qu’il en soit, de très nombreux
interlocuteurs rencontrés à Douala et Yaoundé ont confirmé la diffusion
de ce type de discours et la prégnance de cette mauvaise perception de
notre pays. Ainsi, Bolloré, gestionnaire du port, a-t-il été accusé
d’importer des armes pour les fournir à Boko Haram ; le moindre prétexte
est sujet à manifestation d’aigreur et certains évoquent un climat
parfois tendu, soupçonneux, et estiment qu’il ne faudrait pas qu’un
élément déclencheur mette le feu aux poudres.
Cette relation compliquée, alimentée
par la rumeur incessante et irrationnelle, part du postulat selon lequel
la France doit faire plus pour le Cameroun, et que si elle ne répond
pas à cette attente, c’est que d’autres intérêts l’en détournent. En
même temps, si elle intervient quelque part sur le continent, la
réaction positive cédera vite la place au soupçon de néocolonialisme.
Dans ce contexte, de quelque manière que la France agisse, elle suscite
jalousie, rancœur ou méfiance. Si Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence, avait naturellement tendance à relativiser les risques (283),
votre Mission doit indiquer avoir senti une réelle préoccupation, qui
ne vire certes pas à la psychose mais justifierait qu’un message soit
passé aux autorités gouvernementales du pays pour éviter les dérapages
éventuels, d’autant plus que, selon Marie-Emmanuelle Pommerolle (284),
on perçoit ce sentiment dans tout le pays, pas uniquement chez les
jeunes urbains ou dans les populations campagnardes, mais aussi chez les
élites, et cela est lié aux manipulations internes au sein du RDPC ; ce
pourrait être potentiellement dangereux en cas de crise, mais cela
participe aussi d’une forme de ciment et joue comme un élément de la
solidité du régime sur une thématique nationaliste.
Le fait que notre pays ait
actuellement une excellente image dans les cercles diplomatiques
africains ne doit donc pas être considéré comme suffisant et la
perception des populations est un élément qui doit être valorisé très
soigneusement. La question du regard porté à nos forces armées sur le
terrain, libératrices dans un premier temps, forces d’occupation dans un
second, et rapidement, est un sujet important, si ce n’est majeur, sur
lequel il faut porter une extrême attention, dans la mesure où elle
conditionnera l’adhésion des populations africaines à la France, ou leur
aliénation, pour des années. À cet égard, Laurent Bigotfaisait
remarquer qu’il nous est reproché d’apporter une réponse exclusivement
militaire au terrorisme que, sur notre territoire, nous combattons par
le droit. De sorte que la France est vue comme déniant le droit de se
défendre à ceux qu’elle considère comme terroristes, alors que ces
derniers ne sont pas perçus comme tels par les populations en raison de
leurs actions en matière sociale, économique, sanitaire, etc.,
effectuées en substitution à l’État défaillant. Ce qui leur confère une
véritable légitimité.
Sur le long terme, notre politique
risque de nous faire perdre la collaboration et l’adhésion des
populations locales dans cette lutte. Au Mali, une partie des
populations du Nord choisit d’ores et déjà son camp, qui n’est pas le
nôtre, car nos moyens ne correspondant pas à notre discours.
De même Jean-Pierre Bat (285),
historien, responsable du fonds Foccart aux Archives nationales, attire
l’attention sur le fait que la bataille de l’opinion publique est très
souvent perdue par la France, – cf. chez les militants pro-Gbagbo en
Côte d’Ivoire – et que dans son « kit » intervention militaire + soutien
à la démocratie, c’est de loin le premier élément qui domine largement
dans la perception des populations. Notre pays apparaît comme facteur
d’immobilisme, comme un frein à l’évolution souhaitée des sociétés.
En d’autres termes, la réponse
militaire, indispensable, ne doit être que celle de l’urgence. Sur le
long terme, il est essentiel de revenir à la racine des problèmes, à
l’origine politique de la crise et non aux symptômes, sur lesquels il
faut surtout agir, au risque de graves difficultés.
Sans doute d’une manière générale,
faut-il y voir aussi le fait que notre pays ne semble pas avoir tenu
compte de l’évolution des sociétés africaines, de la montée de nouvelles
aspirations de la part de la jeunesse, avec laquelle les gérontocraties
au pouvoir ne sont plus en contact, si tant est qu’elles l’aient jamais
été. Notre pays n’a pas su se distancier des classes dirigeantes qu’il a
toujours soutenues, et surtout, ne s’est pas encore connecté avec les
jeunes générations, qui feront l’Afrique de demain.
Cet aspect est d’autant plus important
que les crises qui éclatent aujourd’hui, comme celles qui éclateront
demain, sont aussi et avant tout des crises de citoyenneté, dans le
cadre de sociétés fortement hiérarchisées, où des situations non réglées
perdurent, où des gérontocraties hégémoniques au pouvoir depuis
plusieurs décennies parfois, cf. le Burkina Faso, le Cameroun, le Congo,
le Tchad, occupent toutes les positions politiques et institutionnelles
sans laisser d’autre voix que celle de la rue aux « cadets du bas », pour reprendre une expression de Richard Banégas (286),
actuellement sans aucune espérance. Cette réalité nous a également été
très largement confirmée par nombre d’entretiens au Cameroun au cours
desquels nos interlocuteurs ont exprimé leur inquiétude devant le fossé
aujourd’hui infranchissable entre une jeunesse nombreuse et non
intégrée, sans aucune perspective, et une génération de seniors qui
l’ignore, ne sait rien de ce qu’elle pense et prépare, et continue de
manipuler sans partage les leviers de pouvoirs politiques et économiques
aux échelons supérieurs et intermédiaires. Cet « autisme » est d’autant
plus explosif que le gâteau de la croissance est réparti de la manière
la plus inégale qui soit, que les conditions de vie se dégradent pour la
majeure partie de la population. Lors d’une rencontre avec un groupe
d’étudiants camerounais (287),
anciens boursiers en France, il était frappant d’entendre un discours
univoque de leur part dont il ressortait la conclusion simple et
désabusée, que le gouvernement ne croyait pas en la jeunesse du pays.
Même dans des pays de faible tradition
revendicatrice ou contestatrice, comme le Cameroun, le fossé
générationnel est tel que des dynamiques s’inscrivent dans la longue
durée dont il faudra tenir compte : ce qui s’est passé ces dernières
années dans les pays arabes, plus récemment au Burkina Faso, commence à
les mettre en évidence. Si nous entendons ne pas perdre tout lien avec
les futures élites, il serait urgent de s’y intéresser pour ne pas être
en position d’avoir à nouer un dialogue avec une jeunesse qui, tôt ou
tard, sera par la force des choses aux commandes. Dans cette optique
même si une nouvelle classe politique ne peut encore émerger compte tenu
des règles pipées du jeu interne, élargir le spectre de nos contacts et
connaissances est une nécessité qui contribuera aussi, dans un premier
temps, à atténuer le discours anti-français qui monte en puissance. Assane Diop, journaliste à RFI (288), était de ceux de nos interlocuteurs qui insistaient sur le fait qu’il y aujourd’hui une incompréhension forte entre la France et la jeunesse africaine,
dont la perception a totalement changé : notre pays est vu comme
passéiste, n’intervenant que pour la défense de ses intérêts ; de
quelque manière qu’il agisse, son action diplomatique est contestée,
perçue comme instrumentalisant les nationalismes pour mieux manipuler et
dominer ses ex-colonies.
À cet égard, on ne peut manquer de souligner une nouvelle fois que la politique de visas que
nous avons mise en place ces dernières années s’est révélée dramatique
pour l’image de notre pays. Quand bien même, par exemple, la France
donne encore plus de visas d’étudiants que les États-Unis, elle est
perçue comme plus chiche, tant l’évolution a été brutale et
traumatisante pour les intéressés. Au-delà du seul cas camerounais, Jean-Pierre Dozon (289) rappelle
à ce sujet que l’anti-occidentalisme a commencé de se développer dans
la décennie 1990, notamment vis-à-vis de la France, précisément en 1994
avec la dévaluation unilatérale du franc CFA, qui a été perçue comme la
perte du lien bilatéral unique, juste après la mort du président
Houphouët-Boigny « qui n’aurait jamais accepté ça ». Ultérieurement,
la problématique de l’immigration s’y est ajoutée, qui a été vécue
comme un rejet : la France était autrefois la deuxième patrie ; en 1946,
les Africains sont devenus citoyens ou quasiment et si en 1960, ils ont
accédé à l’indépendance, l’imaginaire est resté intact et, jusque dans
les années 1990, il n’y avait pas besoin de visa pour venir en France.
Le coup d’arrêt a été d’autant plus violent et mal compris, jusque parmi
les élites, et la double appartenance qui avait été entretenue
jusque-là par la France a disparu.
Cela étant, d’une manière générale, on souligne aussi le défaut de communication qui
contribue à entretenir cette mauvaise perception aujourd’hui bien
enracinée. D’une manière plus générale, plusieurs de nos interlocuteurs
camerounais tenaient des propos comparables, faisant d’ailleurs
remarquer que la France était incapable de savoir profiter de ses
positions, de communiquer sur ses avantages comparatifs, pourtant
nombreux, et ne savait pas non plus profiter des erreurs de ses
adversaires, ne serait-ce que des désillusions que provoquent par
exemple la mauvaise qualité des produits chinois. Elle laisse ainsi
béants des espaces qu’elle pourrait combler en s’exprimant plus et
mieux, que ce soit sur les projets d’aide au développement qu’elle
finance via l’AFD mais dont la visibilité ne lui profite en aucune
manière – ainsi de ce tronçon routier aux abords de Yaoundé, financé par
la France mais connu de tout le monde sous le nom de « route des
Chinois », que ce soit sur d’autres sujets : un observateur très
attentif comme Mathias-Éric Owona-Nguini (290) considère même que la France est invisible et que cela participe de l’entretien de l’hostilité générale dont elle est victime.
« La France, pas plus que l’Europe,
ne retrouvera la prospérité et le progrès si, à quelques centaines de
kilomètres de ses côtes, règnent la misère et le désespoir. (…) Nous ne
pouvons accepter qu’une crise sociale, morale et militaire se généralise
dans une région si proche de nous. La faillite de l’Afrique serait
aussi la nôtre. Nos intérêts sont durement touchés par les crises
africaines, qu’il s’agisse du développement du commerce, de la sécurité
de nos approvisionnements en matières premières, de risques
d’immigration incontrôlée ou encore de conflits qui menacent de mettre
en cause l’équilibre du continent tout entier. Nos intérêts ne sont pas
le seul enjeu : si l’Afrique devait basculer tout entière dans les
troubles, ce serait pour la France et l’Europe l’échec des modèles de
développement que nous avons contribué à définir pour ces pays, mais
surtout l’échec d’un devoir moral de solidarité (…) » (291)
Ces propos de l’ancien Premier ministre Édouard Balladur ont à peine vieilli : en introduction de la Fondation AfricaFrance qu’il préside depuis février dernier, Lionel Zinsou écrit de son côté que « pour
leur sécurité et leur paix intérieure, ni la France, ni l’Afrique ne
peuvent différer de se mobiliser pour leur croissance partagée. ». (292)
Toute l’analyse qui court au long de
ce rapport a mis en évidence que, pour diverses raisons, non seulement
le résultat espéré des politiques qui ont été menées jusqu’à aujourd’hui
n’est malheureusement pas encore au rendez-vous, tant en terme de
développement que de stabilité, mais que, d’autre part, malgré la
gravité des crises actuelles et malgré les perspectives qui se
dessinent, tout continue à peu près comme avant, étant donné qu’il est
encore prématuré pour porter un jugement avec le recul suffisant sur les
dernières initiatives prises en matière économique.
Pour le reste, il apparaît à votre
Mission qu’il est urgent d’engager une réorientation de notre action
vers l’Afrique francophone, ainsi qu’une refonte de nos instruments.
La première piste de réflexion que votre Mission propose d’explorer porte sur la recherche d’une vision stratégique globale et coordonnée qu’il conviendrait de définir.
On a fait le constat d’une
multiplicité de défis d’une grande complexité aux effets cumulatifs. On
sait aussi que le contexte international est marqué par un accroissement
des enjeux auxquels tentent de répondre des acteurs du développement,
de plus en plus nombreux, publics et privés, dont la coordination reste
infructueuse, malgré les tentatives qui sont faites depuis plus d’une
décennie. On sait enfin que la communauté internationale est surtout
aujourd’hui en position de réagir aux crises dues au non-développement
faute de savoir les prévenir et les anticiper. Cela vaut pour la
politique africaine de la France comme pour celle de bien d’autres pays,
en général moins impliqués.
Ce constat, partagé, appelle la nécessité de reprendre position dans une perspective de long terme, sur la base d’une approche qui aurait pour finalité la définition d’une stratégie politique pour l’Afrique, qui aurait le développement économique comme axe central. Aux
yeux de votre Mission, sauf à répéter indéfiniment l’apposition de
solutions de court terme dont on ne peut que constater l’inefficacité
sur des facteurs profondément enracinés de crises récurrentes, sauf à
renouveler indéfiniment les conférences internationales, – un jour pour
la reconstruction du Mali, un jour pour la sécurité de l’Afrique, un
autre pour celle du Nigeria, de la République centrafricaine, demain
sans doute pour un autre pays -, il est désormais indispensable de se projeter sur l’Afrique de demain, à savoir sur le moyen-long terme, l’horizon 2030-2050 qui verra la démographie faire peser sur le continent des pressions extrêmes porteuses de tous les dangers.
Cela suppose en conséquence de
travailler à une approche définie en commun, qui se traduise par
l’élaboration de stratégies de développement pour les États et les
sous-régions d’Afrique, où l’un des enjeux majeurs sera celui de la
réduction des déséquilibres, et partant, de l’intégration. Comme le
soulignaient Bruno Losch (293) ou Olivier Lafourcade (294),
par quelque biais que l’on prenne les problèmes, ces questions devront
être abordées, même si les processus de coordination inter-bailleurs
portent jusqu’à aujourd’hui sur les problématiques sectorielles, de
partage du travail, sans autre vision que segmentée.
L’enjeu est donc de première
importance et suppose un bouleversement des pratiques. Il suppose aussi
de la part de notre pays une capacité forte de plaidoyer qui permettrait
d’entraîner la communauté internationale, et la communauté des pays
d’Afrique en premier lieu, vers cette réflexion destinée à définir vers
quel avenir la communauté internationale accompagne l’Afrique.
On l’a vu avec l’épidémie due au virus Ébola, ce sont les points de faiblesse qu’il convient de renforcer pour éviter que toute une chaîne ne se brise.
En ce sens, s’agissant de notre pays, votre Mission considère qu’il
serait très opportun d’entreprendre rapidement une réflexion sur notre
politique africaine et notre politique d’aide au développement.
Les orientations qui ont été prises
ces dernières années sont opportunes, avec la suppression de la ZSP et
l’introduction des partenariats différenciés, et la désignation de seize
pays pauvres prioritaires. Cela étant, eu égard aux enjeux le moment semble venu de réfléchir à un resserrement sur ces priorités géographiques,
dans la mesure où les moyens aujourd’hui disponibles imposent de faire
des choix, quand bien même on réussirait à les réorienter pour partie,
sur la base des propositions qui seront présentées plus loin. Il
conviendrait en conséquence de concentrer les moyens bilatéraux de
l’aide, en réduisant, voire en supprimant, ceux destinés aux pays hors
zone francophone, sur lesquels notre pays interviendrait via sa
participation aux instruments multilatéraux, FED, Banque mondiale, BAD,
Nations Unies. En outre, une réflexion pourrait être engagée sur la
question de savoir s’il n’est pas opportun d’envisager deréduire également les moyens concessionnels destinés aux pays non prioritaires ou non PMA, afin
de les reporter sur nos priorités géographiques pour renforcer l’impact
de notre action. Pour brutale qu’elle puisse paraître, cette
proposition répond à une nécessité due aux contraintes budgétaires dans
lesquelles se débat notre pays. En outre, elle coïncide avec les
réflexions de nombre d’analystes, tel Paul Collier, (295) professeur d’économie à l’université d’Oxford, ou Serge Tomasi, (296) directeur-adjoint
de la coopération au développement à l’OCDE, pour lesquels dans un
monde changeant, dans lequel les pays connaissent des trajectoires
diversifiés, ce ne sont plus des objectifs qu’il importe de poursuivre,
tel le 0,7 % d’APD, mais des cibles particulières et adaptées aux contextes rencontrés. Les risques dont sont porteurs les PMA, les défis auxquels ils sont confrontés justifient cette réorientation.
Les principaux bénéficiaires de
notre politique d’aide au développement devraient être ceux dont les
perspectives en termes de déstabilisation, internes et consécutivement
régionales, sont les plus fortes ; ce sont au demeurant les pays qui sont aussi les plus pauvres. Ces pays « ultra-prioritaires »devraient bénéficier de toute notre attention. On verra plus loin les axes sur lesquels le recentrage devrait porter.
Il convient en effet de rappeler que
l’aide publique au développement n’a pas été inventée uniquement pour
alléger la pauvreté du monde. Que ce soit dans l’esprit de Truman, de
Marshall ou de Michel Debré, l’aide au développement répond avant tout à
des raisons de sécurité. Cette position n’était pas uniquement celle de
dirigeants occidentaux préoccupés de contenir les assauts du communisme
à l’aube de la guerre froide. C’était aussi celle de l’Assemblée générale des Nations Unies qui,
résolution après résolution, n’a cessé de mettre en avant l’impératif
du développement pour la paix et la sécurité internationales : Larésolution 1710 du 19 décembre 1961, qui lança la « Décennie des Nations Unies pour le développement » s’ouvrait par exemple en « considérant
que le développement économique et social des pays économiquement peu
développés est non seulement d’une importance capitale pour ces pays,
mais aussi essentiel pour la paix et la sécurité internationales (…) ». (297) Les
arguments que les Nations Unies mettent en avant pour légitimer les
efforts demandés aux pays riches pour qu’ils aident les plus pauvres à
se développer ont ensuite toujours été les mêmes : dès le lancement de
la deuxième Décennie du développement, en 1970, l’Assemblée générale
évoquait entre autres le danger d’une jeunesse partout en effervescence (298)…
Ce n’est pas non plus pour d’autres raisons que plusieurs pays ont
clairement, et parfois depuis longtemps, articulé aide au développement
et intérêts de sécurité nationale : c’est le cas du Japon, qui a inscrit
ce principe dans la loi, ou du Royaume-Uni, où l’une des toutes
premières décisions de David Cameron en mai 2010 fut de créer un Conseil
national de sécurité auquel participent à égalité de rang le Foreign
Office, les ministères de la défense, de l’intérieur, de l’énergie et le
DFID.
Cela ne signifie évidemment pas que la
dimension compassionnelle de l’APD doive disparaître pour qu’elle ne
devienne qu’un instrument de « containment », hier contre le
communisme, aujourd’hui contre le terrorisme. La lutte contre la
pauvreté doit rester au cœur de l’aide au développement, mais
l’articulation entre les deux doit être renforcée. Plusieurs rapports de
notre commission, sous la précédente législature, ceux de Nicole Ameline (299), de François Loncle et Henri Plagnol (300),
avaient déjà eu l’occasion d’insister sur cet aspect de la question,
sans être suivis sur ce terrain. Quel est par exemple l’apport de la loi
de juillet 2014 à la lumière de ce qui apparaît à tous aujourd’hui
essentiel pour le futur, c’est-à-dire l’articulation étroite entre
stabilité et développement ?
L’aide publique au développement ne
doit pas être considérée comme exclusivement destinée à lutter contre la
pauvreté et à promouvoir les biens publics mondiaux, pour
incontournables que soient ces objectifs. Elle doit aussi viser à
d’autres finalités, d’ordre géopolitique et être considérée, eu égard
aux enjeux qui nous font face, comme ayant pour principal objectif de
venir en appui de notre politique étrangère, en particulier dans les
pays en crise, et particulièrement ceux dans lesquels interviennent nos
forces armées. L’évolution que l’Afrique a prise depuis la publication
de ces rapports, la montée des périls dans les dernières années et
surtout, les perspectives qui s’annoncent, justifient que cette
orientation soit résolument prise : l’Afrique est face à des défis
lourds de potentialités de tensions généralisées, à tout le moins au
niveau de l’Afrique de l’ouest et du Sahel où notre pays a des intérêts,
un rôle majeur à jouer, ne serait-ce que parce que la région comporte
une dizaine de pays francophones dans lesquels vivent un nombre
important de nos compatriotes.
L’Afrique francophone a besoin plus
que jamais de retrouver des perspectives de stabilité, et par
conséquent, de développement. Il est impératif pour la France de
repenser sa politique d’aide au développement de façon à la recentrer sur les pays les plus fragiles,
sur lesquels seront concentrées les subventions bilatérales qui devront
être destinées à des actions visant à renforcer leur stabilité, dans le
cadre de partenariats définissant des objectifs communs vers lesquels
notre pays se propose de les accompagner à horizon de cinq, dix et
quinze ans. C’est aussi le moyen de renforcer la pertinence,
l’efficacité et garantir la légitimité sur le long terme.
La France ne peut évidemment se
désintéresser de l’Afrique. Il en va de ses intérêts et de sa sécurité.
Elle doit proposer à ses partenaires africains une relation exigeante et
sans complaisance.
La repentance a trop souvent marqué le
discours sur la responsabilité de la France dans la situation de
l’Afrique. Il convient d’affirmer sans fausse pudeur que la France a des
intérêts à défendre en Afrique et vis-à-vis de l’Afrique.
Elle ne peut tout d’abord pas se
désintéresser d’un contexte général complexe mais polymorphe : pour
partie menaçant ; pour partie prometteur en termes de relations
économiques et de retombées pour notre propre croissance ; pour partie
incontournable, compte tenu des relations culturelles et linguistiques
historiques et des liens indissolubles qui unissent notre pays à une
grande part de ce continent.
Elle ne peut évidemment pas se
désintéresser du Sahel ni de l’Afrique centrale, notamment, ne serait-ce
que pour les effets toxiques des crises qui les touchent. La France
entretient depuis toujours avec ces pays des relations profondes et ce
qui les affecte a potentiellement des incidences directes sur ses
intérêts, de quelque nature qu’ils soient, comme sur ceux de ses
partenaires : humains, compte tenu des populations françaises
importantes y résidant et des communautés immigrées originaires
d’Afrique francophone résidant sur notre sol ; économiques,
compte tenu des investissements importants de nombreuses grandes
entreprises de notre pays, Bolloré, Total, Areva, notamment ; stratégiques, compte tenu de la sécurisation nécessaire de certains de nos approvisionnements en ressources naturelles ; commerciaux,
qu’il importe de développer pour un bénéfice réciproque, quelque
modestes que puissent être encore les échanges bilatéraux par rapport à
ceux que nous entretenons avec d’autres régions du monde ; culturels, et l’on sait la part que pourrait prendre l’Afrique dans le futur de la francophonie dans les décennies à venir grâce au poids démographique qu’elle représentera au mitan du siècle.
Ainsi que le rappelait Hubert Védrine (301) devant
votre Mission, toute politique étrangère est en premier lieu destinée à
la préservation des intérêts du pays qui la met en œuvre. C’est à
elle-même que la France doit penser en définissant sa politique
africaine, laquelle doit en conséquence développer des axes qui y
répondent. Cela est d’autant plus important, s’agissant de notre pays,
que, de manière indéniable, sa position et son rôle géostratégique par
comparaison avec les autres puissances européennes moyennes, tient
précisément à sa relation avec l’Afrique. Il serait par conséquent de très mauvaise politique d’oublier cette dimension cruciale. Comme le relevait Laurent Bigot,
c’est uniquement pour sa place en Afrique francophone, pour sa
proximité avec cette partie du continent que l’Afrique anglophone
s’intéresse à la France, comme nos collègues Noël Mamère et Michel
Zumkeller l’avaient expressément confirmé dans leur rapport sur les
émergents de l’Afrique anglophone (302).
Consécutivement, au motif que cette partie du continent est peut-être
aujourd’hui plus stable et prometteuse que les pays d’Afrique
francophone, il ne s’agit pas de jeter le bébé avec l’eau du bain, de se
détourner de notre histoire et de notre héritage, au risque de perdre
une part de ce qui fait la singularité de notre pays et participe de son
poids géopolitique. Cet héritage, cette histoire et cette langue
communes, sont au contraire à consolider. Si normalisation des relations
franco-africaines il doit y avoir, ce ne peut être que par une
attention plus soutenue au développement de régions sur lesquelles nous
sommes traditionnellement moins présents, mais sans doute moins
attendus, sans que cela se traduise en aucune manière par un retrait de
ce qui constitue le soubassement de la position géopolitique de notre
pays.
En ce sens, s’agissant du terrain
économique, notre pays a raison de développer une diplomatie économique
et de soutenir nos entreprises à l’international grâce aux nouveaux
instruments qui se mettent progressivement en place. La responsabilité sociale et environnementale est
à cet égard particulièrement pertinente de par sa dimension
structurante. Il est d’autant plus important de soutenir nos entreprises
qui ont tendance à perdre des parts de marché que les pays africains
sont fortement demandeurs d’investissements et se montrent désireux de
ne pas avoir de relations exclusives avec un partenaire unique. Notre
présence sur les marchés africains est souhaitée, même si ses modalités
évoluent, mondialisation oblige. Le fait que l’Afrique francophone
présente aujourd’hui plus de risque d’instabilité que les principaux
pays du continent, invite à renforcer les politiques de long terme que
l’on a évoquées plus haut.
