Condamnées à perpétuité, certaines figures corses, tel Yvan Colonna, demandent à être incarcérées sur leur île, près de leur famille. Les nationalistes veulent faire de leur sort une «priorité».
Dernier discours, dernier meeting avant le
second tour de scrutin. Debout sur une estrade installée au fond du
chapiteau monté pour l’occasion près de la plage de l’Arinella, à la
sortie de Bastia, Gilles Simeoni durcit le ton et revient aux
fondamentaux. Face à la foule qui fait claquer les bandere (drapeau corse à tête de maure) et reprend en chœur les tubes incontournables de la «lutte de libération nationale»,
le leader de la coalition nationaliste Pè a Corsica scande une série de
noms : Pierre Alessandri, Alain Ferrandi, Yvan Colonna. Condamnés à la
réclusion criminelle à perpétuité pour l’assassinat du préfet Claude
Erignac perpétré le 6 février 1998 à Ajaccio, les trois hommes sont les
derniers membres du «commando» à être toujours détenus. Pour la
justice, ils ont été condamnés pour des actes de terrorisme. Selon les
élus nationalistes, ce sont des «prisonniers politiques» et leur sort est «une priorité». Officiellement, c’est l’amnistie pure et simple de «tous les détenus et recherchés» qui est réclamée par la majorité territoriale, dans le cadre d’une «sortie de crise» négociée politiquement. En coulisse, on parle plutôt de «rapprochement familial», mesure au demeurant prévue par la loi.
«Statut»
Si le cas d’Yvan Colonna est particulier (il clame toujours
son innocence et n’a pas terminé de purger sa peine de sûreté), et que
les quatre autres prisonniers incarcérés sur le continent n’ont pas
encore été jugés, la question se pose symboliquement pour Pierre
Alessandri et Alain Ferrandi. Détenus à la maison centrale de Poissy,
les deux hommes sont en fin de peine et éligibles à une libération
conditionnelle depuis mai. Après plus de dix-huit ans passés derrière
les barreaux loin de leurs familles, ils ne rêvent pas d’amnistie mais
attendent plus prosaïquement un transfert à Borgo. Leurs demandes
répétées se sont jusqu’ici soldées par des fins de non-recevoir. «On nous oppose le problème de leur statut de détenu particulièrement signalé (DPS), peste Me Eric Barbolosi. Mais c’est une excuse. On voit bien que l’on est dans le symbole dès lors qu’on parle de ce dossier.»
De fait, l’an dernier, la commission DPS (instance
réunissant entre autres les représentants de la pénitentiaire, du
préfet, du procureur et des services de police et de gendarmerie) s’est
dite favorable à ce qu’Alain Ferrandi et Pierre Alessandri soient radiés
du répertoire. Le ministre de la Justice a rapidement sifflé la fin de
la récré en s’opposant à la levée des DPS, au motif d’un «risque d’évasion et de trouble à l’ordre public» encore important. Depuis, les discussions se poursuivent, sans que rien ne se concrétise : «On ne nous dit pas "oui", on ne nous dit pas "non", on nous dit que c’est en cours et qu’il faut attendre, poursuit Me Eric Barbolosi. On
sait bien que le verrou est politique. L’administration traîne les
pieds, mais une volonté forte et affirmée permettrait de faire avancer
les choses.»
«En cours»
Lors d’un déplacement
en Corse pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait
donné quelques espoirs aux familles des prisonniers qu’il avait accepté
de rencontrer. Le futur président avait répété qu’il n’y avait «pas de prisonnier politique en France»,
mais s’était dit favorable à une étude au cas par cas des dossiers.
Reçus à plusieurs reprises à Matignon et à la chancellerie, les députés
nationalistes se voient pour l’heure répondre la même chose : «C’est en cours.»
Une rengaine qui fait grincer des dents ceux qui patientent au fond de
leurs cellules et commencent à reprocher à leurs élus de ne pas mouiller
assez le maillot. «Tout le monde dit être favorable au rapprochement, mais rien n’est acté, expliquent à Libération Pierre Alessandri et Alain Ferrandi. Si
rien n’est fait malgré les engagements pris, nous sommes conscients
qu’il faudra attendre de nombreux mois, dans des conditions de plus en
plus difficiles. Des conditions que nous aurions aimé faire constater à
nos députés. Une visite de leur part aurait été un acte symbolique fort,
un acte qui aurait pu peser dans les discussions.» Reste à savoir si la large victoire des nationalistes aux élections territoriales saura faire pencher la balance de leur côté.