Deux semaines après la visite de Manuel Valls en Nouvelle-Calédonie,
 le sauvetage de la SLN, principal producteur de nickel du Caillou, 
prend enfin forme. Le conseil d'administration d'Eramet a validé lundi 9
 mai ce plan de redressement de sa filiale calédonienne, qui perd 20 
millions d'euros par mois et se dirigeait tout droit vers une faillite 
en juin prochain. Dans le détail, l'Etat devrait accorder un prêt de 
l'ordre de 127 millions d'euros à la STCPI, la société qui porte la 
participation des provinces calédoniennes dans la SLN (34% du capital). 
La STCPI répercutera ce prêt à la SLN, ce qui devrait lui permettre de 
tenir jusqu'à la fin de l'année 2016. A plus long terme, le plan de sauvetage (pdf)
 vise une baisse du coût de production de la livre de nickel de 25% 
d'ici à fin 2017, de 6 à 4,5 dollars la livre, pour rétablir la 
compétitivité du groupe face au cours déprimé du nickel.
    
        
            
        
    
Pour Philippe Gomès,
 député de la Nouvelle-Calédonie et membre du conseil d'administration 
d'Eramet, le plan va dans le bon sens, mais n'efface pas les erreurs 
stratégiques du groupe, comme la distribution de centaines de millions 
d'euros de dividendes en 2012-2013. L'Etat doit désormais soutenir le 
projet de nouvelle centrale électrique pour l'usine géante de Doniambo, 
un projet à 800 millions d'euros. Et envisager une prise de contrôle de 
la SLN par les provinces calédoniennes.
Etes-vous satisfait des annonces de Manuel Valls le 29 avril dernier, notamment du prêt d'urgence aux provinces calédoniennes pour soutenir la SLN ?
    
        
            
        
    
    
Je constate avec satisfaction qu’après des années à être un simple 
"sleeping partner", l’Etat a enfin retrouvé sa place. Il fait entendre 
sa voix au sein du conseil d’administration d’Eramet, mais aussi sur le 
plan politique, avec la prise de position de Manuel Valls. Le prêt 
annoncé par le premier ministre va permettre de sauver la SLN d’une 
faillite à court terme : l’Etat va accorder un financement à la STCPI 
[la société qui porte les 34% des provinces calédoniennes dans le 
capital de la SLN], que nous sommes prêts à porter à hauteur de 127 
millions d’euros.
Cet argent sera prêté, aux mêmes conditions économiques, à la SLN 
pour lui permettre de passer le cap jusqu’à la fin de l’année 2018. Les 
modalités du prêt devraient être négociées ces prochaines semaines. Ce 
plan de sauvetage est une nécessité absolue : la fermeture de la SLN 
serait un tsunami économique pour la Nouvelle-Calédonie. La mine et la 
métallurgie représentent de l’ordre de 20% des emplois sur le 
territoire, et de 15 à 20% de son PIB. Les conséquences sociales 
seraient colossales, et on sait qu’en Nouvelle-Calédonie, les crises 
sociales ne tardent jamais à se muer en crise politique grave.
Le plan de compétitivité prévoit de réduire les coûts de 
production de 25%. Est-ce suffisant pour faire de la SLN un groupe 
rentable ?
Ce plan va dans le bon sens. En réduisant son coût de production de 6
 à 4,5 dollars la livre de nickel, la SLN sera dans le premier tiers des
 producteurs mondiaux les plus compétitifs. Mais l’urgence est désormais
 de lancer le projet de nouvelle centrale électrique pour l’usine de la 
SLN à Doniambo (près de Nouméa). La centrale au fioul actuelle est 
vieille de 45 ans, elle ne tiendra au mieux que jusqu’en 2021, et sa 
vétusté représente un handicap énorme pour la société, quand on sait que
 l’énergie représente 20% du coût de revient de la livre de nickel.
	
