Voici, en six chapitres, l’histoire de l’abolition de l’esclavage en France, histoire qui est celle d’une truanderie d’Etat.
Pour sauver ses gigantesques projets de colonisation en Afrique et en Inde - voir Jules Ferry et ses discours sur l'inégalité des races - et pour éviter des révoltes pouvant conduire à l’indépendance, la République a aboli l’esclavage en 1848/1849, par le plus pervers des choix : elle a indemnisé les maîtres esclavagistes, privés de leurs biens qu’étaient les esclaves, en confortant leur pouvoir économique avec un plan d’indemnisation sur 20 ans et consacrant leur possession des terres qu’ils avaient acquises par l'épuration ethnique des indiens Kalinas, les habitants historiques des Antilles. Pendant ce temps, les nouveaux libres, accédant enfin au statut d’être humain, se trouvaient dépouillés de toute indemnisation et de toute ressource. Le jour de leur accès à la citoyenneté républicaine, ils étaient condamnés au plus précaire des salariats.
Les gentils abolitionnistes avaient
réussi : le maintien de l’ordre établi, la défense des biens usurpés par
les esclavagistes criminels,... et une bonne image de braves humanistes
!... Une authentique crapulerie républicaine, et une impunité protégée
par l’Etat au fil du temps : à ce jour, les descendants des maîtres
esclavagistes restent possesseurs des grands domaines aux Antilles, et
les descendants d’esclaves doivent payer pour cultiver les terres sur
lesquelles travaillaient déjà leurs aïeuls esclaves, il y a 400 ans…
L’organisation par loi de l’impunité, et les miasmes des beaux discours…
Le problème est qu’avec le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), il devient possible de faire tomber les textes de 1848 et 1849. Et là, le château des mensonges et de la crapulerie va s'écrouler. A prévoir des remises en état et une addition salée.
Chapitre 1 – Un peu d’histoire ancienne
Chapitre 2 – Le cadre juridique de l’esclavage en Guadeloupe
Chapitre 3 – La première abolition, en 1794
Chapitre 4 – Le rétablissement de l’esclavage 1802
Chapitre 5 – L’abolition 1848/1849
Chapitre 6 – Un état du droit universel
Chapitre 7 – La politique de déni de l’Etat français
Chapitre 8 – La responsabilité de l’Etat français
Le problème est qu’avec le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), il devient possible de faire tomber les textes de 1848 et 1849. Et là, le château des mensonges et de la crapulerie va s'écrouler. A prévoir des remises en état et une addition salée.
Chapitre 1 – Un peu d’histoire ancienne
Chapitre 2 – Le cadre juridique de l’esclavage en Guadeloupe
Chapitre 3 – La première abolition, en 1794
Chapitre 4 – Le rétablissement de l’esclavage 1802
Chapitre 5 – L’abolition 1848/1849
Chapitre 6 – Un état du droit universel
Chapitre 7 – La politique de déni de l’Etat français
Chapitre 8 – La responsabilité de l’Etat français
Chap. 1. - L’esclavage, absent de la tradition française
Chap. 1. - L’esclavage, absent de la tradition française
I – L’esclavage, absent de la tradition françaiseL’esclavage, la forme la plus sommaire et la plus brutale de l’exploitation de l’homme par l’homme, présente dans le monde dès l’antiquité, ne relève d’aucune tradition juridique française. Les racines historiques de la France se sont construites contre l’esclavage, qui est devenu marginal à partir des V°-VI° siècles, lors de l’écroulement de l’empire romain.
Au Moyen-Age, est apparu le servage qui, aussi redoutable soit-il, était juridiquement distinct de l’esclavage dès lors qu’il était prévu par un statut, que la personnalité juridique du serf était reconnue, de même qu’un minium de droits liés à son travail.
A l’inverse du serf, l’esclave est en droit une chose. Le droit romain n’avait certes jamais retiré la part humaine, car vivante, de l’esclave, mais l’esclave était juridiquement un bien, comme le résume Jean Gaudemet : « L’esclave est un être humain. Le droit ne peut l’ignorer, alors même qu’il lui refuse l’octroi de prérogatives juridiques. Être humain, l’esclave est doué d’une vie affective. Il a une activité économique, des possibilités de travail, manuel ou intellectuel, que son maître sait utiliser et que le droit doit prendre en compte » (J. Gaudemet, « Membrum, persona, status », Studia et Documenta Historiae et Iuris, 1995, n° LXI, p. 2, G. Bigot, « Esclavage », Dictionnaire de culture juridique, dir. D. Alland et S. Rialas, PUF, 2003).
II – La réapparition de l’esclavage en lien avec la colonisation des Caraïbes, au XVI°
L’esclavage moderne, celui qui était lié à la colonisation pour l’exploitation des terres conquises, essentiellement dans les Caraïbes, a réellement pris un nouvel essor en Occident, au XV° avec le Portugal, suivi de l’Espagne, l’Angleterre – puis la Grande-Bretagne, les Provinces-Unies, puis la Hollande. Le consensus était général, l’Eglise donnant son accord par une bulle du Pape Nicolas V, le 8 janvier 1454.
Les abus étaient terrifiants, amenant le Pape Paul III, dès le 2 juin 1537, par sa lettre Veritas ipsa, a posé l’interdit de l’esclavage. Une consigne bien mal appliquée, mais qui établit nettement la conscience du fait illicite :
« Nous décidons et déclarons, par les présentes lettres, en vertu de Notre Autorité apostolique, que lesdits Indiens et tous les autres peuples qui parviendraient dans l'avenir à la connaissance des chrétiens, même s'ils vivent hors de la foi ou sont originaires d'autres contrées, peuvent librement et licitement user, posséder et jouir de la liberté et de la propriété de leurs biens, et ne doivent pas être réduits en esclavage. Toute mesure prise en contradiction avec ces principes est abrogée et invalidée ».
La région des Caraïbes s’est trouvée au premier plan de cette traite négrière transatlantique (L. Peytraud, L’esclavage aux Antilles avant 1789, 1897).
III – La présence ancestrale des Kalinas dans les îles Caraïbes
La zone caraïbe connaissait une civilisation très ancienne, celle des Amérindiens (Arawaks ou Taïnos et Caraïbes ou Kalinago), de plusieurs millénaires avant JC. Cette population, stable depuis les V° et VI° siècles, menait une vie régie par la coutume et la propriété collective.
Lorsqu’en 1492, Christophe Colomb a abordé les îles, il les a fait connaitre comme « des découvertes », destinées à être conquises, ouvrant la voie au processus de destruction des civilisations existantes. Dès son second voyage en 1493, il a entrepris la colonisation de l’île dénommée Hispanola, qui est actuellement le territoire de la République d’Haïti et de Saint-Domingue.
Chap. 2 – Le cadre juridique de l’esclavage en Guadeloupe
Chap. 2 – Le cadre juridique de l’esclavage en Guadeloupe
Le cadre juridique de la purification ethnique, de la colonisation et de l’esclavage en Guadeloupe résulte de la Charte de 1626 (I), de la Charte de 1635 (II), de la Charte de 1664 (III) et de l’Édit de décembre 1674 (IV).I – La Charte de 1626
Le processus « colonisation-esclavage » a pris un tour organisé en France en 1626, sous l’influence de Richelieu, avec une charte qui sera le cadre juridique jusqu’à 1635. Avec ce texte, Richelieu donne à Pierre Belain d’Esnambuc et à Urbain du Rossey la commission de fonder une société de droit privé – ce sera la Compagnie de Saint-Christophe –, d’aller établir une colonie dans les Antilles de l’Amérique, puis d’apporter ensuite leur commission à « l’Association des seigneurs des Isles de l’Amérique ». Par cette commission, le Royaume ne conférait aucune concession de territoire à la compagnie.
De fait, jusqu’en 1634, d’Esnambuc et du Rossey ont occupé l’île de Saint-Christophe et exploré bien d’autres, telles Antigue, Barbade, Dominique, Guadeloupe, Martinique... Ils ont pu s’y implanter sans conflit majeur, se partageant l’île avec les Anglais, ils y ont construit des forts, y ont laissé quatre-vingts hommes et un chapelain. Puis ils sont rentrés, pour demander au roi ce qu’il convenait de faire.
II – La Charte de 1635 A – Le cadre juridique
Le Royaume a alors a adopté la Charte du 12 février 1635, qui a été effective jusqu’à 1664, et qui a été le cadre juridique de l’offensive contre les Kalinas et de la tentative de leur extermination. Par ce texte, le Roi confiait à une compagnie privée de coloniser les îles qui « n’étaient pas occupées par les Chrétiens ». Pour ce faire, d’Esnambuc et du Rossey ont transformé la Compagnie des îles de Saint-Christophe en la Compagnie des Îles d’Amérique, qui a été attributaire de la concession.
La première expédition, partie de Dieppe le 15 mai 1635, et conduite au nom de la Compagnie par Charles Liénard de l'Olive et Jean Du Plessis d'Ossonville, s’est conclue par la prise de possession de la Martinique, puis de la Guadeloupe, où elle s’installe le 28 juin 1635. L’expédition comprenait quelques « bonnes gens » bénéficiaires de contrat de concession et les « engagés » qui en contrepartie du trajet devaient consacrer trois ans de travail à la compagnie ou à un « habitant » avant de pouvoir bénéficier d’une concession.
Comme il ne s’agissait pas que de s’implanter mais bien de conquérir les terres en éliminant les populations Caraïbes, dénommées « les sauvages », l’action des colons a dès le début de 1636 été marquée par une extrême violence. Très vite, les colons se sont convaincus qu’ils ne pouvaient pérenniser leur conquête sans des outils juridiques légalisant leur action et leur permettant un recours massif à l’esclavage, argumentant que les Portugais, rejoints par les Espagnols, pratiquaient l’esclavagisme depuis le XV siècle.
