«Il
est difficile de faire entendre au colon européen qu'il existe d'autres
droits que les siens en pays arabe et que l'indigène n'est pas
taillable et corvéable à merci», lit-on dans un rapport de Jules Ferry
de 1884.
Il se dégage nettement, à la lecture de ce rapport, que le système
colonial n’ait pas pour vocation d’apporter le bonheur ou la sérénité
aux peuples colonisés. Plusieurs événements de l'histoire coloniale
peuvent étayer cette thèse. Pour le cas de l'Algérie, les événements de
mai 1945 sont là pour nous rappeler la domination effrénée des
colonialistes. Toutefois, la participation des colonisés à la chute du
nazisme, lors de la Seconde Guerre mondiale, laisse, quand même,
entrevoir une brèche de liberté.
Néanmoins, malgré un effort de guerre énorme des Algériens, les
autorités coloniales n’épargnent pas leurs familles restées au bled. En
effet, sur 173.000 Algériens ayant pris part à la guerre aux côtés des
Alliés, entre 1943 et 1945, 85.000 sont des engagés. Ainsi, à leur
retour au pays, ceux qui ont participé à la campagne d'Italie, de France
et d'Allemagne constatent amèrement que la situation de leurs
coreligionnaires ne s'est guère améliorée.
Au contraire, la victoire des Alliés revigore le système colonial
abhorré. Et la recommandation parisienne, émise quelques mois plus tôt, a
été la suivante : écraser toute manifestation des «indigènes» voulant
s'affranchir du giron colonial. Or, en ce jour symbole de la liberté,
est-il possible, s'interroge pour sa part Jean-Louis Planche, «d'exalter
la passion nationaliste des uns et refréner celle des autres ?»
Mais, dans les années quarante, le mouvement national tirant
jusque-là à hue et à dia a pu s'entendre sur un programme commun. La
création des AML (Amis du Manifeste et de la Liberté), le 14 mars 1944,
leur a permis de dégager une plateforme commune sous l’égide de l'union
des trois partis nationalistes, à savoir le PPA de Messali Hadj, les
élus ou les partisans de Ferhat Abbas et les Ulémas de Bachir El
Ibrahimi.
En outre, bien que certains courants soient modérés, la revendication
des AML pour un État autonome fédéré à la France, au début de ses
assises, va bientôt être mise au placard au profit de la création d'un
État séparé de la France. Leur combat désormais a pour but de doter le
pays d'une assemblée constituante élue au suffrage universel, et ce, par
tous les habitants de l'Algérie.
Pour ce faire, les AML ont bataillé dur pour faire connaître le
problème algérien aux principales puissances alliées, notamment les USA
et les Britanniques. Ainsi, bien que la France ait décidé de garder les
départements algériens attachés à elle, les nationalistes savaient que
les résolutions des trois précédentes conférences internationales
jouaient en leur faveur. De la conférence de l'Atlantique, du 14 août
1941, proclamant «le droit pour chaque peuple de choisir la forme du
gouvernement sous lequel il doit vivre» à la conférence de San
Francisco soutenant « le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes»,
ainsi que l'engagement de cette dernière à «tenir compte des aspirations
des populations et à les aider dans le développement progressif de
leurs libres institutions politiques», tout concourt pour que les pays
colonisés recouvrent leur liberté à la fin du grand conflit mondial.
Le drapeau qui a coûté des dizaines de milliers de vies humaines
Le drapeau qui a coûté des dizaines de milliers de vies humaines
Une nation ne peut être considérée comme telle que si elle possède
certains critères : son territoire, ses institutions, son emblème, etc.
L'Algérie des années quarante ne possède pas tout ça d'une façon
tangible, mais dans l'esprit des nationalistes, il ne s'agit que d'une
question de temps. Le respect que vouent les Algériens à leur emblème
est la preuve de leur désir de vivre dans une Algérie indépendante.
Ainsi, lorsque le commissaire Lucien Olivieri intime l'ordre, le 8
mai 1945 à Sétif, au porte-drapeau de jeter son emblème, ce dernier
répond instinctivement : «Le drapeau étant sacré, il est impossible de
le remiser une fois sorti.»
Bien que les organisateurs haranguent la foule avant le départ du cortège, pour ces derniers, il ne faudrait pas qu'ils subissent des humiliations, notamment le retrait ou la confiscation du drapeau. Hélas, arrivés à la hauteur du café de France, les manifestants sont arrêtés par le commissaire Olivieri et les inspecteurs Laffont et Haas.
Bien que les organisateurs haranguent la foule avant le départ du cortège, pour ces derniers, il ne faudrait pas qu'ils subissent des humiliations, notamment le retrait ou la confiscation du drapeau. Hélas, arrivés à la hauteur du café de France, les manifestants sont arrêtés par le commissaire Olivieri et les inspecteurs Laffont et Haas.
Ces derniers les somment de jeter le drapeau et les pancartes où les
principaux slogans sont «l'indépendance de l'Algérie et la libération de
Messali». Pour Jean-Louis Planche, c'est à ce moment-là que le
dérapage a lieu. Un des inspecteurs, fou de rage, dégaine son arme. Il
abat le porte-drapeau. La panique saisit ensuite toute la ville.
À Guelma, les militants des AML décalent la célébration de
l'armistice à 17 heures de l'après-midi. Bien que les drapeaux des
alliés soient fortement présents, les manifestants ne cachent pas non
plus le leur. En plus, il ne reste que 500 mètres aux marcheurs pour
déposer la gerbe de fleurs.
Soudain, le sous-préfet André Achiary surgit. «Jetez vos drapeaux et
pancartes», intime-t-il l'ordre aux manifestants. Au refus d'obéissance
à cette injonction, note J.L. Planche, «comme sous un coup de fouet,
Achiary saisit le revolver dont il s'est armé, entre dans la foule droit
sur le porte-drapeau et tire. Son escorte ouvre le feu sur le cortège
qui s'enfuit, découvrant dans son reflux le corps du jeune Boumaza».
Pour conclure, la bataille, menée à mains nues par les Algériens
autour du drapeau, a permis de connaître le vrai visage de la
colonisation. Avec un arsenal de guerre impressionnant, les
colonialistes sont prêts à éteindre toutes les voies appelant à
l'indépendance.
Bien que les Algériens ne soient pas organisés à l'échelle nationale
–jusque-là, c'était des révoltes localisées, à l'exception de celle de
l'Émir Abdelkader –, les animateurs du mouvement national ont pris
conscience de la nécessité impérieuse d'une lutte unifiée.
Enfin, l'enseignement de cette semaine sanglante est le suivant :
face au système violent incarné par le colonisateur, il faudrait
développer une violence plus grande en intensité pour le vaincre. Le
chemin pour la guerre d'Algérie prend ainsi forme à Sétif et à Guelma.
Boubekeur Aït Benali
7 mai 2016
7 mai 2016