S’il faut une politique africaine
économique différenciée selon les géographies, cela invite aussi à
renforcer les instruments que la coopération française a eu l’occasion
de promouvoir avec succès et qu’il convient de ne pas délaisser, tel que
l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires,
OHADA, qui vise depuis plus de vingt ans maintenant, à l’intégration
juridique des pays, pour la quasi-totalité francophones, qui en sont
membres (303),
afin de faciliter les échanges et les investissements, ainsi que la
sécurité juridique et judiciaire des activités des entreprises.
L’intégration juridique est ainsi utilisée pour propulser le
développement économique et créer un vaste marché intégré,
essentiellement francophone, afin de contribuer à faire de l’Afrique un
pôle de développement. Cette institution internationale participe
directement de la consolidation de l’espace économique francophone en
Afrique et de la politique d’influence sur le long terme.
ii. Définir un nouveau discours de vérité et promouvoir nos valeurs
Il y a longtemps que la France n’a
plus de chasse gardée sur aucun des territoires qu’elle considérait
comme tels naguère encore. Elle agit dans un monde désormais globalisé,
et on ne l’attend plus particulièrement parce qu’elle est la France.
Elle est jugée sur pièce et sur acte. La communauté d’affaires
représentant les grandes entreprises françaises installées dans nombre
de pays depuis parfois des décennies peut en témoigner. Il en est de
même en matière d’aide au développement où, la concurrence étant des
plus âpre sur ce marché désormais ouvert et fortement concurrentiel, ce
n’est plus le lien historique francophone qui permet d’emporter la
décision.
Il faut donc être à la hauteur des
enjeux et de la compétition, et savoir faire entendre sa logique. Cela
suppose entre autres que la France ait une idée claire de ce qu’elle
souhaite, qui lui permettra de pouvoir exercer une véritable influence.
D’où l’impératif de la vision stratégique initiale, d’un projet
politique à proposer et à défendre, en lieu et place d’une posture
d’attente passive face au déroulé des événements.
Cela peut conduire dans certains cas à
afficher les conditionnalités qui sont parfaitement entendues, personne
n’étant dupe des logiques d’intérêts économiques ou politiques. Cela
peut aussi signifier d’élever les exigences. Pour ne prendre que
l’exemple de la gouvernance démocratique, certains changements opportuns
ont pu être relevés ces derniers temps : le discours du Président de la
République au président Kabila en marge du sommet de la francophonie en
2012 ; les messages délivrés, mais non entendus, au président Compaoré.
Mais il semble que prévale toujours une certaine tolérance : nombre
d’observateurs alertent par exemple sur le processus de sortie de crise
en Côte d’Ivoire, qui n’aborde pas comme il le devrait les déterminants
de la crise et reste marqué par une forte corruption. La France soutient
le gouvernement ivoirien ; il serait d’autant plus légitime qu’elle
parle franchement à ce pays ami qu’elle y consacre un appui politique
conséquent ainsi que des moyens importants. Si l’on se place dans la
perspective, évoquée précédemment, des changements générationnels à
venir en Afrique, notre pays ne doit pas oublier que la nouvelle
génération pourrait lui demander des comptes.
Il y a aussi une singularité française
forte et notre pays est attendu sur la défense des valeurs
démocratiques qu’il n’a cessé de porter au long de son histoire. Or, on
peut considérer que la realpolitik, sous la pression indéniable des
circonstances, nous conduit aujourd’hui à des fréquentations africaines
qu’on aurait vues naguère avec réticence. Pour important qu’aient été
l’engagement et le prix payé par les forces armées tchadiennes en
soutien des opérations militaires françaises sur le théâtre sahélien, on
ne peut ignorer certaines réalités du régime. Mais tout se passe comme
si on préférait aujourd’hui éviter tout sujet de friction. Dans leur
étude, Aline Lebœuf et Hélène Quénot-Suarez voient
d’ailleurs dans la difficulté que nous avons à mobiliser nos partenaires
européens sur les problématiques africaines cette trop grande proximité
avec les caciques du pré carré dont nous avons quelque difficulté à
nous distancier : la France est perçue comme cherchant à
instrumentaliser l’Union européenne au profit de la Françafrique, et
notamment de son « soutien inconditionnel à la dictature tchadienne » (304).
Les deux auteurs invitent en conséquence notre pays à davantage
s’interroger sur les raisons pour lesquelles les réticences de Bruxelles
sont si importantes.
Dans le même ordre d’idées, la
diplomatie française reste aujourd’hui étonnamment discrète face à
certains événements : pour ne prendre qu’un exemple récent, comment
justifier que le Quai d’Orsay n’ait fait aucune déclaration officielle à
la mi-mars lorsque des militants de mouvements citoyens congolais,
sénégalais et burkinabè ont été arrêtés à Kinshasa et à Goma lors de
réunions de sensibilisation de la jeunesse à la démocratie, en compagnie
de journalistes, dont trois Français, et d’un diplomate américain ? Si
ces derniers n’ont été retenus que quelques heures, les militants
africains congolais sont restés détenus plus longtemps et pour certains
le sont encore à la date de rédaction de ce rapport. L’un a même disparu
et des actes de torture ont été dénoncés. La réaction du MAEDI s’est
borné à une réponse à une question lors du point de presse quotidien le
17 mars (305) ;
elle n’avait pas été beaucoup plus forte lors des premiers troubles, en
janvier, qui avaient éclaté autour de la question de la modification de
la loi électorale et avaient provoqué la mort de 27 à 42 personnes
selon les sources (306).
Non seulement ces réactions sont des
plus insuffisante, mais on peut considérer qu’elles ne peuvent que
conforter encore le déclin de l’image de notre pays aux yeux de la
jeunesse qui constate avec amertume qu’il reste aveugle et sourd à ses
plus profondes aspirations.
S’agissant de l’Afrique francophone,
il ne devrait pas être nécessaire de traiter dans un tel rapport la
nécessité pour notre pays de se mettre en position de soutenir la
francophonie sur le continent. Chacun sait cependant la déshérence
désolante dans laquelle se trouve la défense de la langue française dans
les instances internationales, chacun sait la réduction constante des
moyens que notre pays consacre à cette question, son manque de
leadership politique qui a conduit à l’élection de Michelle Jean au
secrétariat général de l’OIF il y a quelques mois. Les propositions
formulées par notre collègue Pouria Amirshahi (307)dans son rapport d’information restent évidemment valables et votre Mission les fait siennes.
La langue française devrait être le premier des axes de notre politique sur le continent africain pour conserver intact notre principal véhicule d’influence politique et culturelle. Comme le soulignaient aussi Laurent Bigot ou Christophe Boisbouvier (308),
notre erreur en ce sens est d’autant plus dommageable que le français
est perçu avant tout comme porteur des valeurs sur lesquelles les
Africains nous attendent, de démocratie, de Droits de l’Homme et le
partage de la langue est vécu comme un vecteur de paix, ainsi que le
soulignent aussi Aline Lebœuf et Hélène Quénot-Suarez (309). Cette attente sur ce qui relève du culturel et de la langue devrait être au cœur des instruments de notre « soft power ». Si
la France reste le premier contributeur de l’OIF, il n’en reste pas
moins que la tendance est à la diminution constante de sa contribution.
Or, on rappellera que c’est précisément dans le cadre de l’OIF que la
Déclaration de Bamako de novembre 2000 a proclamé que « la
démocratie, cadre politique de l’État de droit et de la protection des
droits de l’Homme, est le régime qui favorise le mieux la stabilité à
long terme et la sécurité juridique ; par le climat de liberté qu’elle
suscite, la démocratie crée aussi les conditions d’une mobilisation
librement acceptée par la population pour le développement ; la
démocratie et le développement sont indissociables : ce sont là les
facteurs d’une paix durable. »
Quand bien même on doive douter de la
traduction en termes de nombre de locuteurs francophones de la
trajectoire démographique qui promet quelque 750 millions de parlants à
horizon 2050, leur nombre est appelé à croître considérablement. Il
serait par conséquent fort dommageable pour notre pays et son influence
de négliger l’atout considérable que représente une langue de statut
international. La question de quel dispositif notre pays doit mettre en
place pour assurer l’enseignement du français à l’étranger, sa
diffusion, et surtout les moyens qu’il entend y consacrer, est majeure
dans la mesure où le centre de gravité naturel du français ne peut que
se déplacer vers l’Afrique. Votre Mission recommande, après beaucoup
d’autres, que la question de la francophonie comme vecteur
d’influence politique, culturelle et économique soit considérée comme
une des priorités principales. Cela est d’autant plus important que
l’on sait que, même dans les pays les moins ouverts à cette
problématique, cf. le Rwanda, les populations sont en demande de
français.
Il s’agit de gérer au mieux une
redoutable contradiction : la France se doit d’intervenir militairement
en cas de crise grave en Afrique francophone, comme cela a été le cas au
Mali ou en République centrafricaine, mais elle ne peut pas non plus
endosser l’uniforme de pompier de la communauté internationale pour
éteindre systématiquement les incendies africains. Même si son image
internationale en est temporairement renforcée, pour oser être seule sur
le terrain, cela n’est pas soutenable politiquement.
Une première solution à cette équation
difficile est de travailler à un recentrage progressif de notre
politique africaine sur la stabilité par le développement, par la
construction de préventions de long terme d’autant plus opportunes que
cela sera plus efficace et moins coûteux.
Il est impératif de travailler sur les
dimensions sociétales, sociales et politiques des crises, qui ont des
racines profondes et déterminantes dans le déclenchement des conflits,
dans leurs récurrences régulières. Comme on l’a vu, ce n’est pas un
hasard si les pays les plus déshérités sont aussi les plus instables et
l’on constate d’ores et déjà que ce n’est pas au sortir d’une
intervention militaire, aussi réussie soit-elle, comme cela a été le cas
au Mali, qu’un conflit s’éteint. Tout au contraire, les racines n’ayant
pas été traitées, les seigneurs de la guerre ne font que se déplacer,
souvent confortés par la légitimité de leur rôle sur le terrain auprès
des populations. Ce n’est que lorsque les bénéfices partagés de la
croissance de l’Afrique se traduiront par un véritable développement
économique et social que les vecteurs de l’instabilité commenceront de
disparaître. Comme on le disait plus haut, cela milite clairement pour
une révision collective des approches et la définition d’une stratégie
de long terme qui réussisse à prendre compte la complexité des
problématiques en contribuant aussi à faire en sorte que la France ne
continue pas de perdre l’adhésion des populations, comme on en a vu le
risque.
En ce sens, notre pays a entièrement
raison de donner la priorité à son sud dans sa politique d’aide au
développement ; comme on l’a souligné, il serait même opportun, selon
votre Mission, qu’une concentration supérieure soit opérée de manière à
conforter l’effort en faveur des pays les plus fragiles et présentant de
ce fait les plus forts risques de basculement dans la crise.
Pour autant, cette dimension ne sera
pas porteuse de résultats concrets à court terme. La gestion de ces
interventions appelle des stratégies de désengagement progressif et
anticipé.
Cela participe entre autres du
discours de vérité à tenir à nos partenaires africains, tant en
bilatéral qu’au niveau multilatéral régional de l’Union africaine : il
convient à la fois que la France ne soit plus seule en première ligne et
qu’elle puisse envisager de se désengager en incitant la montée en
puissance des modalités d’une sécurité continentale, comme le proposait
par exemple Hubert Védrine. C’est parce que la Force africaine en
attente reste dans les limbes depuis des années que l’Union africaine a
décidé en 2013 la création de la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises,
CARIC, destinée à apporter une réponse plus rapide aux besoins. Force
est de constater que, mis à part quelques progrès au niveau régional,
notamment de la CEDEAO, le chantier reste entier et l’Afrique donne
l’impression de compter toujours sur le pompier international, en
l’espèce français. La France est en droit de demander à ses partenaires
africains de mettre en place au plus vite leurs propres forces
d’intervention militaire et de gestion de crise, voire d’exiger un
calendrier de mise en place.
On a constaté que malgré la proximité
linguistique, les générations africaines nouvelles n’ont plus la
relation étroite que les anciennes avaient avec la France. S’il reste
une affinité certaine, il ne faut pas en attendre de traitement de
faveur : le marché est désormais ouvert. Ils font leurs choix, parfois
de rupture, pour des raisons diverses mais convergentes, d’autant plus
facilement que la politique de visas de la France, entre autres aspects,
a considérablement pesé sur le déclin de l’attractivité de notre pays.
Cela explique qu’ils se tournent par exemple majoritairement vers le
Canada, largement plus ouvert. Des institutions françaises comme
l’Institut des régions chaudes se heurtent ainsi à des problèmes de
financement et de visas qui les handicapent fortement au plan
international, face aux institutions comparables dans différents pays.
Cela invite votre Mission à
recommander que notre pays se mette en position de prendre en compte les
changements de génération que vivent les pays d’Afrique et d’y être
attentif. Les évolutions politiques et sociales sont le fait de la
jeunesse de tous ces pays qui ne tolèrera plus longtemps d’être
marginalisée. Après les révolutions arabes, les révolutions africaines
sont peut-être d’ores et déjà en train d’émerger, comme l’épisode
burkinabè l’a montré il y a quelques mois, comme la jeune société civile
sénégalaise l’a aussi démontré auparavant : fondé par Fadel Barro en
2011, le mouvement « Y en a marre », YEAM, a réussi à empêcher le
Président Wade de modifier la constitution, et a ensuite pesé sur les
élections de 2012 en menant campagne pour que les jeunes des banlieues
aillent voter. YEAM exerce depuis lors un rôle de vigilance et s’est
structuré en associations locales – il y en a aujourd’hui quelque quatre
cents dans tout le pays – qui sont autant de pôles de réflexion, de
sensibilisation et d’action citoyenne locale. Cet exemple fait
rapidement tâche d’huile dans la région, notamment en Côte d’Ivoire, en RDC - mouvement « Filimbi », (« sifflet » en swahili) – au Togo – mouvement « Etiamé », (« Y en a marre » en fon, langue véhiculaire du Togo et du Bénin) -, au Mali – les « Sofas » -, au Gabon – « Y en a marre comme ça », en Mauritanie – « Touche pas à ma nationalité ». (310) Au Burkina Faso, c’est « le Balai citoyen », constitué
en 2013 pour lutter contre les abus du pouvoir, qui a entraîné la chute
du président Compaoré et a contribué aussi à pacifier la révolte de la
rue en intercédant auprès des militaires. Il compte aujourd’hui une
centaine de clubs dans le pays, dont une soixantaine dans la capitale,
et reçoit des demandes de parrainages en provenance du Niger et du Gabon. (311) Une
masse critique est en train d’émerger en Afrique subsaharienne qui va
exiger de profonds changements à court terme, ainsi qu’on le voit aussi
en RDC.
C’est avec cette Afrique-là que notre
pays doit être en contact. Les élites de demain en font partie. Notre
présence et notre influence sur le continent dépendent de la qualité de
la relation que nous saurons dès à présent nouer. Pour autant, il ne
s’agit évidemment pas de couper les liens avec les générations encore en
place. D’autant moins qu’elles se plaignent d’être délaissées, en
manque de visites de haut niveau. On a souligné plus haut l’irrégularité
de la relation avec le Cameroun qui attend depuis longtemps une visite
présidentielle. Il est heureux que le récent voyage du ministre des
affaires étrangères, lors de la tournée régionale qu’il a effectuée à la
suite du déclenchement de l’offensive de Boko Haram paraisse se
traduire par un projet de voyage présidentiel. Aux yeux de votre
Mission, il serait opportun d’entretenir un dialogue politique plus
suivi avec nos partenaires africains, pour une relation durable et
mutuellement profitable. L’Afrique, à tort ou à raison, se sent malaimée
par la France. On ne dira jamais assez que c’est aussi sur la base du
dialogue politique que les relations économiques solides se construisent
et non l’inverse. Il est essentiel pour le rayonnement économique de
notre pays, pour le succès de ses entreprises exportatrices ou
implantées sur le terrain, qu’elles soient épaulées : le « portage politique » est
un atout important, qui aide les entreprises, y compris les plus
grosses, et nos voisins européens ont compris l’importance pour un
ministre d’aller porter le message de son pays.
Pour votre Mission, quand bien même le
bilan des politiques de développement peut être discuté, les échecs du
passé ne les condamnent pas pour l’avenir, et l’aide au développement est aujourd’hui plus nécessaire que jamais. Sauf
à argumenter, et à désespérer, de la même manière pour bien d’autres
politiques menées sur notre territoire, que ce soit celle de la ville ou
de la lutte contre le chômage… L’efficacité de toute politique publique
dépend d’une infinité de facteurs dont les effets se combinent, parfois
se contredisent, mais s’agissant des problématiques qui occupent cette
réflexion, une conviction profonde anime les membres de votre Mission :
si les bénéfices de l’aide au développement sur le terrain sont
difficiles à mesurer, une chose est certaine, il ne peut être envisagé
de la réduire ou de la supprimer, sauf à voir se confirmer le risque
d’un tensions durables et généralisées sur notre sud.
Cela étant, il est aujourd’hui
nécessaire d’apporter des inflexions, et de ne pas continuer dans des
voies qui se révèlent non pertinentes. Il s’agit de réorienter de
manière décisive notre politique d’aide au développement en direction de
l’Afrique et de ses pays les plus fragiles sur les enjeux les plus
cruciaux pour leur stabilité et leur développement. Cela appelle à
ouvrir le débat sur plusieurs points complémentaires.
Au cœur de l’instabilité des pays de
l’Afrique francophone se trouvent évidemment des problématiques de
gouvernance politique dont les manifestations les plus visibles
surgissent au moment des crises électorales ou post-électorales, plus ou
moins violentes, qui font régulièrement l’actualité. Dans ces
scenarios, jouent divers facteurs aux effets cumulatifs.
Les politiques d’aide au développement
ont appuyé depuis des décennies les thématiques de gouvernance au sens
large, en luttant contre la corruption, appuyant le renforcement
institutionnel, soutenant les processus électoraux, la décentralisation,
etc. La permanence des mêmes maux et la récurrence des crises dans les
pays où ces politiques ont été conduites par la communauté
internationale – cf. l’irrédentisme touareg malgré les politiques de
décentralisation, cf. la mauvaise gouvernance généralisée, la corruption
qui n’a cessé de se répandre, les blocages institutionnels, les fraudes
électorales, etc. – confirment qu’elles n’ont pas donné tous les
résultats escomptés. Pour reprendre les propos d’Yves Gounin (312) et
de maints interlocuteurs qui ont coïncidé sur ce point, on a légué à
l’Afrique un modèle d’État adopté dans les formes, sans qu’il soit
adapté à l’Afrique des années 1960, voire même à celle des années 2010,
et ce n’est pas parce qu’il y a aujourd’hui des élections que cela va
au-delà de la posture dans nombre de cas.
Comme le dit avec force Séverine Bellina (313) entre
autres interlocuteurs, ce que les politiques de développement n’ont pas
suffisamment pris en considération, et traité comme il aurait été
nécessaire de le faire, c’est la question cardinale de la légitimité des pouvoirs, et les exemples que l’on a cités plus haut de la signification du vote dans la société politique traditionnelle malgache (314), ou de la décentralisation pour les communautés maliennes (315),
illustrent l’immensité du fossé qui les séparent des modes de
gouvernance et d’institutions politiques « modernes » promues par la
communauté internationale. Sans oublier que s’y ajoute la question de la
structure sociale et de la nature très hiérarchisée des sociétés,
souvent constituées en castes.
L’anthropologue Jean-Loup Amselle, professeur à l’EHESS rappelait récemment que « le
lien politique en Afrique est régi essentiellement par des principes de
prédation et de redistribution de type clientéliste. De sorte que
parler de corruption n’a aucun sens dans des pays où il est capital
d’occuper des positions de pouvoir pour être en mesure d’en faire
bénéficier ses parents, ses amis, les gens de sa région, etc. En outre,
il est apparu clairement que, plus le régime était démocratique et
décentralisé, maître mot des politiques impulsées par les bailleurs de
fonds internationaux dans les années 1990, et plus les phénomènes de
prédation et de redistribution y prenaient d’importance. L’appareil
d’État malien, comme nombre de ses homologues africains, est donc
traversé par des réseaux qui sont alimentés par toute la gamme des
ressources présentes sur le continent : rente minière et pétrolière,
aide internationale et narcotrafic notamment, comme ce fut le cas sous
le mandat d’Amadou Toumani Touré. » (316)
En d’autres termes, il ne suffit pas
de promouvoir, voire d’imposer, des politiques touchant aux aspects
formels, fonctionnels ou institutionnels, ici la création d’un sénat, là
une décentralisation, ou favorisant l’alternance démocratique, ou
visant à lutter contre des pratiques clientélistes ou claniques. Il ne
suffit pas d’organiser à tout prix et dans des délais souvent très
contraints, des élections pour sortir d’une crise, comme cela s’est fait
au Mali, comme cela doit se faire en République centrafricaine dans des
délais que les observateurs considèrent comme irréalistes malgré un
premier report. Il est indispensable de changer d’approche et de prendre
un certain recul pour envisager des actions de long terme.
L’enracinement de la démocratie et la formation des États ne peuvent qu’être l’aboutissement de processus endogènes, dans
lesquels une politique d’aide au développement intervenant dans le
champ de la gouvernance politique n’a pas à s’ingérer. Cela étant, elle
peut autant que possible proposer à ces sociétés d’accompagner les processus de construction de légitimité et de contrat social,
ne serait-ce que pour qu’ils soient les moins chaotiques et violents
que possible. Si le problème principal en matière de gouvernance, sur
lequel se fondent les conflits internes en Afrique, est aujourd’hui
celui de la gestion de la diversité (317) ethnique,
religieuse, foncière, etc., comme les pays africains eux-mêmes l’ont
identifié, c’est évidemment sur ce sujet que les politiques d’aide au
développement devraient se recentrer. Le Sénégal a précisément montré
que lorsque le rapport entre la société et l’État est apaisé, que les
autorités traditionnelles, religieuses, les différents vecteurs de
régulation réussissent à dialoguer, lorsque la référence à l’État par
les différents acteurs n’est pas remise en cause, même s’il y a
contestation et débat politiques, les risques d’explosion s’atténuent.
En ce sens, l’APD est utile pour
permettre les échanges d’expériences, les apports d’expertise aidant à
la structuration et à la constitution des États garants de l’intérêt
général, pour soutenir des processus de dialogue associant les acteurs
sociaux dans leur diversité. Cela suppose d’avoir une lecture des
réalités qui permette d’analyser les problématiques de terrain dans leur
complexité pour proposer des solutions ayant une chance d’être
acceptées, appropriées, pérennisées. Cela suppose, en complément des
axes que l’on proposera plus bas, de s’inscrire dans le temps long
nécessaire aux forces sociales pour arriver à la constitution de
l’espace politique commun, légitime, et à l’acceptation des institutions
nationales et des règles du jeu. Cette approche paraîtra ambitieuse,
voire illusoire, compte tenu des contraintes multiples auxquelles elle
peut se heurter. Elle seule peut cependant permettre de réussir à
articuler les sociétés civiles et les États. Votre Mission considère
qu’il est désormais indispensable que notre politique d’aide au
développement propose cette démarche qui permettra aux États africains
d’acquérir la légitimité qui leur fait défaut et les placent en
situation de fragilité. En d’autres termes, pour résumer cette idée d’un
raccourci : s’inscrire dans une voie permettant de considérer in fine l’État comme Res publica plutôt que comme butin.
« (…) la faiblesse voire l’absence de
” capacité ” ou de pouvoir devrait être considérée comme l’élément
caractéristique des situations de fragilité : un État en situation de
fragilité a une capacité limitée de gouverner ou de régir sa société et,
d’une manière plus générale, de nouer avec celle-ci des relations
mutuellement constructives. (…) la légitimité réelle de l’État résulte
d’un mélange, spécifique et changeant, de différentes sources de
légitimité. Un État en situation de fragilité est un État ayant une
capacité limitée à gouverner ou à régir sa société et, plus
généralement, à développer avec la société des relations mutuellement
constructives et mutuellement renforçantes. Dans cette perspective, la
fragilité relève aussi de l’absence de normes communes, de règles et de
régulations reconnues et partagées par l’État comme par la population.
Il s’agit là d’une question fondamentale : la fragilité de l’État peut
résulter aussi bien du manque de capacité financière, technique et
humaine que du défaut de légitimité – qui l’un comme l’autre empêchent
la formation d’un État solide. La légitimité confère une ” valeur
ajoutée ” au pouvoir et agit de ce fait comme un élément de
consolidation de la capacité de l’État. Elle transforme les personnes en
citoyens, les lois et règlements de l’État en règles ” naturelles ” et
auto-imposées. » (318)
|
Les trafics et autres réseaux mafieux
profitent aussi du vide laissé par l’État pour délivrer des services et
acquièrent aussi de ce fait une forme de légitimité. La deuxième
priorité d’une politique d’aide au développement rénovée doit porter sur
ces problématiques, afin de contribuer concrètement au renforcement des
États africains. Les troubles actuels ont suffisamment démontré leurs
faiblesses, lesquelles sont en grande partie à l’origine des crises et
de la délégitimation des pouvoirs publics, incapables de satisfaire aux
besoins sociaux de base des populations.