Mais le Roi a refusé un texte légalisant l’esclavage, réticent à introduire dans le Royaume un tel régime d’iniquité.L’esclavage est resté une donnée de fait rejetée par la législation monarchique, donc un crime. Le procédé s’est néanmoins poursuivi avec l’assentiment politique de Richelieu, le Roi faisant hypocritement semblant de ne rien voir.
Le 3 mars 1645, un ordre du roi a imposé dans les îles la Coutume de Paris, ce qui est le plus net des actes de colonisation.
Les affaires de la Compagnie sont restées mauvaises. Avant d’être liquidée en 1650, la compagnie a vendu « ses » biens, par des ventes privées, devant notaire à Paris :
- le 4 septembre 1649, vente de la Guadeloupe, Marie-Galante, Désirade et les Saintes vendues à la famille Houël-Boisseret, pour 73 000 livres
- le 22 septembre 1650, vente de la Martinique, Sainte-Lucie, Grenade à la famille Dyël du Parquet, pour 60 000 livres ;
- Saint-Christophe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Sainte-Croix et la Tortue à l’ordre de Malte, pour 40 000 livres.
Le Royaume ne s’est pas opposé à ces ventes et ne les a jamais contestées, confirmant le caractère de droit privé de cette phase d’appropriation par la force armée.
C’est après ces actes qu’a été enclenché le génocide des Kalinas.
B – L’élimination criminelle de masse des Kalinas
En Martinique, après sept ans de violences, un premier « traité de paix » a été signé le 21 décembre 1657, reléguant les Kalinas sur une petite moitié de l’ile. Mais le propriétaire et gouverneur, Jacques Dyël du Parquet, est décédé peu de temps après, et sa veuve n’a su gérer la succession, alors que les colons revendiquaient de plus grandes exploitations,… et que les esclaves allaient trouver refuge chez les Caraïbes. S’en est suivi la guerre de 1658, aux fins d’épuration ethnique. Le nouveau gouverneur, Médéric Rolle, s’est alors assuré le concours des prêtres, sous prétexte d’évangélisation, et celui des militaires, qui se voyaient accorder des parts sur les terres gagnées.
En Guadeloupe, les violences, marquantes depuis 1636, ont pris un tour exterminateur à partir de 1650, ouvrant une décennie de sang qui a pris fin par un document dénommé le « traité de paix » de Basse-Terre du 31 mars 1660, conclu entre le gouverneur Houël et des religieux, s’affirmant mandataires des Kalinas, dénommés « les sauvages ».
Ce « traité » était un texte de reddition : les Kalinas survivants n’étaient épargnés que s’ils partaient sur l’Ile de la Dominique et de Saint-Vincent. Juridiquement, le titre de « traité de paix » est usurpé, car il s’agit d’un texte imposé par un particulier, se prétendant propriétaire. De plus, l’autre partie – dénommée « les sauvages » n’était pas présente, l’accord étant signé par des religieux, non mandatés, et qui étaient complices de l’extermination. De fait, les Kalinas se sont installés sur la parcelle qui leur était destinée sur l'île de la Dominique, où un territoire leur est toujours dédié, regroupant environ 3.000 autochtones Kalinas. En marge du traité, certains Kalinas ont trouvé refuge au Nord et à l'Est de la Grande-Terre, vers les pointes de la Grande-Vigie à Anse-Bertrand et des Châteaux à Saint-François.
L’activité agricole était alors basée sur le tabac, le coton et les cultures vivrières. Dès l’élimination des Kalinas, a été engagé le plan de culture de la canne à sucre, qui a pris son essor vers 1650-1660, à destination des marchés européens. La même période a vu l’arrivée des premiers esclaves : « 60 tant nègres que négresses » achetés à la Pentecôte 1643 par le sieur Charles Houël à un navire anglais. En 1656, on comptait 3 000 esclaves en Guadeloupe et 1 500 en Martinique. Les colons ont institué un « tribunal souverain de la Guadeloupe », qui a beaucoup œuvré pour faire régner la terreur par des arrêts règlementant la vie quotidienne. Par exemple, un arrêt de ce tribunal du 21 août 1660 autorisait les habitants – comprendre les colons – à « appréhender au corps les nègres qu’ils trouveront volants » et « en cas de résistance desdits nègres, de les tuer, sans qu’ils en puissent être inquiétés, ni recherchés ».
III – Charte de 1664
Le Royaume n’avait pas contesté les ventes privées de 1649 et 1650, mais le Royaume a voulu donner une nouvelle impulsion à la colonisation, et un arrêt du Conseil d’État du 17 avril 1664 a enjoint à la Compagnie et à ses ayants droit de rapporter tous leurs titres de concession ou de propriété, pour être remboursés :
« Au lieu de s’appliquer à les peupler d’habitants pour les cultiver et à y établir un commerce considérable, ainsi qu’ont fait les étrangers, ils se sont contentés de les vendre à des particuliers, lesquels, n’ayant pas assez de force pour y établir de puissantes colonies et équiper un nombre suffisant de vaisseaux pour y faire porter de France les choses dont les habitants d’icelles ont besoin, et rapporter en échange les marchandises qu’ils en tirent, ont donné lieu aux étrangers de s’emparer du commerce dudit pays, à l’exclusion des sujets de Sa Majesté, ce qui ne serait pas arrivé si ladite Compagnie avait gardé lesdites îles et travaillé à l’établissement dudit commerce, comme c’était l’intention de Sa Majesté. »
Sous l’influence de Colbert, une nouvelle Charte a été adoptée en 1664, qui s’est appliquée jusqu’en 1674, au profit d’une nouvelle compagnie, la Compagnie des Indes occidentales, créée à l’initiative du roi, qui a reçu une mission expansionniste pour la Guyane, l’Amérique du Nord, le Canada, Terre-Neuve, la côte de l’Afrique depuis le cap Vert jusqu’au cap de Bonne-Espérance.
Aussitôt, en 1664, cette compagnie a racheté :
- la Martinique à M. Duparquet pour 420.000 livres ;
- la Guadeloupe, Marie-Galante et les Saintes à Mme Vve de Boisseret et à M. Houël pour 400.000 livres;
- Saint-Christophe, Saint-Martin, Saint-Barthélémy et Sainte-Croix, de l’ordre de Malte, pour 500.000 livres ;
- la Grenade au comte de Cerillac, pour 100.000 livres. »
IV – L’Édit de décembre 1674
A – L’Etat souverain et propriétaire
Cet édit portait révocation de la Compagnie des Indes occidentales, et conférait la pleine propriété à l’État. Le roi validait les ventes antérieures, et incluait les biens dans le domaine de la couronne. C’est donc uniquement à cette date, en 1674, que la Guadeloupe et la Martinique sont devenues colonies du royaume.
« Nous avons uny et incorporé, unissons et incorporons au Domaine de notre Couronne toutes les Terres et Païs (y compris la part restante au sieur Houël en la propriété et seigneurie de ladite Isle de Guadeloupe) qui appartenaient à ladite Compagnie, tant au moyen de concessions que nous lui avons fait par l’Édit de son établissement, qu’en vertu des contrats d’acquisition, ou autrement, savoir… les Isles appelées Antilles, possédées par les Français… »
« Comme aussi nous avons validé, approuvé et confirmé, validons, approuvons et confirmons les concessions des terres accordées par les directeurs, leurs agents et procureurs, les ventes particulières qui ont été faites d’aucunes habitations, magasins, fonds et héritages, dans les Païs par nous concédés… »
Les petites exploitations coloniales n’avaient pas tenu leurs promesses, et à la fin du XVIIIème siècle, l’économie sucrière reposait essentiellement sur un système de vastes propriétés de plusieurs centaines d’hectares.
Une ordonnance de 1667 a rendu les registres de l’état-civil obligatoire à la Guadeloupe. En 1678, environ 27 000 esclaves étaient présents aux Antilles françaises.
B – Le Code noir
En mars 1685, inspiré par Colbert et d’anciens gouverneurs, a été publié un édit royal« servant de règlement pour le gouvernement et l’administration de justice et la police des Iles françaises de l’Amérique, et pour la discipline et le commerce des Nègres et esclaves dans ledit pays », de mars 1685, appelé Le Code noir (L. Sala-Molins, Le Code Noir ou le calvaire de Canaan, Paris, PUF, 1987, 4° ed. Quadrige, 2006 ; J.-L. Harouel, Le Code Noir, Dictionnaire de la culture juridique, PUF, 2003).
Selon ce texte, l’esclave était un être humain dénué de la personnalité juridique, à laquelle il ne peut accéder que par l’affranchissement. Le texte traitait de la spiritualité (Art. 2 et s.) et de vie familiale (Art. 10 et s.). Il définissait l’esclave comme un élément de patrimoine, un bien meuble (Art. 44 et s.) pouvant être vendu ou transmis par la dévolution successorale. L’esclave ne pouvait agir en justice, devant toujours ici être représenté par son maître.
Art. 31. – Ne pourront aussi les esclaves être parties, ni être en jugement en matière civile, tant en demandant, qu’en défendant ; ni être parties civiles dans les affaires criminelles ; sauf à leurs maîtres d’agir et défendre, en matière civile, et de poursuivre, en matière criminelle, la réparation des outrages et excès qui auront été commis contre leurs esclaves.
Par la même logique, l’esclave était irresponsable civilement, le maître étant tenu de réparer les dommages causés par lui.
Art. 37. – Seront tenus, les maîtres, en cas de vol, ou d’autre dommage causé par leurs esclaves, outre la peine corporelle des esclaves, de réparer le tort en leur nom, s’ils n’aiment mieux abandonner l’esclave à celui auquel le tort aura été fait ; ce qu’ils seront tenus d’opter dans trois jours, à compter de celui de la condamnation, autrement ils en seront déchus.
