En
 2018 aura lieu en Nouvelle-Calédonie le référendum d'autodétermination 
prévu par les accords de Nouméa. À quelques mois du vote les populations
 kanaks dénoncent les conditions d'inscriptions au vote qui excluent 23 
000 personnes qui pourraient renverser la balance en faveur du "oui".
De la colonisation à la volonté d’indépendance
La Nouvelle-Calédonie est une petite île située au milieu du 
Pacifique et qui représente un enjeu central pour la France. Pour mieux 
comprendre les enjeux du référendum d’autodétermination qui aura lieu en
 2018, quelques éléments historiques sont indispensables. Dès le milieu 
du XVIIIème siècle, l’île est colonisée par la France qui pille les 
terres des autochtones, ces derniers sont en effets dépossédés de 80% de
 leurs terres ancestrales ; la France dissout les tribus, et impose sa 
langue. Et surtout la France impose dès 1887 en Nouvelle-Calédonie, 
comme dans toutes ses colonies, le Code de l’Indigénat (1887), qui 
assujettisse les autochtones aux travaux forcés, à l’interdiction de 
circuler la nuit, aux réquisitions forcées, et à un ensemble d’autres 
mesures tout aussi répressives. En 1931, une centaine de kanaks sont 
« exposés » lors de l’exposition universelle au jardin d’acclimatation, 
dans ce qu’on pourrait qualifier de zoo humains, forcés à se comporter 
comme des « sauvages » pour maintenir le mythe fantasmé sur les 
populations autochtones. Le Code de l’Indigénat n’est aboli qu’en 1946, 
date à laquelle la Nouvelle-Calédonie change de nom sur le papier pour 
s’appeler « Territoire d’outre-mer ».
Peu à peu les revendications indépendantistes s’intensifient, 
notamment autour de la figure de Jean-Marie-Tjibaou. A partir de 
l’élection de François Mitterrand en 1981, les attentes des 
indépendantistes se font plus pressantes, et ceux-ci exigent un 
référendum d’autodétermination réservé aux seuls Kanaks. C’est notamment
 la naissance du FLNKS, rassemblement de partis politiques 
indépendantistes fondé en 1984 et dirigé par Jean-Marie Tjibaou qui met 
en place un gouvernement provisoire de Kanaky, choisit un drapeau, 
boycotte les élections territoriales de 1984, avec pour but de préparer 
l’indépendance kanake socialiste.
Fin 1984, un massacre a lieu près d’une tribu située dans le nord de 
l’ile, à Hienghène, dans laquelle 10 indépendantistes Kanaks sont tués, 
dont deux frères de Jean-Marie Tjibaou. C’est le point de départ d’une 
véritable guerre entre opposants et partisans de l’indépendance ; le 
gouvernement instaure l’état d’urgence et le couvre-feu de janvier à 
juin 1985. Le point culminant des événements sera la prise d’otages de 
gendarmes par un groupe d’indépendantistes en avril-mai 1988, dans 
l’entre-deux tours des présidentielles. La situation est délicate pour 
le gouvernement Mitterrand, qui doit trouver une issue à cette situation
 de crise et désigne Michel Rocard pour s’occuper des négociations, ce 
qui va déboucher sur les accords de Matignon en juin 1988, prévoyant un 
scrutin d’autodétermination dix ans plus tard. Mais en 1998, les accords
 de Nouméa sont signés sous l’égide Lionel Jospin, prévoyant la tenue 
d’un référendum sur « le transfert à la Nouvelle-Calédonie des 
compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine 
responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité » qui 
n’aura lieu qu’entre 2014 et 2018.
Au coeur des intérêts français, le nickel, véritable mine d’or du Pacifique
Le sous-sol de l’île regorge d’un minerai extrêmement convoité : le 
nickel. En effet, l’île possède un quart des ressources mondiales de 
cette matière première indispensable à la fabrication de l’acier 
inoxydable, ce qui en fait une terre extrêmement intéressante pour la 
France. Tout au long de leur histoire, les kanaks ont été tenus à 
l’écart de l’exploitation du minerai, les européens ayant la main mise 
sur cette richesse bien que depuis quelques années cette tendance s’est 
atténuée avec la construction d’une nouvelle usine de nickel au nord de 
l’île, venant casser le monopole de la SLN, société historique du nickel
 calédonien qui exploite l’usine de Nouméa depuis 1910. La SLN 
appartient elle-même à Eramet, le géant des mines françaises, dont le 
chiffre d’affaire était de 2,9 milliards d’euros en 2016.