	    
	
	
Eramet n’a eu de cesse de repousser le remplacement de cette centrale, alors que le projet initial date de 2007…
Oui, il y a donc urgence. Il faut cinq ans entre le lancement du 
projet et la mise en service, il faut donc agir maintenant pour pouvoir 
disposer d’une centrale neuve en service en 2021. Ce nouvel outil 
permettrait d’économiser 100 millions d’euros par an. Il permettrait de 
résoudre aussi un problème majeur de santé publique : la centrale 
actuelle émet 15 fois plus de poussière, 10 fois plus de dioxyde de 
soufre et deux fois plus de dioxyde d’azote qu’une centrale à charbon de
 dernière génération !
Mais comment financer ce projet à 800 millions d’euros dans le contexte actuel ?
Si Eramet avait vraiment voulu lancer le projet, le groupe l’aurait 
fait depuis longtemps. Je propose donc de construire cette nouvelle 
centrale sans passer par Eramet, dans le cadre d’une structure locale 
qui impliquerait notamment l’électricien Enercal [détenu à 54% par la 
Nouvelle-Calédonie]. L’électricité serait ensuite revendue à la SLN. 
Pour mener à bien ce projet, Le premier ministre a annoncé que l’Etat 
apportera sa garantie afin que les financements nécessaires puissent 
être mobilisés. Cet investissement majeur permettra d’assurer la 
compétitivité à long terme de l’entreprise.
La crise actuelle de la SLN est-elle uniquement liée à la 
chute du cours du nickel, où Eramet at-t-il commis des erreurs 
stratégiques?
Tous les producteurs mondiaux souffrent du cours du nickel. Mais à 
l’évidence, il y a eu des errements stratégiques spécifiques à Eramet. 
Je rappelle que le groupe a vidé les caisses de la SLN il y a quelques 
années : 108 milliards de francs pacifiques (900 millions d’euros) ont 
été distribués en dividendes en 2012 et 2013, soit l’équivalent d’une 
année de chiffre d’affaires de la SLN ! Le tout dans un contexte où le 
marché du nickel s’était déjà retourné. J’avais hurlé à l’époque mais 
dans le désert. Je maintiens que cette décision a été une erreur 
majeure. Ce matelas de cash aurait permis à la SLN de passer la crise 
sans problème, et de lancer le projet de nouvelle centrale. Là, on se 
retrouve Gros-Jean comme devant, à tendre la sébile à l’Etat.
Les provinces calédoniennes (34% du capital aujourd’hui) ont-elles vocation à prendre le contrôle de la SLN?
Je le souhaite. La situation d’aujourd’hui, c’est qu’Eramet, 
actionnaire majoritaire de la SLN, contrôle tout, décide de tout, avec 
un processus de décision à Paris, et non en Nouvelle-Calédonie. Le 
conseil d’administration de la SLN est une simple chambre 
d’enregistrement… Même le premier ministre l’a relevé lors de son 
discours en Nouvelle-Calédonie en indiquant qu’il fallait "renforcer 
l’autonomie de la SLN". Le nickel est l’actif stratégique de la 
Nouvelle-Calédonie. La prise de contrôle par les provinces de la SLN, 
qui contrôle 55% du domaine minier calédonien, me semble être dans 
l’esprit des accords de Nouméa et de Bercy.
 Ce qui ne signifie pas le rejet d’Eramet, qui resterait un partenaire 
industriel majeur mais un rééquilibrage dans la gouvernance de 
l’entreprise. Toutefois ce sujet doit être être traité de manière 
consensuelle, entre indépendantistes et non indépendantistes, dans le 
cadre des discussions engagées pour préparer la sortie de l’accord de 
Nouméa.
Les deux usines calédoniennes des concurrents de la SLN, 
Koniambo au nord (suisse Glencore) et Goro au sud (brésilien Vale), 
peinent à atteindre leurs objectifs de production. Etes-vous inquiet 
pour leur avenir ?
Il faut remettre les choses en perspective : pour Glencore (170 
milliards de dollars de chiffre d’affaires) et Vale (26 milliards), les 
difficultés n’ont pas le même poids que pour Eramet et ses 3,1 milliards
 d’euros de ventes… Pour Koniambo, le problème me semble plus technique 
que financier. Un four a dû être reconstruit, il faut désormais prouver 
que tout marche bien, au plus tard à la fin de l’année. Je suis plus 
inquiet pour l’usine du sud : Vale est très affaibli par la chute des 
cours du fer, son activité principale, et la rupture du barrage au 
Brésil [le Brésil réclame 43 milliards de dollars à Vale et BHP Biliton 
après la rupture d’un barrage dans l’état du Minas Gerais]. Enfin, les 
dernières déclarations de la Présidente n’incitent pas à l’optimisme. Il
 faudra toutefois que les pouvoirs publics se mobilisent, à tous les 
étages, si la survie de l’entreprise venait à être menacée.
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