Aux yeux de votre Mission, le premier axe à proposer aux pays partenaires consiste à contribuer à les mettre en condition de définir
et de conduire des stratégies de développement coordonnées et de mettre
en œuvre les politiques publiques correspondantes. C’est lorsqu’ils
seront en mesure d’avoir des approches stratégiques de moyen terme,
répondant aux besoins des territoires et des populations, à leurs
intérêts nationaux et non aux intérêts particuliers, que ces pays
pourront réellement s’inscrire dans des trajectoires de développement
économique et social cohérentes. Dans la mesure où les États n’ont pas
les capacités à agir, l’un des enjeux de l’APD internationale et celle
de la France en particulier, est de travailler à renforcer leurs
capacités à définir et exécuter des politiques publiques.
En ce sens, notre pays, du fait des politiques de planification et d’aménagement du territoire qu’il
a longtemps mises en œuvre, détient une grande expérience à proposer et
à faire partager, qui contribuerait concrètement au renforcement des
États intéressés dans une perspective qui participerait à la fois de
l’amélioration de la gouvernance institutionnelle et du renforcement du
fonctionnement démocratique, grâce à l’association entre centre et
périphéries, au renforcement des capacités des acteurs locaux. La
réduction des déséquilibres internes serait porteuse d’un apaisement des
tensions, facteurs de crises.
Votre Mission recommande en
conséquence que notre politique d’aide au développement explore ces
voies avec ses partenaires d’Afrique francophone, qui pourraient prendre
la forme d’un soutien au renforcement des administrations centrales et
territoriales des pays partenaires.
En parallèle, les priorités à prendre
en compte par les politiques de renforcement institutionnel devraient
aussi être axées sur les problématiques régaliennes. On touche ici au
cœur de la question de la légitimité.
On ne peut ignorer que la première priorité des populations des pays en crise est la sécurité, laquelle
ne peut reposer sur le seul recours à des troupes militaires
étrangères, rapidement perçues comme forces d’occupation, ainsi que
notre pays en fait l’expérience sur le terrain. Cela suppose, en premier
lieu, un soutien déterminé à la reconstruction d’institutions
régaliennes efficaces : armée nationale, gendarmerie.
Comme l’a indiqué son directeur, le vice-amiral d’escadre Marin Gillier, la
Direction de la coopération de sécurité et de défense du MAEDI, DCSD,
consacre 15 M€ à l’Afrique francophone, soit 56 % de ses ressources (319).
Les trois-quarts des 283 conseillers qu’elle a sur le terrain sont en
Afrique francophone. Seize Écoles nationales à vocation régionale, ENVR,
ont été constituées, qui sont également des vecteurs de promotion de la
francophonie et d’interopérabilité des moyens, comme votre Mission a pu
le constater lors de son déplacement au Cameroun en visitant l’École supérieure internationale de guerre,
ESIG, qui accueille depuis dix ans des officiers de pays sans cesse
plus nombreux, la promotion actuelle regroupant 45 stagiaires de 21
nationalités. La logique d’intervention de la DCSD est d’augmenter les
capacités sécuritaires intérieures des partenaires, de protection civile
et de défense.
Cela étant, si cette coopération est
ancienne, comme d’autres, elle n’a pas non plus donné les résultats
escomptés, en témoigne la rapidité avec laquelle les forces armées
maliennes ont été mises en déroute en 2012. On connaît les causes de cet
échec, on a par exemple évoqué plus haut la clochardisation progressive
des armées africaines depuis les indépendances. S’agissant du Mali, on a
vu comme racines du problème le manque de formation, la corruption, le
hiatus extrême entre la troupe et la hiérarchie, la composition même des
forces armées, au plan ethnique, aspect que l’on retrouve dans
plusieurs pays de la région, sauf au Tchad, ceci expliquant sans doute
cela, c’est-à-dire sa capacité d’intervention. Ici aussi, comme en
d’autres secteurs, à l’évidence la communauté internationale a fermé les
yeux sur le fait que la démocratie malienne était une façade, que son
armée était laissée en déshérence par le pouvoir pour éviter de courir
le risque qu’elle ne devienne une force apte à influer sur le jeu
politique interne. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, c’est
exactement le même cas de figure que l’on retrouve en République
centrafricaine où les FACA ont été incapables de résister à l’avancée de
la Seleka sur Bangui en mars 2013. A peu de choses près, c’est aussi la
situation qui prévaut au Cameroun.
D’une manière générale, il ne peut en
être autrement, dès lors que les forces armées, indispensables à la
stabilité des pays d’Afrique francophone, fragiles et menacés, sont
aussi l’exact reflet de l’état de ces pays. En conséquence, tant que le
processus de légitimation de l’État, de manière endogène, n’aura pas
avancé, on continuera de buter sur la même aporie : le sommet de
l’Élysée de décembre 2013 pour la paix et la sécurité en Afrique a beau
avoir conclu sur l’engagement unanime de travailler ensemble au
renforcement de la sécurisation du continent, les choses tardent à se
mettre en place, non seulement de manière collective, mais aussi
individuellement.
Cela confirme l’urgence de la
recommandation initiale de votre Mission, à entreprendre en complément
des actions de coopération tendant à la reconstitution des forces de
sécurité que la France et la communauté internationale mettent de
nouveau en œuvre, comme au Mali, via l’EUTM. La garantie du succès
pérenne de ces opérations réside cependant dans la volonté politique interne,
ce processus ne pouvant être piloté de l’extérieur. Dans un pays comme
la République centrafricaine, quel que ce soit le travail mené pour la
reconstitution de forces armées loyales, de forces de gendarmerie et de
police pour éviter la répétition des épisodes de violence, sans assise
politique ni légitimité du pouvoir central, les problèmes se répèteront
inévitablement.
Cela confirme l’intérêt, sinon le
caractère indispensable, d’une approche intégrée qui prenne en compte
l’intégralité des problématiques en travaillant au plus près des
populations associées, sur les thématiques de ressources de
substitution, de pastoralisme, de sécurisation alimentaire et hydrique,
de production de richesses, de développement d’infrastructures. Le
développement économique et social et la stabilité sont indissolublement
liés.
Le régalien ne prévaut pas uniquement
pour sa dimension sécuritaire. Parmi les axes sur lesquels il convient
d’être particulièrement attentif, on relèvera deux thématiques
essentielles.
En premier lieu, le renforcement des systèmes judiciaires,
sujet sur l’importance duquel il n’est pas nécessaire d’insister dans
une double perspective de développement et de stabilité. Le manque de
sécurité juridique, l’arbitraire à tous les niveaux, la corruption, sont
à la base des principaux maux dont souffrent quotidiennement non
seulement les populations africaines mais aussi les entreprises qui
souhaitent y investir. Sur ce dernier, il n’est pas un interlocuteur de
votre Mission lors de son déplacement au Cameroun, qui n’ait abordé
cette question dans son propos, comme on a eu l’occasion de le
souligner.
Cette question est en lien avec la nécessité de renforcer aussi les administrations fiscales des
pays d’Afrique francophone. Le développement économique et social ne
sera durable que si des ressources pérennes sont collectées et dépensées
par des États stratèges, qui leur donneront les moyens de définir et
d’exécuter des politiques publiques.
Notre politique d’aide au
développement comporte des volets intéressants sur ces thématiques, sur
lesquelles sont mobilisées diverses institutions. Le MAEDI est à la
manœuvre en la matière en ce qui concerne la politique bilatérale mise
en application par les services centraux et les SCAC sur le terrain.
Près d’une centaine d’experts techniques sont en poste en Afrique
subsaharienne, sur des questions de gouvernance financière, de réforme
de l’État et de gouvernance locale ainsi que de coopération juridique et
de droits de l’Homme. En outre, le ministère aborde ces problématiques
avec de nombreux partenaires, tant français qu’internationaux : la Cour
des comptes, le Conseil d’État, le secrétariat général du gouvernement,
la Direction général du Trésor, la Direction générale des finances
publiques, la Direction générale des douanes et des droits indirects,
etc. Les opérateurs d’expertise français, aujourd’hui réunis au sein de
l’Agence française d’expertise technique internationale, AFETI, depuis
le vote de la loi de juillet 2014, y participent ainsi que des
établissements publics de formation, comme l’ENA et l’École nationale de
la magistrature, des instances de la société civile, comme la
Fédération internationale des droits de l’Homme, Transparency
International, Avocats sans frontières, etc. Au niveau international,
des partenariats ont été noués au niveau de l’Union européenne, des
Nations Unies (ONUDC, ONU-Habitat, PNUD), de la Banque mondiale, de
l’OCDE ou encore d’AfrisStats.
Si ces axes sont très positifs, on
peut toutefois regretter que dans ce domaine comme en d’autres, les
crédits consacrés au niveau bilatéral soient orientés à la baisse.
On ne reviendra pas longuement sur les
développements précédents qui ont montré le grave hiatus existant entre
les axes définis dans la stratégie sectorielle de notre pays et leur
mise en application. La première recommandation de votre Mission porte
en conséquence sur un recentrage de notre action les priorités de la
stratégie et notamment sur l’impératif de consolidation des systèmes de santé des
pays d’Afrique francophone ; cet axe doit être la première des
priorités pour une politique bilatérale en cohérence avec les
principales problématiques telles qu’elles ont été identifiées sur le
terrain.
En effet, indépendamment des bénéfices
durables pour la santé des populations, le renforcement des systèmes de
santé permettra aussi aux pays concernés de pouvoir développer une
approche endogène, et par conséquent légitime, des problématiques
démographiques : la transition démographique qui n’est dans certains
pays sahéliens pas encore entamée, est un impératif sur lequel les
bailleurs ne sont sans doute pas dans la meilleure des positions pour
intervenir. Toutes choses égales par ailleurs, on a vu lors de
l’épidémie à virus Ébola l’incidence de la perception des populations
forestières de Guinée dont les réactions vis-à-vis des équipes de
professionnels de santé ont été parfois violentes. Sans aller à ces
extrêmes, de nombreuses manifestations de résistances de la part des
populations sont aussi possibles.
Il importe en conséquence que les
questions touchant à la natalité soient traitées via des canaux
nationaux, par des politiques publiques définies par les autorités
sanitaires nationales, n’apparaissant pas dictées de l’extérieur. Le
fait pour les pays de disposer de systèmes de santé renforcés permettra
non seulement une réduction de la mortalité infantile, facteur de
naissances nombreuses, mais aussi de développer des approches
complémentaires et de mettre en œuvre les politiques idoines,
acceptables, sans effets contradictoires.
À l’instar de ce qu’il en est dans le
secteur de la santé, on l’a amplement démontré, la politique d’aide au
développement en matière d’éducation, telle qu’elle est mise en œuvre,
ne respecte pas suffisamment les priorités de la stratégie qui a été
définie. Les moyens consacrés à l’éducation de base dans un pays comme
le Niger, par exemple, pays laïc et francophone extrêmement pauvre, sans
possibilités propres de maintenir à flot son système d’enseignement
public et soumis à la très forte concurrence de l’enseignement
confessionnel radicalisé, sont aujourd’hui indigents.
Votre Mission fait sienne l’approche
de la loi du 7 juillet 2014 en matière éducative, dont les orientations
sont également loin d’être respectées. L’éducation est au cœur de
l’ensemble des problématiques de développement, qu’elles soient
politiques, sociales ou économiques.
C’est la raison pour laquelle votre Mission recommande que notre pays se réengage auprès du Partenariat mondial pour l’éducation à
un niveau au moins équivalent à celui qui était le sien auparavant. Il
est important que la France plaide pour un renforcement des systèmes
éducatifs des pays les plus faibles et les plus fragiles, et tout
particulièrement d’Afrique francophone.
Ce soutien permettra à notre politique
d’aide à l’éducation de gagner en cohérence, dans la mesure où cet
effort complètera les actions de l’AFD sur le secteur de la formation
professionnelle.
En outre, votre Mission invite aussi à la révision de la politique de bourses en
faveur d’étudiants en provenance de pays d’Afrique subsaharienne
francophone. Nombre de pays ne se voient plus aujourd’hui proposer qu’un
nombre infime de bourses pour des étudiants de niveau thèse. C’est
notamment le cas au Niger où, selon les informations obtenues, il n’y a
plus de bourses du gouvernement, ce qui se traduit logiquement par
d’autres choix de destination par les candidats, qui, depuis une
quinzaine d’années, se tournent vers les États-Unis, le Canada ou le
Royaume-Uni, mais aussi d’autres pays africains, tels le Nigeria ou le
Maroc.
LOI no 2014-773 du 7
juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique
de développement et de solidarité internationale
Éducation et formation.
L’éducation, notamment des filles, est
un droit humain fondamental au cœur des processus de développement. Une
éducation et une formation de qualité sont des facteurs puissants de
transformation sociale et contribuent à la réduction des inégalités
sociales et territoriales, à un développement économique durable, à
l’épanouissement des personnes, à l’exercice de la citoyenneté et à la
promotion de la démocratie et de l’État de droit. L’éducation est aussi
un outil de sensibilisation, de prévention et de formation aux droits
humains, aux enjeux de développement durable et aux enjeux transversaux
et sociétaux tels que la santé, l’environnement ou la lutte contre
toutes les formes de discriminations.
Une des caractéristiques des pays
bénéficiaires de la politique de développement est la jeunesse de leur
population. Encore plus pour ces pays, les jeunes représentent l’avenir
et doivent pouvoir bénéficier d’investissements forts à tous les niveaux
pour permettre leur inclusion sociale, économique et politique. C’est
pourquoi la France fait de l’éducation et de la formation accessibles à
tous sans aucune discrimination une des priorités de sa politique de
développement et de solidarité internationale. Dans ce cadre, un effort
particulier dans le domaine de la formation professionnelle initiale et
continue dans les pays concernés aura un effet de levier sur la création
d’emplois, mais aussi sur la capacité de ces pays à s’adapter au
contexte de mondialisation des échanges et de multiplication des crises
économiques, sanitaires et climatiques.
La politique française d’aide au
développement et de solidarité internationale doit aider à la mise
en œuvre de politiques d’éducation et de formation efficaces, à même de
garantir l’acquisition des connaissances et la maîtrise des compétences
nécessaires au développement autonome des populations et à leur pleine
insertion économique, sociale et citoyenne dans la société. À ce titre,
l’accès et le maintien des filles à l’école représentent un facteur
fondamental de développement. Cette politique doit aussi contribuer aux
objectifs de l’Éducation pour tous, en priorisant le soutien à
l’éducation de base incluant les premiers niveaux du secondaire,
l’importance du continuum éducatif de la petite enfance à la formation
tout au long de la vie, le rôle primordial des équipes pédagogiques dans
la dispense d’une éducation de qualité, notamment pour les populations
marginalisées ou vulnérables. La France contribue également à ces
objectifs à travers sa politique d’accueil et de formation d’étudiants
étrangers sur son territoire. La politique de promotion et de soutien de
la langue française est également un vecteur de la politique de
développement.
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Si notre pays entend resserrer ses
liens avec l’Afrique francophone de demain, avec ses sociétés civiles,
comme cela est nécessaire, il doit ne pas se couper des futures élites
de ces différents pays. Or, à l’heure actuelle, moins de 20 % des boursiers étudiants en France sont originaires de pays d’Afrique subsaharienne,
toutes aires linguistiques confondues. Si les moyens généraux sont en
nette diminution, priorité a surtout été donnée ces dernières années aux
étudiants originaires des grands pays émergents, notamment la Chine. Il
serait opportun de réviser cette orientation afin de renforcer
durablement les liens au sein de l’espace francophone et de maintenir à
notre pays son attractivité.
Cette question touche aussi directement la politique de visas, dont
on a vu la sensibilité. L’an dernier, le Conseil stratégique de
l’attractivité du 17 février 2014 a décidé d’un allègement généralisé
des formalités pour attirer tous les acteurs de l’économie de
l’intelligence et les inciter à rester en France, se traduisant par un
certain nombre de mesures positives, telle la délivrance d’une carte
pluriannuelle pour les étudiants étrangers, correspondant à la durée de
leurs études, pour éviter un renouvellement chaque année, ou la
facilitation des démarches pour les étudiants étrangers en master et
bénéficiant d’un financement par une autorité publique française ou
étrangère. Pour autant, comme on le sait, l’axe central de ce comité
était à dominante économique et les orientations antérieurement prises
ayant mis la priorité sur les étudiants originaires des pays émergents,
on ne voit pas dans ces décisions ce qui permettrait de renforcer le
lien qui est en train de se distendre entre notre pays et les futures
élites des pays d’Afrique francophone.
Les problématiques démographiques ont
de très forts impacts sur les questions sanitaires et éducatives, et les
systèmes de santé et d’éducation des pays d’Afrique francophone vont
être face – font déjà face – à des défis insurmontables.
Last but not least, une
croissance démographique qui conduit chaque pays à voir doubler sa
population dans une période de 18 à 25 ans impose des politiques
économiques permettant au marché du travail d’absorber un nombre
considérable de jeunes chaque année : 1,4 million en ce qui concerne le
Niger en 2050.
Consécutivement, dans la mesure où le
tissu industriel est encore peu développé, la structure économique peu
diversifiée, et le sera encore durablement, où les populations sont
majoritairement rurales, et occupées dans le secteur primaire et
l’agriculture, se pose la question cruciale de l’emploi des jeunes, dans
un contexte marqué notamment par la piètre qualité des systèmes
éducatifs et la fréquence des tensions foncières fréquentes.
Votre Mission retire des nombreuses auditions auxquelles elle a procédées (320) l’idée
que notre politique d’aide au développement sectorielle devrait se
concentrer sur le développement des agricultures familiales vivrières,
qui permettent en premier lieu d’occuper un grand nombre d’actifs
ruraux, plus que l’agriculture mécanisée destinée à l’exportation ne
pourra jamais le faire. En outre, cette agriculture est celle qui permet
de générer le plus de revenus disponibles pour les populations
concernées ; enfin, elle est aussi celle qui contribue le plus à la
sécurité alimentaire des populations, dans un contexte où les effets du
changement climatique seront également redoutables. Permettant enfin
d’alimenter l’économie locale, par les marchés, les unités de
transformations, elle contribue aussi à irriguer le tissu économique.
Au terme d’une lente évolution, la
réforme de 1998 a conduit à la disparition de l’ancien ministère de la
coopération, autrefois autonome. Aujourd’hui, au sein du MAEDI, le
secrétariat d’État chargé du développement assure le pilotage de la
politique, et dispose notamment de la direction générale de la
mondialisation, du développement et des partenariats. Cela étant, il
n’est pas une analyse effectuée ces dernières années qui n’ait conclu à
la complexité du dispositif français d’aide au développement, éclaté
entre les ministères des finances et des affaires étrangères qui
exercent une cotutelle sur l’AFD. Ainsi, même si la dernière revue du
CAD souligne à juste titre des évolutions opportunes, en relevant que « la
France a amélioré le pilotage de la coopération au développement en
ciblant ses efforts sur les trois acteurs principaux. Le ministère des
Affaires étrangères et le ministère de l’Économie et des Finances
coordonnent davantage leurs approches et exercent une tutelle plus
étroite sur l’AFD, principal opérateur de la coopération française, dont
les compétences ont été élargies et le poids renforcé », elle indique que « ce dispositif génère des coûts de transaction élevés du fait des impératifs de coordination. Il rend par ailleurs difficile le pilotage stratégique du budget de l’aide programmable, qui est éclaté entre les deux ministères. » (321)
À l’heure où l’importance de ces
aspects apparaît crûment dans le bilan de notre action dans les pays les
plus fragiles, votre Mission souhaite ouvrir le débat et plaider pour
la création d’un ministère de plein exercice qui serait chargé de l’intégralité de la conduite de la politique de développement.
Plusieurs arguments plaident en ce
sens, étant entendu qu’il ne s’agirait pas de reconstituer l’ancienne
« rue Monsieur », dont les travers et dérives avaient abondamment
justifié sa disparition.
La question principale est d’ordre politique.
Comme on l’a dit, les problématiques
de stabilité et de développement en Afrique francophone sont appelées à
prendre une importance croissante dans notre agenda. Consécutivement,
notre pays est dans la nécessité d’anticiper sur le moyen et le long terme pour prévenir des crises qui
ne manqueront pas de se produire si rien n’est fait suffisamment tôt en
amont. Cela suppose de rehausser considérablement l’attention qui y est
portée, d’exercer un suivi constant, d’avoir un dialogue permanent avec
les pays concernés, leurs institutions, leurs sociétés civiles, de
définir et de conduire les politiques d’aide au développement qui y
contribueront. Consécutivement, cela signifie aussi inscrire notre
relation aux pays d’Afrique francophone dans une perspective assumée de
démilitarisation de la gestion des crises, la situation présente n’étant
pas durablement tenable, tant budgétairement que politiquement. C’est
sur les deux piliers égaux de stabilité et du développement, à
travailler en parallèle, que cette relation politique doit s’articuler.
Confier cette tâche à une seule
instance politique au sein du gouvernement permettrait de renforcer la
cohérence de notre action et d’éviter que l’un de ces deux pôles ne
prenne le pas sur l’autre comme c’est le cas actuellement avec la part,
qu’on peut considérer comme excessive, que le ministère de la défense a
prise à la faveur des circonstances tragiques que connaît le continent, à
la faveur, aussi, d’une anticipation insuffisante qui oblige à réagir
faute d’avoir agi. À cet effet, le nouveau ministère du développement
devrait instituer des partenariats avec les instituts et centres de
recherche sur l’Afrique, lui permettant de disposer de l’information
scientifique nécessaire à la prise de décision sur le moyen et long
terme.
De même, pourrait-on envisager la création au sein de l’École d’affaires publiques de Science Po d’une spécialité « Politiques d’aide au développement »,
en complément des filières « Administration publique », « Culture »,
« Énergie-environnement » et « Santé » qui existent déjà, qui
permettrait de donner aux futurs professionnels du secteur une formation
spécialisée de haut niveau.
Cette cohérence serait d’autant plus
bienvenue qu’elle permettrait de rééquilibrer les instruments de notre
politique et de rehausser la dimension développementaliste de notre
politique africaine. Toutes choses égales par ailleurs, la comparaison
avec les dispositifs d’autres pays montre qu’un ministère dédié au
développement permet une meilleure prise en compte des situations
propres aux différents pays cibles. Ainsi, le fait que le Royaume-Uni
consacre autant d’attention et de financements d’APD à la RDC répond
bien plus à une préoccupation exprimée par le DFID qu’à une stratégie du
FCO.
Plusieurs pays occidentaux ont par
ailleurs au sein de leur exécutif un département ministériel dédié à une
région, ainsi en est-il des États-Unis, du Royaume-Uni, de la RFA. Le
fait que le ministère chargé du développement soit l’interlocuteur
privilégié de nos partenaires africains, renforcerait la qualité et la
régularité, la fréquence de notre dialogue régional et bilatéral dont on
n’a vu qu’il appelait à être réévalué.
En outre, de notre point de vue, ce
ministère, de plus de poids politique au sein de l’appareil
institutionnel français et chef d’orchestre de la stratégie de long
terme pour l’Afrique, disposerait d’une capacité de plaidoyer
international et régional renforcée qui lui donnerait un poids accru
dans les relations de notre pays avec les principaux bailleurs et
instruments de l’aide auxquels notre pays participe.
Un tel ministère permettrait aussi de donner plus de visibilité à
notre action en faveur du développement et partant, de renforcer la
légitimité de cette politique publique, qui peut être mise en question
en période budgétaire difficile. On sait que les pays dans lesquels la
politique d’aide au développement est la plus soutenue sont également
ceux où la communication gouvernementale est la plus forte.
Enfin, et là n’est pas le moindre de
son intérêt, la création du ministère aurait aussi pour effet de faire
perdre toute justification à la cellule africaine de l’Élysée. Même si
on sait que depuis l’élection de François Hollande à la présidence, elle
ne joue plus le même rôle qu’auparavant, elle participe toujours d’une
personnalisation excessive de la relation de la France avec les pays
africains. La spécificité de cette relation bilatérale doit être
maintenue compte tenu des liens qui nous unissent au continent et de nos
intérêts, mais elle doit être aussi assainie et prendre la voie
exclusive des canaux institutionnels. Le ministère y contribuera
opportunément.
Convaincue du caractère irremplaçable
de l’aide bilatérale, la représentation nationale exprime année après
année sa préoccupation sur l’articulation entre les instruments
bilatéraux et multilatéraux de notre aide, sur leur déséquilibre. Le
gouvernement n’y a jusqu’à aujourd’hui pas apporté de réponse
véritablement satisfaisante. Dans la perspective de refonte de notre
politique africaine telle qu’elle est ici proposée, ce sujet est
crucial.
En conséquence, votre Mission formule
ainsi ses arguments et préconisations, fondés sur des considérations
politiques et financières, qui justifient la nécessité de redonner des
marges de manœuvre à notre aide au développement bilatérale.
Plusieurs raisons justifient que notre
pays se donne de nouveau des marges de manœuvre pour disposer de plus
de moyens d’action autonomes au bénéfice de la politique africaine qu’il
entend mener.