L’esclave étant une chose, propriété du maître, l’exercice de la liberté d’aller et venir lui était interdite, sous peine de sévères sanctions corporelles :
Art. 38. – L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées, et sera marqué d’une fleur de lys sur une épaule ; s’il récidive, un autre mois, à compter pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d’une fleur de lys, sur l’autre épaule ; et la troisième fois, il sera puni de mort.
En 1780, on comptait 452 000 esclaves à Saint-Domingue, 76 000 à la Martinique, et 90 000 à la Guadeloupe.
À la Révolution, les décrets des 22 novembre et 1er décembre 1790 remplaceront le domaine de la Couronne par le domaine de la Nation, en continuation juridique.
Chap. 3 – La première abolition, en 1794
Chap. 3 – La première abolition, en 1794
I – Le texteLe texte est le décret no 2262 de la Convention nationale du 16° jour de Pluviôse an second de la République Française (4 février 1794), qui abolit « l'esclavage des nègres dans les colonies » :
« La Convention Nationale déclare que l'esclavage des Nègres dans toutes les Colonies est aboli ; en conséquence elle décrète que les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens Français, et jouiront de tous les droits assurés par la constitution.
« Elle renvoie au comité de salut public, pour lui faire incessamment un rapport sur les mesures à prendre pour assurer l'exécution du présent décret.
II – Analyse
A – Des principes certains
Dès 1789, la portée de l’article 1 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen, était certaine. Le 20 août 1789, Mirabeau tirait les conséquences de ce texte en publiant dans son journal, un texte s’adressant aux colons, et à ceux de Saint-Domingue, présents dans l'assemblée qui avaient voté la déclaration : « Messieurs les colons, aujourd'hui, vous avez aboli l'esclavage dans nos colonies ». La même analyse dicte le discours des révolutionnaires partisan du maintien de l’esclavagisme, telMosneron de l’Aunay qui le 26 février 1790, affirme :
« Il convient, Messieurs, de ne pas perdre un moment pour rassurer les planteurs et pour les ramener aux sentiments d’amour et d’attachement qu’ils doivent à la mère patrie. Il faut ôter tout prétexte aux ennemis étrangers et intérieurs ; il faut donc que l’Assemblée décrète que la traite des Noirs sera continuée comme par le passé. Ici j’aperçois la Déclaration des Droits de l’homme qui repousse ce décret : cette Déclaration, Messieurs, est un fanal lumineux qui éclairera toutes les décisions de l’Assemblée nationale qui auront la France pour objet ; mais j’aurai le courage de vous dire que c’est un écueil placé dans toutes nos relations extérieures et maritimes » (J.-B. Mosneron de l’Aunay, Discours sur les colonies et la traite des noirs, in A. Aulard, « La société des Jacobins », Paris, 1889-1897, tome 1, pp.15-16).
La démonstration de Jean-Jacques Rousseau, dans le Contrat social, en 1762, était, de fait, difficile à contredire :
« Ainsi, de quelque sens qu’on envisage les choses, le droit d’esclavage est nul, non seulement parce qu’il est illégitime, mais parce qu’il est absurde et ne signifie rien. Ces mots, esclavage et droit, sont contradictoires ; ils s’excluent mutuellement. Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs […]. Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l’homme » (Voir aussi : Y. Benoit, Les Lumières, l’esclavage, la colonisation. Paris, La Découverte, 2005 ; H. Grégoire, De la traite et de l'esclavage des noirs et des blancs, par un ami des hommes de toutes les couleurs, Paris, Égron, 1815).
L’idée que des principes fondamentaux du droit s’opposaient au régime de l’esclavage parfaitement acquis, et la jurisprudence savait, timidement mais réellement, s’opposer à la force injuste de la loi. Les juridictions locales étaient autonomes, et le seul moyen d’assurer un contrôle, était le pourvoi formé dans l'intérêt de la loi par le procureur général de la Cour de Cassation, utilisé de rares fois (M. Fabre, « Le contrôle de la Cour de cassation : censurer le juge colonial ? », in Le juge et l’Outre-mer, les roches bleues de l’Empire colonial, dir. B. Durand et M. Fabre, 2004, pp. 221 et s. ; M. Tanger, Les juridictions coloniales devant la Cour de cassation, Economica 2007).
On peut, parmi bien d’autres, dont l’affaire Virginie (Recueil général des lois et arrêts, Delavignette, 1941, I, p. 250) citer l’affaire Linval, du nom d’un esclave mort sous la torture du colon, à propos d’une affaire de marronnage, défini comme la fuite hors de l’habitation avec l’intention de ne pas y rentre. Pour faire avouer à Linval la cachette de ses compagnons, son maître colon, Prus, lui avait infligé des tortures telles que l’homme en était mort. Dix esclaves, par des dépostions concordantes sur l’extrême violence de Prus, avaient ensuite déposé plainte, mais la Chambre d'accusation de la Cour Royale de Cayenne avait jugé que les plaintes étaient irrecevables, comme n’émanant pas de sujets de droit.
Le procureur général Dupin l’Ainé Formant avait formé un pourvoi dans l'intérêt de la loi, pour combattre cette irrecevabilité. Son réquisitoire souligne que des normes juridiques supérieure doivent conduire à critiquer la loi du Code Noir : « Puisqu'en dérogation au droit sacré de la nature, les lois civiles ont admis l'esclavage, évitons d'aggraver cette position déjà si malheureuse ; et si l'homme a pu devenir la propriété de son semblable, que cette propriété du moins ne soit pas celle qu'on a définie jus utendi et abutendi ». Il a alors qualifié la torture de crime, et a poursuit son réquisitoire en posant le principe qu'il y a lieu de « s'interposer entre le bourreau et la victime pour revendiquer les droits imprescriptibles de l'humanité ». S’inscrivant dans cette logique, la chambre criminelle a cassé l'arrêt de la Cour de Cayenne par un arrêt du 27 janvier 1831. La recevabilité de la preuve testimoniale de l'esclave sera, par la suite, admise en matière civile délictuelle par un arrêt du 9 mars 1848. (J.-Cl. Marin, Des juristes d’exception humanistes et combatifs, La contribution de la Cour de cassation à l’émancipation des esclaves, Les annonces de la Seine, n° 45, 18 juillet 2013).
B – Une mise en œuvre sous la pression des évènements
Malgré l’évidence de ces analyses, les colons ont utilisé les pouvoirs locaux, les colonies résultant alors de régimes spécifiques, pour retarder la promulgation de la Déclaration des Droits de l'Homme dans les colonies. C’est uniquement comme contrecoup des évènements de Saint-Domingue qu’est intervenue la première abolition, en 1794, sous la Convention.
L’île de Saint-Domingue, qui regroupait un grand nombre d’esclaves, soit près de 500 000, était secouée par des révoltes d’esclaves, et la Convention a mandaté Polverel et Sonthonax pour y rétablir l’ordre et maintenir la présence française. Sonthonax a engagé la répression de ces mouvements, mais la situation est devenue incontrôlable : l’échec de la répression, patent, conduisait à un délabrement de la société, et plaçait l’île à la merci d’attaques des Espagnols ou des Anglais. Pour maintenir la présence de la France, Sonthonax s’est résolu à composer avec les esclaves, et le 29 août 1793, il a proclamé l’abolition de l’esclavage, cinq mois avant que la Convention se décide à adopter le décret du 16 Pluviôse An II, soit le 4 février 1794, abolissant l’esclavage (Aux origines d’Haïti, Actes du colloque de Paris VIII, juin 2002, Dir. Y. Benot et M. Dorigny, Maisonneuve et Larose, 2003).
En Guadeloupe, la même assemblée a délégué Chrétien et Hugues, qui en juin 1794, reprirent la Guadeloupe aux Anglais, avec la participation décisive de plus de 3.000 esclaves. Le décret du 16 Pluviôse An II a été proclamé le 6 juin 1794, et affiché sur la Place de la Victoire. La Grenade, mise à part, les autres colonies ont connu une résistance farouche des maîtres esclavagistes, et la généralisation de l’abolition, en droit, n’interviendra que le 1° janvier 1798, comme conséquence de la départementalisation.
Le texte de 1794 ne prévoyait pas de système de réappropriation des terres ou de réparation.
Chap. 4 – Le rétablissement de l’esclavage 1802
Chap. 4 – Le rétablissement de l’esclavage 1802
I – Le texte de la loi du 20 mai 1802
A – Le contexte
Sur
le plan opératoire, la signature de la paix avec les Anglais, à Amiens,
le 25 mars 1802, qui restituait à la France la Martinique, Sainte-Lucie
et Tobago, a permis d’établir de hauts flux pour l'esclavage, et a
conduit à l’adoption de la loi du 20 mai 1802, rétablissant l’esclavage (C.
Wanquet, La France et la première abolition de l’esclavage, 1794-1802,
Le cas des colonies orientales Kathala, 1998 ; Th Lentz et P. Branda,
L’esclavage et les colonies, Fayard, 2006 ; G. Saint-Ruff, L’épopée
Delgrès. La Guadeloupe sous la Révolution française, 1789-1802,
L’Harmattan, 1977 ; Y. Bénot, La démence coloniale sous Napoléon, La
Découverte, 1992, rééd. 2006).
Pour
la Guadeloupe, le rétablissement a été le fait d’un simple arrêté
consulaire du 27 messidor an X (16 juillet 1802), qui en droit ne
pouvait abroger les textes antérieurs d’abolition, mais cette illégalité
d’origine a été balayée (A. Lacour, Histoire de la Guadeloupe, 1855, Rééd. Kolodziej, 1979).
B – Le texte
La loi du 20 mai 1802 précisait les intentions du gouvernement, l’exposé des motifs étant ainsi rédigé.
