POLITIQUE. C’est son premier voyage en
Nouvelle-Calédonie. Déterminé et conscient de ses responsabilités, le
Premier ministre arrive avec la ferme volonté d’aborder les dossiers
essentiels, nickel et référendum. Dans les pas de Michel Rocard et de
Lionel Jospin, il affirme son « envie de réussir ».
ENTRETIEN avec Manuel Valls
Vous
avez été « initié » à la Calédonie par Michel Rocard. Vous
souvenez-vous de la première fois où vous avez entendu parler de cette
terre française du Pacifique ?
Heureusement,
j’ai quelques notions de géographie depuis mon plus jeune âge ! Je sais
depuis longtemps où se trouve la Nouvelle-Calédonie et quelle est son
histoire. Mais sans aucun doute, pour le jeune militant que j’étais au
début des années 80, c’est la nomination du gaulliste Edgar Pisani,
comme haut-commissaire, et surtout, comme tous les Français de ma
génération, les événements tragiques d’Ouvéa qui m’ont vraiment marqué.
Au-delà des dossiers, comment l’homme Manuel Valls appréhende-t-il ce voyage ?
Je
suis très heureux de découvrir ce territoire et d’aller à la rencontre
des Calédoniens, avec un objectif très ambitieux à l’échelle de
l’histoire : préparer l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Et puis, les
sujets ne manquent pas : la consultation pour l’accession à la pleine
souveraineté, les questions électorales, les questions économiques, bien
sûr, avec le nickel. Nous ne pouvons pas attendre 2018 pour commencer à
discuter, à se mettre en mouvement au prétexte qu’il y aurait une
élection présidentielle, puis des élections législatives. Je mesure
parfaitement la responsabilité qui est la mienne. Je serai à l’écoute et
j’ai l’envie de réussir. J’ai beaucoup appris aux côtés de Michel
Rocard puis de Lionel Jospin et j’applique, à ma façon, la fameuse
« méthode Rocard ». Elle est fondée sur une exigence de vérité, mais
aussi sur la confiance, le dialogue, le respect et l’ouverture. C’est
une méthode plus que jamais d’actualité en Nouvelle-Calédonie.
En
Métropole, le rejet des hommes politiques est flagrant. En Calédonie,
on compte encore énormément sur eux, et sur le Premier ministre en
particulier. Cela vous inspire quoi ?
Je sais
que dans les outre-mer, quel que soit leur statut, l’Etat est attendu.
Un Etat respectueux des particularités, des cultures, de l’histoire, et
pour la Calédonie, des choix qui ont été faits en 1988. J’ai rejoint le
cabinet de Michel Rocard en juin 1988, et il est évident que la poignée
de main Tjibaou-Lafleur est très présente dans mon esprit. Je pense que
dans un territoire comme la Nouvelle-Calédonie, on retrouve de la force
pour incarner l’exigence de vérité et de responsabilité.
La
Calédonie n’est pas une terre socialiste, loin s’en faut. Pourtant,
Rocard, Jospin, et vous-même, depuis vos interventions lors des Comités
des signataires, êtes particulièrement respectés. Comment
l’expliquez-vous ?
C’est peut-être parce que
les enjeux électoraux cèdent le pas à l’intérêt général. Depuis 2014,
j’ai présidé trois Comités des signataires à Matignon. Nous avons réussi
à régler des questions politiques épineuses qui avaient été bien
déblayées par la mission Christnacht. J’ai longuement reçu tous les
responsables politiques de Calédonie. Au cours du dernier Comité, je me
rappelle, lors du déjeuner, m’être retrouvé à une table avec Philippe
Gomès, Pierre Frogier, Roch Wamytan et Paul Néaoutyine. Eux-mêmes m’ont
avoué qu’ils n’avaient pas le même type de rencontre, entre eux, en
Nouvelle-Calédonie… Un gouvernement doit privilégier l’intérêt de tous
par rapport aux enjeux électoraux de court terme, que je peux par
ailleurs parfaitement comprendre. Je veux donc surtout que la question
de la Nouvelle-Calédonie ne soit pas prisonnière des enjeux de la
présidentielle de 2017.
Je veux faire en sorte que le
chemin de l’avenir de la Calédonie soit toujours celui de l’intérêt
général. Je compte beaucoup sur les Calédoniens eux-mêmes, et sur
l’engagement des responsables politiques calédoniens. J’ai trouvé,
auprès de ceux que je viens de citer, et de tous les autres, bien sûr,
de la hauteur de vue et une envie de réussir. Donc, réussissons
ensemble.
Les Républicains,
par la voix de Nicolas Sarkozy, suggèrent de mettre fin à la
surrémunération des fonctionnaires. Une proposition courageuse dans le
contexte d’économies générales ?
A ce stade du
développement des outre-mer et dans la conjoncture actuelle, la
surrémunération permet de favoriser à la fois la consommation et la
production locale. La remettre en cause constituerait donc une erreur
d’analyse économique. Par ailleurs, la surrémunération reste justifiée
par le coût de la vie et le maintien de l’attractivité des postes
outre-mer qui sont des postes difficiles, contrairement à ce que
certains semblent croire.
Pouvez-vous
nous confirmer que des discussions ont été engagées entre le
gouvernement et la famille Duval dans le cadre de la gouvernance
d’Eramet et de la SLN ?