En premier lieu, la France n’est
aujourd’hui pas suivie autant qu’elle le souhaiterait sur les
problématiques les plus graves qui touchent l’Afrique. L’augmentation
des moyens qu’elle pourra dédier est d’autant plus nécessaire afin de
garantir le succès des actions novatrices qu’on a évoquées, qui pourront
exercer un effet d’entraînement. Il convient à cet égard de ne pas
oublier que longtemps, la France a privilégié son action bilatérale dans
les pays d’Afrique francophone et que c’est précisément cette
expérience accumulée qui lui a permis d’acquérir un savoir-faire
reconnu, reposant par exemple sur son propre système de santé et sa
politique sanitaire, et d’avoir une véritable influence, une force
d’entraînement au sein de la communauté internationale.
Il convient aujourd’hui, à l’heure où
les paradigmes qui se sont imposés n’ont pas fait la preuve de leur
efficacité, que la France réaffirme avec force ses axes d’excellence.
Cela est d’autant plus opportun que de décennie en décennie, les
institutions internationales, la Banque mondiale en premier lieu, ont
pris le pas pour exercer un leadership intellectuel dans la
définition des grandes tendances de l’aide et imposé leurs visions à
l’ensemble de la communauté internationale. Or, si elles ont toute leur
utilité pour les possibilités de financement qu’elles permettent, il
semble temps de ne plus leur laisser donner seules le ” la “ dans la définition des grandes orientations de l’aide au développement.
Comme le rappelait The Lancet (322), il
est piquant de voir le FMI voler aujourd’hui au secours des systèmes de
santé des trois pays frappés par l’épidémie d’Ébola, alors que sa
politique au long des vingt dernières années a précisément consisté à
les démanteler pierre à pierre. Ou encore, de voir la manière dont la
Banque mondiale paraît s’exonérer de toute responsabilité dans la
mauvaise gouvernance publique, par exemple dans son rapport de 1997 (323),
en soulignant l’importance du rôle de l’État. Sans qu’il s’agisse ici
d’exonérer les gouvernements africains de leurs propres responsabilités
dans la mauvaise gouvernance dans laquelle ils ont trop longtemps
maintenu – et continuent pour la plupart d’entre eux de maintenir –
leurs pays, celle des organisations internationales, notamment du
système de Bretton Woods dans la situation que connaissent nombre de ces
pays, dans la ruine des institutions étatiques, la destruction des
systèmes sociaux, est tout aussi manifeste et ne doit pas être oubliée.
Les pays africains en paient encore le prix.
Plus généralement, les politiques
d’aide au développement que la communauté internationale a mis
successivement en place ont vécu des changements de pied incessants on
ne peut plus contradictoires. Comme le relatait par exemple Christian Seignobos (324),
qui en a été longuement le témoin sur le terrain, l’extrême nord du
Cameroun illustre l’aveuglement des politiques d’aide au développement,
la communauté des bailleurs n’ayant cessé de proposer des solutions
clefs en mains sans suite ni logique, ni coordination, aux populations
bénéficiaires d’une région laissée à l’abandon par les autorités du pays
et par le sud. Des politiques à dominantes forestières, puis agricoles,
puis hydrologiques, se sont succédé puis effacées à la fin des années
1980 devant des politiques économistes, elles-mêmes remplacées par
d’autres dans la décennie 1990. Comment mieux illustrer le fait que les
solutions de développement ont été systématiquement insufflées de
l’extérieur, chaque « école » laissant la place à la suivante sans que
la participation des principaux intéressés soit considérée ?
Cela pour dire que la légitimité
intellectuelle des institutions financières internationales à déterminer
les orientations de l’aide et à imposer les paradigmes comme elles
l’ont fait dans les années passées peut à bon droit être reconsidérée.
Notre pays n’a pas su ou voulu porter la contradiction à la parole
dominante qui s’imposait dans les années 1990 et 2000 et il a peu à peu
renoncé aux axes les plus forts que son expertise avait portés, avec une
efficacité incontestée, que ce soit en matière sanitaire ou sociale,
comme en matière agronomique.
« Cinquante ans de coopération française avec l’Afrique subsaharienne »
Un bilan positif des actions bilatérales
« Ce fut l’époque des offices
agricoles, des caisses de stabilisation, des entreprises publiques, des
projets d’aménagement régionaux (bassins du Sénégal, du Niger, du
Congo), des instituts de recherche (en santé publique avec le réseau de
l’OCCGE de Bobo Dioulasso et les instituts Pasteur), des écoles
d’ingénieurs inter-États spécialisées (Ouagadougou, Bamako, Dakar,
Yaoundé), des écoles militaires à vocation régionale, mais aussi des
microréalisations originales avec des équipes spécialisées au
tempérament militant. On se souvient aussi des apports opérationnels
comme la méthode des effets conçue pour appréhender les divers impacts
d’un projet de développement. Elle fut par la suite habilement mobilisée
lors du débat farouche avec la Banque mondiale sur l’avenir des
filières cotonnières de l’Afrique de l’Ouest. Au terme de cette période
très dense intellectuellement et foisonnante de projets de terrain, les
résultats n’étaient pas minces : des dizaines de milliers de cadres et
d’ingénieurs formées, des infrastructures économiques et sociales
installées, des capacités institutionnelles créées. L’accès à l’eau
potable et à l’énergie a progressé, le taux de scolarisation a augmenté,
la sécurité alimentaire s’est accrue dans de nombreuses régions. Les
campagnes de vaccination préventive ont permis d’éradiquer la variole ;
la cécité des rivières a disparu de l’Afrique de l’Ouest ;
l’amélioration des soins de santé maternels et infantiles a été
significative. » (325)
|
Il paraît aujourd’hui nécessaire que la France sorte de l’alignement intellectuel dans lequel elle s’est inscrite (326), réussisse à faire entendre de nouveau sa voix, à redonner à ses propositions le lustre qu’elles ont perdu.
Cela est d’autant plus important que
personne ne conteste que la meilleure expertise sur la zone sahélienne,
et notamment en matière agronomique, est détenue par les centres de
recherche français. Par comparaison, comme le soulignait avec force Serge Michailof (327),
celles que peuvent présenter les grandes institutions internationales,
que ce soit les banques de développement, la Banque mondiale en premier
lieu, ou l’Union européenne, présentent de grandes carences dans le
secteur clé qu’est le développement agricole de cette région. Cela
milite pour une remobilisation de l’aide française au Sahel.
Serge Michailof rejoint Olivier Lafourcade dans l’idée que cette
expertise du Sahel et du développement rural de cette région ne se
retrouve guère désormais qu’à l’AFD, dans les instituts de recherche
français, ainsi qu’au sein de quelques-unes des principales ONG, tel le
GRET.
Dans le même esprit, on ne peut
oublier non plus que la Banque mondiale a aussi fait son possible pour
contrecarrer des initiatives qui n’avaient pas l’heur de correspondre à
son idéologie néolibérale, par exemple démanteler la filière coton au
Mali, réussite incontestable de la coopération bilatérale française : « La
filière coton au Mali est une des rares ” success stories ” du
continent africain en matière de compétitivité économique. En effet, le
Mali se classe depuis un an comme le premier producteur de coton
africain devant l’Égypte (610 000 tonnes) et réussit depuis dix ans le
tour de force d’accroître régulièrement sa production malgré l’absence
de subventions à l’instar de celles qui permettent notamment aux
producteurs de coton américains de survivre au prix d’une
déstabilisation générale du marché mondial du coton. En outre, un pool
bancaire original, composé de banques de la sous-région ouest africaine,
a réussi ces dernières années à assurer le financement de la
commercialisation du coton dans un environnement pourtant peu porteur. » (328)
Il est donc essentiel que la France se
donne l’ambition de promouvoir et défendre au sein de la communauté des
bailleurs les axes politiques, notamment en matière d’agriculture et de
pastoralisme sahéliens, qui sont unanimement considérés comme de nature
à contribuer à la résolution durable des problématiques qui touchent
les populations locales. Ce sont au demeurant des sujets sur lesquels
notre pays a bâti sa réputation dans le passé, sur lesquels elle a aussi
parfois été combattue précisément par les institutions financières. Le
discours de notre pays sur ses forces et atouts comparatifs doit être
rehaussé.
On ne contestera pas que le canal
multilatéral permet des effets de leviers considérables et de
démultiplier des moyens qu’un pays seul ne pourra jamais engager, que
cela est indispensable lorsqu’il s’agit de lutter contre les pandémies,
de lancer des programmes d’investissements ou, de plus en plus, de
travailler sur les problématiques globales, comme le changement
climatique. On sait par ailleurs l’énormité des besoins de l’Afrique en
infrastructures, évalués par la Banque mondiale à quelque 50 milliards
de dollars annuels (329),
et la combinaison des apports privés et publics qu’elle impose. Pour
toutes ces raisons, il ne peut être question pour notre pays de se
retirer des principales institutions multilatérales dans lesquelles nous
sommes engagés depuis longtemps, qu’il s’agisse des banques de
développement ou des organisations du système des Nations Unies dans
lesquelles, au demeurant, notre présence, qui n’a cessé de se réduire
année après année, est aujourd’hui à son étiage.
Cela étant, s’agissant de la
répartition de notre effort entre aide multilatérale et bilatérale, de
leur complémentarité, on oppose depuis trop longtemps à la
représentation nationale des arguments dont la pertinence paraît de plus
en plus discutable. Un rééquilibrage doit être opéré pour donner à
notre action les moyens de sa nouvelle ambition.
Il faut aujourd’hui rappeler à quel
niveau la part des subventions bilatérales est tombée, y compris, et
surtout, dira-t-on, en direction de nos priorités, comme on l’a vu
s’agissant de l’éducation de base au Niger.
En ce qui concerne les priorités
géographiques, les seize pays pauvres d’Afrique subsaharienne, le
dernier Document de politique transversale, DPT, a montré que l’APD
bilatérale nette globale pour cet ensemble de pays se montait à une
moyenne de 43 M€. Avec un total distribué de 239 M€ de subventions en
2013, chacun a reçu en moyenne moins de 15 M€ de subventions, tous secteurs d’intervention confondus, comme le montre le tableau ci-dessous (330).
Ces données, à mettre en lumière avec
le fait que dans cette enveloppe, les dons-projets de l’AFD ont
représenté 125 M€ en 2013 pour les seize PPP, que l’AFD a consacré cette
même année 53 M€ en dons-projets pour l’éducation et 54 M€ pour la
santé et la lutte contre le sida, toutes géographies confondues,
permettent de conclure que notre politique d’aide au développement ne
distribue que des confettis d’aide bilatérale. De quelle influence, et
de quelle efficacité concrète sur le terrain, cet apport de notre pays, –
qu’on peut aussi juger désastreux en termes d’image -, peut-il être
dans le débat international ou même bilatéral avec les pays d’Afrique
francophone, en matière d’éducation, pour ne prendre que l’exemple
détaillé plus haut ? À l’évidence, une telle dérive fait perdre à la
France toute possibilité d’influence, a fortiori de contrôle effectif,
sur l’aide multilatérale qui absorbe l’essentiel de ses ressources.
Si la France entend recentrer son aide
vers les pays d’Afrique francophone qui en ont le plus besoin qui sont
aussi ceux qui font face aux défis les plus lourds, elle doit retrouver
des marges de manœuvre et renforcer les instruments les plus pertinents
dont elle dispose.
Inventé parce que la France, pour des
raisons d’efficacité, faisait le choix de concentrer ses moyens
bilatéraux sur sa Zone de solidarité prioritaire, le canal multilatéral
étant alors privilégié pour les pays hors de cette zone, le Fonds de solidarité prioritaire, FSP,
est l’instrument avec lequel le ministère des affaires étrangères met
en œuvre, aujourd’hui encore, son aide-projet, sous forme de dons dans
l’ensemble des domaines institutionnels et de souveraineté. Comme le
rappelle l’évaluation commandée par la Direction générale de la
mondialisation (331) qui en a été faite l’an dernier, « le FSP est un instrument privilégié de partenariat :
– avec les États et les organismes Inter-États. Sa vocation
institutionnelle concernant l’ensemble des structures nationales
(Ministères, collectivités territoriales, établissements publics,
organismes inter-états) se traduit par une nécessaire responsabilisation
de ces structures dans la mise en œuvre de projets préparés en étroite
collaboration ; – avec les autres bailleurs de fonds et la société
civile, nécessairement concernés par les évolutions institutionnelles
touchant aussi bien les domaines de souveraineté et de défense des
droits de l’homme (décentralisation, justice, sécurité…) que les
domaines sociaux (santé, éducation, eau et environnement, développement
des capacités nationales…). ». C’est aussi un « instrument privilégié de lutte contre la pauvreté, – soit directement à travers ses opérations déconcentrées et de fonds social de développement dédiés
pour l’essentiel à la société civile, ou son appui direct aux
organisations non gouvernementales et à la coopération décentralisée ; –
soit indirectement par l’impact recherché dans tous les secteurs, principalement dans ceux de l’éducation et de la santé en faveur des plus démunis, du genre et de l’enfance. »
Il existe trois types de projets dans le cadre du FSP : les « projets Pays », bilatéraux, contribuant au développement d’un pays partenaire ; les « projets inter-États », bénéficiant à un groupe d’États déterminé ; les « projets mobilisateurs », qui contribuent à l’élaboration de politiques sectorielles de développement, notamment par des opérations pilotes.
La conclusion qui a été tirée de l’évaluation réalisée l’an dernier est simple : « Cette
évaluation a montré que le FSP est un instrument qui garde un grand
intérêt dans la boîte à outil de l’aide publique française pour des
opérations de solidarité (CD/FSD) et en matière de gouvernance
démocratique (justice, État de droit, sécurité, renforcement de l’État),
en direction de pays situés entre la crise et le développement
maîtrisé. Pour ces thématiques, le FSP est irremplaçable actuellement.
Aucun autre outil ne peut monter des projets du même genre, avec la même
rapidité et la même flexibilité. » (332) Consécutivement,
précisent les auteurs de l’étude, dans les pays fragiles, en phase de
reconstruction-réhabilitation-consolidation, le FSP s’avère
particulièrement pertinent, s’appuyant notamment sur « un
rapprochement politique favorisant des transferts qui ne se limitent pas
à la technicité mais incluent des valeurs et des sensibilités
partagées. »
Malgré cela, dans la baisse
continue des crédits qui a durement affecté nos moyens bilatéraux, le
FSP a particulièrement souffert, sur le plan financier et humain.
Selon les évaluateurs, malmené
depuis dix ans, le FSP est même devenu aujourd’hui quantité négligeable,
au point de ne plus représenter que moins de 1 % des programmes qui
composent la mission APD.
Aujourd’hui, un nombre très faible de FSP-pays est mis en œuvre : 119 projets-pays approuvés en 2000, 46 en 2005, 25 en 2013.
Au plan financier, les diagrammes reproduits ci-dessous montrent qu’il s’agit même de l’outil bilatéral le plus impacté comparativement
aux bourses, aux échanges d’expertise ou aux autres moyens d’influence,
qui restent quasiment étales sur la dernière décennie.
Évolution des allocations FSP et autres instruments (333)
En outre, le FSP a également pâti de la diminution drastique de l’assistance technique, alors même qu’il a été démontré que « les
projets FSP ne sont rien sans l’expertise associée qui les anime et les
gère (…), « c’est-à-dire d’ETI sélectionnés et mis en place par la
France, qui œuvrent dans les projets mais assurent aussi un rôle de
conseil et sont au premier plan pour le renforcement des relations de
coopération. » (334). À cet égard, le diagramme ci-dessous se passe de commentaires.
La baisse des effectifs de l’assistance technique (335)
Sur une plus longue période, depuis le début des années 1960, la baisse a été supérieure, puisque Pierre Jacquemot (336) montre qu’il y a eu jusqu’à 10 292 assistants techniques en 1980 :
C’est la raison pour laquelle, votre Mission recommande vivement que le FSP, – dont « on peut même soutenir [qu’il] est irremplaçable :
– pour les pays en sortie de crise, en situation de fragilité et en
cours de réhabilitation institutionnelle, – dans les domaines de la
solidarité concrète sur le terrain pour appuyer directement et renforcer
les communautés et les organisations de la société civile – dans les
domaines régaliens de la gouvernance démocratique : justice, état de
droit, sécurité, renforcement de l’État. » (337) – soit au cœur de la stratégie de remobilisation de nos moyens bilatéraux pour
soutenir les actions de stabilité et de solidarité à mener au bénéfice
des seize pays pauvres prioritaires et spécialement des cinq pays
francophones de la bande saharo-sahélienne : Mali, Mauritanie, Burkina
Faso, Niger, Tchad.
Comme on l’a montré précédemment, la
contribution que la France verse chaque année au Fonds mondial pose
désormais plusieurs problèmes politiques : non seulement, elle est loin
de cadrer avec la stratégie santé dont elle s’écarte sérieusement, mais
surtout, elle nous prive de ressources nécessaires pour mettre cette
stratégie en œuvre au bénéfice des seize pays prioritaires de notre APD.
On a vu ce qu’il en était avec l’Alliance GAVI ou l’initiative Muskoka,
et l’on peut considérer qu’une telle situation est difficilement
justifiable. Comment considérer comme légitime que la France doive
réduire les financements qui lui permettraient de respecter ses
engagements stratégiques et géographiques en matière de santé, pour
pouvoir maintenir, envers et contre tout, le financement sanctuarisé au
niveau de 470 M€ par an à un seul instrument dont l’action ne vise pas
prioritairement les besoins de santé publique des pays les plus pauvres,
ne contribue pas au renforcement des systèmes de santé des pays
bénéficiaires, et ne vise pas non plus principalement les pays d’Afrique
francophone ? Cette situation montre qu’au-delà de son incohérence, cet
engagement n’est en rien soutenable sur un plan financier.
Ramener notre contribution à une plus
juste proportion ne nuirait en rien à l’action du Fonds mondial, ni ne
nuirait à l’image de la France comme on ne manquera peut-être pas de
l’entendre en réaction à cette proposition. Au-delà de cette
considération, c’est la seule et unique manière de permettre à notre
pays de retrouver la marge de manœuvre qui lui fait actuellement défaut
pour soutenir une politique bilatérale efficace, lui donnant aussi
l’opportunité de retrouver la visibilité et l’influence qu’elle a
perdues en diluant son action dans une aide au développement
multilatéralisée.
Votre Mission plaide en conséquence
que l’apport de 60 M€ additionnels annuels décidé par le Président
Sarkozy pour trois ans et prorogé d’une durée équivalente par le
Président Hollande ne soit pas reconduit et que, en outre, la
contribution antérieure, portée à 300 M€ en 2008, soit également revue à
la baisse.
Si la priorité que l’on a donnée au Fonds mondial se justifiait il y a dix ans, les temps et les
circonstances ont changé et la preuve est faite aujourd’hui que les
pays d’Afrique francophone ont, avant toute autre considération, un
besoin fondamental d’appui à leurs systèmes de santé, vers lesquels
les financements et actions doivent être recentrés. Une contribution
réduite de la France au Fonds mondial permettra de retrouver les marges
de manœuvre qui font aujourd’hui défaut pour une action renouvelée.
C’est par exemple la position défendue récemment par deux experts de
l’AFD, Hubert de Milly, conseiller politique à la direction de la stratégie, et Pierre Salignon, chef de projets à la division santé et protection sociale, qui estimaient récemment que « si
le développement rapide des pays émergents comporte des opportunités
certaines pour soutenir une croissance verte, durable et solidaire, sous
forme de prêts concessionnels ou pas, souverains ou non souverains…, il
conviendrait aussi, malgré les tentations du repli sur nos frontières,
d’assumer une approche plus équilibrée, sanctuarisant les subventions au
bénéfice des États à faibles revenus. Faute d’autres marges de
manœuvre, cela signifie certainement d’assouplir en France le fléchage
majoritaire actuel des dons vers le fonds mondial de lutte contre le
VIH, le paludisme et la tuberculose (plus d’un milliard d’euros sur 3
ans). Car sans nier les résultats obtenus et les traitements mis à
disposition des malades (ce combat n’est pas totalement gagné), il
serait bon de retrouver un peu de flexibilité financière sur d’autres
questions de développement, dans les Pays à Faible Revenu en
particulier. » (338)
Là est toute la question. Et l’impératif d’y répondre.
La France a innové il y a une dizaine
d’années en introduisant la contribution de solidarité sur les billets
d’avion en 2006, pour financer les programmes internationaux de santé
publique, l’accès aux médicaments dans les pays en développement et
l’atteinte des OMD. Les recettes ont été conséquentes, comme le montre
le tableau ci-dessous :
2009
|
2010
|
2011
|
2012
|
2013
|
2014 (P)
|
2015 (P)
|
2016 (P)
|
2017 (P)
|
|
(M€)
|
162
|
163
|
175
|
185
|
185
|
208
|
222
|
225
|
231
|
Recette de la taxe sur les billets d’avion et prévisions (339)
La liste des attributaires de ces recettes a évolué dans le temps. Initialement, aux termes du décret de 2006 (340),
elles se répartissaient entre le financement de la Facilité
internationale d’achat de médicaments, UnitAid, à 90 %, le solde, 10 %,
servant au remboursement de la première émission d’emprunt de la
Facilité de financement internationale pour la vaccination, IFFIm, qui
finance l’Alliance GAVI. Cette répartition a été profondément modifiée par un décret de décembre 2013 (341) : les recettes de la taxe sur les billets d’avion sont désormais destinées au « remboursement
de la première émission d’emprunt de la facilité de financement
internationale pour la vaccination (IFFim), ainsi que pour le
financement du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et
le paludisme, de la facilité internationale d’achat de médicaments
(UnitAid), du Fonds vert pour le climat, de l’Alliance mondiale pour les
vaccins et l’immunisation (GAVI), du fonds fiduciaire de l’Initiative
pour l’alimentation en eau et l’assainissement en milieu rural (RWSSI)
de la Banque africaine de développement et de l’Initiative solidarité
santé Sahel (I3S) ».
Comme on le sait, le gouvernement
souhaite ramener la contribution de la France à UnitAid en dessous de
50 % du total à partir de 2015, ce qu’il fait depuis 2011 en apportant
quelque 110 M€ annuels, après avoir assuré 60 % du financement dans les
premières années ; il invite aussi l’organisation à diversifier
l’origine de ses recettes. Dans cette logique, et dans celle de ce qu’il
a proposé plus haut, votre rapporteur recommande une nouvelle
répartition des recettes de la taxe sur les billets d’avion, qui
exclurait le Fonds mondial sida et UnitAid.
C’est le Fonds de solidarité pour le développement, FSD,
géré par l’AFD, qui reçoit les recettes de la taxe sur les billets
d’avion ainsi que celle de la taxe sur les transactions financières
depuis 2013. Le montant cumulé des deux taxes sera de 340 M€ cette
année, puis 370 M€ en 2016 et 400 M€ en 2017.
Rien n’interdit qu’une part de ces ressources soit notamment consacrée au financement d’actions bilatérales visant au renforcement des systèmes de santé en Afrique subsaharienne. On
peut rappeler pour appuyer cette recommandation que c’est d’ores et
déjà le cas, pour une infime partie : depuis les origines, les montants
collectés pour le FSD ont servi en quasi-totalité, c’est-à-dire à
99,6 %, au financement d’actions multilatérales. Sur un total cumulé
depuis 2006 de 1583 M€ reçus, seuls 6 ont été affectés au financement
d’actions bilatérales, à savoir l’initiative I3S au Niger. Il suffirait
en conséquence de réévaluer cette répartition.
De plus en plus, les entreprises
françaises participent au financement du développement de diverses
manières, et il convient de saluer à cet effort à sa juste valeur. Elles
sont inventives et proposent des solutions souvent remarquables aux
populations des pays en développement. En témoignent par exemple les
initiatives de Bolloré en Afrique de l’ouest, avec le concept de « Blue zones ». Comme le rappelait récemment Jeune Afrique économie (342),
« Alimentées par de l’énergie solaire stockée dans des batteries, les
blue zones accueillent des espaces éclairés multi-fonctionnels, avec de
l’eau potable, des centres de santé, d’écoute et de prévention pour les
jeunes, une école où des cours de e-learning pourront être dispensés,
des activités sportives, des ateliers pour les artisans… La création
de la bluezone de Kaloum aurait permis d’employer 475 artisans guinéens
(électricien, maçon, ferronnier, menuisier) ». La Blue zone de
Kaloum, à Conakry, a servi de base pour la lutte contre l’épidémie
Ébola, elle offre des accès internet aux populations défavorisées, des
espaces de travail et de rencontres aux jeunes créateurs d’entreprises,
etc. D’autres sont d’ores et déjà prévues dans le pays et le groupe
envisage de répliquer ce modèle dans divers autres pays de l’Afrique de
l’ouest, – certaines sont d’ores et déjà actives – et l’on cite ainsi le
Togo, la Côte d’Ivoire, le Niger, le Bénin. Au Cameroun, où le
dispositif a été présenté à votre Mission par Mohamed Diop, directeur général régional du groupe (343),
c’est un réseau de transport estudiantin gratuit par autobus
électriques qui a été mis en place dans les deux principales villes,
Yaoundé et Douala. Toujours au Cameroun, Orange dispose d’une
fondation qui intervient sur les thématiques sociales et permet au
groupe de montrer sa sensibilité et de concrétiser sa proximité avec la
population. On sait aussi le rôle joué par la Fondation Total en
Afrique en matière de santé, d’éducation, de formation professionnelle.
On pourrait multiplier les exemples de l’engagement des entreprises
françaises sur le terrain, qui participent aussi de leur stratégie de
communication, d’implantation dans les sociétés dans lesquelles elles
travaillent.
