En perçant le mur de sable établi entre la Syrie et l’Irak, l'état islamique revient sur une Histoire vieille d’un siècle…
Rappelons-le aussitôt : du point de
vue des impérialismes occidentaux, la Première Guerre Mondiale
avait eu l’extrême mérite de faire imploser l’Empire ottoman qui,
semble-t-il, n’était plus bon à autre chose… de leur point de vue,
toujours.
Or, à leur façon, les accords
Sykes-Picot (9 et 16 mai 1916) auront été un élément essentiel du
partage des dépouilles apparues à la suite d’un conflit qui avait ajouté
les millions de morts aux millions de morts. Lus aujourd’hui, ces
accords permettent surtout de prendre conscience de ce qu’étaient
certains des buts de guerre de la Grande-Bretagne et de la France à
cette époque. Et le prix qu’il a fallu payer pour en venir à bout.
Il est bon, parfois, de mettre des noms
de personnes sur des situations, sur des événements, sur des décisions
qui dépassent évidemment les responsabilités individuelles… Ce n’est
toujours qu’un début de piste. Mais enfin, la foudre qui s’abat par
instants sur les sociétés humaines n’est pas toujours due qu’à des
hasards malencontreux.
Dans le duo constitué de MM. Sykes et
Picot, où le premier était un Britannique, saisissons-nous du second, le
Français : c’est François Georges-Picot (1870-1951). Sans trop nous
éloigner de lui, constatons qu’il avait une sœur un peu plus jeune que
lui : Geneviève Henriette Georges-Picot (1876-1949). Pour sa part, elle
devait épouser un certain Jacques Bardoux (1874-1959). Voici donc les
grands-parents maternels de Valéry Giscard d’Estaing…
Or ‒ comme je l’ai montré ailleurs ‒,
Jacques Bardoux est l’un des pères fondateurs de cette Cinquième
République dont son petit-fils (V.G.E.) devait devenir président en
1974. C’est déjà un signe… Surtout parce que, en raison de la
façon dont, en matière de guerre, la Constitution française de
1958 offre le plein exercice de la souveraineté au président de la
république, nous avons ce résultat qu’aujourd’hui la Libye est détruite
des suites d’une décision plus ou moins folle d’un Sarkozy…
Une décision qui ne paraît folle qu’aux
yeux de qui ne sait pas ce qu’était vraiment la Libye du temps de
Muammar Gaddhafi. La France fait donc des guerres sans savoir pourquoi…
Voire…
Un siècle plus tard, nous ne savons
toujours à peu près rien des raisons qui ont présidé au déclenchement de
la Première Guerre Mondiale. Or, en ce qui concerne les accords
Sykes-Picot des 9 et 16 mai 1916, il paraît que nous avons tort de ne
pas les connaître depuis bien longtemps. Certes, au départ ils étaient
secrets. Mais cela n’a eu qu’un temps, et si court.
En effet, grâce à la Révolution
bolchevique de 1917, le mystère a été aussitôt éventé… Parce que Lénine,
terriblement soucieux des ravages ordinaires de l’impérialisme, s’est
donné les moyens de montrer au monde entier ce qu’est la réalité
sournoise de la liberté d’entreprendre quand elle s’étend à l’échelle de
la planète. Il a révélé les documents secrets détenus par les bureaux
du tsar de toutes les Russies…
Nous savons donc… C’est-à-dire que, depuis 1917, nous devrions savoir.
Mais la guerre de 1914-1918 ne nous a surtout pas été enseignée sous cet angle-là. Donc, nous ne savons toujours pas.
Serait-ce à Daesh de venir nous le dire ? Peut-être bien.
Il y a nos promesses… Sous l’angle de la
souveraineté de notre pays, cela s’appelle la France. Il y a donc les
promesses de la France…
Mais, dans le contexte impérialiste, la
France n’aura toujours été qu’un sous-fifre. Aujourd’hui encore, il est
bien connu que nous devons compter ‒ bien plus que ne le dira aucun
responsable politique ‒ avec Sa Majesté la reine d’Angleterre (mis en gras par nous. La rédaction).