« Citoyens
législateurs, le traité d’Amiens rend à la France plusieurs colonies
importantes ; le gouvernement croit indispensable de vous proposer une
loi sans laquelle cette stipulation, toute avantageuse qu’elle est, ne
produirait qu’une source de nouveaux désastres et de maux incalculables.
«
Au moment où nous allons reprendre possession de la Martinique,
Sainte-Lucie, Tobago, et de nos établissements dans l’Inde, il est
urgent d’en rassurer les colons. – Il est digne de votre sollicitude,
comme de celle du gouvernement, d’effacer par une disposition précise et
solennelle, des craintes qu’une expérience malheureuse n’a que trop
bien justifiées.
«
En effet, le sort des colonies est depuis longtemps l’objet des
conversations générales, et tout le monde sait combien elles ont
souffert. – On sait combien les illusions de la liberté et de l’égalité
ont été propagées vers ces contrées lointaines, où la différence
remarquable entre l’homme civilisé et celui qui ne l’est point, la
différence des climats, des couleurs, des habitudes, et principalement
la sûreté des familles européennes, exigeaient impérieusement de grandes
différences dans l’état civil et la politique des personnes. – On sait
encore quel a été le funeste résultat de ces innovations ardemment
sollicitées par des zélateurs, dont la plupart sans doute n’avaient été
stimulés que par l’intention honorable de servir la cause de l’humanité,
et qui, cherchant à rendre indistinctement tous les hommes des colonies
égaux en droits, n’ont su parvenir qu’à les rendre également
malheureux. – Si, dans un sujet aussi grave, il était permis d’employer
les images, nous dirions que les accents d’une philanthropie faussement
appliquée, ont produit dans nos colonies l’effet du chant des sirènes ;
avec eux sont venus des maux de toute espèce, le désespoir et la mort.
«
Deux conséquences funestes résultent de cette expérience. – La
première, que les colonies qui nous sont rendues par le traité d’Amiens,
et les îles de France et de la Réunion qui, sans avoir été conquises,
se sont également conservées, doivent être maintenues dans le régime
sous lequel, depuis leur origine, elles ont constamment prospéré. – La
seconde, que dans les colonies où les lois révolutionnaires ont été
mises à exécution, il faut se hâter de substituer aux séduisantes
théories un système réparateur dont les combinaisons se lient aux
circonstances, varient avec elles, et sont confiées à la sagesse du
gouvernement.
«
Tel est le vœu des hommes sans prévention qui ne craignent pas d’avouer
que la révision des lois et la réformation de celles qui ont été
préjudiciables, sont un devoir essentiel du législateur. – Tels sont
aussi les motifs du projet de loi que nous vous présentons au nom du
gouvernement, et dont l’adoption, nécessaire pour les colonies, vous
paraîtra encore infiniment utile à la nation entière, puisque les
colonies, le commerce et la marine sont inséparables dans leurs
intérêts ».
Le texte de la loi n° 1609 du 20 mai 1802 relative à la traite des noirs et au régime des colonies était ainsi rédigé :
« Au
nom du Peuple de France, Bonaparte, premier Consul, proclame loi de la
République, le décret suivant, rendu par le Corps législatif le 30
floréal an X, conformément à la proposition faite par le Gouvernement le
27 dudit mois, communiquée au Tribunat le même jour.
«
Art. Ier. – Dans les colonies restituées à la France en exécution du
traité d’Amiens, du 6 germinal an X, l’esclavage sera maintenu
conformément aux lois et règlements antérieurs à 1789.
« II. – Il en sera de même dans les autres colonies françaises au-delà du Cap de Bonne-Espérance.
«
III. – La traite des noirs et leur importation dans lesdites colonies,
auront lieu, conformément aux lois et règlements existants avant ladite
époque de 1789.
«
IV. – Nonobstant toutes lois antérieures, le régime des colonies est
soumis, pendant dix ans, aux règlements qui seront faits par le
Gouvernement ».
Il faut noter qu’aucun autre Etat colonial n’a rétabli l'esclavage après l'avoir aboli.
II – Analyse
Pour rétablir l’esclavage, Bonaparte a mis fin à la départementalisation pour les colonies, via la constitution de l'An Huit créant le Consulat, ce qui permettait le retour aux lois spéciales.
Le
9 novembre 1805, le Code civil est entré en vigueur à la Guadeloupe,
soit dix-huit mois après sa promulgation, mais les dispositions
réservent le bénéfice de ce texte aux seuls « Français », les autres
populations restant régies par le Code noir.
La
prospérité de l’économie cannière et sucrière a culminé dans les années
1820, mais elle a ensuite connu un lent déclin, les difficultés
conduisant à toujours plus de concentration des moyens financiers. La
donnée économique était préoccupante, car le modèle esclavagiste
apparaissait à bout de souffle, alors que l’époque était au grand
colonialisme économique de l’Afrique et des Indes.
Empereur des Français... et seul chef d'Etat à avoir rétabli l'esclavagisme !
La théorie de la supériorité des races a de belles antériorités en France
Chap. 5 – L’abolition 1848/1849
Chap. 5 – L’abolition 1848/1849
I – Le contexte
A – Victor Schœlcher
Le
principe de l’indemnisation des anciens maîtres esclavagistes, pour
conforter la domination économique, a été parfaitement exposé par Victor
Schœlcher, le grand ordonnateur de cette abolition (V. Schœlcher, Esclavage et Colonisation, textes choisis et annotés par E. Tersen, PUF 1948 rééd. 2007) :
« Les
Blancs ne peuvent plus rester maîtres, puisque les Noirs ne veulent
plus être esclaves. Il faut en finir. Puisse le gouvernement ne point se
tromper longtemps encore sur les dangers d'un état de chose impossible,
et vouloir enfin y appliquer le seul remède efficace, l'abolition
immédiate de l'esclavage.
« L'humanité
ne nous aurait pas fait un devoir de rendre sans délai la liberté à nos
frères noirs, nous aurions réellement brusqué cette grande mesure que
nous nous en féliciterions encore ; car c'est notre conviction profonde
et raisonnée, il y avait mille fois plus de danger à différer
l'abolition qu'à la donner. Les colonies ont été sauvées par
l'émancipation. Ce n'est point ici l'ardeur d'un théoricien qui
m'entraîne, c'est l'expérience des faits, des hommes et des choses. La
liberté, quand son jour est venu, est comme la vapeur, elle a une force
d'expansion indéfinie ; elle renverse et brise ce qui lui fait obstacle.
« Les
Nègres allaient prendre la liberté eux-mêmes si la métropole ne la leur
donnait pas. La monarchie, s'écroulant à jamais, rendait au droit toute
sa puissance, et que pouvaient une poignée de maîtres contre des masses
apprenant que l'on avait proclamé la République ?
« Les
Nègres ne manqueront pas aux champs de canne, témoins de leurs douleurs
et de leur opprobre passés, quand l’indemnité soldée, quand les banques
coloniales constituées fourniront de quoi les payer, quand on les y
amènera, je le répète, par de bons traitements, par la persuasion, par
l’appât d’une juste rémunération, sous quelque forme qu’elle se
présente, enfin par l’éducation et les besoins qu’elle fait naître en
nous.
Tout
délai eut porté les Nègres à la révolte… Le gouvernement provisoire n’a
pas été imprévoyant. Il s’est rendu compte de tout, il a agi avec un
louable empressement, mais sans légèreté, et c’est pour sauver les
maîtres qu’il a émancipé les esclaves ».
L’analyse
de Victor Schœlcher est claire : s’il fallait émanciper les esclaves,
c’était pour sauver les maîtres. C’est dans ces termes exacts qu’a été
prévue l’indemnisation, et jamais il n’a été envisagé de réparer les
conséquences d’un crime de masse, ayant duré plus de deux siècles… Il
s’agissait de conforter la domination blanche dans les colonies, alors
que le modèle économique de l’esclavagisme était à bout de souffle, et
de doter de moyens nouveaux le capitalisme industriel et financier afin
de construire un empire colonial français.
B – Jules Ferry
Cette
ligne politique de fond se retrouvera avec Jules Ferry, lors de son
fameux discours à la tribune de l’Assemblée nationale, le 28 juillet
1885 :
« Les
colonies sont pour les pays riches un placement de capitaux des plus
avantageux. Dans la crise que traversent toutes les industries
européennes, la fondation d'une colonie, c'est la création d'un
débouché.
« Messieurs,
il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu'en
effet les races supérieures ont un droit vis à vis des races inférieures
parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser
les races inférieures.
« Ces
devoirs ont souvent été méconnus dans l'histoire des siècles
précédents, et certainement quand les soldats et les explorateurs
espagnols introduisaient l'esclavage dans l'Amérique centrale, ils
n'accomplissaient pas leur devoir d'hommes de race supérieure. Mais de
nos jours, je soutiens que les nations européennes s'acquittent avec
largeur, grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de la
civilisation. »
II – Les textes
A – Le décret du 27 avril 1848
Le texte est le décret relatif à l'abolition de l'esclavage dans les colonies et les possessions françaises du 27 avril 1848 (JORF, 2 mai 1848), ainsi rédigé :
« Le Gouvernement provisoire,
« Considérant que l'esclavage est un attentat contre la dignité humaine ;
« Qu'en
détruisant le libre arbitre de l'homme, il supprime le principe naturel
du droit et du devoir ; Qu’il est une violation flagrante du dogme
républicain : « Liberté-Egalité-Fraternité ;
« Considérant
que si des mesures effectives ne suivaient pas de très près la
proclamation déjà faite du principe de l'abolition, il en pourrait
résulter dans les colonies les plus déplorables désordres ;
« Décrète :
« Article Ier. – L'esclavage
sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions
françaises, deux mois après la promulgation du présent décret dans
chacune d'elles. A partir de la promulgation du présent décret dans les
colonies, tout châtiment corporel, toute vente de personnes non libres,
seront interdits.