Par ailleurs, de nouvelles orientations ont été prises récemment et d’autres le seront dans un futur proche. La responsabilité sociale et environnementale des
entreprises a tout d’abord été inscrite dans la loi de juillet 2014 et
la réflexion se poursuit : récemment, Emmanuel Faber, vice-président de
Danone, et Jay Naidoo, ancien ministre du gouvernement de Nelson
Mandela, ont remis un rapport à Laurent Fabius, plaidoyer pour une
implication renforcée des entreprises dans le développement durable des
pays en développement, notamment africains.
Cela étant, dans le contexte actuel
marqué par les difficultés budgétaires qui impactent le financement de
la politique d’aide au développement, peut-être serait-il opportun
d’étudier la mise en place de cadres de participation, de partenariats,
plus systématisés. Comme le disait Etienne Giros, président délégué du CIAN, (344) le
secteur privé est par exemple prêt à être associé aux interventions de
l’AFD et à participer très concrètement à leur définition, et les
entreprises le souhaitent vivement. À l’heure où la diplomatie
économique est devenue la priorité du ministère des affaires étrangères,
où l’ensemble des moyens publics sont désormais mobilisés, coordonnés
et démultipliés au profit des entreprises de notre pays afin que leurs
intérêts soient bien pris en compte à l’international, peut-être
pourrait-on aussi envisager que, dans un juste retour des choses, elles
soutiennent à leur tour nos dispositifs d’aide au développement sur le
terrain et contribuent à leur financement, selon des modalités de
partenariats qui seraient à définir ? Votre Mission invite à la
réflexion sur cette question importante, qui permettrait de renforcer
les moyens aujourd’hui très faibles à la disposition des postes
diplomatiques.
Notre pays est à l’origine de la
création du Fonds européen de développement dont il a été un soutien
constant, et l’un des tout premiers contributeurs. Il est aujourd’hui au
deuxième rang derrière la RFA, avec une clef de contribution proche de
celle qu’il a au sein du budget communautaire. Cette situation donne à
la France un poids politique majeur au sein de cet instrument, dont elle
pourrait peut-être tirer mieux partie. Si l’on en croit l’évaluation
qui a été faite l’an dernier de la contribution de notre pays au FED, on
relève que si les priorités du FED sont en relative cohérence avec
celles de notre pays, notamment en ce qui concerne la prise en compte
des thématiques de gouvernance. En revanche, on relève un très faible
apport du FED dans les secteurs sociaux, l’éducation et la santé
apparaissant comme très peu dotés.
Allocation des ressources du 10e FED en fonction des secteurs prioritaire de la France (345)
Les évaluateurs considèrent que cette faiblesse « n’est
pas nécessairement en opposition avec les priorités françaises si cette
situation résulte d’une division de travail entre les différents
bailleurs en accord avec les priorités des pays partenaires (…) » et que « le
soutien de la CE à ces secteurs est souvent indirect, à travers les
appuis budgétaires globaux, qui financent de manière globale les
stratégies nationales de réduction de la pauvreté, et qui ont mobilisé
29,30% des ressources du 10ème FED. ». (346)
En outre, a été relevée une très bonne
cohérence géographique avec les priorités de notre pays, puisqu’il
apparaît que, non seulement 90 % des crédits du FED vont à l’Afrique
subsaharienne, mais qu’en outre, « Les pays pauvres prioritaires (PPP) ont
reçu à eux seuls 41 % de l’aide prévue dans les programmes nationaux à
destination de la zone ACP du 10ème FED et représentent chaque année
entre 37 % et 43 % des décaissements annuels du FED. Les 5 plus gros PPP
bénéficiaires d’aide via la programmation nationale sont : le Burkina
Faso, la République Démocratique du Congo, Madagascar, le Mali et le
Niger puisqu’ils cumulent à eux cinq 21 % de l’aide totale versée aux
pays ACP en 2012. » (347)
Ces éléments sont très positifs. Parmi
les recommandations qui ont été formulées, votre Mission considère
particulièrement judicieuse celle invitant l’Union européenne « à
s’appuyer encore davantage sur l’expertise et le savoir-faire des EM
pour que le FED devienne à terme un véritable instrument de coordination
et de complémentarité entre l’ensemble des politiques de coopération
des États membre. » (348) Dans
un contexte budgétaire national contraint qui rend nécessairement
difficile un renforcement rapide de notre dispositif d’assistance
technique, il y a là une opportunité particulièrement intéressante, qui
conforte en outre la complémentarité des actions communautaires et
nationales. Elle permettra à notre pays de réinvestir un terrain quelque
peu délaissé par notre politique bilatérale.
Dans ce même ordre d’idées, on sait
qu’une grande partie des ressources du FED, quelque 3 Mds€, sont
acheminées vers des contributions à des organisations internationales,
faute pour la Commission d’avoir les capacités de mettre en œuvre
elle-même l’intégralité des politiques qu’elle définit. Cette délégation
de gestion est critiquée, coûteuse. Votre Mission ne peut que faire
sienne la recommandation des évaluateurs d’inciter la Commission à
analyser systématiquement la possibilité de recourir plutôt aux États
membres et à leurs opérateurs, qu’aux organisations internationales.
C’est dans cet esprit aussi que des
délégations de gestion ont commencé d’être mises en œuvre, les agences
nationales, telles l’AFD et la KFW allemande, se voyant confier la
gestion de fonds européens moyennant des conventions de partenariat.
Ainsi que le recommandent les évaluateurs, il serait particulièrement
pertinent que sur les secteurs d’expertise française, notamment
l’agriculture, la sécurité alimentaire, la santé, les opérateurs
français soient incités à se positionner le plus fortement possible afin
que les priorités de notre pays soient mieux mises en œuvre.
Au terme d’un an de travail, de
nombreuses auditions et d’un déplacement au Cameroun, votre Mission a
souhaité formuler ces quelques recommandations, avec l’ambition
d’essayer de définir un nouveau paradigme sur lequel refonder la
relation entre la France et l’Afrique francophone.
D’une certaine manière, la politique
africaine de notre pays reste à inventer. Car, au-delà des réactions en
urgence, des interventions militaires – avant-hier en Côte d’Ivoire,
hier au Mali, aujourd’hui en Centrafrique, demain sans doute ailleurs – ,
malgré une aide au développement dont on se demande parfois si elle est
vraiment une politique publique tant elle est immuable de gouvernement
en gouvernement, l’ambition de notre pays vis-à-vis de ce continent
reste à définir. On a en effet quelque difficulté à lire une stratégie,
on peine à voir le rôle que la France prétend jouer à long terme en
Afrique, simplement pour accompagner les pays francophones sur les deux
axes majeurs que sont la stabilité et le développement, qui le
concernent aussi au premier chef ; à savoir, simplement, comment la
France se positionne, ne serait-ce que pour la défense de ses intérêts,
pour l’influence qu’elle peut exercer et le bénéfice qu’elle entend
garder de la profondeur stratégique que représente un ensemble unique
d’une vingtaine de pays partageant avec lui la même langue et une
histoire commune, avantage potentiel qu’aucune autre puissance ne
possède dans cette région.
Aux yeux de votre Mission, les enjeux que le continent doit aborder justifient tout d’abord d’élever l’aide au développement au rang de pivot structurant de la politique africaine de notre pays.
C’est ainsi que la France pourra proposer à ses partenaires africains
une approche cohérente et mutuellement bénéfique, et qu’elle confortera
son image. Il s’agit pour notre pays d’être digne, mais sans repentance,
de cette histoire et de ce capital partagés, et de proposer de
nouvelles règles communes, de nouvelles exigences aussi, fondées sur nos
valeurs. Si elle sait porter une vision stratégique de long terme, qui
contribue à la fois à la stabilité et au développement, la France
restera proche de l’Afrique de demain.
Redéfinir une politique africaine ayant le développement pour axe central
• Mettre les problématiques de développement au cœur de notre stratégie politique pour l’Afrique
• Recentrer les moyens de la politique d’aide au développement sur les pays les plus pauvres et notamment les plus fragiles
• Mener une politique d’influence reposant sur notre héritage commun
• Tenir un discours de vérité vis-à-vis à nos partenaires d’Afrique francophone
• Mettre la francophonie comme vecteur d’influence politique, culturelle et économique au rang des priorités principales
• Démilitariser progressivement la relation franco-africaine
• Promouvoir nos valeurs
• Resserrer les liens avec l’Afrique de demain
• Entretenir un dialogue politique plus soutenu avec les pays d’Afrique francophone
*****
Se recentrer sur l’essentiel
• Soutenir les processus endogènes de construction de légitimité des pouvoirs
• Renforcer notre soutien aux
institutions étatiques, en donnant la priorité à la construction de
capacités stratégiques des États
• Soutenir le renforcement des institutions régaliennes
• Redonner la priorité aux secteurs santé et éducation de base
• Soutenir les politiques d’emploi en secteur rural
*****
Des instruments réformés
• Instituer un ministère de plein exercice chargé de l’intégralité du pilotage de la politique d’aide au développement
• Suggérer la création d’une
spécialité « politiques d’aide au développement » au sein de l’École
d’affaires publique des Sciences Po
• Retrouver des marges de manœuvre
financières pour pouvoir abonder notre politique bilatérale, en
réduisant notre contribution au Fonds mondial sida
• Réactiver le Fonds de solidarité prioritaire
• Promouvoir des partenariats entre les entreprises et les postes diplomatiques
• Inciter la Commission européenne à recourir davantage aux États membres pour l’exécution du FED
|
La commission des affaires étrangères a
examiné le présent rapport d’information au cours de ses séances du
mercredi 15 avril et du mercredi 6 mai 2015.
Réunion du 15 avril 2015
Après les exposés du président et du rapporteur, un débat a lieu.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Merci chers collègues pour ce travail considérable, très fouillé.
Nous voyons bien qu’à travers votre
rapport et les travaux que nous ont rendu nos autres collègues, en
dernier lieu ceux de MM. François Loncle et de Pierre Lellouche, qu’il
existe des interrogations extrêmement profondes sur l’évolution du
continent africain.
Il est important de sortir des effets
de mode mais il faut également veiller à ne pas tomber d’un excès dans
l’autre. Il est vrai que nous avons entendu ces derniers temps des
expressions d’afro-optimisme sans doute excessives mais il ne faut pas
non plus négliger l’extraordinaire potentiel de ce continent qui change
le regard que le monde porte sur ces pays, notamment sur les pays
francophones. Vous avez également raison d’affirmer, comme l’ont fait
d’autres de nos collègues, que le problème de la croissance
démographique est un sujet absolument majeur.
Vos analyses sur les systèmes de santé
et d’éducation sont pertinentes, il est incompréhensible et
insupportable que nous en soyons là. Vous avez analysé les causes de ces
dysfonctionnements. Les politiques dites d’ajustement structurel
imposées par les institutions internationales pour réduire la dette de
ces pays ont leur part de responsabilité. Mais, vous avez également eu
raison d’insister sur la mal gouvernance, pour employer un terme
pudique, de mettre des mots sur la réalité et de parler de corruption.
Nous devons porter un regard et une
analyse lucide sur les dégâts que ces politiques ont générés vis-à-vis
d’une jeunesse confrontée à la prolifération de la propagande et de
l’intégrisme islamiste.
Votre rapport souligne que la
démocratie est loin d’être enracinée en Afrique. C’est un processus qui
demande du temps surtout dans les pays confrontés aux difficultés
économiques et sociales que vous avez abondamment présentées. La France
doit avoir un discours équilibré sur ce sujet, un discours qui ne soit
ni complaisant, ni sentencieux. Il faut saisir toutes les subtilités des
situations sans jamais renoncer bien sûr à nos valeurs.
Vous affirmez qu’une réforme de notre
politique d’aide au développement est nécessaire et que les crédits
doivent être réorientés vers la santé et l’éducation et si possible
accrus. Naturellement, sur la gouvernance, je partage entièrement votre
point de vue. Nous insistons sur ces sujets depuis un certain temps
auprès des ministres et lors des débats budgétaires.
Mais, faut-il pour autant créer un
ministère de plein exercice chargé de l’aide au développement comme vous
le recommandez ? Très franchement, j’ai des doutes là-dessus. J’entends
les avantages que représenterait un rehaussement de notre
représentation et le bénéfice pour nous d’avoir un interlocuteur plus
régulier pour le Parlement. Mais, il faudrait en réalité que votre
politique d’aide au développement soit véritablement intégrée comme une
des toutes premières priorités de notre politique étrangère. Je ne suis
pas persuadée qu’en tronçonnant notre politique nous ayons plus
d’efficacité sur le terrain. Les impulsions données et l’action de nos
ambassadeurs sont primordiales et au Mali notre ambassadeur s’est
vraiment investi. Aussi, notre attention doit se porter sur les
mécanismes que nous mettons en place afin de mesurer l’efficacité de
notre aide au développement et les absences de déperdition. Je suis donc
sceptique sur cette proposition de création d’un ministère d’aide au
développement.
Le rapport insiste beaucoup sur les
problèmes liés à ce que vous appelez la militarisation de la politique
africaine. Evidemment, il faut absolument que notre politique africaine
ait pour but de permettre aux pays africains de se prendre en charge à
tout point de vue, même s’il s’agit d’une politique à moyen ou long
terme. Ces pays doivent prendre en charge leur développement, compte
tenu des richesses qui existent, et gérer leur propre problème de
sécurité. Il serait utile, et la France a beaucoup insisté là-dessus et
continue à le faire, de mettre sur place une force d’intervention
militaire africaine. On a l’impression que ce sujet évolue dans le bon
sens et l’Organisation de l’unité africaine a pris de bonnes décisions.
Il faudrait encourager, engager et même demander à nos partenaires de
l’Union européenne de pouvoir à la fois, comme cela se fait au Mali,
aider au financement de cette force et à sa formation. Même si elle est
mise en place, et il faut agir en ce sens de manière résolue, la France
restera pendant longtemps un recours et nous ne pouvons pas échapper à
cette réalité.
Au Mali, la recherche d’une
réconciliation est importante. Les accords d’Alger ont-ils été bouclés
trop rapidement ? Il existe des débats sur ce point mais je pense que
ces accords sont un acquis. Pour la première fois existe la perspective
de voir certaines tribus du Nord entrer dans un processus de
pacification.
M. Pierre Lellouche. Merci
Madame la Présidente et merci de la liberté avec laquelle vous avez
laissé les députés travailler, aussi bien pour M. Loncle et moi-même sur
la situation sécuritaire, que pour nos collègues. Je vous invite à
conserver la même liberté dans la publication des rapports. Je pense que
notre pays a besoin de vérité sur ces sujets.
Ce matin, des informations entendues à
la radio, j’ai retenu d’un côté que la disparition d’Alcatel risquait
d’entraîner des pertes d’emplois, que des ouvriers d’une usine de
plasturgie essayaient de se mobiliser afin de sauver leur entreprise qui
est rapatriée en Allemagne, et de l’autre côté que 700 immigrés étaient
morts dans des radeaux qui arrivent d’Afrique. On prévoit l’arrivée
d’un million d’immigrés clandestins en Europe au cours de l’année. Ces
arrivées sont gérées dans un désordre absolu entre la France et l’Italie
sur les responsabilités en matière de contrôle et de rétention. C’est
dire si ces sujets africains sur lesquels nous avons beaucoup travaillé
depuis deux ou trois ans sont fondamentaux. Je voudrai dire mon estime
et ma reconnaissance à nos deux collègues d’avoir dit les choses avec
beaucoup d’honnêteté. Nous nous retrouvons tous, au-delà des clivages
politiques, sur ces sujets.
J’ai donné cette semaine une interview
au quotidien l’Opinion dans laquelle je critiquais la militarisation de
la politique française en Afrique et ses résultats peu convaincants. Je
constate que mes collègues arrivent aux mêmes conclusions. Notre
politique est dispendieuse en moyens et elle ne cible pas les besoins du
continent. Michel Vauzelle m’en a voulu lorsque j’ai soulevé il y a
quelques temps la question de la démographie africaine. Or il y a là un
vrai combat à mener. Est-il raisonnable alors que ces pays doublent de
population tous les vingt ans d’avoir une politique de sécurisation et
qui consiste à maintenir au pouvoir les mêmes hommes politiques comme
Paul Biya ? Nous sommes en train de recréer dans ces pays la même
situation que celle qui existait dans le monde arabe avant la grande
explosion.
Nous avons un devoir de vérité
vis-à-vis de nos concitoyens et notre pays a besoin de s’interroger sur
sa politique africaine. J’ai un doute sur l’idée de création d’un
ministère mais cette proposition a l’avantage d’ouvrir le débat.
La réalité du terrain est à mille
lieux de l’afro-optimisme que nous vendait Lionel Zinsou lorsqu’il s’est
exprimé devant notre commission. Lorsque 80% des enfants ne sont pas du
tout scolarisés, les chances qu’ils s’en sortent ne sont pas terribles
sauf à se diriger vers l’immigration ou à être recrutés par des milices.
Un point qui manque dans le rapport,
et qui pourrait être utile, est un comparatif avec l’Afrique
non-francophone. Je constate qu’il existe des pays et des régions qui
évoluent, le Ghana ça marche et de même une partie de l’Afrique
lusophone commence à décoller très fort comme au Mozambique. Aussi, la
façade africaine à l’Est marche sans parler du Sud. Évidemment, il
existe des pays où la situation est très difficile, l’héritage belge est
une catastrophe et l’Afrique du Sud est dans une situation très
compliquée. Nous devons nous interroger par rapport à ces pays qui
décollent. C’est un devoir de salubrité publique que de dire ces choses
et de le dire avec des arguments très fondés comme vous le faites, sur
une base bipartisane, et de nous inviter à travailler sur comment en
sortir.
Il faut avoir le courage de remettre
en cause certaines mauvaises habitudes que l’on a appelé la
France-Afrique. La France-Afrique c’est plus complexe que le simple
copinage politique. La France-Afrique ce sont également des habitudes
bureaucratiques, des fléchages d’argent au mauvais endroit à la suite de
la demande de lobbies. À l’arrivée, les résultats sont mauvais. Notre
incapacité à réaliser un travail de pédagogie sur la question
démographique par exemple, y compris au niveau des chefs d’État est un
vrai problème. Lorsque l’on dit aux chefs d’État que leur politique
démographique n’est pas tenable, ils affirment qu’ils le savent mais
qu’ils n’ont pas le courage de la faire évoluer. Le combat, si nous ne
le menons pas, personne ne le fera. Il se réglera sur les radeaux de
l’immigration ou dans le terrorisme.
Donc un grand merci et un grand
encouragement pour que l’on continue. J’espère qu’il y aura d’ici la fin
de la législature une vraie phase de débat sur les options pour
l’Afrique. Il s’agit d’un vrai sujet stratégique pour notre pays. Merci à
notre présidente d’avoir ouvert ce débat en toute liberté et il faut
maintenant le prolonger sur la place publique. Nous sommes l’Assemblée
nationale et nous ne devons pas avoir peur de prendre position. Nous
ferons progresser les esprits si nous avons le courage de dire ces
choses-là devant les Français.
M. Bernard Lesterlin. Pour ma
part, je souhaite exprimer une inquiétude sur le recul considérable de
la francophonie dans les pays d’Afrique francophone. Nous ne nous en
rendons pas compte parce que nous sommes aveuglés par nos contacts avec
une élite qui maîtrise le français, diplomates, responsables politiques
et intellectuels. Cependant, le niveau de maîtrise du français au sein
des populations est atterrant. Si cette tendance se prolonge, plus
personne ne parlera français dans vingt ans. Il nous faut réagir. Nous
pourrions adjoindre aux recommandations de ce rapport le développement
des échanges de jeunes entre la France et ces pays. Nous devons faire un
effort pour accueillir plus de jeunes engagés dans la vie sociale et
économique de ces pays, et pas seulement des candidats de Campus France
qui représentent une certaine élite.
Mme Seybah Dagoma. Votre
diagnostic est accablant, et contraste avec les conclusions plutôt
encourageantes du rapport sur l’Afrique anglophone paru l’année
dernière. Je souhaite ouvrir le débat sur le franc CFA, monnaie des pays
d’Afrique de l’ouest alignée sur
l’euro. Ce lien induit une évolution monétaire déconnectée de la
conjoncture africaine, ce qui est problématique. Les dirigeants
africains ne devraient-ils pas réfléchir à une alternative ? Faut-il
couper tout lien entre les monnaies africaines et l’euro ? Faut-il
mettre fin à l’union monétaire régionale des pays de la zone franc ?
M. André Schneider. Je partage
l’essentiel des interrogations et préconisations de ce rapport. J’ai
pour ma part conduit avec mes collègues François Rochebloine et Philippe
Baumel une mission au Cameroun en juin 2014. Entre cette visite et
celle que le rapporteur a effectuée plus récemment, a-t-on le sentiment
d’une dégradation de la situation ? Je crois que vous n’avez critiqué,
de tous les présidents africains, que le Président Biya : il me semble
que c’est un peu problématique.
M. Boinali Saïd. J’ai le
sentiment, à travers vos exposés, que les Etats africains ne sont pas
parvenus à se défaire totalement de l’ordre de la colonisation. Je me
demande si, dans les recommandations que vous énumérez, nous ne sommes
pas encore dans la reproduction de ce système, faute d’avoir bien
identifié les forces et faiblesses pour construire l’avenir.
M. Pouria Amirshahi. Je
voudrais faire quelques réflexions. D’abord, Je rejoins Seybah Dagoma
dans ses interrogations sur le franc CFA. Si les États de l’ouest
africain veulent pouvoir relever le défi du développement, ils doivent
s’unir et s’allier pour recouvrer une pleine souveraineté économique et
agricole ; cela passe par la maîtrise de leur monnaie. Ensuite, je crois
que les grands ensembles peuvent être des cadres pertinents pour tirer
les États vers le haut dès lors que l’un d’entre eux peut jouer le rôle
de locomotive. Je pense par ailleurs que nous devons davantage insister
sur la géopolitique de la langue : nous devons nous unir entre
francophones du monde entier, avec des moyens et des outils adaptés. Je
vous renvoie aux conclusions de notre rapport. Je crois que nous ne
pouvons avoir une politique de développement efficace que si elle est
concentrée sur la reconstruction des pays les plus fragiles. Enfin, je
souhaite revenir sur la question de la démographie. Nous sommes de plus
en plus nombreux à souligner cet enjeu, mais j’insiste sur le fait que
cette problématique n’est pas liée à l’islam mais à la pauvreté. La
situation de l’Iran l’illustre bien : le taux de fécondité y est passé
de sept enfants par femme à moins que nous aujourd’hui. Il en va de même
au Maroc et en Tunisie : les taux sont en baisse. Dans les pays très
pauvres, les femmes ont beaucoup d’enfants parce qu’elles ne savent pas
combien survivront, cela se comprend aisément.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je
partage l’observation de Pouria Amirshahi. Le rapport a le mérite de
démonter un certain nombre de lieux communs, mais il y en a d’autres que
nous devons combattre.
M. Jean-Pierre Dufau. Je salue
un rapport lucide dont les maitres-mots sont le pari sur l’intelligence
et le respect. Il s’inscrit dans la continuité des débats que nous avons
eus dans le cadre de la loi sur le développement et la solidarité
internationale, notamment sur les priorités et sur l’équilibre à trouver
entre le bilatéral et le multilatéral. L’action multilatérale donne
souvent le sentiment que tout est fondu. Mais, lorsque de vrais enjeux
arrivent, notamment sécuritaires, il devient difficile de susciter une
dynamique multilatérale et la France se retrouve souvent seule, ce que
le rapport montre bien. Sur la question de la « militarisation » jugée
excessive de notre politique africaine, le rapport est juste mais il est
aussi très sévère : la France ne souhaite pas cette militarisation mais
la subit.
Je suis également d’accord avec
l’insistance sur l’importance de l’État de droit, qui doit être
conciliée avec le respect de nos partenaires. En effet, il ne suffit pas
de poser les standards pour que les problèmes soient résolus. Il faut
savoir agir dans le partenariat en respectant nos interlocuteurs.
L’échec des accords de partenariat économique de l’Union européenne avec
l’Afrique ou de démarches comme celle de l’OMC est lié à une prise en
compte insuffisante des partenaires.
Comme les rapporteurs, je pense aussi
qu’il faut parier sur l’intelligence, donc donner la priorité à la santé
et à l’éducation. La lutte contre de nombreux fléaux passe par là.
S’agissant toutefois des perspectives de la francophonie, il faut éviter
une vision trop mécanique : la progression démographique des pays
africains n’entraînera une progression égale du nombre de francophones
que s’il y a un sérieux effort sur l’éducation. Pour conclure sur cet
aspect, je crois que le développement nécessite surtout de la
coopération mais j’éviterai d’insister sur ce terme qui est aujourd’hui
tabou.
Sur le plan sécuritaire, le rapport
évoque la « militarisation » de notre action mais le constat est un peu
contradictoire. Quelle autre réponse pouvons-nous apporter à certains
enjeux du court terme ? Comment pourrions-nous mieux impliquer la
communauté internationale ? Celle-ci est très allante sur certains
thèmes mais il y a d’autres choses sur lesquelles elle ne veut jamais
s’impliquer : comment pourrions-nous concevoir des sortes de « paquets »
avec lesquels nous aurions une implication internationale même sur les
problématiques difficiles ?