Cette mise à l’écart des kanaks des énormes bénéfices que produit le 
nickel n’a fait qu’accentuer tout au long du XXème siècle la colère et 
la frustration. Les kanaks voient de plus dans l’exploitation du nickel 
la garantie d’une indépendance réussie. De son côté, la France, derrière
 des apparences de neutralité, n’a aucune intention de laisser prendre 
son indépendance ce petit territoire très rentable au milieu du 
Pacifique. Derrière une soi-disant politique de « décolonisation » et 
une politique de rééquilibrage suite aux accords de Nouméa, les écarts 
restent considérables entre le sud de l’île, peuplé par les caldoches, 
et la province ainsi que les îles et le nord de l’île, terres 
kanakes, où le chômage atteint 30%. 
Référendum : l’enjeu crucial de la liste électoral
Le résultat du référendum prévu en 2018 dépend notamment de la 
composition corps électoral restreint qui sera autorisé à voter, dont 
les modalités ne seront définies que lors du rendez-vous entre les 
signataires de l’accord de Nouméa prévu dans quelques semaines. C’est 
Manuel Valls qui a été nommé le 3 octobre pour diriger la mission 
parlementaire sur l’avenir institutionnel de l’île, ce qui a provoqué 
des polémiques.
Le 4 octobre, à New York, devant l’ONU, les indépendantistes ont 
dénoncé la manipulation et l’instrumentalisation autour de la 
composition de la liste électorale, qui pourrait faire basculer le 
résultat du scrutin. Le président du FLNKS, Mickael Forrest, a exprimé 
des « doutes sur l’organisation » du référendum et mis en cause la « sincérité du mécanisme français d’établissement de cette liste électorale  », demandant aux Nations unies d’envoyer une mission de visite « avant, pendant et après le scrutin  ».
En effet, en Nouvelle-Calédonie il existe plusieurs types de listes 
électorales en fonction de critères permettant de participer à certaines
 élections. Pour pouvoir voter au référendum, il faut faire partie de la
 liste référendaire, régie par l’article 218 de la loi organique de 
1999. Tout personne au statut civil coutumier, qui est inscrite sur la 
liste générale, ou qui a été électeur en 1988 doit être automatiquement 
sur cette liste pour le référendum. 
Mais voilà, selon la Direction de la gestion de la réglementation des
 affaires coutumières (DGRAC), 22 780 Kanaks qui devraient avoir leur 
nom inscrit sur cette liste n’y apparaissent pas. Plusieurs phénomènes 
expliquent cette absence qui pourrait faire peser la balance du côté du 
« non » : de nombreux kanaks ne sont pas inscrits sur la liste 
principale (condition obligatoire pour être sur la liste référendaire), 
car les indépendantistes ne se sentent historiquement pas concernés par 
les élections françaises, et ont souvent prôné le boycott. De même, 
certaines personnes inscrites sur la liste générale n’auraient pas été 
inscrites sur la liste référendaire, et de nombreux jeunes de 18 ans 
pour qui l’inscription est censée être automatique n’ont pas été 
inscrits. Aucune aide d’inscription n’a été mise en place pour les 
personnes handicapées et âgées, et les procédures pour les personnes 
ayant perdu leurs droits civiques sont complètement méconnues. De plus, 
près de 2000 kanaks se sont vus refusée leur inscription car ils étaient
 dans l’incapacité de réunir tous les justificatifs de résidence 
continue pendant dix ans : « Ces exigences sont inadaptées au regard 
des habitudes des Kanaks. Conserver les papiers n’est pas dans leur 
culture. S’inscrire sur les listes relève du parcours du combattant  »,
 indique Stéphanie Graff, docteure en anthropologie spécialiste des 
questions d’autodétermination, de décolonisation et d’autochtonie en 
Nouvelle-Calédonie. 
De plus, ce « choix » délivré par le référendum ne laissera pas aux 
population le choix d’un réel mouvement de libération nationale 
remettant en cause la domination coloniale française car même si la 
soi-disant « autonomie » était votée elle ne remet pas en cause le 
contrôle des élites politiques et des groupes industriels mis en place 
depuis des années. Car au-delà de l’indépendance statutaire, il s’agit 
pour les Kanaks de se libérer totalement de l’impérialisme français, de 
sa domination politique qui perdurera si les anciennes élites gèrent 
l’île comme avant et si les grandes richesses de l’île, notamment le 
nickel, sont toujours gérées par les mêmes multinationales. C’est 
pourquoi l’émancipation du peuple Kanak, au-delà de l’indépendance de la
 France, devra se poser l’objectif de renverser l’ordre impérialiste, et
 donc l’ordre capitaliste, qui les maintient aujourd’hui dans un pays 
qui n’est autre qu’une colonie.