Roch WAMYTAN
- Homme politique, membre de l'Union Calédonienne et du FLNKS,
Signataire de l'accord de Nouméa en 1998, Président du groupe UC-FLNKS
et Nationalistes au Congrès de la Nouvelle-Calédonie
LE SÉMINAIRE RÉGIONAL DU PACIFIQUE DU COMITÉ SPÉCIAL DES 24.
Mise en oeuvre de la Troisième Décennie Internationale pour
l'Élimination du Colonialisme : engagements et actions pour la
décolonisation des Territoires Non-autonomes.
Managua, Nicaragua du 31 au 2 Juin 2016
M. Roch Wamytan
President of the UC-FLNKS and Nationalists Group
at the Congress of New Caledonia
Monsieur le Président du Comité spécial de décolonisation,
Mesdames et Messieurs les membres du Comité spécial de décolonisation,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi tout d’abord de remercier chaleureusement le président
du Nicaragua, Daniel Ortega, son gouvernement, et le peuple du
Nicaragua, pour l’accueil chaleureux qui nous est fait une nouvelle
fois, à l’occasion de ce séminaire régional.
Je voudrais de même remercier les membres du comité spécial des 24
ainsi que son président Mr Rafael Darío Ramírez Carreño pour cette
invitation, à participer aux travaux de ce séminaire, en ma qualité
d’ancien président du FLNKS, signataire de l’accord de Nouméa de 1998 et
président du groupe politique indépendantiste, le groupe UC-FLNKS et
Nationalistes, au congrès de la Nouvelle Calédonie.
Comme nous l’avons souvent rappelé devant les instances de l’ONU,
depuis la prise de possession de la Nouvelle Calédonie en 1853, le
peuple kanak n’a cessé de subir une colonisation de peuplement par la
France. Celle-ci se poursuit encore de nos jours, malgré le processus de
décolonisation en cours depuis les Accords de Matignon (1988) et de
Nouméa (1998), malgré l’engagement de l’Etat, en 1988, à réduire les
flux migratoires de ses nationaux français, malgré enfin les
dispositions de la charte de 1960 et des diverses résolutions prorogeant
les décennies pour l’éradication du colonialisme.
Cette colonisation de peuplement a rendu le peuple kanak peu à peu
minoritaire dans sur sa propre terre. Or, notre pays est aujourd’hui à
un point crucial de son histoire puisque nous arrivons au terme de
l’Accord de Nouméa et qu’à partir de 2018, la population concernée sera
appelée à s’autodéterminer lors d’une consultation sur l’accession du
pays à la pleine souveraineté.
En ce sens, une question fondamentale se pose pour la
Nouvelle-Calédonie, qui va fêter cette année ses 30 ans de réinscription
sur la liste des territoires non autonomes des Nations Unies,
c’est-à-dire depuis 1986. Cette question est la suivante : la
colonisation de la Nouvelle-Calédonie par la France est-elle un dossier
politiquement clos ?
Nous, peuple kanak, peuple colonisé de Nouvelle-Calédonie, affmons
avec force que la colonisation de la Nouvelle-Calédonie par la France
n’est pas un dossier politiquement clos.
Nous souhaitons aujourd’hui à
travers cette intervention poser également cette question au Comité de
décolonisation des Nations Unies : pensez-vous que la colonisation de la
Nouvelle-Calédonie par la France est un dossier politiquement clos ?
Pourtant, c’est ce que tente de faire croire notre puissance
administrante, la France, aux populations locales, comme devant les
instances internationales concernées. Elle se donne le droit de décider
unilatéralement de ce qui est politiquement clos ou non dans le
processus de décolonisation en cours dans notre pays.
En effet lors du dernier Comité des signataires de l’accord de Nouméa
qui s’est tenu à Paris en février 2016, les représentants de l’Etat
français en position majoritaire avec leurs alliés calédoniens
non-indépendantistes, ont déclaré et imposé à la minorité
indépendantiste la fait que le contentieux concernant le corps électoral
provincial, était « politiquement clos », faisant croire toutefois que
cette entente était celle des trois partenaires de l’Accord de Nouméa :
puissance administrante, partis indépendantistes et partis non
indépendantistes. Dans les faits cette décision a été prise à la
majorité et non suivant le principe du consensus pratiqué
habituellement. Ainsi le colonisateur décide de ce qui est
"politiquement clos" et se sert des groupes politiques issus de sa
colonie de peuplement pour imposer sa volonté politique contre celle des
indépendantistes kanak. Cette situation étant la conséquence de la
politique de peuplement de nationaux français en Nouvelle Calédonie, une
politique dument réfléchie et organisée. Ayant pris de l’ampleur à
partir de la visite du général De Gaulle en 1956, cette politique qui
s’est accélérée dans les années 70 et à la suite des accords de Matignon
(1988) et Nouméa (1998) avait qu’un seul objectif, noyer définitivement
sous le nombre, la revendication nationaliste kanak.
Fort de ces décisions, la puissance administrante poursuit dès lors
les déclarations dans ce sens, comme l’a fait le premier ministre Manuel
Valls dans son discours au Congrès de la Nouvelle-Calédonie le 29 avril
dernier, décrétant ainsi que les décisions des commissions
administratives spéciales sur l’établissement et la révision des listes
électorales pour les élections provinciales et les élections
référendaires de 2018, se feront sur la base des soi-disant accords
politiques des Comités des signataires, et non plus sur la base de la
loi.
De plus, alors que 2016 est la première année de préparation de
la liste électorale spéciale pour la consultation sur l’accession du
pays à la pleine souveraineté, nous découvrons que 25 000 Kanak ne
pourront pas être inscrits sur cette liste sous prétexte qu’ils ne sont
pas préalablement inscrits sur la liste générale de Nouvelle-Calédonie.