M. Lionnel Luca. Cinquante-cinq
ans après les indépendances, le bilan est accablant. C’est paradoxal,
car longtemps nous avons dit que, si l’indépendance algérienne avait été
ratée, les indépendances africaines avaient été plutôt réussies. Nous
avons effectivement eu après ces indépendances un certain nombre de
leaders africains qui avaient du charisme et avec lesquels nous avons
maintenu de bonnes relations. Mais tout cela s’est dégradé avec leurs
successeurs. Aujourd’hui, nous devons bien constater que les autres pays
africains – ceux qui ne sont pas restés sous le parapluie de la France –
connaissent généralement une évolution plus favorable. Il faudrait
aujourd’hui parler « des » Afriques : l’Afrique anglophone, l’Afrique
lusophone, etc. : c’est là qu’est le développement et non en
Afrique francophone. Pire, quand certains pays de l’Afrique francophone
connaissent une certaine croissance économique, malheureusement cela ne
sert généralement à rien pour le véritable développement, par exemple
l’éducation.
La recommandation de « démilitariser »
notre action en Afrique me paraît être un vœu pieu, tant que nous
aurons dans les pays africains ce type de système. Prenons l’exemple du
Nigéria : si ce pays était francophone, il est évident que l’armée
française y serait intervenue. Bref, cette recommandation ne me paraît
pas réaliste.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. J’ai moi-même exprimé de grandes réserves sur cette question.
M. Gwenegan Bui. Ce rapport a
le mérite d’être franc et de créer un débat entre nous. Je pense
qu’aujourd’hui, nous devons dire clairement ce que nous pensons et
utiliser les marges de manœuvre qui sont propres à la diplomatie
parlementaire : nous ne sommes pas le ministère des affaires étrangères.
Parler clairement constituerait un soutien appréciable pour tous ceux
qui se battent pour la démocratie en Afrique. Ce serait également
important pour nos concitoyens. Nous ne devons pas nous étonner que les
moyens pour l’aide au développement se réduisent quand les Français
considèrent de plus en plus que cette aide n’est pas utile. Un rapport
anguleux qui aurait un impact médiatique serait utile.
Faut-il pour notre politique de
développement un ministère de plein exercice ? Je n’ai pas sur ce point
l’expérience de tous nos collègues, mais je constate que, dans les
débats interministériels, l’Afrique est toujours en queue des priorités.
Par ailleurs, nos diplomates sont souvent conformistes : par exemple,
ce n’est pas eux que je vois prendre l’initiative de dire qu’on pourrait
redéployer certains des fonds que nous consacrons à la lutte contre le
sida. Enfin, quand je pense à nos perpétuels échanges avec l’AFD, il
serait peut-être bon d’avoir un pilotage fort par une autorité politique
sur les différentes agences de ce type.
Sur la question de la
« démilitarisation » de notre action, je suis partagé : devons-nous
laisser arriver n’importe quoi en Afrique ? Le pendant de cette
proposition, c’est la nécessité d’aider l’Afrique à se prendre en
charge. Sur ce point, je m’interroge sur notre capacité à aider les pays
africains à construire leurs armées. Laissons-nous assez de place aux
Africains dans nos écoles militaires ? Je suis allé au Congo avec
Philippe Baumel et on nous a demandé si on pouvait faire passer de un à
deux le nombre d’officiers de ce pays qui pouvaient être accueillis à
l’École de guerre : cela n’a pas été possible ! Cette question est-elle
discutée dans le rapport ?
M. Jean-Claude Guibal, président de la mission.
Je commencerai par répondre de manière générale aux différentes
remarques et questions. Je dresserai ce constat rustique que l’Afrique
est notre sud et que l’Afrique est une bombe. C’est une bombe d’une part
sur le plan démographique, car la croissance économique n’arrivera
jamais à y contenir la croissance démographique, avec toutes les
conséquences que l’on sait en termes d’immigration, c’est une bombe
d’autre part sur le plan de la pauvreté qui ne va cesser d’y croître et
d’y créer de l’instabilité. Concernant la démographie, je me souviens de
telle anthropologue pour qui les sociétés africaines ont une habitude
historique de la vulnérabilité et luttent contre cette vulnérabilité par
la fécondité. L’Islam radical se greffe sur ce substrat traditionnel et
rajoute ses préceptes religieux.
Dans nos relations avec l’Afrique, la
conception du pouvoir me semble jouer un rôle central. La colonisation,
les organisations de l’après-guerre, ont développé une conception du
pouvoir dur (« hard power »), alors qu’on pourrait se trouver d’avantage
dans une approche d’influence (« soft power »), faite de dialogue avec
les sociétés civiles en même temps que de relations d’État à État. J’ai
par ailleurs le sentiment qu’il existe en Afrique francophone un système
de double pouvoir : celui mis en place pour répondre aux attentes des
bailleurs de fonds avec des institutions et des élections, et un pouvoir
plus traditionnel qui dispose d’une vraie légitimité. La colonisation
comme la période plus récente n’ont pas posé la problématique entre
pouvoirs formels et pouvoirs réels. Nous aurions, je crois, intérêt à
faire davantage appel aux africanistes, aux chercheurs et en particulier
aux anthropologues, pour asseoir nos stratégies sur une meilleure
compréhension de l’Afrique.
Beaucoup d’entre vous ont formulé des
objections sur la proposition de limiter le rôle des interventions
militaires dans nos relations avec l’Afrique. Il est clair que les
pouvoirs africains ont laissé s’aggraver la paupérisation de leurs
armées. De ce fait, mettre sur pied des forces africaines efficaces est
souhaitable mais difficilement réalisable. Sur le court terme,
l’intervention militaire est donc souvent indispensable.
Nous n’avons pas fait de comparaison
entre une Afrique anglophone qui réussirait et l’Afrique francophone.
Nous nous sommes contentés d’analyser si la francophonie et l’influence
française expliquaient des différences de développement et il nous a
semblé que non. Ce qui compte le plus dans les différences de
performances c’est l’appartenance à des aires géographiques plus ou
moins bien loties. Cela étant, le comportement de l’ancien colonisateur a
eu une influence. La conception française de l’État protecteur a été
mise en œuvre dans ces États mais de manière biaisée, compte tenu de ces
doubles pouvoirs dont je parlais, où l’État est plus un paravent plus
qu’une réalité.
M. Philippe Baumel, rapporteur. Je
veux préciser d’abord qu’à aucun moment dans le rapport nous ne
condamnons les interventions militaires françaises récentes. Mais on ne
peut pas se satisfaire de ces réactions d’urgence. Il faut savoir que
les forces françaises sont parfois perçues comme des forces
d’occupation, quand on s’imaginerait qu’elles apparaissent comme des
forces de libération. Il faut faire attention à ce que l’image de
l’ancienne puissance coloniale ne soit pas à nouveau instrumentalisée
négativement, surtout quand les effets de l’aide au développement sont
faibles. La France ne doit pas être perçue uniquement comme une force
d’intervention.
Notre mission n’avait pas pour objet
de dresser la comparaison avec les pays anglophones. Il y a de grandes
différences de peuplement et de logique économique et il faut donc
relativiser la comparaison.
La question du Franc CFA est
importante. Il est le fruit de l’indépendance des États. Il faut être
nuancé car il a aussi servi de filet face à des crises. La Cote d’Ivoire
n’aurait pas pu repartir aussi vite en l’absence de cette monnaie
commune, car elle aurait dû faire face à une dévaluation et de
l’inflation. C’est donc un outil qu’il faut savoir préserver, tout en
élargissant peut-être sa gouvernance pour qu’elle soit davantage
partagée.
André Schneider a critiqué notre
analyse de la situation du Cameroun, qui est une situation particulière,
mais je ne crois pas que nous ayons rien dit d’inaudible ou
d’inacceptable sur ce pays.
Concernant les questions
institutionnelles, je souscris à l’image utilisée par Jean-Claude
Guibal. Il y a eu des avancées, avec la mise sur pied de parlements,
parfois d’un bicaméralisme, mais cela a peu changé la réalité des pays.
Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il faut jeter le bébé avec l’eau
du bain et que la démocratie n’est pas adaptée à ces pays. Mais il faut
comprendre pourquoi les populations ne considèrent pas les institutions
et les élus comme leurs vrais représentants, mais comme des descendants
d’une caste ou parfois d’une famille.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je
voudrais vous remercier pour ce travail considérable, fondé sur de très
nombreuses auditions et de grande qualité. Vous avez posé un regard
lucide et pertinent sur des sujets problématiques pour l’avenir de
l’Afrique et je me réjouis que nous ayons pu avoir une discussion très
franche sur la politique africaine de la France. Il est donc très utile
que ce rapport soit rendu public.
Nous
savons tous que la Commission des affaires étrangères ne se prononce
pas sur le contenu du rapport mais seulement sur l’autorisation de sa
publication. Néanmoins, il faut aussi, s’agissant de la politique
étrangère de notre pays, faire particulièrement attention à la
formulation et à la tonalité de ce rapport. Je souhaite que notre
Commission puisse en autoriser la publication après que vous l’ayez
enrichi et précisé à la lumière des remarques qui ont été formulées au
cours de notre réunion. Je le relirai avec une grande attention et
souhaite que nos collègues puissent en faire autant avant de procéder au
vote sur l’autorisation de sa publication.
Le vote sur l’autorisation de la publication du rapport d’information est reporté à une date ultérieure.
Réunion du Mercredi 6 mai 2015
Mme la présidente Élisabeth Guigou. S’agissant
de la publication du rapport de la mission d’information sur l’Afrique
francophone, vous vous souvenez que Philippe Baumel et Jean-Claude
Guibal, respectivement rapporteur et président de la mission, nous ont
présenté ce rapport le 15 avril dernier.
J’ai
estimé à l’issue de cette réunion qu’il était préférable de reporter le
vote sur l’autorisation de publication de ce rapport. En effet, il me
paraissait utile que le rapporteur puisse enrichir son projet à la
lumière des remarques qui avaient été formulées par plusieurs de nos
collègues au cours de la réunion. Il est vrai que formellement, d’après
le règlement de l’assemblée, un rapport n’engage que ses auteurs,
c’est-à-dire le rapporteur et les membres de la mission d’information,
et non pas la commission. Celle-ci ne vote pas sur le contenu du rapport
mais se borne à autoriser ou non sa publication. Cette autorisation de
publication a une portée limitée mais malgré tout importante car elle a
pour but d’empêcher la publication de propos diffamatoires à l’égard de
tiers ce qui, je le souligne, n’était pas le cas en l’espèce. Cependant,
cette subtilité juridique concernant l’autorisation de la publication
échappe en général aux observateurs extérieurs. Par conséquent, si
certaines orientations du rapport ne réunissent pas un consensus au sein
de la commission, il me paraît qu’il n’est pas illégitime que les
membres de la commission demandent à ce que le rapporteur prenne en
compte les observations exprimées au cours de la réunion de
présentation.
Aussi, il m’a semblé que s’agissant
d’un rapport publié par la commission des affaires étrangères, il est
légitime de bien réfléchir aux conséquences diplomatiques que pourraient
avoir sa publication, même si, bien entendu, nous sommes habitués à ne
pas nous émouvoir des réactions que peuvent provoquer un rapport
lorsqu’il comporte des analyses de fond tout à fait fondées.
Concernant la nouvelle version du
rapport, modifié à la marge il faut le rappeler, Philippe Baumel et
Jean-Claude Guibal ont fait un travail de précision.
M. Philippe Baumel, rapporteur. Je voudrais brièvement rappeler les principaux axes de ce rapport.
Nous avons beaucoup débattu ensemble
il y a plus d’une dizaine de jours sur la présentation de ce rapport.
L’idée n’était pas de créer une polémique mais de faire un certain
nombre de propositions et de préconisations afin d’essayer d’ouvrir un
champ nouveau dans la relation entre notre pays et les pays d’Afrique
centrale et du Sahel.
J’ai vu la polémique fleurir dans la
presse mais sincèrement je pense que l’essentiel n’était pas là.
L’essentiel était d’aller plus avant sur une analyse de notre relation
avec ces pays qui est trop souvent dans la réaction et pas suffisamment
dans l’anticipation. Nous avons essayé de démontrer que la France avait
une expertise exceptionnelle sur l’Afrique, dont nous sommes peut-être
le seul pays à disposer. Ainsi, c’est parce que nous avons cette
expertise qu’il était urgent et nécessaire d’envisager d’autres formes
de coopération, au niveau gouvernemental notamment, afin d’essayer de
nourrir une autre relation avec l’ensemble des pays africains.
Nous avons essayé de nous poser la
question à la fois du bilan de nos politiques et de ce que pourrait être
une autre relation de développement. Nous proposons de faire en sorte
de fixer des objectifs à l’horizon de 2030 ou de 2050. Aussi, il
faudrait parfois inciter à une forme de planification afin d’éviter les
aléas de politiques qui évoluent au gré des alternances et faire en
sorte que l’argent que nous dépensons sur ce type de stratégie soit un
peu plus pertinent et un peu plus utile.
Nous tenions à rappeler que sur des
questions essentielles comme la santé et l’éducation les objectifs que
nous nous fixons ne sont pas tenus. C’est parce que nous avons eu ce
souci de sincérité que nous avons été en capacité de montrer qu’il y
avait d’autres possibilités et d’autres chemins possibles. Voilà ce que
nous avons voulu faire.
Je tiens à préciser que sur la
question des interventions militaires de la France à l’étranger, qui a
créé un peu de polémique, à aucun moment nous n’avons regretté ces
interventions. Nous avons même écrit dans le rapport que c’était
l’honneur de la France d’avoir su agir rapidement même si elle était
trop souvent seule, malheureusement. Pour autant, nous ne devons pas
nous en tenir là. N’être que dans la réaction militaire permet une
réponse rapide à une situation de crise mais ces crises ont souvent des
racines bien plus profondes qui sont liées au mal développement, à
l’inégalité de répartition des richesses et à l’absence de véritable
création de richesse dans un certain nombre de ces États.
Nous avons reformulé un certain nombre
de passages sur certaines relations bilatérales et sur la situation
dans divers pays africains qui étaient quelque peu accablants.
Concernant le chapitre sur la
légitimité des États, notre but n’était pas de porter une analyse trop
acerbe sur la situation institutionnelle d’un certain nombre d’États
d’Afrique noire. Mais, il s’agissait de démontrer que malgré les efforts
de démocratisation et la création d’institutions, que ce soit la
création d’assemblées nationales et de sénats, de commissions de suivi
et d’organisation des élections, on constate que l’essentiel du pouvoir
n’est pas dans ces institutions. L’essentiel du pouvoir, depuis la
décolonisation, demeure entre les mains d’un système souvent lié au
président. Le théâtre démocratique ne constitue pas l’effectivité du
pouvoir dans un certain nombre d’États. Ce sont des faits que cela nous
plaise ou pas. À mon avis, il fallait décrire cette situation afin
d’essayer de l’analyser et pour essayer d’avoir nous-mêmes une vision
différente de thématiques que nous avons tous promues depuis une
cinquantaine d’années mais qui, à l’aube du XXIème siècle, méritent un
autre regard.
Nous avons essayé, modestement, d’être
utiles avec ce rapport. Bien sûr il a pris un peu de relief mais après
tout il n’est pas plus mal qu’un rapport de l’Assemblée nationale en
prenne un peu.
M. Jean-Claude Guibal, président. Je
tiens à souligner que nous avons élaboré ce rapport en parfaite
harmonie avec Philippe Baumel. Nous y avons apporté quelques
modifications pour le rendre plus lisse pour des lecteurs extérieurs, en
particulier ceux qui sont concernés par ce que nous disons. Avec ce
rapport, nous voulions rappeler quelques réalités essentielles. Il est à
la mode de parler de l’Afrique comme le nouveau continent émergent. En
réalité, beaucoup de pays africains sont extrêmement vulnérables, font
face à des difficultés immenses : il nous paraissait nécessaire de le
dire.
M. Noël Mamère. Je n’ai
malheureusement pas pu assister à la présentation de ce rapport le 15
avril dernier. Cependant, il me semble excellent, et je ne comprends pas
qu’il doive faire l’objet d’un second examen par la commission. Il me
semble qu’il y a dans notre pays une séparation entre les pouvoirs
exécutif et législatif, et que nous sommes en droit d’avoir un regard
critique sur la politique africaine de la France. Les observations que
vous faites, singulièrement sur l’aide au développement, nous aurions pu
les faire depuis plusieurs décennies. Force est de constater
qu’aujourd’hui, notre aide aux pays les moins avancés a reculé, et que
la présence française dans une partie de l’Afrique est avant tout
militaire et militaro-humanitaire. Cela ne correspond pas aux nécessités
de notre rayonnement et à la dette que nous avons envers ces pays.
Cette dette, c’est celle de l’esclavagisme, puis de la colonisation,
enfin de l’exploitation des richesses naturelles de ces pays, en
particulier de l’uranium au Niger. À l’heure actuelle, nos interventions
militaires font de nous les obligés de régimes peu recommandables,
qu’il s’agisse du Tchad ou même de l’Algérie, dont nous avons obtenu le
survol du territoire pour notre opération au Mali. Pour une fois qu’un
rapport ne se contente pas d’enfiler les lieux communs comme des perles,
je pense que nous devons vraiment le publier et même en assurer une
large diffusion.
M. François Loncle. Je suis,
moi aussi, très attaché à la publication de ce rapport, dans la mesure
où notre vote ne signifie pas une adhésion sur le fond, et que nous ne
pouvons que reconnaître le travail considérable accompli par ses
auteurs. En revanche, si nous devions voter sur le fond, je
n’apporterais pas mon suffrage. Aussi pertinentes que soient certaines
de vos analyses, le rapport me semble déséquilibré, car bien trop
négatif. Je suis absolument contre l’« afro-pessimisme ». Je partage
avec vous certains constats : je les ai moi-même faits au retour de
notre déplacement avec Pierre Lellouche dans les pays du Sahel, au mois
de mars. Mais dans l’ensemble, il y a dans ce rapport des accents un peu
donneurs de leçon, une forme d’arrogance qui pourrait s’apparenter à du
néocolonialisme.
M. Pierre Lellouche. Je suis
pour que nous puissions nous exprimer en toute liberté, y compris sur
des sujets sensibles. Je vous l’avais exprimé au cours de la réunion
précédente, Madame la Présidente, et je vous avais même félicité pour
avoir toujours entretenu et favorisé ce climat de liberté dans nos
débats. Mais j’ai par la suite appris que vous aviez demandé à ce que ce
rapport soit lissé, voire réécrit, pour certaines de ces parties. Et à
présent, vous nous demandez de voter sur un rapport dont la substance a
été altérée. Je ne peux l’admettre. Les députés sont libres ; le
politiquement correct ne peut guider les travaux de notre commission.
Nous devons soutenir Philippe Baumel et Jean-Claude Guibal qui ont
beaucoup travaillé sur ce rapport ; cela ne vous engage pas et engage
encore moins le Gouvernement français. Je vais devoir m’abstenir sur ce
nouveau texte, alors même que j’en approuve le fond !
M. Jacques Myard. Cela me
rappelle un précédent d’un de vos prédécesseurs qui avait refusé que la
Commission publie un rapport. Mal lui en prit, puisque je l’ai publié
chez un éditeur. En tant qu’anarchiste de droite et voltairien, je
trouve effectivement regrettable que l’on demande des réécritures. Il
est hors de question que ce rapport ne soit pas publié sinon je me
demande bien ce que c’est la liberté du travail parlementaire et tant
pis si cela choque certains partenaires africains.. Ce n’est pas la
première fois que l’on a des problèmes comme ceux-là. Personnellement je
suis pour des relations étroites avec ce grand continent qui va devenir
de plus en plus prégnant dans les relations internationales et pour ce
qui nous concerne. Il est évident qu’il faut publier ce rapport. Chacun
peut dire ce qu’il en pense dans une annexe qui n’engage que lui-même.
M. André Schneider. Je voudrais
dire que le fond du travail, les objectifs, et l’analyse du rapport
sont extrêmement pertinents. Je m’interroge seulement sur la mise en
cause de la légitimité de certains chefs d’états africains. Je ne suis
pas particulièrement convaincu que cela arrange les relations
internationales de la France, notamment avec un pays d’Afrique centrale
sur lequel nous mettons de l’espoir pour les années à venir dans cette
zone. Je me félicite que le rapporteur et le président aient modifié
leur projet sur ce point.
M. Mariani. Je trouve que le
procédé des rapports mixtes « majorité-opposition » est excellent et que
c’est dommage qu’il y ait une sorte de réécriture. Il y a une
séparation des pouvoirs. Le rôle de l’assemblée, c’est aussi de dire ce
qu’un gouvernement ne peut pas dire, qu’il soit de gauche ou de droite.
Si par moment il y a des épithètes ou des qualificatifs pas très
aimables sur certains, cela reflète néanmoins les opinions des
rapporteurs. C’est donc un précédent qui me gêne.
M. Dupont-Aignan. Je trouve
surréaliste ce terme de lissage et de réécriture. Il y a une séparation
des pouvoirs. C’est l’honneur des parlementaires de pouvoir écrire ce
qu’ils ont envie d’écrire. Lorsque j’ai rédigé le rapport sur les
paradis fiscaux avec Monsieur Bocquet, j’ai refusé toute modification et
nous avions été d’une grande fermeté.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Les
modifications qui ont été apportées l’ont été par le rapporteur et le
président et n’ont été dictées par personne d’autre. Je ne peux pas
accepter que vienne de façon récurrente l’idée que, parce qu’on exprime
une opinion, on est la voix du gouvernement dans cette assemblée. J’ai
le droit moi-aussi, ainsi que plusieurs de mes collègues, d’avoir une
opinion qui n’est pas celle des rapporteurs, de l’exprimer, et de
laisser libre choix aux rapporteurs de la prendre en compte ou pas.
C’est exactement ce qui a été fait. Personne n’a dicté au rapporteur et
au président les quelques réécritures qui ont été faites. Ils l’ont fait
de leur propre chef.
J’ai souligné l’extrême qualité de ce
rapport, qui a auditionné de très nombreuses personnes et qui dit les
choses de manière franche. En revanche, il m’a semblé, et je l’ai dit
aux rapporteurs, que je trouvais qu’il y avait certaines formulations
qui pourraient avoir un effet contre-productif. Mais le président et le
rapporteur ont été extrêmement libres. Il n’a jamais été question dans
mon esprit de ne pas autoriser la publication du rapport. J’ai
simplement demandé qu’on se donne plus de temps avant de publier un
rapport qui allait certainement provoquer des réactions.
Ce qui a été fait a permis, je pense,
d’éviter qu’il y ait des propos contre-productifs sur le message
délivré, mais rien n’a été modifié sur le fond. Je veux dire d’ailleurs à
Noël Mamère que les critiques à propos de l’aide au développement n’ont
pas été modifiées.
Bien entendu je vous propose
d’autoriser la publication de cet important rapport, sachant que dès
lors qu’il donne une vision assez pessimiste, je ne doute pas que nous
ayons des réactions, mais après tout tant mieux s’il suscite un débat
constructif.
La commission autorise la publication du rapport d’information.
Les membres de la Mission
d’information souhaitent adresser leurs plus sincères remerciements à
l’ensemble des personnalités et experts qu’ils ont rencontrés au cours
de leurs travaux.
1) À Paris
– MM. Yves Boudot, directeur Afrique,
et Benoît Verdeau CRG Afrique, accompagnés de M. Hervé Gallèpe, chargé
des relations parlementaires, Agence française de développement, (5
février 2014)
– M. Laurent Bossard, directeur du Club du Sahel et de l’Afrique de l’ouest, OCDE, (9 avril 2014)
– M. Hugo Sada, ancien délégué à la
paix, à la démocratie et aux Droits de l’Homme de l’Organisation
internationale de la francophonie, OIF, (16 avril 2014)
– M. Emmanuel Grégoire, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), (30 avril 2014)
– M. Jean-Christophe Belliard, directeur Afrique, ministère des affaires étrangères et du développement international, (7 mai 2014)
– M. Pierre Duquesne, ambassadeur
chargé des questions économiques de reconstructions et de développement,
accompagné de M. Daniel Schlosser, adjoint, (21 mai 2014)
– M. Alexandre Marc, expert principal
pays en crise, accompagné de Mme Cristina Mejia, conseillère relations
extérieures France, Bureau parisien de la Banque mondiale, (21 mai 2014)
– M. Philippe Hugon, directeur de recherche à l’IRIS, (4 juin 2014)
– M. Jean-François Valette, ancien ambassadeur de France au Congo, (11 juin 2014)
– M. Pierre Jacquemot, ancien
ambassadeur de France en République Démocratique du Congo, président du
GRET, chercheur associé à l’IRIS, (11 juin 2014)
– M. Jacques Champagne de Labriolle, ambassadeur de France au Nigeria, (18 juin 2014)
– M. Henri-Bernard Solignac Lecomte, chef de l’Unité Afrique, Europe, Moyen-Orient de l’OCDE, (25 juin 2014)
– M. Olivier Ray, économiste, chef de
l’unité Pays fragiles, AFD, accompagné de Mme Zolika Bouabdallah,
chargée des relations parlementaires, (2 juillet 2014)
– Vice-amiral d’escadre Marin Gillier,
directeur de la coopération de sécurité et de défense, ministère des
affaires étrangères et du développement international, accompagné du
colonel Bertrand de Reboul, chef de la mission Afrique subsaharienne, et
du capitaine Cyril Robinet, chargé de mission, (9 juillet 2014)
– M. Yves Gounin, conseiller d’État, ancien conseiller juridique du Président de la République du Sénégal, (9 juillet 2014)
– M. Saïd Abass Ahamed, directeur de l’Institut de recherche et d’enseignement sur la paix en Afrique, (23 juillet 2014)
– M. Laurent Viguié, sous-directeur Afrique occidentale, ministère des affaires étrangères et du développement international, (10 septembre 2014)
– M. Olivier Lafourcade, ancien
directeur des opérations de la Banque mondiale, président du conseil
d’administration d’Investisseurs et Partenaires développement, (10 septembre 2014)
– M. Philippe Errera, directeur des
affaires stratégiques, ministère de la défense, accompagné de Mme
Patricia Lewin, chef de cabinet, du directeur et du colonel Nicolas
Jovanovic, (17 septembre 2014)
– MM. Etienne Giros, président délégué
du CIAN, Stephen Decam, secrétaire général, et Mme Alix Camus,
secrétaire générale adjointe, (24 septembre 2014).
