PARTI TRAVAILLISTE

KANAKY

mercredi 24 octobre 2018

Refus de participer

Alors que l’armée française défilait dans les rues de Nouméa, le congrès extraordinaire du Parti travailliste de Kanaky (PT) se prononçait, à l’unanimité, le 14 juillet 2018, contre la participation au référendum sur « la pleine souveraineté » de l’île. Explications sur ce positionnement.

La perspective du référendum d’autodétermination fait l’objet de débats depuis la création du parti, en 2007. Dès 2012, les motions que publient le mouvement à l’issu de ses congrès abordent le problème des listes électorales, affirmant qu’il doit être résolu avant le référendum. En 2015, il semble encore possible pour le PT d’intervenir sur la composition des listes, le parti « confirme sa volonté d’asseoir correctement et définitivement le corps électoral spécifique de sortie prévu pour la consultation référendaire [...] et appelle ses responsables et militants à s’engager ou à poursuivre le travail d’inscription, de contrôle, de correction, de radiations de la liste électorale référendaire et de recours ».

Les listes de la discorde

Mais en 2016, le PT semble acter l’impuissance des indépendantistes et prévient : « considérant que le référendum de 2018 concerne en premier lieu le peuple colonisé, le Parti Travailliste déclare que l’inscription automatique et sans condition des kanak de statut coutumier ou non, constitue le préalable à sa participation au Référendum d’Autodétermination de 2018 ». Le 4 octobre 2017, les indépendantistes représentés par Rock Wamytan, estiment, devant la commission de décolonisation de l’ONU, que 23 000 Kanak ne sont inscrits sur aucune liste électorale. Mais le 3 novembre 2017, le Comité des signataires, au sein duquel siègent indépendantistes et non-indépendantistes, s’accorde pour procéder, « de manière exceptionnelle et en raison de la consultation, à l’inscription d’office de 10 922 natifs qui résident de manière certaine en Nouvelle- Calédonie » [1]. On est en deçà des chiffres avancés un mois plus tôt par les indépendantistes, et l’accord prévoie que des non-kanak soient aussi ajoutés à la liste électorale, répondant ainsi aux exigences des non-indépendantistes. Ainsi, Gael Yanno, membre de la délégation loyaliste avait déclaré : « On peut examiner cette demande (d’inscrire automatiquement tous les kanak) à la condition que cette mesure bénéficie à tous les natifs néocalédoniens, Kanak comme non Kanak » (Le Figaro, 03/10/17).
Si depuis 1983, les indépendantistes reconnaissent que d’autres populations, non-kanak, « victimes de l’histoire », ont participé à la construction du pays et ont donc le droit de s’exprimer sur son avenir, il n’a jamais été question d’ouvrir les listes à tous les Calédoniens. Dans ces conditions, pour le Parti travailliste : « c’est tout sauf un référendum d’autodétermination. Il n’est pas question, pour nous, peuple colonisé, de nous associer à ce qui est une farce électorale, quelque chose qui va piéger une fois de plus le peuple kanak. Il y aura autant de non-kanak que de kanak qui vont voter à ce référendum, ce qui est la preuve que ce n’est pas un référendum d’autodétermination », « appeler à ne pas participer, c’est refuser de cautionner ce plan de l’État qui n’a pas respecté son accord avec Jean-Marie Tjibaou. C’est aussi la majorité politique non-indépendantiste qui a fait croire, après la signature de l’accord de Noumea, à un destin commun, à un lendemain meilleur pour tous et au bout du compte on s’aperçoit que le peuple kanak a été de plus en plus largué dans cette société qui a tout fait pour se construire sans le peuple kanak » [2].

Trahison sociale

Le 1er mai 2018, l’Union syndicale des travailleurs kanak et exploités (USTKE), dont le PT est une émanation, marche sous le slogan « trente ans d’accords, toujours plus d’inégalités ». Le syndicat a procédé à un « bilan social des accords ». Le constat est sans appel : les Kanak sont quasi absents de la fonction publique et ce n’est guère mieux dans le privé. Malgré l’usine de nickel dans la région nord (gérée par les indépendantistes), qui a permis d’améliorer l’accès à l’emploi des Kanak, « les inégalités à la formation et à l’emploi se répercutent sur les revenus et le niveau de vie. […] le taux de pauvreté [...] est 2,5 fois plus élevé qu’en France. » [3] Nouméa n’a fêté qu’en 2016 le premier avocat kanak dans l’histoire judiciaire du pays (Nouvelle Calédonie 1ère, 11/08/2016). En 2018, un seul chef d’établissement scolaire sur l’île est kanak.
Pour Rock Haocas, membre du Parti travailliste et représentant de l’USTKE, en tournée à Paris, en juin 2018, « l’accord de Nouméa devait permettre l’embauche des jeunes et c’est le contraire qui s’est passé ». Pour Louis Kotra Uregei, figure du parti, ce bilan constitue « un non-respect des accords dans lesquels on s’est engagé » (Radio Rythme Bleu, 11/10/2018).
Si les jeunes Kanak sont exclus de l’emploi, leur taux d’incarcération s’envole. En septembre 2018, lors du congrès du syndicat USTKE, Mélanie Atapo, première vice-présidente, dénonce « les accords de rééquilibrage social devaient mettre le Kanak au centre du dispositif par le biais des politiques publiques. Trente ans après, c’est un échec ! Les Kanak sont toujours marginalisés ! 99 % de la population carcérale, Lc’est la jeunesse kanak ! »(ustke.org, 07/09/2018). En 2010, le centre pénitentiaire de Nouméa s’était vu décerner « la palme de la prison la plus pourrie de la République » par des parlementaires européens, en 2014, l’Observatoire international des prisons le qualifie de « bagne post-colonial ». En mars 2011, le directeur-adjoint du SPIP déclarait dans une interview qu’il « y a trop de détenus au Camp Est, avec un taux de détention de 40 % supérieur à celui de la métropole » [4].
Faisant écho aux propos d’Hamid Mokaddem (Billets 275, mars 2018), le Parti travailliste semble souhaiter sortir du « dispositif juridique et politique inventé par la France, dans lequel se trouve coincés les représentants du peuple kanak, qui oblige les gens à négocier, notamment par les élections ». Les militants du parti iront donc le 4 novembre « à la pêche ou jouer aux boules ». Ce qui ne les empêchera pas d’ici là de faire campagne [5]. Non pas pour le oui ou pour le non. Mais pour dénoncer le colonialisme, la fausse neutralité de l’État français et exiger un vrai droit à l’autodétermination.

[4Le SPIP est l’acronyme du Service pénitentiaire d’insertion et de probation, le Camp Est est l’unique prison de Nouvelle Calédonie et la citation est reprise dans l’article Nouvelle-Calédonie : Camp-Est, « bagne post colonial », sur le site de l’OIP en mars 2012.
[5Début octobre 2018, le parti travailliste a envoyé un courrier au Haut commissaire de la République et au CSA pour demander à avoir du temps d’antenne pendant la campagne électorale.