L’Etat est actionnaire
d’Eramet, il est donc tout à fait normal, compte tenu de la crise que
rencontre le secteur du nickel, que des discussions se tiennent avec la
famille Duval et avec le management du groupe. L’Agence des
participations de l’Etat, dont c’est le métier, a pour mission de
défendre au mieux les intérêts de l’Etat et de bien préparer les
conseils d’administration, notamment avec les partenaires calédoniens.
La situation d’Eramet fait l’objet d’un suivi attentif et vigilant au
plus haut niveau de l’Etat.
La
SLN a éperdument besoin d’une centrale électrique pour améliorer sa
compétitivité. L’Etat est-il en mesure d’accompagner de manière forte
cet investissement ?
Cette centrale électrique
aurait dû être construite il y a des années, à un moment où le cours du
nickel aurait permis d’investir sans difficulté pour cet équipement
indispensable au maintien de la compétitivité de la SLN. Aujourd’hui,
l’entreprise souffre de cette indécision. Malgré tout, j’ai confiance
dans les équipes de cette belle entreprise. Je visiterai avec beaucoup
d’intérêt le site de Doniambo, qui est au cœur de l’histoire de la SLN.
L’Etat sera au rendez-vous pour assurer sa pérennité. Mais pour ce qui
est des annonces précises, l’Etat actionnaire respecte les règles et le
calendrier du droit des sociétés.
Une information,
sortie en début de semaine, annonce un prêt de l’Etat de 300 millions
d’euros à Eramet, dont une partie se ferait par l’intermédiaire des
provinces. Vous confirmez ?
Comme je vous le disais, il
est de la responsabilité des actionnaires de référence de rechercher
toutes les solutions permettant de garantir l’avenir d’Eramet et de la
SLN. Cela passe par la mobilisation de tous les acteurs économiques et
institutionnels de la Nouvelle-Calédonie. J’y reviendrai au cours de mon
déplacement.
N’est-il pas
illusoire, au niveau calédonien comme au niveau français, d’imaginer
pouvoir influer sur les décisions concernant les usines du Nord et du
Sud, propriétés de Glencore et de Vale ?
La
Nouvelle-Calédonie a su attirer des grands groupes mondiaux intéressés
par l’exploitation du nickel et qui ont investi sur le territoire des
milliards de dollars. Le maintien des investissements et des emplois est
bien sûr une priorité dans le contexte que connaît le marché du nickel.
Chacun doit exercer ses responsabilités : dans une économie de marché,
l’Etat ne peut pas se substituer aux actionnaires privés que sont
Glencore et Vale, mais il peut jouer un rôle de facilitateur et de
médiateur. Et il entend bien jouer pleinement ce rôle.
Valls répond à Frogier et donne le ton
Pierre
Frogier avait écrit le 6 avril dernier à Manuel Valls pour
l’interpeller sur différents sujets majeurs. A la veille de son arrivée,
le Premier ministre répond par un courrier incisif qui devrait rassurer
le sénateur sur plusieurs points. Et d’abord le contentieux électoral,
acté comme « politiquement clos » lors du dernier Comité des
signataires. Manuel Valls constate, comme Pierre Frogier, « que certains
acteurs refusent de se sentir liés par ces conclusions. C’est
éminemment regrettable au regard de la dynamique stratégique et
symbolique des discussions qui se tiennent dans cette enceinte ».
Certains responsables de l’UC ne vont pas apprécier, à l’inverse des
partis loyalistes. Et l’on comprend mieux pourquoi le haussariat s’est
lui-même pourvu en cassation contre les décisions de radiation
prononcées par le tribunal de première instance de Nouméa après
communication par l’Etat des procès-verbaux des commissions.
Deuxième
point, l’avenir institutionnel. Manuel Valls se dit « intéressé » par
la proposition de créer une structure dédiée qui servirait d’interface
entre les autorités de l’Etat et les partenaires calédoniens. Il en sera
discuté.
Troisième point, le nickel en général et la
SLN en particulier. « L’Etat assumera ses responsabilités (…) mais la
définition de solutions permettant de sauvegarder les investissements et
l’emploi supposera aussi la participation des institutions
calédoniennes. »
Quatrième point fort, l’augmentation
de la délinquance. Manuel Valls informe dans sa lettre qu’une mission
commune gendarmerie-police « se rendra sur le territoire la dernière
semaine de mai 2016 ».
Ph. F.
- Le Premier ministre, qui devait atterrir la nuit
dernière à La Tontouta, doit se rendre ce matin à 7 h 30 place
Bir-Hakeim pour une cérémonie républicaine d’hommage au monument aux
morts.
- A 8 heures, il effectuera une visite au gouvernement, où il échangera avec le président Philippe Germain.
- A 9 h 15, il est attendu de l’autre côté de la rue, à la province Sud, pour une rencontre avec Philippe Michel.
-
A 9 h 50, premier temps fort, avec une séance solennelle au Congrès et
un discours très attendu, notamment sur la préparation de l’avenir
institutionnel.
- A 11 h 10, il est attendu à la mairie de Nouméa.
- A 12 h 10, il doit se rendre au Sénat coutumier, à Nouville, pour un échange avec ses membres.
- A 13 heures, il sera à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, où il doit déjeuner avec des étudiants.
-
A 14 h 30, deuxième temps fort, il visitera la SLN et prononcera, là
encore, une allocution très attendue par les salariés et les cadres de
l’entreprise.
- A 16 h 10, il s’inclinera sur la tombe de Jacques Lafleur, au cimetière du 4e kilomètre.
-
A 16 h 30, à la résidence du haussariat, il doit animer avec les
principaux élus calédoniens une séance de travail sur l’avenir
institutionnel.