– M. Lionel Zinsou, président de PAI Partners, (1er octobre 2014)
– M. Carlos Lopes, secrétaire général
adjoint des Nations Unies, secrétaire exécutif de la commission
économique pour l’Afrique, accompagné de M. Carl Manlan, assistant, (7 octobre 2014)
– M. Sébastien Minot, sous-directeur Afrique centrale, ministère des affaires étrangères et du développement international, (8 octobre 2014)
– M. Thierry Vircoulon, directeur du projet Afrique centrale de l’International Crisis Group, (21 octobre 2014)
– M. Jean-Marc Châtaigner, directeur
général-adjoint de la mondialisation, ministère des affaires étrangères
et du développement international, ancien ambassadeur de France à
Madagascar, (22 octobre 2014)
– M. Bruno Losch, économiste,
directeur de recherches au Centre de coopération internationale en
recherche agronomique pour le développement (Cirad), (5 novembre 2014)
– MM. Jean-Bosco Bazié, directeur
général d’Eau-vive, Philippe Morié, responsable du pôle « Afrique » du
Secours catholique, Philippe Jahshan, délégué aux actions de coopération
internationale de Solidarité Laïque et Michel Colin de Verdière,
président du GRDR, (19 novembre 2014)
– Mme Séverine Bellina, directrice de l’Institut de recherche sur la gouvernance, (26 novembre 2014)
– M. Jean-Pierre Dozon, anthropologue, directeur de recherches à l’IRD et directeur d’études à l’EHESS, (26 novembre 2014)
– Mme Dominique Kérouédan,
professeure, médecin, experte en politiques et stratégies
internationales de santé des pays en voie de développement, École des
affaires internationales de Sciences Po, (3 décembre 2014)
– M. Laurent Bigot, ancien
sous-directeur d’Afrique de l’Ouest au ministère des affaires étrangères
et du développement international, consultant, (16 décembre 2014)
– M. Alain Antil, responsable du programme Afrique subsaharienne, IFRI, (17 décembre 2014)
– Mme Hélène Le Gal, conseillère Afrique du Président de la République, accompagnée de M. Thomas Melonio, adjoint, (7 janvier 2015)
– M. Serge Michailof, ancien directeur à la Banque mondiale, ancien directeur à l’AFD, consultant, enseignant à Sciences Po, (14 janvier 2015)
– M. Justin Vaïsse, directeur du
centre d’analyse, de prévision et de stratégie du ministère des affaires
étrangères et du développement international, accompagné de M. Karim
Ben Cheikh, chargé de mission sécurité régionale, (14 janvier 2015)
– MM. Jean Pierre Marcelli, directeur
Afrique de l’AFD, Philippe Chedanne, directeur-adjoint, Jean-Benoît
Perrot-Minnot, coordonnateur géographique Cameroun et République
Centrafricaine, Olivier Ray, responsable de la cellule prévention des
crises et sorties de conflits, et Foulques Chombart de Lauwe,
responsable de la division « relations avec les élus et les acteurs
économiques », accompagnés de Mme Zolika Bouabdallah, chargée des
relations avec le Parlement, (20 janvier 2015)
– M. Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères, (21 janvier 2015)
– Mme Marie-Emmanuelle Pommerolle, maître de conférence, directrice de l’IFRE de Nairobi, (21 janvier 2015)
– M. Richard Banégas, professeur de science politique à Sciences Po, ancien directeur de la revue Politique africaine, (3 février 2015)
– M. Joseph Brunet-Jailly, économiste,
consultant, ancien directeur de recherche à l’ORSTOM et à l’IRD,
enseignant à Sciences Po, (10 février 2015)
– M. Christian Seignobos, géographe, directeur de recherche émérite à l’IRD, (11 février 2015)
– M. Arnaud Buissé, sous-directeur des
affaires financières internationales, direction générale du Trésor,
accompagné de M. Benoît Jonveaux, adjoint au chef de bureau Multifin 2
« Afrique subsaharienne et AFD » à la direction générale du Trésor, (11 mars 2015)
– MM. Assane Diop, journaliste à Radio
France Internationale, Christophe Boisbouvier, journaliste à RFI et à
Jeune Afrique et Jean-Pierre Bat, archiviste-paléographe historien,
responsable du fonds Foccart à la direction des archives nationales,
chroniqueur à Libération, (24 mars 2015)
2) Au Cameroun (du 25 au 31 janvier 2015)
a) à Douala (du 25 au 27 janvier 2015)
– M. Joël Renou, consul général
– MM. Mohamed Abdoulaye Diop,
directeur régional, Arnaud Bouhier, Bolloré Africa Logistics et Quentin
Gérard, directeur général de Camrail
– Mme Elisabeth Medou-Badang, directrice générale d’Orange
– M. Joseph Beti Assomo, gouverneur de la Région du Littoral
– Dr. Fritz Ntone Ntone, délégué du Gouvernement auprès de la Communauté Urbaine de Douala
– Mme Élise Pokossi Doumbe, députée, RDPC
– M. Jean-Pierre Battermann, directeur général de TOTAL,
– Mme Marie-Andrée Ngwe, présidente de la section Cameroun des CCEF
– M. Jean-Pierre Ekindi, ancien député, président du Mouvement progressiste
– M. Jean-Michel Nintcheu, député, vice-président du groupe parlementaire SDF
– Monseigneur Samuel Kleda, archevêque métropolitain de Douala
b) à Yaoundé (du 28 au 30 janvier 2015)
– Mme Christine Robichon, ambassadrice de France
– M. Jérémie Robert, premier conseiller, ambassade de France
– Colonel Christian Janus, attaché de sécurité intérieure près l’ambassade de France
– Colonel Patrick Bengler, attaché de défense près l’ambassade de France, chargé de la mission de coopération de défense
– M. Pascal Maccioni, chef du service économique régional « Afrique centrale », ambassade de France
– M. Régis Dantaux, conseiller de coopération et d’action culturelle, directeur de l’IFC
– M. Grégoire Owona, ministre du Travail et des Affaires sociales
– M. Amadou Ali, vice-Premier ministre, ministre des relations avec le parlement
– M. Djibril Cavaye Yeguie, président de l’Assemblée nationale
– M. Jean-Baptiste Bokam, secrétaire d’État auprès du ministre de la Défense, chargé de la Gendarmerie Nationale
– M. Louis-Paul Motaze, secrétaire général des services du Premier ministre
– M. Jean-Claude Mbwentchou, ministre du Développement Urbain et Habitat
– M. René Emmanuel Sadi, ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation
– M. Joseph Dion Ngute, ministre
délégué auprès du Ministre des relations extérieures chargé de la
coopération avec le Commonwealth
– Mmes Najat Rochdi, coordonnatrice
résidente du système des Nations Unies au Cameroun et représentante
résidente du PNUD et Françoise Collet, ambassadrice, chef de la
délégation de l’Union européenne, MM. Racine Kane, représentant résident
de la Banque africaine de développement et Gregor Binkert, directeur
régional des opérations, Banque Mondiale
– Mme Marie-Rose Ada Owona, députée,
vice-présidente du groupe parlementaire d’amitié Cameroun-France à
l’Assemblée nationale, accompagnée d’une délégation de membres du groupe
d’amitié
– M. Sali Daïrou, député, président de
la commission de la défense nationale et de la sécurité à l’Assemblée
nationale, membre du bureau politique du RDPC
– M. Martin Mbarga Nguele, délégué général en charge de la sûreté nationale
– M. Guibaï Gatama, directeur de la publication du journal L’œil du Sahel
– M. Mathias-Éric Owona Nguini,
politologue, coordinateur scientifique de la Fondation Paul Ango Ela de
géopolitique en Afrique centrale, rédacteur en chef de Enjeux
– M. Emmanuel Nganou Djoumessi, ministre de l’économie, de la planification et de l’aménagement du territoire
– M. Philippe Miquel (GDF/Suez) et Mme Karine Migliorini (EDF)
– M. Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence de la République
1 La composition de cette mission figure au verso de la présente page.
2 () Jeune Afrique, n ° 2822, 8-14 février 2015, page 3 ; « Ce que je crois »
3 () Sylvie Brunel, « L’Afrique est-elle si bien partie ? » Éditions Sciences humaines, septembre 2014
4 ()
Sont membres de l’Organisation internationale de la francophonie les
pays africains suivants : Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun,
Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Djibouti, Gabon, Guinée, Guinée
équatoriale, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République
centrafricaine, République démocratique du Congo, Rwanda, Sénégal,
Tchad, Togo
5 () Audition du 11 mars 2015
6 ()
« Le développement économique en Afrique : catalyser l’investissement
pour une croissance transformatrice en Afrique », Conférence des Nations
Unies sur le commerce et le développement, 4 juillet 2014, TD/B/61/4
7 ()
Banque africaine de développement, OCDE, PNUD, « Perspectives
économiques en Afrique 2014 ; Les chaînes de valeur mondiales et
l’industrialisation de l’Afrique », page 25
8 () Perspectives économiques en Afrique 2014 page 81
9 ()
« Afrique subsaharienne : maintenir le cap », FMI, Études économiques
et financières, Perspectives économiques régionales, octobre 2014, page 6
10 () Perspectives économiques en Afrique 2014, op. cit., pages 26-27
12 () Entretien à Jeune Afrique, « L’économie du Gabon est assez solide pour résister au choc pétrolier », 5 mars 2015
13 () Audition du 25 juin 2014
14 ()
L’Union économique et monétaire ouest africaine réunit le Bénin, le
Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le
Sénégal et le Togo
15 () CVM : Chaînes de valeur mondiales
16 () Ministère de l’économie, de la planification et de l’aménagement du territoire, « Cameroun vision 2035 », page 26
17 () Ibid.
18 ()
Banque africaine de développement, « Étude économique et sectorielle ;
développement des infrastructures au Congo », novembre 2011, page V
19 () Joseph Brunet-Jailly, audition du 10 février 2015
20 ()
François Grünewald, « Étude sur les zones à faible densité, étude de
cas « Mali », Rapport pour la Banque mondiale, 17 avril 2014
21 () Perspectives économiques en Afrique 2014
22 () Audition du 7 octobre 2014
23 () Audition du 1er octobre 2014
24 () Audition du 25 juin 2014
25 () Entretien du 28 janvier 2015, à Yaoundé
26 () Audition du 30 avril 2014
27 () Parmi les pays d’Afrique francophone, seuls sont moins bien classés : les Comores, 142e, la Guinée, 145e, la République centrafricaine 150e, le Congo, 152e, la RDC et le Tchad, 154e ex aequo, et le Burundi, 159e ; source: www.transparency.org
28 () Sylvie Brunel, op. cit., page 35
29 () Perspectives économiques en Afrique 2014, pages 80 et 82
30 () Audition du 11 mars 2015
31 () Audition du 9 juillet 2014
32 () Audition du 1er octobre 2014
33 ()
Rapport 2013 sur les Objectifs du Millénaire pour le développement,
cité par Perspectives économiques en Afrique 2013, 2014, OCDE, page 98
34 ()
Source : « Une nouvelle ruralité émergente ; Regards croisés sur les
transformations rurales africaines », Atlas pour le programme Rural
Futures du NEPAD, CIRAD, page 26
35 ()
Source : « Dynamiques de croissance et de population en Afrique
subsaharienne », Agnès Chevallier et Maëlan Le Goff, Panorama du CEPII,
Juillet 2014, page 8
36 () Agnès Chevallier et Maëlan Le Goff, ibid ; page 8
37 () Perspectives économiques en Afrique 2014, page 103
38 () Source, Perspectives économiques en Afrique 2014, page 104
39 ()
Programme d’action d’Istanbul en faveur des PMA, « Suivi des résultats
et évaluation des avancées en faveur des PMA (2011-2020) – rapport de
synthèse », septembre 2014, www.ldc4monitor.org
40 ()
Source : Les cahiers d’Afrique de l’Ouest, « Un Atlas du Sahara-Sahel ;
Géographie, économie et insécurité », Club du Sahel, OCDE, octobre 2014
41 () Perspectives économiques en Afrique 2014
42 ()
Source : « Une nouvelle ruralité émergente ; Regards croisés sur les
transformations rurales africaines », Atlas pour le programme Rural
Futures du NEPAD, CIRAD, page 26
43 ()
Source : « Une nouvelle ruralité émergente ; Regards croisés sur les
transformations rurales africaines », Atlas pour le programme Rural
Futures du NEPAD, CIRAD, page 32
44 () Perspectives économiques en Afrique 2014
45 () http://www.oecd.org/fr/sites/rpca/reunions/Releve_Conclusions%20RPCA%20Lome_FR.pdf ;
Réunion restreinte du réseau de prévention des crises alimentaires
(RPCA) au Sahel et en Afrique de l’Ouest, 2-4 mars 2015, Lomé, (Togo),
relevé des conclusions
46 () Source : Comité permanent Inter-États de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel ; http://www.cilss.bf
47 () Sylvie Brunel, « L’Afrique est-elle si bien partie ? », op. cit., page 36
48 ()
PNUD, République démocratique du Congo, « Rapport national sur le
développement humain 2014 ; Cohésion nationale pour l’émergence du
Congo », décembre 2014, pages 209-210
49 () Banque africaine de développement, « L’Observatoire de l’Afrique de l’ouest », n° 5, janvier 2015
50 () Source : BAD, « L’Observatoire de l’Afrique de l’ouest », ibid.
51 () Banque africaine de développement, ibid., page 5
52 () Audition du 10 février2015
53 () Banque africaine de développement, op. cit., page 16
54 () Save the Children, « A Wake-up Call: lessons from Ebola for the World’s health systems », mars 2015
55 ()
OMS, Rapport de situation sur la flambée de maladie à virus Ébola, 15
avril 2015 ; le bilan détaillé par pays est de 4 486 décès au Liberia,
3 857 en Sierra Leone, 2 346 en Guinée ; s’y ajoutent 8 décès au
Nigeria, 6 au Mali et 1 aux États-Unis
56 () Une étude récente estime que l’épidémie d’Ébola pourrait
bien avoir des conséquences en cascade, compte tenu de la chute de la
couverture vaccinale contre les autres maladies infectieuses comme la
rougeole, la poliomyélite ou l’hépatite B, qui a considérablement réduit
la protection de la population. Jusqu’à 16 000 décès supplémentaires pourraient par exemple se produire en cas d’épidémie de rougeole.
58 () Jeune Afrique économie, 20 janvier 2015
59 () Jeune Afrique, 20 janvier 2015
60 () Jeune Afrique économie, 8 octobre 2014
61 () Jeune Afrique économie : « Le naufrage silencieux du tourisme au Sénégal », 9 février 2015
63 () Banque africaine de développement, op. cit., page 36
64 () Audition du 3 décembre 2014
65 () Banque africaine de développement, op. cit., page 36
66 () Ibid.
67 () Dominique Kérouédan, « Géopolitique de la santé mondiale », Leçon inaugurale, Collège de France, 14 février 2013 ; http://books.openedition.org/cdf/2291#bodyftn110
68 () Banque mondiale, rapport sur le développement dans le monde, « Investir dans la santé », 1993, page 163
69 () Étude
réalisée par l’ONG Œuvre malienne d’Aide à l’Enfance du Sahel, OMAES,
dans le cadre du Programme d’évaluation des apprentissages scolaires par
la société civile au Mali, « Ce que nos enfants savent lire et
calculer », Rapport annuel Bèèkunko 2013. (Données communiquées par
Joseph Brunet-Jailly lors de son audition le 10 février 2015)
70 ()
PNUD, « Rapport national sur le développement humain, édition 2014 ;
gouvernance socioéconomique, politique, sécuritaire et résilience à la
crise 2012 au Mali : enjeux et perspectives », septembre 2014, pages
81-82
71 () Joseph Brunet-Jailly, audition du 10 février 2015
72 () Infra, pages 95 et suiv.
73 ()
Source : « Dynamiques de croissance et de population en Afrique
subsaharienne », Agnès Chevallier et Maëlan Le Goff, Panorama du CEPII,
Juillet 2014
74 () PNUD Cameroun, « Rapport national sur le développement humain ; le rôle du capital humain », 2013, page 50
75 () PNUD, Ibid., page 53
76 () Source : PNUD, ibid., page 51
78 ()
Le Conseil économique et social de l’ONU considère comme PMA les pays
dont la population n’excède pas 75 millions d’habitants et répondant à
trois types de critères : revenu par habitant moyen compris entre 992 dollars et 1190 dollars ; indice de capital humain, déterminé sur la base des indicateurs de nutrition, de santé, de scolarisation et d’alphabétisation ; indice de vulnérabilité économique,
établi sur les indicateurs suivants : chocs naturels ; chocs
commerciaux ; exposition physique aux chocs ; exposition économique aux
chocs ; petite taille économique ; éloignement économique. Le CES des
Nations Unies révise la liste des PMA tous les trois ans, à la lumière
des recommandations du Comité des politiques de développement. La liste
actuelle comprend 49 pays : Afghanistan, Angola, Bangladesh, Bénin,
Bhoutan, Burkina Faso, Burundi, Cambodge, Comores, Djibouti, Érythrée,
Éthiopie, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Haïti, Îles
Salomon, Kiribati, Lesotho, Libéria, Madagascar, Malawi, Mali,
Mauritanie, Mozambique, Myanmar, Népal, Niger, Ouganda, République
centrafricaine, République démocratique du Congo, République
démocratique populaire lao, République-Unie de Tanzanie, Rwanda, Samoa,
Sao Tomé-et-Principe, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Soudan du
Sud, Tchad, Timor-Leste, Togo, Tuvalu, Vanuatu, Yémen et Zambie
79 ()
Le cas de la Guinée équatoriale est particulier : PMA, elle figure
cependant parmi les pays à développement humain moyen dans le classement
du PNUD
80 () Jacques Champaud, « Le Sahel et la démocratie », Politique africaine, n° 47, Octobre 1992, pages 3-8
82 () Audition du 11 juin 2014
83 () Audition du 22 octobre 2014
84 ()
International Crisis Group, « République centrafricaine : anatomie d’un
État fantôme », rapport Afrique n° 136, 13 décembre 2007, annexe C
85 () Audition du 7 octobre 2014
86 () Georges Chaffard, « L’Afrique francophone dix ans après la loi-cadre », Le Monde diplomatique, juillet 1966
87 () ICG, « Burkina Faso : avec ou sans Compaoré, le temps des incertitudes », rapport Afrique n° 205, 22 juillet 2013
88 () Audition du 21 octobre 2014
89 ()
« République centrafricaine : anatomie d’un État fantôme »,
International Crisis Group, Rapport Afrique n° 136, 13 décembre 2007
90 () « Voyage au Congo », André Gide, 1927 ; « Terre d’ébène », Albert Londres, 1929 (réédition Arléa, 2012)
91 () Philippe Hugon « Les défis de la stabilité en Centrafrique », Les notes de l’IRIS, février 2014
92 () Rapport ICG, op. cit., pages 22-23
93 () Ibid., page 25
94 ()
« La République centrafricaine : le naufrage d’un État, l’agonie d’une
nation », Didier Niewiadowski, janvier 2014 ; disponible sur Afrilex : http://afrilex.u-bordeaux4.fr/didier-niewiadowski.html ; Université Montesquieu, Bordeaux IV
95 () Audition du 21 octobre 2014
96 () Cyril Bensimon, « En RCA, les factions se disputent Bria et ses diamants », Le Monde, 16 décembre 2014
97 () International Crisis Group, « La face cachée du conflit centrafricain », Policy Briefing Afrique, n° 105, 12 décembre 2014
98 () Audition du 11 juin 2014
99 ()
Selon les sources, on a estimé le nombre de « décès excédentaires »,
c’est-à-dire de morts additionnels par rapport au taux standard de
mortalité dans le Kivu entre 3,3 millions et pour l’ensemble du pays,
sur la période allant de 1996 à 2007, à 5,4 millions le chiffre des
morts dus aux conséquences des conflits au Congo. (Pierre Jacquemot,
« Au Congo, les métastases du génocide rwandais », IRIS, avril 2014)
100 () Pierre Jacquemot, « Au Congo, les métastases du génocide rwandais », IRIS, avril 2014
101 () ICG, « L’or noir au Congo : risque d’instabilité ou opportunité de développement ? », Rapport Afrique n° 188, 11 juillet 2012
102 ()
Source : Point de presse conjoint de MM. François Hollande, Président
de la République et Ban Ki-Moon, Secrétaire général de l’Organisation
des Nations Unies, sur la situation au Mali et en Syrie, le nucléaire
iranien et sur les relations franco-africaines, à Paris le 9 octobre
2012 ; http://discours.vie-publique.fr/notices/127001831.html
103 () International Crisis Group, « Burundi : du boycott électoral à l’impasse politique », rapport Afrique n° 169, 7 février 2011
104 ()
International Crisis Group, « Les terres de la discorde (II) : la
réforme foncière au Burundi », rapport Afrique n° 213, 12 février 2014
105 () Jeune Afrique, 25 et 30 mars 2015 ; RFI, 29 mars 2015
106 () Entretien du 28 janvier 2015, à Yaoundé
107 ()
Relatifs aux processus de Réforme du secteur de la sécurité, RSS, et de
Désarmement, Démobilisation, Réintégration, DDR, encore incomplets, aux
commandements parallèles qui subsistent, ou quelque 50 000 hommes
encore exclus des processus et représentent potentiellement des facteurs
de déstabilisation, ou à l’armée, qui reste divisée.
108 () ICG, « Côte d’Ivoire : le grand Ouest, clé de la réconciliation », rapport Afrique n° 212, 28 janvier 2014
109 ()
« Trente-cinquième rapport du Secrétaire général sur les opérations des
Nations Unies en Côte d’Ivoire », Nations Unies S/2014/892, Conseil de
sécurité, 12 décembre 2014
110 () Ibid.
111 () Le pays devrait compter 27 millions d’habitant en 2020 et 50 millions en 2050
112 ()
Jean-Pierre Chauveau, « La question foncière en Côte d’Ivoire et le
coup d’État ou : comment remettre à zéro le compteur de l’histoire »,
avril 2000, www.iied.org
113 () ICG, « L’autre urgence guinéenne : organiser les élections », Briefing Afrique n° 106, 15 décembre 2014
114 () Perspectives économiques en Afrique 2014
116 () Jeune Afrique, « Crise au Mali : nouvelle réunion à Alger, la médiation internationale dans l’impasse », 14 avril 2015
117 () Rémi Carayol, « Terrorisme au Sahel : la stratégie de Sisyphe », Jeune Afrique, 24 mars 2015
118 () « Niger : un autre maillon faible dans le Sahel ? » International Crisis Group, Rapport Afrique n ° 208, 19 septembre 2013
119 () Bertrand Badie, « Plus on fera la guerre en Afrique, plus on la transformera en société guerrière », Le Monde, 21 mars 25013
120 () Audition du 26 novembre 2014
121 ()
Voir aussi Yann Bedzigui, « Les conflits en Afrique, une résolution
improbable », Annuaire français des relations internationales, 24
juillet 2008
122 () Jean-Pierre Dozon, « L’Afrique à Dieu et à Diable, États, ethnies et religions », Éditions Ellipses, 2008, page 42
123 () Audition du 5 novembre 2014
124 () Richard Banégas, par exemple, audition du 3 février 2015, ou Séverine Bellina, audition du 26 novembre 2014
125 () Banque mondiale, « L’État dans un monde en mutation », Rapport sur le développement dans le monde, 1997, page 26
126 () Jean-Pierre Dozon, « L’Afrique à Dieu et à Diable », op.cit.
127 () Ce que Jean-Pierre Dozon qualifie d’« ONGisation de l’Afrique », op. cit., pages 52 et suiv.
129 () 41.4 M$ pour la Guinée, 48,3 M$ pour le Liberia et 39,8 M$ pour la Sierra Leone. http://www.imf.org/external/french/pubs/ft/survey/so/2014/new092614af.htm ;
L’action du FMI en leur faveur a depuis été accrue ; elle combine un
allègement de dettes de 100 M$ sur les 500 qui lui sont dus par les
trois pays et prêts à taux zéro.