« Article 2. – Le système d'engagement à temps établi au Sénégal est supprimé.
« Article
3. – Les gouverneurs ou Commissaires généraux de la République sont
chargés d'appliquer l'ensemble des mesures propres à assurer la liberté à
la Martinique, à la Guadeloupe et dépendances, à l'île de la Réunion, à
la Guyane, au Sénégal et autres établissements français de la côte
occidentale d'Afrique, à l'île Mayotte et Dépendances et en Algérie.
« Article
4. – Sont amnistiés les anciens esclaves condamnés à des peines
afflictives ou correctionnelles pour des faits qui, imputés à des hommes
libres, n'auraient point entraîné ce châtiment. Sont rappelés les
individus déportés par mesure administrative.
« Article 5. – L'Assemblée Nationale règlera la quotité de l'indemnité qui devra être accordée aux colons.
« Article 6. – Les colonies purifiées de la servitude et les possessions de l'Inde seront représentées à l'Assemblée Nationale.
« Article
7. – Le principe ‘que le sol de la France affranchit l'esclave qui le
touche’ est appliqué aux colonies et possessions de la République.
« Article
8. – A l'avenir, même en pays étranger, il est interdit à tout français
de posséder, d'acheter ou de vendre des esclaves, et de participer,
soit directement, soit indirectement, à tout trafic ou exploitation de
ce genre. Toute infraction à ces dispositions entraînerait la perte de
la qualité de citoyen français.
« Néanmoins,
les Français qui se trouveront atteints par ces prohibitions, au moment
de la promulgation du présent décret, auront un délai de trois ans pour
s'y conformer. Ceux qui deviendront possesseurs d'esclaves en pays
étranger, par héritage, don ou mariage, devront, sous la même peine, les
affranchir ou les aliéner dans le même délai à partir du jour où leur
possession aura commencé.
« Article 9. – Le
Ministre de la Marine et des Colonies et le Ministre de la Guerre sont
chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret.
« Fait à Paris, en conseil de gouvernement, le 27 avril I848 ».
Signé :
Les membres du Gouvernement provisoire : Dupont de l’Eure, Lamartine,
Crémieux, Garnier-Pagès, Marrast, Blanc, Albert, Flocon, Ledru-Rollin,
Arago, Marie. Le Secrétaire général du Gouvernement provisoire :
Pagnerre.
B – La loi du 30 avril 1849
Les
modalités de l’indemnisation, dont le principe a été posé par l’article
5 du décret 27 avril 1848 ont été débattues lors de trois séances de
l’Assemblée nationale (19 janvier, 23 et 30 avril 1849). L’opinion
dominante a été bien exprimée par le ministre des Finances, Passy, tout à
fait en continuité avec Schœlcher :
«
Je n’ai pas à m’occuper de la question de savoir en vertu de quel droit
l’indemnité est donnée aux anciens propriétaires. […] Ce qu’il faut,
c’est la restauration du crédit qui leur manque. Voilà la première des
nécessités coloniales à laquelle il faut pourvoir. C’est le crédit qui,
seul, rendra aux colonies la vie, l’activité, le mouvement dont elles
ont besoin ».
Le
fondement de l’indemnisation n’a aucun rapport avec le droit. Il est
économique, à savoir l’apport de liquidités pour assurer le
développement de l’activité.
Sur place, c’était exactement la même tonalité. Dans la Gazette officielle de la Guadeloupe du
31 mai 1848, le gouverneur Layrle a publié un texte pour dire que
l’esclavage est aboli, et à l’article 2, il rappelle l’« indemnité
légitimement due aux propriétaires ». A ce texte, était jointe une
proclamation du gouverneur qui demandait aux affranchis de « s’élever
par le travail » pour « rendre le pays plus riche », annonçait un plan
de répression sévère pour tout manquement, et concluait :
« Tous
mes soins, tous mes efforts seront consacrés désormais à obtenir pour
les maîtres une légitime indemnité. Vive la République ».
Le
principe posé par l’article 5 du décret 27 avril 1848 a été mis en
œuvre par la loi n° 285 du 30 avril 1849, suivie du décret d’application
n° 29 du 24 novembre 1849 relatif à la répartition de l’indemnité
coloniale.
Ces
textes ont institué un système à double détente, avec une première
indemnisation immédiate du propriétaire, soit une enveloppe globale de 6
millions de francs, et une rente annuelle de 6 millions de francs sur
20 ans, soit au total 120 millions de francs, inscrits sur le grand
livre de la dette publique. Une partie des fonds devait transiter par
des banques coloniales, qui ont ensuite joué un rôle majeur dans la
confortation de l’ordre établi (A.
Duchesne, Histoire des finances coloniales de la France, Payot, 1938 ;
Y.-E. Amaïzo, Naissance d’une banque dans la zone franc 1848-1901 :
Priorité aux propriétaires d’esclaves, L’Harmattan, 2008 ; A. Girault,
Principes de colonisation et de législation coloniale, 1895, Larose).
Au final, ont été affranchis 248 010 esclaves. Leur valeur marchande, fixée réglementairement, était variable :
- prix d’un esclave de la Martinique : 425, 34 F
- prix d’un esclave de la Guadeloupe : 469,53 F
- prix d’un esclave de la Guyane : 624,66 F
- prix d’un esclave de la Réunion : 711,59 F
S’agissant de la Guadeloupe, 87 087
esclaves ont été affranchis et l’indemnisation s’est élevée à 1 947
164,85 F pour la compensation immédiate, et 38 943 296,00 F pour la
rente, soit un total de 40 890 461,00 F.
Pendant ce temps, l’indemnisation versée aux esclaves était de zéro franc, zéro centime.
III – Analyse
L’abolition
de 1848 a ainsi marqué les débuts de la deuxième colonisation. L’heure
était celle du grand empire colonial qui allait être la politique du
Second Empire et la Troisième République : Afrique du Nord – l'Algérie
est conquise en 1830 – puis l'Afrique Noire, l'Indochine, le Tonkin, et
ensuite Madagascar...
A
ce titre, le modèle colonial esclavagiste des Antilles était
économiquement dépassé alors que les enjeux étaient la conquête
d’immenses territoires. Dans ce plan de développement de la métropole,
un salarié peu rémunéré serait plus dépendant et plus rentable qu’un
esclave, aussi les colonisateurs poussèrent la fourberie jusqu’à
argumenter sur le caractère libérateur et émancipateur de la
colonisation, comme moyen économique d’abolir l'esclavage. L’Eglise, peu
regardante, était à nouveau disponible pour jouer le jeu de ce progrès
civilisationnel… Pour compléter le tableau, les betteraviers de
métropole, concurrents de la canne à sucre, contestaient les aides
apportées aux colonies esclavagistes. Enfin, l’Angleterre avait aboli
l'esclavage depuis quinze ans, suivie par d’anciennes colonies
espagnoles, et il fallait rompre avec ce système archaïque.
L’abolition
de l'esclavage, présentée comme une mesure de rétablissement citoyen, a
eu ainsi en fait pour objectif la pérennisation d’un système de
domination, entre les descendants des colons et ceux des esclaves.
C’est
dans ce contexte que l'abolition, adoptée par des lois spéciales, et
non par la transposition du droit des départements, a combiné
l’indemnisation des maîtres, le refus de l’indemnisation des esclaves,
et celui d’une réforme agraire. Ainsi, les anciens colons ont été
confortés par le versement des subventions, alors que les anciens
esclaves devenaient leurs salariés précaires, condamnés de facto à travailler sur les plantations des maîtres.
Par
la suite, le sucre de canne des colonies françaises a perdu sa place
prépondérante, mais la canne à sucre a été remplacée par la banane et
l'ananas, tout en gardant le modèle de cette agriculture reposant sur la
propriété de quelques-uns, et tournée vers l’exportation, en rupture
avec les bases du développement durable.
La
départementalisation a été réintroduite en 1946, accompagnée d’un plan
d’embauche de colonisés par les institutions françaises pour pérenniser
le système, et bloquer les revendications d’indépendance, alors que
l’Angleterre dans le même temps devait admettre celle de ses anciennes
possessions aux Antilles : Barbade, Jamaïque, Sainte Lucie, la
Dominique…
La
production agricole et le tissu rural guadeloupéens restent marqués par
le passé colonial, quoique des réformes foncières multiples, entre 1957
et 1981, aient permis de créer des exploitations de taille relativement
importante, via les groupements fonciers agricoles.
L’étape
impériale du colonialisme français est née, non seulement du
développement de l’appareil industriel et financier, mais également de
l’éclosion de valeurs portées par le mouvement abolitionniste. La fin du
colonialisme sans la décolonisation effective – politique, économique,
sociale et culturelle – a conduit à une pseudo-indépendance, formatée
pour préserver un néocolonialisme durable. La seule réponse devait être
la restitution des terres et les compensations financières. Ce qui n’a
pas été fait à l’époque doit l’être aujourd’hui (A Césaire, Cahier
d’un retour au pays natal, Présence africaine, 1993 ; Fr. Fanon, Les
damnés de la terre, Gallimard, 1991, Rééd. Folio. Actuel ; E. Glissant,
Le discours antillais, Seuil, 1981 ; Y. Benoit, La modernité de
l’esclavage : essai sur la servitude au cœur du capitalisme, La
Découverte, 2003 ; J. Breteau, Des chaînes à la liberté : choix de
textes français sur les traites négrières et l’esclavage de 1615 à 1848,
Apogée, 1998).