25 000 Kanak ne pourront donc pas exercer leur droit à
l’autodétermination, revendiqué depuis plus de 40 ans en tant que seul
peuple autochtone et colonisé de Nouvelle-Calédonie. Mais alors qui est
concerné par l’autodétermination de notre pays, c’est la question que
l’on peut se poser ?
Il convient ainsi de considérer dans quelle mesure la puissance
administrante respecte ses engagements nationaux et internationaux en ce
qui concerne le processus de décolonisation de la Nouvelle Calédonie.
Prépare-t-elle ce Territoire non autonome à sa décolonisation et à un
acte d’autodétermination pleinement libre, transparent et donc
acceptable ou met-elle en place toutes les conditions pour que ce
Territoire non autonome demeure au sein de son ensemble ultramarin au
nom des intérêts supérieurs de la nation et de sa place dans le monde ?
Joue-t-elle franc jeu dans la mise en œuvre du processus de
décolonisation et d’émancipation ou pose-t-elle des obstacles permanents
freinant ce processus ?
Nous ne sommes pas dupes des manœuvres récurrentes de notre
colonisateur et malheureusement pour nous, peuple kanak, la colonisation
de la Nouvelle-Calédonie par la France est loin d’être politiquement
close. L’indépendance de notre pays devant se gagner par le vote, la
définition du corps électoral est depuis bien longtemps un enjeu
central, c’est question constitue la « mère des batailles ». L’histoire
coloniale montre que la puissance administrante a toujours usé et abusé
de manœuvres en la matière : double collège, colonie de peuplement,
vrais faux référendum coloniaux, trucage des listes, etc. L’objectif est
de s’assurer que le peuple kanak et les indépendantistes soient
minoritaires et ainsi faire barrage à l’indépendance selon sa politique
de ligne rouge de l’indépendance interdite. Ainsi le mouvement
indépendantiste doit -il à chaque fois se battre contre cette politique
tendant à favoriser l’implantation de populations extérieures afin de
noyer le peuple kanak démographiquement et d’empêcher l’indépendance du
pays. La « démocratie » par l’immigration incontrôlée et les fraudes
électorales devient une arme mortelle contre le peuple colonisé. La
lecture du rapport des observateurs de l’ONU à l’œuvre en Nouvelle
Calédonie de mars à juillet 2015 apportera un éclairage à ce niveau.
Depuis des décennies, le mouvement indépendantiste kanak fait face à
ces types de stratégies orchestrés pour contrer l’indépendance.
Récemment encore le mouvement indépendantiste a subi des tentatives de
division qui ne sont encore que des manœuvres supplémentaires parmi
toutes celles déjà subies en plus des assassinats de leurs leaders, la
plus part d’entre eux restant d’ailleurs sans enquête fiable sur les
circonstances de ces drames.
Nous sommes parfaitement conscients que
ces stratégies existent et nous savons identifier les commanditaires
derrière les petites mains à la manœuvre ou au-delà des propos lénifiant
de certains responsables affirmant que l’Etat est un arbitre impartial
et équidistant et qu’in fine ce seront les calédoniens qui décideront de
leur destin par référendum.
Ainsi la puissance administrante se donne en Nouvelle-Calédonie le
rôle d’arbitre et de « facilitateur », selon ses propres mots, notamment
dans le dossier de préparation de l’avenir institutionnel du pays, et
comme si elle n’était pas responsable du fait colonial de notre pays.
Toujours fidèle à sa devise : garder la Nouvelle Calédonie française, la
France colonisatrice prépare encore une fois un nouvel accord qui lui
permettra de préserver ses intérêts en Nouvelle-Calédonie. Un dispositif
de type « France Afrique » est bien le modèle qui nous est préparé. Le
risque encouru serait que la consultation sur l’accession du pays à la
pleine souveraineté porte sur un nouvel accord au lieu de porter sur
l’autodétermination et sur l’indépendance du peuple kanak et des
citoyens de la Nouvelle-Calédonie.
Face à une politique d’intégration et d’assimilation de la puissance
administrante, aux effets néfastes et parfois dévastateurs, prenant
parfois l’allure d’un « génocide culturel » pour le peuple kanak,
permettez-moi de réitérer les demandes déjà formulées l’an passé ici
même. Que l’ONU puisse pérenniser ses visites en Nouvelle Calédonie dans
la perspective de l’acte d’autodétermination prévu en fin 2018,et qu’
au cours de cette période un séminaire de décolonisation soit organisé à
Nouméa. Par ailleurs nous sollicitons une implication soutenue du
Comité de décolonisation afin d’aider la Nouvelle Calédonie dans les
procédures d’établissement et la révision des listes électorales
spéciales dans le cadre de la préparation de la consultation sur
l’accession du pays à la pleine souveraineté. Nous souhaitons enfin
pouvoir bénéficier d’experts de haut niveau dans le cadre de la
réflexion sur les transferts des compétences régaliennes. Tout ceci nous
semble capital dans le processus de décolonisation en cours. Bien
évidemment un dialogue permanent et constructif avec la puissance
administrante reste un passage obligé.
Nous souhaitons également profiter de l’occasion de cette prise de
parole pour remercier sincèrement et chaleureusement l’équipe d’experts,
et son président Flavien Misoni, mandatés par l’Assemblée générale des
Nations Unies pour observer le travail des commissions administratives
spéciales d’établissement et de révision des listes électorales et de la
commission consultative d’experts. Leur rôle est ô combien important
pour notre peuple et notre pays.
Je vous remercie