130 () Depuis 7 ans s’agissant de la Guinée
131 () Audition du 1er octobre 2014
132 () Audition du 16 avril 2014
133 () Rodrigue Nana Ngassam, « Après Blaise Compaoré, à qui le tour ? », www.diploweb.com, 11 novembre 2014
134 () Audition du 24 septembre 2014
135 () Anatole Ayassi, Ordre militaire et désordre politique », Le Monde diplomatique, janvier 2003
136 () Yann Bedzigui, ibid., page 166
137 () ICG, « Afrique centrale : les défis sécuritaires du pastoralisme », Rapport Afrique n° 215, 1er avril 2014
138 () Perspectives économiques en Afrique 2014, page 105-106
139 ()
Source : Banque mondiale, Groupe Fragilité, conflit et violence,
« Relever les défis de la fragilité et de la sécurité en Afrique de
l’Ouest », octobre 2014
140 () Audition du 25 juin 2014
141 () Bertrand Badie, op.cit.
142 () Audition du 26 novembre 2014
143 () Entretien avec Mathias-Eric Owona-Nguini, le 29 janvier à Yaoundé
144 () Infra, développements sur le Cameroun, pages 101 et suiv.
145 () Jean Fremigacci, « Madagascar ou l’éternel retour de la crise », Afrique contemporaine, 2014-3, pages 125 et suiv.
146 () Infra, pages 103 et suiv.
147 () Audition du 3 février 2015
148 () Audition du 7 octobre 2014
149 ()
Thérèse Locoh, « Famille dans la crise et politiques de population en
Afrique de l’Ouest », Politique africaine, n° 44, 1991, page 81,
150 () « Les défis démographiques du Sahel », John F. May et Jean-Pierre Guengant, Études, n ° 4206, juin 2014, pages 7 à 17
151 ()
Jean-Michel Severino et Olivier Ray, « La métamorphose africaine : défi
pour le monde », note n° 77, Fondation Jean Jaurès, 18 janvier 2011,
pages 5-6
152 ()
Jean-Pierre Guengant, « Population, développement et dividende
démographique au Tchad ; replacer la population au centre des
trajectoires de développement », mars 2013, page 29
153 () Source : « Une nouvelle ruralité émergente », op.cit., page 16
154 ()
La population rurale a été multipliée par trois, la population urbaine a
été multipliée au moins par 13, et celle de N’Djamena par 15
155 () Jean-Pierre Guengant, op. cit., page 29
156 () On estime qu’il a dû dépasser les 17 millions d’habitants en 2013
157 ()
Barbara M. Cooper, « De quoi la crise démographique au Sahel est-elle
le nom ? », Politique africaine, n °130, juin 2013, pages 69-88
158 ()
Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement,
Rapport 2013 sur les Pays les moins avancés, « Une croissance créatrice
d’emplois pour un développement équitable et durable », page 52
159 () Source : « Une nouvelle ruralité émergente », op.cit., page 36
160 () Jean-Pierre Guengant, op. cit., page 124
161 () Conférence idées pour le développement « Afrique 2050 : Agir sur ses évolutions démographiques », mardi 1er avril 2014
163 () Sylvie Brunel, op. cit. page 80
164 () Audition du 25 juin 2014
165 () Audition du 1er octobre 2014
166 () Audition du 5 novembre 2014
167 () Op. cit., page 52
168 () Audition du 10 février 2015
169 ()
Projet de recherche PERILA N-N, « Évaluation des risques au Niger et
sur l’axe Niger-Nigeria », IFRA Nigeria/LASDEL Niger, juillet 2013,
pages 25-31
170 () PERILA N-N, op. cit., page 46
171 () PERILA N-N, op. cit., pages 38 et suiv. « Jeunesse et accès à l’emploi : des incertitudes explosives »
172 () La Lettre du Continent, n° 700, « Imouraren : clap de fin pour le fiasco du siècle »
173 () Jeune Afrique, « Imouraren créera 6500 emplois », 20 mai 2009
175 () Audition du 21 mai 2014
176 () Jean-Pierre Dozon, « L’Afrique à Dieu et à Diable », op. cit., page 85
177 () Abdoulaye Sounaye, « L’Islam au Niger : éviter l’amalgame », Humanitaire, 28/2011, http://humanitaire.revues.org/1023
178 () IFRA Nigeria/LASDEL Niger, op.cit., page 21
179 () Abdoulaye Sounaye, ibid.
180 () Abdoulaye Sounaye, ibid.
181 ()
L’article 14 de ce projet de loi stipulait que « Quiconque aura
contracté mariage avec une jeune fille en cours de scolarité sans
autorisation préalable [d’un juge], sera passible d’une peine
d’emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 500 000 à
1000 000 francs CFA ou de l’une des deux peines seulement ». Cet article
a suscité un tollé, dans un pays où nombre de parents considèrent que
l’école est déstabilisatrice pour les filles et où de nombreuses jeunes
filles en sont retirées pour être données en mariage ; http://www.ips.org/fr/niger-la-scolarisation-des-filles-confrontee-aux-croyances-socioculturelles/
182 ()
IFRA Nigeria/LASDEL Niger, op.cit., « Crise de l’éducation publique et
émergence de l’“ école religieuse ” », page 25 et suiv.
183 ()
Ne serait-ce que pour des raisons purement logistiques : ainsi, les
agents des deux directions du ministère de l’éducation chargées de
l’inspection disposent d’un véhicule pour leurs tournées, lequel n’est
pas toujours approvisionné en carburant ; d’où des fréquences
d’inspection très irrégulières
184 () Selon Joseph Brunet-Jailly, 70 % des enseignants nigériens n’ont que le niveau du BEPC ; audition du 10 février 2015
185 () Ibid., page 28
186 () Jean-Pierre Dozon, « L’Afrique à Dieu et à Diable », op. cit., page 117
187 ()
Gilles Holder, « ” Mon pays S.A.” : un certain retour sur la démocratie
exemplaire du Mali et sa déraison islamique », juillet 2013 ; http://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/dossiersduceri/mon-pays-sa-un-certain-retour-sur-la-democratie-exemplaire-du-mali-et-sa-deraison-islamique?d02
188 () IFRA Nigeria/LASDEL Niger, op.cit., page 21
189 () Abdoulaye Sounaye : « La ” discothèque ” islamique : CD et DVD au cœur de la réislamisation nigérienne », www.ethnographiques.org ; numéro 22 – mai 2011
190 () ICG, « Niger, un autre maillon faible dans le Sahel ? », op. cit., page 44
191 () IFRA Nigeria/LASDEL Niger, op.cit., « La menace Boko Haram et l’” izalaïsation ” de la société nigérienne », page 17
192 () IFRA Nigeria/LASDEL Niger, op.cit., pages 18-19
193 () ICG, ibid., page 21
194 ()
Source : Les cahiers d’Afrique de l’Ouest, « Un Atlas du Sahara-Sahel ;
Géographie, économie et insécurité », Club du Sahel, OCDE, octobre 2014
195 () ICG, « Cameroun : État fragile ? », rapport Afrique n° 160, 25 mai 2010
196 () ICG, « Cameroun : mieux vaut prévenir que guérir », Briefing Afrique n° 101, 4 septembre 2014
197 () Audition du 11 février 2015
198 () Voir aussi Christian Seignobos, « Le phénomène zargina dans le nord du Cameroun », Afrique contemporaine 3/ 2011, n° 239, pages 35-59
199 () Issa Saïbou, « L’embuscade sur les routes des abords sud du Lac Tchad », Politique africaine 2/ 2004, n° 94, pages 82-104
200 ()
Christian Seignobos, « Boko Haram et les monts Mandara ; Califat,
islamisation de masse et motos chinoises », Afrique contemporaine,
n° 252, (à paraître)
201 ()
Par exemple Mathias-Eric Owona Nguini, coordinateur scientifique de la
Fondation Paul Ango Ela, entretien du 29 janvier 2015 à Yaoundé
203 () Entretien du 27 janvier 2015, à Douala
204 ()
Le ministre de l’économie, de la planification et de l’aménagement du
territoire, Nganou Djoumessi, (entretien du 29 janvier 2015, à Yaoundé),
précisera les projets sont d’ores et déjà en cours : six barrages,
120 000 ha de terres agricoles aménagées, reconstruction de toutes les
écoles, investissements en matière de routes, d’eau, d’électrification.
En tout, 94 projets sont prévus sur trois ans
205 () Entretien du 28 janvier 2015, à Yaoundé
206 () Entretien du 28 janvier 2015, à Yaoundé
207 () Audition du 21 janvier 2015
208 () Entretien du 28 janvier 2015, à Yaoundé
209 ()
Il existe une controverse entre spécialistes sur la signification
exacte de « Boko Haram ». L’expression est fréquemment traduite par
« L’éducation occidentale est un péché » ; mais « Haram » renvoie plutôt
à une notion d’interdit et de honte, comme le disait Amadou Ali. En
haoussa, « Boko » concerne ce qui est de l’ordre de l’imposture
210 () Christian Seignobos, audition du 11 février 2015
211 ()
Programme d’action d’Istanbul en faveur des PMA, « Suivi des résultats
et évaluation des avancées en faveur des PMA (2011-2020) – rapport de
synthèse », septembre 2014, www.ldc4monitor.org
212 () Audition du 22 octobre 2014
213 ()
MAEE, Direction général de la mondialisation, du développement et des
partenariats, « Coopération au développement : une vision française »,
document-cadre, décembre 2010
214 () CICID, Relevé de décision du 31 juillet 2013
215 () A la liste initiale ont été ajoutés le Rwanda, le Burundi et Djibouti. Le Rwanda a ultérieurement été supprimé.
216 () Création de l’AFETI, réforme du dispositif d’évaluation, notamment
217 ()
Sur cette enveloppe globale, le budget de la Mission APD voté par le
parlement en loi de finances représente environ le tiers. Il s’établit
dans le projet de loi de finances initial pour 2015 à 2,5 Mds€
d’autorisations d’engagement et 2,8 Mds€ de crédits de paiement
218 ()
Hervé Gaymard, Avis n° 2263, présenté au nom de la Commission des
affaires étrangères sur le projet de loi de finances pour 2015, Aide
publique au développement
219 () http://leadinggroup.org/rubrique322.html ;
À la rubrique « De quelques idées reçues » du site du groupe pilote sur
les financements innovants pour le développement, on peut toujours lire
ceci : « Les financements innovants sont un prétexte pour ne pas
respecter les engagements des États en matière d’aide publique au
développement. FAUX ! Les financements innovants ont au contraire depuis
l’origine été conçus comme des ressources complémentaires pour le
développement, non comme un substitut à cette dernière, comme le
précisent les déclarations adoptées aux Nations Unies ; (consulté le 24
mars 2015)
220 () Revue 2013 de la politique d’aide au développement de la France, CAD, OCDE, page 18
222 () Richard Horton, “Offline: Challenging America’s hegemony in global health”, www.thelancet.com ; 3 août 2013
223 ()
Rapport d’information n° 3074, janvier 2011, « Bilatéralisme et
multilatéralisme : rééquilibrage complémentarité intégration », Rapport
de Nicole Ameline, au nom de la Mission d’information présidée par
Jean-Paul Bacquet
224 ()
Cour des comptes, « Analyse de l’exécution du budget de l’État par
mission et programme, exercice 2013, aide publique au développement, mai
2014 »
225 ()
« La politique française d’aide au développement et de solidarité
internationale doit aider à la mise en œuvre de politiques d’éducation
et de formation efficaces, à même de garantir l’acquisition des
connaissances et la maîtrise des compétences nécessaires au
développement autonome des populations et à leur pleine insertion
économique, sociale et citoyenne dans la société. À ce titre, l’accès et
le maintien des filles à l’école représentent un facteur fondamental de
développement. Cette politique doit aussi contribuer aux objectifs de
l’Éducation pour tous, en priorisant le soutien à l’éducation de base
incluant les premiers niveaux du secondaire, l’importance du continuum
éducatif de la petite enfance à la formation tout au long de la vie, le
rôle primordial des équipes pédagogiques dans la dispense d’une
éducation de qualité, notamment pour les populations marginalisées ou
vulnérables. La France contribue également à ces objectifs à travers sa
politique d’accueil et de formation d’étudiants étrangers sur son
territoire. La politique de promotion et de soutien de la langue
française est également un vecteur de la politique de développement. »
226 () Revue 2013 du CAD page 53
228 () Données communiquées par Solidarité laïque
230 () http://www.educationpourtous.com/article-partenariat-mondial-pour-l-education-un-zero-pointe-pour-la-france-124045678.html
231 () Source : http://stats.oecd.org/Index.aspx?datasetcode=CRS1 (base de données statistiques du CAD de l’OCDE)
232 ()
OMD 4 : réduire la mortalité infantile ; OMD 5 : Améliorer la santé
maternelle ; OMD 6 : Combattre le VIH/Sida, le paludisme et d’autres
maladies
233 () Hervé Gaymard, op. cit.
234 () Audition du 3 décembre 2014
235 () Source : http://www.who.int/gho/child_health/mortality/causes/en/index.html ; (en anglais uniquement)
236 ()
Dr. Dominique Kérouédan, Dr. Gustavo Gonzalez-Canali, sous-directeur de
la santé et du développement humain au MAEE, Dr. Hubert Balique,
faculté de médecine de Marseille, ancien conseiller technique du
ministre de la santé du Mali, Dr. Bruno Floury, ancien conseiller
technique du ministre de la santé du Sénégal, « Santé et développement :
cinquante ans de coopération française en Afrique », in « Mondes, Les
Cahiers du Quai d’Orsay », 2011, pages 81-94.
238 () Source MINEFI
239 () Voir François Grünewald, « Étude sur les zones à faible densité, étude de cas ” Mali ” », rapport 17 avril 2014
240 ()
Ainsi que le soulignait l’ICG, « La cascade des évènements au Mali est
la conséquence conjointe de la fragilité des équilibres politiques
échafaudés ces dernières années en dépit des rituels électoraux, des
espoirs déçus de développement économique et social au Nord comme au
Sud, du laxisme dans la gestion de l’État, et du choc externe sans
précédent qu’a constitué la crise libyenne. Les relations du centre du
pouvoir bamakois avec sa périphérie sous le régime d’ATT reposaient
moins sur le renforcement institutionnel démocratique que sur un
maillage lâche de relations personnelles, clientélistes, voire
mafieuses, avec des élites régionales aux loyautés réversibles. Cette
forme de gouvernement du Nord à faible coût pouvait absorber des actions
d’opposition, y compris armées, d’ambition et de capacités militaires
réduites. Elle s’est désintégrée face à une initiative rebelle que la
crise libyenne a métamorphosée en quelques mois en un groupe armé
puissamment équipé, et face à l’opportunisme de groupes islamistes qui
ont accumulé ces dernières années une grande quantité d’armes grâce à
l’argent des trafics transsahariens et à celui du commerce des otages
occidentaux, tous fort lucratifs. » (ICG, « Mali : éviter l’escalade »,
rapport Afrique n° 189, 18 juillet 2012)
241 ()
Ferdaous Boulhel-Hardy, Yvan Guichaoua et Abdoulaye Tamboura, « Crises
touarègues au Niger et au Mali », IFRI, séminaire, 27 novembre 2007
242 () Séverine Bellina, audition du 26 novembre 2014
243 () Audition du 21 mai 2014
244 ()
Selon les indications de Pierre Duquesne, à l’époque, sur les 3,3 Mds€
promis à Bruxelles, quelque 70-75 % des engagements avaient été tenus,
tous bailleurs confondus. 45 % avaient été formellement décaissés, dont
350 M€ par des ABG. La France avait décaissé 70 M€ sur les 280 sur
lesquels elle s’était engagée
245 () Audition du 17 décembre 2014
246 () Hawa Coulibaly et Stéphanie Lima, « Crise de l’État et territoires de la crise au Mali », EchoGéo, 27 mai 2013 ; www.echogeo.revues.org
247 ()
Gilles Holder, « ” Mon pays S.A.” : un certain retour sur la démocratie
exemplaire du Mali et sa déraison islamique », juillet 2013, http://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/dossiersduceri/mon-pays-sa-un-certain-retour-sur-la-democratie-exemplaire-du-mali-et-sa-deraison-islamique?d02
248 () Audition du 9 avril 2014
249 () http://www.msf.fr/actualite/articles/au-mali-aujourd-hui-aide-humanitaire-est-plus-jamais-necessaire ; 9 mars 2015
250 ()
Donald Cruise O’Brien, « La filière musulmane, Confréries soufies et
politique et Afrique noire », Politique africaine, n° 4, décembre 1981,
pages 26-27
251 ()
Assimi Fouanda, « Les conflits au sein de la communauté musulmane du
Burkina : 1962-1986 », article dans « Islam et islamismes au sud du
Sahara », Ousmane Kane et Jean-Louis Triaud (Ed.) Éditions Khartala,
1998, pages 83 et suiv.
252 ()
Muriel Gomez-Pérez, « Associations islamiques à Dakar », in « Islam et
islamismes au sud du Sahara », op. cit., pages 137 et suiv.
253 ()
Boubou Cissé, Joseph Brunet-Jailly et Gilles Holder, « Au Mali, des
islamistes largement soutenus », Le Monde, 25 janvier 2012
254 () Audition du 26 novembre 2014
255 () Audition du 14 janvier 2015
256 () Audition du 3 décembre 2014
257 () Audition du 10 septembre 2014
258 () Audition du 22 octobre 2014
259 () Audition du 5 novembre 2014
260 () Audition du 21 octobre 2014
261 () Audition du 2 juillet 2014
262 () Budget de l’action extérieure de l’État, programme 105, MAEDI
263 () Christophe Boisbouvier, Jeune Afrique, 10 mars 2014
264 () Remi Carayol, « Défense : Le Drian, ministre de l’Afrique » Jeune Afrique, 23 mai 2014
265 () Jeune Afrique, n° 2822, 8 février 2015, entretien avec François Soudan
266 () « Djibouti-France : Le Drian ira voir Guelleh », Jeune Afrique, 9 février 2015, www.jeuneafrique.com
267 () Audition du 8 octobre 2014
268 () Audition du 16 décembre 2014
269 ()
« La politique africaine de la France sous François Hollande,
renouvellement et impensé stratégique », IFRI, 2014, pages 52-53
270 () Audition du 17 décembre 2014
271 () Audition du9 juillet 2014
272 () Audition du 11 mars 2015
273 ()
Ministère du commerce extérieur, « Coupler l’offre française à la
demande des pays », Stratégie pour le commerce extérieur de la France, 3
décembre 2012
274 ()
Hubert Védrine, Lionel Zinsou, Tidjane Thiam, Jean-Michel Severino et
Hakim El Karoui, « Un partenariat pour l’avenir : 15 propositions pour
une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France »
275 () Audition du 24 septembre 2014
276 () Source : Service économique régional de Yaoundé
277 () Source : Service économique régional de Yaoundé
278 () Audition du 16 décembre 2014
279 () Audition du 7 mai 2014
280 () Entretien du 26 janvier 2015, à Douala
281 () Rencontre du 29 janvier 2015, à Yaoundé
282 ()
Voir sur ce sujet Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa,
François Gèze, Ambroise Kom, Achille Mbembe et Odile Tobner, « La guerre
coloniale du Cameroun a bien eu lieu », Le Monde, 4 octobre 2011
283 () Entretien du 30 janvier 2015
284 () Audition du 21 janvier 2015
285 () Table ronde avec Assane Diop (RFI) et Christophe Boisbouvier (Jeune Afrique ; RFI), le 24 mars 2015
286 () Audition du 3 février 2015
287 () Le 29 janvier 2015, à Yaoundé
288 () Table ronde avec Christophe Boisbouvier et Jean-Pierre Bat, le 24 mars 2015
289 () Audition du 26 novembre 2014
290 () Entretien du 29 janvier 2015, à Yaoundé
291 () Édouard Balladur, « la France et l’Afrique : une solidarité exigeante », Le Monde, 23 septembre 1993
293 () Audition du 5 novembre 2014
294 () Audition du 10 septembre 2014
296 ()
Serge Tomasi, « Demain l’aide…? » FERDI, janvier 2014 ; Serge Tomasi
est aujourd’hui ambassadeur, représentant permanent de la France auprès
de la FAO
298 () Assemblée générale, résolution 2626, 24 octobre 1970
299 ()
Rapport d’information n° 3074, janvier 2011, « Bilatéralisme et
multilatéralisme : rééquilibrage complémentarité intégration », Rapport
de Nicole Ameline, au nom de la Mission d’information présidée par
Jean-Paul Bacquet
300 () Rapport d’information n° 4431, 6 mars 2012, « Le Sahel pris en otage »
301 () Audition du 21 janvier 2015
302 ()
Noël Mamère et Michel Zumkeller, Rapport d’information n° 1535,
Commission des affaires étrangères, novembre 2013, pages 139 et suiv.
303 ()
L’OHADA regroupe aujourd’hui 17 États : Bénin, Burkina Faso, Cameroun,
Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée Bissau, Guinée, Guinée
équatoriale, Mali, Niger, République Centrafricaine, République
démocratique du Congo, Sénégal, Tchad et Togo
304 () Op. cit., page 33
305 () Q – Quelle est votre réaction aux arrestations de plusieurs membres de collectifs citoyens à Kinshasa ? R
– La France fait part de sa préoccupation après l’arrestation, le 15
mars à Kinshasa, de participants à un débat politique et de journalistes
venus couvrir l’événement, parmi lesquels se trouvaient plusieurs
ressortissants français qui ont ensuite été remis en liberté. Au seuil
d’un cycle électoral essentiel pour la stabilité de la République
démocratique du Congo et l’enracinement de la démocratie dans ce pays,
nous réitérons notre attachement au respect des libertés publiques,
notamment la liberté de réunion
307 ()
Pouria Amirshahi, « la francophonie : action culturelle, éducative et
économique », rapport d’information n° 1723, janvier 2014
308 () Table ronde du 24 mars 2015
309 ()
« La politique africaine de la France sous François Hollande,
renouvellement et impensé stratégique », op. cit., pages 45 et suiv.
310 ()
Jacques Denis, « « La jeunesse rebelle du Sénégal réveille l’Afrique de
l’ouest : Taper sur un monde creux pour le faire résonner », le Monde
diplomatique, avril 2015, pages 10-11
311 () David Commeillas, « Coup de Balai citoyen au Burkina Faso », Le Monde diplomatique, avril 2015, page 10
312 () Audition du 9 juillet 2014
313 () Audition du 26 novembre 2014
314 () Supra page 79
315 () Supra page 130
316 () Jean-Loup Amselle, « Un continent frappé par l’effondrement de l’État », Le Monde, 4 décembre 2013
317 () Supra, page 80, audition de Carlos Lopes, du 7 octobre 2014
318 ()
Séverine Bellina, Dominique Darbon, Stein Sundstøl Eriksen et Ole Jacob
Sending, « L’État en quête de légitimité, sortir collectivement des
situations de fragilité », Éditions Charles Léopold Mayer, 2010
319 () Audition du 9 juillet 2014
320 () Notamment les auditions de Bruno Losch, Joseph Brunet-Jailly et Serge Michailof
321 ()
Comité d’aide au développement, « Revue par les pairs de l’OCDE sur la
coopération au développement, France 2013 », page 19 ; (souligné par
votre rapporteur)
322 () Supra, page 72
323 () Supra, encadré, page 71
324 () Audition du 11 février 2015
325 ()
Pierre Jacquemot, « Cinquante de coopération française avec l’Afrique
subsaharienne », Afrique contemporaine, 2011/2, n° 238, page 51
326 () Pierre Jacquemot, op.cit., page 51
327 () Audition du 14 janvier 2015
328 () Kako Nubukpo, CIRAD, « Quand la Banque mondiale s’attaque à la filière coton au Mali », janvier 2005, http://www.abcburkina.net/ancien/coton_act/coton_act_12.htm
329 () http://www.banquemondiale.org/fr/news/speech/2013/10/10/getting-africa-s-infrastructure-built-by-world-bank-vice-president-for-africa-makhtar-diop
330 () Source : PLF 2015, DPT, annexes, page 83
331 ()
SOFRECO, Christian Dessallien et Jean-Luc Perramant, « Évaluation de
l’instrument ” Fonds de solidarité prioritaire “, rapport final »,
février 2014 ; DGM, MAEDI
332 () Ibid., page 70
333 () Source : ibid., page 74
334 () Ibid., page 73
335 () Source : Ibid., page 37
336 () op. cit., page 54
337 () Ibid., page 113
338 ()
Pierre Salignon et Hubert de Milly, « l’APD en période d’austérité : le
développement au détriment des pays les moins avancés ?, www.euractiv.fr ; 8 octobre 2014
339 () Source : Ministère des finances ; (données octobre 2014)
340 ()
Décret n° 2006-1139 du 12 septembre 2006 sur le fonds de solidarité
pour le développement pris en application de l’article 22 de la loi n°
2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005
instaurant une contribution de solidarité sur les billets d’avion
341 ()
Décret n° 2013-1214 du 23 décembre 2013 portant modification du décret
n° 2006-1139 du 12 septembre 2006 sur le fonds de solidarité pour le
développement
342 () http://economie.jeuneafrique.com/regions/afrique-subsaharienne/22312-bollore-qoffreq-sa-premiere-bluezone-a-la-guinee.html
343 () Entretien du 26 janvier 2015 à Douala
344 () Audition du 24 septembre 2014
345 ()
Ernst & Young, MAEDI, « Évaluation de la contribution de la France
au Fonds européen de développement », rapport final, juin 2014, page 71
346 () Ibid., page 72
347 () Ibid., page 73
348 () Ibid., page 105
© Assemblée nationale
COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 6 mai 2015
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