"Tous mes soins, tous mes efforts seront consacrés désormais
à obtenir pour les maîtres une légitime indemnité"
"Vive la République"
Chap. 6 – Un état du droit unanime
Chap. 6 – Un état du droit unanime
I – Droit international
Le droit international applicable résulte d’abord d’un ensemble de textes, tous convergents :
- Convention de la SDN, 25 septembre 1926 relative à l’esclavage, ratifiée par la France le 28 mars 1931 ;
- Convention 29 de l’OIT du 28 juin 1930 sur le travail forcé ratifiée par la France le 24 juin 1937 ;
- Convention approuvée par l’assemblée générale de l’ONU le 2 décembre 1949 pour
la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la
prostitution d’autrui ratifiée par la France le 19 novembre 1960 ;
- Convention supplémentaire du 7 septembre 1956 relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage ;
- Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée du 15 novembre 2000, complétée par le
protocole « de Palerme » visant à prémunir, réprimer et punir la traite
des personnes, en particulier des femmes et des enfants, et le
protocole contre le trafic illicite de migrants ;
- Convention du Conseil de l’Europe adoptée à Varsovie le 16 mai 2005 sur la lutte contre la traite des êtres humains, ratifiée par la France le 9 janvier 2008 ;
- Statut de la CPI, 2002, art. 7
La
jurisprudence, abondante, est constante dans la qualification et les
conséquences juridiques à en tirer. Toutes les grandes juridictions
internationales se sont prononcées, et notamment :
- Tribunal militaire de Nuremberg, United States v. Oswald Pohl, 3 novembre 1947 ;
- CEDH, Siliadin, 26 juillet 2005, n° 73316/01 ; 7 janvier 2010, Rantsev c. Chypre et Russie, n° 25965/04 ; Van der Mussele c. Belgique, 23 novembre 1983, n° 8919/80;
- TPIY, Kunarac, 22 février 2001et 12 juin 2002 ; TPIY, Krnojelac, 15 mars 2002 ;
- CPI, Katanga, 26 septembre 2008 ;
- Cour de justice de la CEDEAO, Hadijatou Mani Koraou c. Niger, 27 octobre 2008.
La Cour interaméricaine des droits dans une affaire jugée le 10 septembre 1993 (CIDH, Aloeboetoe et al., C n° 15.I/A) a
adopté un raisonnement parfaitement clair, et transposable. Un traité
conclu par les Pays-Bas avec une tribu du Surinam en 1762 et prévoyant
entre autres la capture par cette tribu, des esclaves qui se seraient
échappés, leur renvoi au gouverneur du Surinam moyennant payement d’une
somme de 10 à 50 florins par tête, ou la vente à ce dernier – comme
esclaves – de leurs prisonniers, est nul et non avenu en ce qu’il
contrevient aux normes de jus cogens. Aucun traité de cette nature ne peut être invoqué devant une juridiction.
II – Droit européen
La référence de texte est l’article 4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, aux termes duquel :
« 1. Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude.
« 2. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire ».
La
CEDH rappelle que ce texte « consacre l’une des valeurs fondamentales
des sociétés démocratiques », et qu’il ne souffre d’aucune dérogation,
même en cas de guerre (Siliadin, § 112). Sur le fondement de
l’article 4, l’Etat peut aussi bien être tenu responsable de ses
agissements directs que de ses défaillances à protéger efficacement les
victimes d’esclavage, de servitude, de travail obligatoire ou forcé au
titre de ses obligations positives (Siliadin, §§ 89 et 112 ; Rantsev, §§ 284-288).
Le
travail forcé ou obligatoire désigne un travail exigé « sous la menace
d’une peine quelconque » et contre la volonté de l’intéressé (Van der Mussele c. Belgique, § 32 ; Siliadin § 116). C’est d’ailleurs la formule de l’article 2 § 1 de la Convention n° 29 sur le travail forcé de 1930 de l’OIT.
Les Etats doivent mettre en place un cadre législatif et administratif interdisant et réprimant le travail forcé et l’esclavage (Siliadin, §§ 89 et 112 ; Rantsev, § 285).
Il
faut noter, hélas, qu’à deux reprises, la France a été condamnée par la
CEDH au motif que les juges internes avaient méconnu la qualification
d’esclavage (CEDH, Siliadin c. France ; CEDH, C.N. et V. c. France, 11 octobre 2012, n° 67724/09).
III – Droit interne
La loi n° 2013-711 du 5 août 2013 a précisé ou redéfini plusieurs infractions pénales :
- traite des êtres humains, article 225-4-1 ;
- travail forcé, article 225-14-1 ;
- réduction en servitude, article 225-14-2 ;
- réduction en esclavage, article 224-1 A, et exploitation d’une personne réduite en esclavage, article 224-1 B.
IV – Un processus d’indemnisation
Depuis
une décennie, la question de la « réparation » a été posée de manière
itérative, le plus souvent limitée à une demande d’indemnisation.
A – Démarches interétatiques
Le
plus grand nombre de réclamations se présentent sous une forme
interétatique. On peut citer les négociations entre le Caricom, un
organe de coopération interétatique de la région des Caraïbes regroupant
des Etats anglophones, le Surinam, et Haïti et les anciennes puissances
coloniales, aux fins d’indemnisation. Le Premier ministre
d'Antigua-et-Barbuda, explique :
« L'esclavage
et le colonialisme dans les Caraïbes ont très durement altéré nos
options de développement. Les nations européennes qui se sont consacrées
à la conquête, la colonisation, au génocide et à l'esclavage doivent
fournir les moyens requis pour réparer l'héritage actuel de leurs
dommages historiques ».
Dans
la foulée, une commission des réparations réunissant universitaires,
économistes et avocats des Etats membres a été mise sur pied, l’action
étant fondée sur la Tort Law.
En
septembre 2008, un traité d’amitié et de coopération a été signé à
Benghazi entre la Libye et l’Italie, prévoyant un dédommagement de 5
milliards de dollars pour la période de colonisation italienne, de 1911 à
1942.
En
1825, la France avait négocié sa reconnaissance de l'indépendance
d'Haïti contre le paiement d’une indemnité de 90 millions francs or. Ce
paiement a étranglé économiquement la jeune république. En 2004, le
président d'Haïti Jean-Bertrand Aristide avait réclamé 21 milliards de
dollars à la France en remboursement, mais a suivi un coup d’Etat, et la
demande est restée lettre morte.
B – Une pratique générale
L’Allemagne
démocratique a versé de nombreuses indemnités pour les crimes commis
par les nazis, sur une base collective – 60 milliards de dollars à
l’Etat d’Israël – ou individuelle – 2 566 euros aux 80 000 victimes
juives identifiées en Europe orientale et dans l’ex-Union Soviétique.
L’Irak a supporté le remboursement de toutes les conséquences de son invasion militaire du Koweït.
En
juin 2012, la Grande-Bretagne a dû présenter ses «regrets» et
indemniser à hauteur de 23,6 millions d'euros les descendants et les
rares survivants des 5.000 rebelles Mau Mau, torturés et exterminés par
les troupes britanniques au Kenya entre 1952 et 1960.
Chap. 7 – Le maintien des bases coloniales de l’économie
Chap. 7 – Le maintien des bases coloniales de l’économie
Le
déni français est établi par l’absence de toute politique de remise en
état (I), l’instrumentalisation de la loi factice de 2001 (II) et le
refus obstiné des autorités étatiques (III).
I – L’absence de toute politique de remise en état
La situation en Guadeloupe montre que rien n’a été fait pour remettre en état. Toute forme de réparation est rejetée par principe, et l’Etat a poursuivi avec méthode sa politique, à savoir s’adapter toujours aux données de fait pour maintenir un régime d’exploitation :
- c’est du fait de son intérêt économique que l’esclavage a été encadré par la loi, spécialement par le Code noir ;
- l’abrogation de 1794 a été totalement insincère, trouvée comme une parade pour rétablir une force militaire capable de maintenir la présence française à Saint-Domingue ;
- la loi et le décret consulaire de 1802 ont voulu tirer profit du retour des Antilles dans l’Etat français et du développement de la marine ;
- l’abrogation de 1848 visait à éviter des révoltes qui allaient faire perdre les Antilles et à donner un motif « humaniste » à la colonisation, à savoir mettre fin à l’esclavage ;
- l’indemnisation des anciens maîtres et le refus de toute indemnisation des nouveaux libres confortaient la puissance économique de ceux qui restaient des maîtres et contraignaient les anciens esclaves au statut de salariés précaires, devant travailler pour leur survie, ce qui a figé pour des décennies l’économie d’exploitation ;
- en 1946, la départementalisation et les plans d’emplois de colonisés par les institutions françaises ont eu pour but de bloquer le risque d’indépendance, alors que les anciennes colonies britanniques aux Caraïbes accédaient toutes à l’indépendance ;
- à ce jour, les grandes propriétés agricoles restent à la descendance des anciens maîtres esclavagistes, pourtant incapables de justifier d’un titre valable.
Le PNB par habitant reste deux fois moindre en Guadeloupe qu’en France métropolitaine. 2013, la Guadeloupe connait un taux de chômage de 26 %, suivi de la Martinique 22,8 % et de la Guyane, 21,3 % alors que le taux de la France métropolitaine est de 10,5 % en 2013. Les 15-24 ans sont les plus touchés (59,8 %) ainsi que les femmes (28,4 %).
Dans le protocole mettant fin à l’important mouvement social de 2009, les parties – dont l’Etat – ont reconnu que l’économie de la Guadeloupe restait sinistrée par la persistance d’un modèle de développement de type colonial.
II – L’instrumentation de la loi factice de 2001 A – Le texte de la loi
Si l’on en croit le discours officiel, la réponse aux légitimes demandes des descendants d’esclaves a été la loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité. Précédé d’un exposé des motifs qui se veut grandiose mais qui n’est que grandiloquent, la loi dispose :
« Art. 1er. – La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique et l'esclavage, perpétrés à partir du xve siècle par les puissances européennes contre les populations africaines déportées en Europe, aux Amériques et dans l'océan Indien, constituent un crime contre l'humanité.