Ce strapontin plus ou moins permanent
qui nous a été octroyé par la Couronne d’Angleterre ‒ et grâce, entre
autres, aux manœuvres plus ou moins douteuses et aventurées d’un
Voltaire ‒, nous le retrouvons en 1916, dans toute sa splendeur, à
l’occasion des accords Sykes-Picot… qui ont tendu à escroquer… les
Arabes, en les appelant à la révolte contre l’Empire ottoman, pour prix
d’un État… unitaire arabe (islamique ?)… qui n’a jamais existé. Et pour
cause.
C’est cet État que disent les accords
Sykes-Picot, qui ‒ selon la forme que leur donne la lettre adressée le 9
mai 1916 par l’ambassadeur de France à Londres, Paul Cambon, au
secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères, Sir Edward Grey ‒
organisent le partage du gâteau… comme ceci :
« 1. La France et la Grande-Bretagne
sont disposées à reconnaître et à soutenir un État arabe indépendant ou
une confédération d’États arabes dans les zones (A) et (B) indiquées
sur la carte ci- jointe, sous la suzeraineté d’un chef arabe. »
Ni un État arabe indépendant, ni
une confédération d’États arabes… Rien que deux parts de gâteau…
Avec, au sein de la part française, un découpage placé sous la doctrine :
« diviser pour régner »… Ce qui aide beaucoup, dans le chaos actuel en
Syrie…
Mais lisons la suite, pour bien comprendre l’inanité des éventuels États arabes au lendemain de la Première Guerre Mondiale :
« Dans la zone (A), la France, et,
dans la zone (B), la Grande-Bretagne, auront un droit de priorité sur
les entreprises et les emprunts locaux. Dans la zone (A), la France et
dans la zone (B) la Grande-Bretagne, seront seules à fournir des
conseillers ou des fonctionnaires étrangers à la demande de l’État arabe
ou de la Confédération d’États arabes. »
Comme dans la suite, je souligne les
mots qui marquent bien l’impact de l’impérialisme occidental. Au titre
de l’économie de marché et du morceau réservé à l’Angleterre…, il
convient de retenir le cinquième paragraphe que voici :
« 5. Alexandrette sera un port franc
en ce qui concerne l’Empire britannique et il ne sera pas établi de
droits de ports, ni d’avantages particuliers refusés à la Marine et aux
marchandises anglaises ; il y aura libre transit pour les marchandises
anglaises par Alexandrette et par chemin de fer à travers la zone bleue
que ces marchandises soient destinées à la zone rouge, la zone (B), la
zone (A) ou en proviennent ; et aucune différence ne sera établie
(directement ou indirectement) aux dépens des marchandises anglaises sur
quelque chemin de fer que ce soit, comme aux dépens de marchandises ou
de navires anglais dans tout port desservant les zones mentionnées. »
Pour le morceau français, c’est ici :
« Caifa sera un port franc en ce qui
concerne le commerce de la France, de ses colonies et de ses
protectorats et il n’y aura ni différence de traitement ni avantage dans
les droits de port qui puissent être refusés à la Marine ou aux
marchandises françaises. Il y aura libre transit pour les marchandises
françaises par Caifa et par le chemin de fer anglais à travers la zone
brune que ces marchandises soient en provenance ou à destination de la
zone bleue, de la zone (a) ou de la zone (b) et il n’y aura aucune
différence de traitement directe ou indirecte aux dépens des
marchandises françaises sur quelque chemin de fer que ce soit, comme aux
dépens des marchandises ou des navires français dans quelque port que
ce soit desservant les zones mentionnées. »
Et puis, il y aura eu les années
subséquentes… Les nationalisations (du pétrole)… Les printemps (arabes
?)… Peut-être pas autant que ça…
D’où l’intérêt de regarder avec attention les accords Sykes-Picot…
(Cadre général du présent travail : http://unefrancearefaire.com/la-guerre/)
Michel J. Cuny
Photo: Empire ottoman avant la Première Guerre Mondiale