« Art. 2. – Les manuels scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la plus longue et la plus massive déportation de l'histoire de l'humanité la place conséquente qu'elle mérite. La coopération qui permettra de mettre en articulation les archives écrites disponibles en Europe avec les sources orales et les connaissances archéologiques accumulées en Afrique, dans les Amériques, aux Caraïbes et dans tous les autres territoires ayant connu l'esclavage sera encouragée et favorisée.
« Art. 3. – Une requête en reconnaissance de la traite négrière transatlantique ainsi que de la traite dans l'océan Indien et de l'esclavage comme crime contre l'humanité sera introduite auprès du Conseil de l'Europe, des organisations internationales et de l'Organisation des Nations unies. Cette requête visera également la recherche d'une date commune au plan international pour commémorer l'abolition de la traite négrière et de l'esclavage, sans préjudice des dates commémoratives propres à chacun des départements d'outre-mer ».
B – Une duperie
La loi de 2001 s’inscrit dans cette logique de protestations minimalistes permettant au système de perdurer.
L’absence de volonté politique a vite été mise en évidence. Lors de la Conférence mondiale de Durban, en août-septembre 2001, organisée par les Nations Unies, le représentant français n’a pas pris la parole pour défendre cette reconnaissance de la traite négrière transatlantique, alors que le débat avait été porté sur ce terrain par plusieurs Etats du Sud.
Depuis, la démonstration a été faite que cette loi était dénuée de force normative, et les parlementaires, qui continuent de la glorifier, n’ont apporté aucun démenti à cet arrêt de la Cour de cassation du 5 février 2013 :
« Si la loi du 21 mai 2001 tend à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l'humanité, une telle disposition législative, ayant pour seul objet de reconnaître une infraction de cette nature, ne saurait être revêtue de la portée normative attachée à la loi et caractériser l'un des éléments constitutifs du délit d'apologie » (Cass. Criminelle, 5 février 2013, n° 11-85909, Publié ; voir aussi : Conseil d’Etat, 26 octobre 2005, n° 281273).
III – Le refus obstiné des autorités étatiques
Le 10 mai 2013, lors de la journée nationale de « commémoration » de la traite de l’esclavage, le président de la République a refusé l’idée de réparation. L’argument est particulièrement faible, alors que la demande principale est une remise en état, l’indemnisation ne pouvant être que complémentaire. Maints grands crimes contre l’humanité ont donné lieu à des compensations financières, et que surtout cette compensation financière n’est qu’un succédané quand la remise en état est impossible. La redistribution des terres est de droit dès lors que cette possession est illicite dès l’origine, et ne s’est maintenue que par la violence.
Il a fallu attendre le début des années 2010 pour mettre fin à l’inique bail à colonat, contrat qui prévoyait un paiement de la location sous forme d’un partage de la production (75% planteur – 25% propriétaire) et l’implication du propriétaire dans les choix culturaux. Dans un premier temps, la loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d’orientation agricole a rendu impossible la conclusion de nouveaux baux à colonat paritaire outre-mer, puis la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche a mis fin le 27 janvier 2011 à tous les baux à colonat partiaire, automatiquement convertis en bail à ferme. Le gouvernement a communiqué sur cette belle évolution qui « tournait une page de l’histoire agricole en outre-mer et inscrivit les relations locataires-propriétaire dans le cadre général, mais en pratique, la loi s’est empressée de transformer d’office ce contrat en bail rural, pour éviter tout débat sur la propriété.
En fait, l’Etat français reconnait avoir commis un crime contre l’humanité dont les populations vivant en Guadeloupe ont été victimes, et reconnait aussi que l’économie reste minée par ce modèle d’exploitation, mais il ne propose comme réponse que des discours, une loi factice, des commissions diverses et variées, et un musée.
I – L’absence de toute politique de remise en état
La situation en Guadeloupe montre que rien n’a été fait pour remettre en état. Toute forme de réparation est rejetée par principe, et l’Etat a poursuivi avec méthode sa politique, à savoir s’adapter toujours aux données de fait pour maintenir un régime d’exploitation :
- c’est du fait de son intérêt économique que l’esclavage a été encadré par la loi, spécialement par le Code noir ;
- l’abrogation de 1794 a été totalement insincère, trouvée comme une parade pour rétablir une force militaire capable de maintenir la présence française à Saint-Domingue ;
- la loi et le décret consulaire de 1802 ont voulu tirer profit du retour des Antilles dans l’Etat français et du développement de la marine ;
- l’abrogation de 1848 visait à éviter des révoltes qui allaient faire perdre les Antilles et à donner un motif « humaniste » à la colonisation, à savoir mettre fin à l’esclavage ;
- l’indemnisation des anciens maîtres et le refus de toute indemnisation des nouveaux libres confortaient la puissance économique de ceux qui restaient des maîtres et contraignaient les anciens esclaves au statut de salariés précaires, devant travailler pour leur survie, ce qui a figé pour des décennies l’économie d’exploitation ;
- en 1946, la départementalisation et les plans d’emplois de colonisés par les institutions françaises ont eu pour but de bloquer le risque d’indépendance, alors que les anciennes colonies britanniques aux Caraïbes accédaient toutes à l’indépendance ;
- à ce jour, les grandes propriétés agricoles restent à la descendance des anciens maîtres esclavagistes, pourtant incapables de justifier d’un titre valable.
Le PNB par habitant reste deux fois moindre en Guadeloupe qu’en France métropolitaine. 2013, la Guadeloupe connait un taux de chômage de 26 %, suivi de la Martinique 22,8 % et de la Guyane, 21,3 % alors que le taux de la France métropolitaine est de 10,5 % en 2013. Les 15-24 ans sont les plus touchés (59,8 %) ainsi que les femmes (28,4 %).
Dans le protocole mettant fin à l’important mouvement social de 2009, les parties – dont l’Etat – ont reconnu que l’économie de la Guadeloupe restait sinistrée par la persistance d’un modèle de développement de type colonial.
II – L’instrumentation de la loi factice de 2001 A – Le texte de la loi
Si l’on en croit le discours officiel, la réponse aux légitimes demandes des descendants d’esclaves a été la loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité. Précédé d’un exposé des motifs qui se veut grandiose mais qui n’est que grandiloquent, la loi dispose :
« Art. 1er. – La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique et l'esclavage, perpétrés à partir du xve siècle par les puissances européennes contre les populations africaines déportées en Europe, aux Amériques et dans l'océan Indien, constituent un crime contre l'humanité.
« Art. 2. – Les manuels scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la plus longue et la plus massive déportation de l'histoire de l'humanité la place conséquente qu'elle mérite. La coopération qui permettra de mettre en articulation les archives écrites disponibles en Europe avec les sources orales et les connaissances archéologiques accumulées en Afrique, dans les Amériques, aux Caraïbes et dans tous les autres territoires ayant connu l'esclavage sera encouragée et favorisée.
« Art. 3. – Une requête en reconnaissance de la traite négrière transatlantique ainsi que de la traite dans l'océan Indien et de l'esclavage comme crime contre l'humanité sera introduite auprès du Conseil de l'Europe, des organisations internationales et de l'Organisation des Nations unies. Cette requête visera également la recherche d'une date commune au plan international pour commémorer l'abolition de la traite négrière et de l'esclavage, sans préjudice des dates commémoratives propres à chacun des départements d'outre-mer ».
B – Une duperie
La loi de 2001 s’inscrit dans cette logique de protestations minimalistes permettant au système de perdurer.
L’absence de volonté politique a vite été mise en évidence. Lors de la Conférence mondiale de Durban, en août-septembre 2001, organisée par les Nations Unies, le représentant français n’a pas pris la parole pour défendre cette reconnaissance de la traite négrière transatlantique, alors que le débat avait été porté sur ce terrain par plusieurs Etats du Sud.
Depuis, la démonstration a été faite que cette loi était dénuée de force normative, et les parlementaires, qui continuent de la glorifier, n’ont apporté aucun démenti à cet arrêt de la Cour de cassation du 5 février 2013 :
« Si la loi du 21 mai 2001 tend à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l'humanité, une telle disposition législative, ayant pour seul objet de reconnaître une infraction de cette nature, ne saurait être revêtue de la portée normative attachée à la loi et caractériser l'un des éléments constitutifs du délit d'apologie » (Cass. Criminelle, 5 février 2013, n° 11-85909, Publié ; voir aussi : Conseil d’Etat, 26 octobre 2005, n° 281273).
III – Le refus obstiné des autorités étatiques
Le 10 mai 2013, lors de la journée nationale de « commémoration » de la traite de l’esclavage, le président de la République a refusé l’idée de réparation. L’argument est particulièrement faible, alors que la demande principale est une remise en état, l’indemnisation ne pouvant être que complémentaire. Maints grands crimes contre l’humanité ont donné lieu à des compensations financières, et que surtout cette compensation financière n’est qu’un succédané quand la remise en état est impossible. La redistribution des terres est de droit dès lors que cette possession est illicite dès l’origine, et ne s’est maintenue que par la violence.
Il a fallu attendre le début des années 2010 pour mettre fin à l’inique bail à colonat, contrat qui prévoyait un paiement de la location sous forme d’un partage de la production (75% planteur – 25% propriétaire) et l’implication du propriétaire dans les choix culturaux. Dans un premier temps, la loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d’orientation agricole a rendu impossible la conclusion de nouveaux baux à colonat paritaire outre-mer, puis la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche a mis fin le 27 janvier 2011 à tous les baux à colonat partiaire, automatiquement convertis en bail à ferme. Le gouvernement a communiqué sur cette belle évolution qui « tournait une page de l’histoire agricole en outre-mer et inscrivit les relations locataires-propriétaire dans le cadre général, mais en pratique, la loi s’est empressée de transformer d’office ce contrat en bail rural, pour éviter tout débat sur la propriété.
En fait, l’Etat français reconnait avoir commis un crime contre l’humanité dont les populations vivant en Guadeloupe ont été victimes, et reconnait aussi que l’économie reste minée par ce modèle d’exploitation, mais il ne propose comme réponse que des discours, une loi factice, des commissions diverses et variées, et un musée.
Chap. 8. Esclavagisme : La responsabilité de l’Etat français
Chap. 8. Esclavagisme : La responsabilité de l’Etat français
En Guadeloupe, depuis 1635, l’ensemble des droits fondamentaux sont victimes de violations systématiques et de grande ampleur (I). Depuis le premier jour, l’Etat organise et protège ces faits (II).I – Des violations des règles universelles et les plus anciennes du droit
A – Un déni des règles les plus établies du droit
Indépendamment de sa dimension conceptuelle, qui bafoue l’idée d’humanité à travers la revendication d’une race blanche supérieure , parfaitement revendiqué par Jules Ferry, l’esclavage se manifeste par des violences corporelles, des meurtres, des menaces de mort, des viols, des vols, des atteintes à l’intimité de la vie privée, faits qui ont toujours été des crimes selon le droit français (La contribution de la Cour de cassation à l’émancipation des esclaves, Les Annonces de la Seine, n° 45, 18 juillet 2013).
Le droit interne de l’époque n’accordait aucun statut à l’esclavage, et avait même rompu avec le servage. Le Pape, devant les ravages humains, avait par sa lettre Veritas ipsa, du 2 juin 1537, confirmé cette prohibition de l’esclavage qui considère des êtres humains comme des biens. Il n’y avait aucun doute sur l’illégalité criminelle de ces faits, et leurs auteurs en étaient parfaitement conscients. Cette illégalité, à grande échelle, était la base irremplaçable de l’économie colonialiste, et les colons esclavagistes ne cessaient de demander un statut légiféré à l’esclavage pour couvrir les crimes qu’ils commettaient, statut qu’ils ont obtenu en mars 1685, avec Le Code noir, après le rattachement à la Couronne en 1674.
B – Une légalité d’apparence
Les colons ont cherché à se donner une apparence de légalité, qui s’analyse en trois volets.
1/ Une administration locale fantoche
Les colons ont créé sur place une sorte d’administration factice, dont les figures centrales étaient le gouverneur et le « tribunal souverain de la Guadeloupe ». Mais le gouverneur n’était en fait que le chef des malfaiteurs, dénué de la moindre légalité. Quant au sinistre « tribunal souverain de la Guadeloupe », il a par ses arrêts de règlements, a fait régner la terreur dans la vie quotidienne, accordant aux colons un permis de tuer « les nègres », et a régi en toute tranquillité d’esprit les ventes d’esclaves.
2/ De pseudo documents de propriété
Les « gouverneurs », qui étaient les administrateurs de la Compagnie des Iles, ont profité des difficultés économiques de cette société pour vendre les iles à eux-mêmes, à titre personnel, par des ventes privées, passées chez un notaire à Paris. Or, ces terres relevant de l’inaliénable souveraineté du peuple Kalina ne pouvaient être vendues, et en toute hypothèse, la Compagnie des Iles pouvait vendre des biens qui ne lui appartenaient pas car elle les avait acquis par le moyen de crimes de masse.
3/ Un illusoire traité de paix
Alors que les Kalinas avaient été exterminés en Martinique et qu’ils étaient en passe de l’être en Guadeloupe, le gouverneur Houël a eu l’idée de concocter un soi-disant « traité de paix ». Ce document est signé à Basse-Terre, le 31 mars 1660, est dénué de toute valeur. C’est un acte de droit privé, alors que seul pouvait s’appliquer en Guadeloupe le droit Kalinago public. L’acte a été signé par des religieux agissant comme intermédiaires non mandatés, les Kalinas étant qualifiés de « sauvages », sans personnalité juridique. En toute hypothèse, l’alternative était pour les Kalinas soit une mort annoncée ou la relégation sur La Dominique, et le gouverneur Houël a utilisé ces dramatiques circonstances avec cynisme, pour donner une apparence légale à ses crimes.
II – Un système organisé et protégé par l’Etat français
A – La colonisation et l’esclavagisme
Pendant la première période, de 1626 à 1674, qui a été la plus sanglante, l’autorité publique a joué un rôle éminemment détestable. En effet, la royauté a laissé faire « le sale boulot » par des compagnies qui n’étaient en réalité que de milices de tueurs, autorisées par la royauté à se payer par le butin. La royauté a laissé ces milices procéder au génocide des Kalinas, à l’appropriation des terres, et à la mise en place de l’esclavagisme. La Royauté a également laissé passer les ventes de 1644/1645 pour ensuite réintégrer les iles de la Guadeloupe et de la Martinique dans le domaine de la Couronne, comme si ces ventes avaient pu purger les vices. Et par la suite, en toute tranquillité, la Révolution en 1790 a requalifié le domaine de la Couronne en domaine de la Nation.
Un vrai tour de passe-passe, laissant à la conquête et les massacres à des acteurs privés, alors qu’à tout moment la puissance publique pouvait reconnaître l’illégalité de la situation et en tirer les conséquences de droit. Ainsi lorsqu’en 1660, le tribunal local de Guadeloupe, défendant les colons assassins et voleurs, institue par un arrêt de règlement que les colons peuvent tuer les « nègres » sans que leur responsabilité pénale puisse être recherchée, les autorités publiques françaises sont parfaitement informées, et approuvaient par leur silence (La contribution de la Cour de cassation à l’émancipation des esclaves, Les Annonces de la Seine, n° 45, 18 juillet 2013).
B – L’abolition
Pendant la seconde phase, celle de l’abolition, l’Etat a joué une carte vicieuse… et tellement intéressée. Les abolitionnistes ont mis en avant de nobles discours, alors qu’il s’agissait de sauver un modèle économique en faillite, et d’écarter une insurrection des esclaves qui, elle, aurait été libératoire.
Pour Victor Schœlcher : « Les Nègres allaient prendre la liberté eux-mêmes si la métropole ne la leur donnait pas. Tout délai eut porté les Nègres à la révolte… Le gouvernement provisoire n’a pas été imprévoyant. Il s’est rendu compte de tout, il a agi avec un louable empressement, mais sans légèreté, et c’est pour sauver les maîtres qu’il a émancipé les esclaves ». Et il rassurait les anciens maîtres esclavagistes en expliquant que fait de l’appât de la rémunération, « les Nègres ne manqueront pas aux champs de canne ».
On entend en écho le Jules Ferry du 28 juillet 1885 que les races supérieures ont un droit vis à vis des races inférieures, à savoir les civiliser. Le ministre des finances de 1848 a été encore plus trivial en expliquant que l’indemnisation ne répondait pas un principe juridique quelconque, mais juste à la nécessité d’apporter des liquidités pour relancer la domination blanche en Guadeloupe. L’Etat a agi dans son seul intérêt, et avec un mépris total pour les populations, validant la notion de valeur marchande des escales, son but étant la préservation du crime.
C – La pérennité de l’acquis colonial
Le plan de 1848 a parfaitement réussi car à ce jour encore la Guadeloupe reste structurée sur le modèle post-colonial, ce qui est toujours le principal obstacle au développement de la Guadeloupe. Depuis 170 ans, l’Etat a eu pour seul but de maintenir ce modèle économique, et ce régime indu de possession de la terre guadeloupéenne.
Parmi de multiples faits, cinq relevant des dernières décennies doivent être ici rappelés.
- Au cours des années 1950, devant les mouvements sociaux et l’accès à l’indépendance des anciennes colonies britanniques, l’Etat s’est dépêché de mettre de place des plans d’embauche dans les institutions et établissements publics français.
- La répression de mai 1967 est une tuerie, que l’Etat a caché en rendant les archives inaccessibles, espérant interdire tout action en justice des victimes.
- L’abolition du colonat a été gérée dans le seul but de sauver les grandes propriétés des anciens maîtres.
- La loi de 2001, loi dénuée de toute force juridique, est présentée et mise en scène comme une victoire morale de l’Etat français.
- L’ouverture du musée est une réponse illusoire au mouvement de réparation, et vise à la glorification d’une histoire qui ignore le crime français.
L’attitude illégale de l’Etat est d’autant plus fautive que tout a toujours été fait pour organiser l’impunité des colons, et criminaliser la juste contestation. Ces violations, graves et systématiques du droit, sont toutes des infractions pénales, et relèvent de la qualification de crime contre l’humanité.
De telle sorte, l’Etat Français a donné le cadre de la colonisation esclavagiste, pour l’avoir reprise en gestion directe en 1674, après l’épuration ethnique, et pour avoir toujours agi – en 1794, 1802 et 1848 – pour maintenir un ordre de domination, brisant les droits des esclaves et de leurs descendants. Ces illégalités fautives, au sens de l’article 1382 et des principes de la responsabilité publique, engagent la responsabilité car elles ont causé un préjudice considérable.
Un système inique que l’Etat a sauvegardé jusqu’à ce jour : la propriété foncière reste celles des héritiers des maîtres-esclavagistes, et les descendants d’esclaves restent locataires des terres cultivées depuis quatre siècles par leurs familles. Mais il reste une question qui peut faire écrouler ces siècles de violence et d’injustice, à savoir une question prioritaire de constitutionnalité à propos des textes de 1848/1849 qui organisaient l’indemnisation des criminels et plaçaient les victimes dans la plus grande précarité. Ces textes républicains qui indemnisaient les maîtres esclavagistes en fonction de la valeur marchande des esclaves.
Question, donc: les textes de 1848/1849 respectent-ils les principes de dignité et d'égalité ?
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