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photo taken January 21, 2010 of trade union leader Elie Domota in
Pointe-à-Pitre. Domota (born in 1963) is a trade union leader from
Guadeloupe, spokesman of Liyannaj Kont Pwofitasyon or LKP (« Movement
against exploitation » in creole) and general secretary of the UGTG, the
main trade union in Guadeloupe. He was the leading figure in the
general strike in Guadeloupe which started on January 20, 2009.
Invité
jeudi soir à s’exprimer sur France 2 face à François Fillon dans
l’Émission politique, le secrétaire général de l’Union générale des
travailleurs de Guadeloupe (UGTG), Élie Domota, n’a pas pu développer
son argumentation jusqu’au bout. Cela est d’autant plus regrettable
qu’il accusait le candidat à la primaire de la droite et du centre
d’avoir tenu des « propos racistes » dans son discours à
Sablé-sur-Sarthe (Sarthe), le 28 août. L’Humanité a contacté l’ancien
animateur de la grève générale de 2009 en Guadeloupe pour lui proposer
d’exposer dans ses colonnes ce qu’il n’a pas pu dire à l’ancien premier
ministre.
Vous avez accusé jeudi François Fillon d’avoir tenu des propos racistes quand il a déclaré, le 28 août : « La France n’est pas coupable d’avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Nord », mais les téléspectateurs de France 2 n’ont pas pu entendre la fin de votre réponse. Qu’entendez-vous par là ?
Élie Domota Lors de la préparation de
l’émission, France 2 m’avait assuré que je disposerais d’un temps de
parole pour développer mes arguments, mais cela n’a pas été le cas. Ce
que je voulais dire à François Fillon, c’est que ces propos sont tenus
par trop de responsables politiques. En 1635, lorsque des mercenaires
sont envoyés par Richelieu, ils ont pour mission de coloniser la
Guadeloupe et la Martinique. Il s’ensuit une longue décennie
d’assassinats, de viols et de massacres des Indiens sur l’île. La France
a ensuite déporté des Africains pour les réduire en esclavage.
M. Fillon appelle cela le « partage de la culture » ; moi, j’appelle
cela conquête coloniale, meurtre et vol des terres. La colonisation,
c’est la violence pour s’approprier le bien d’autrui, parce qu’on le
considère comme inférieur. Cette conception perdure, camouflée dans une
prétendue mission civilisatrice de la France, de Jules Ferry à Nicolas
Sarkozy, Manuel Valls ou François Fillon aujourd’hui. Fondamentalement,
M. Fillon est un colon. Il a la même philosophie, il se considère comme
un être supérieur par rapport aux « sauvages » auxquels on a appris ce
qui lui semble bon à ses yeux.
François Fillon vous a répondu que si la colonisation vue selon les « critères d’aujourd’hui » est condamnable, il refuse la « repentance »,
car d’autres pays ont aussi pratiqué l’esclavage et la colonisation.
N’est-ce pas relativiser le crime qu’a constitué la colonisation ?
Élie Domota Tout à fait, il est même dans
une attitude d’apologie de crime contre l’humanité. Imagine-t-on
François Fillon déclarer que les troupes allemandes sont venues occuper
la France pour partager leur culture germanique ? Jamais cela ne lui
viendrait à l’esprit. M. Fillon doit cesser de vanter pour autrui ce
qu’il ne voudrait pas pour lui-même. On ne demande à personne de pleurer
sur notre sort. M. Fillon tout comme l’ensemble des Français ne sont ni
responsables ni coupables de cette histoire, mais ils en ont hérité, et
le gouvernement français doit l’assumer et ne pas se voiler la face. La
colonisation est une entreprise de déshumanisation, de négation des
individus.
Vous avez demandé à François Fillon qu’il se
prononce en faveur de l’annulation des textes qui, à partir de 1848,
indemnisent les anciens propriétaires d’esclaves, mais il a refusé, au
nom, là aussi, de son désaccord avec la « repentance » …
Élie Domota Cela n’a rien à voir avec la
repentance. Nous demandons une remise en état pour que le vivre-ensemble
ait un sens. Après 1848, le pouvoir des propriétaires blancs a été
renforcé, et les anciens esclaves ont été jetés dans la précarité, et
aujourd’hui, nous sommes toujours dans la même configuration. Les
héritiers des maîtres d’esclaves sont propriétaires des usines, ils
siègent dans les conseils d’administration des banques, et les
descendants d’esclaves sont pour la plupart ouvriers. Nous demandons que
toutes les terres acquises de façon criminelle fassent l’objet d’une
redistribution. Comment peut-on parler, sinon, de liberté, d’égalité et
de fraternité ?
Quelles actions envisagez-vous pour obtenir cette « remise en état » ?
Élie Domota Nous avons demandé en mai
2015 au tribunal de nommer un groupe d’experts pour évaluer le préjudice
subi par les colonisés. Nous avons accompagné cette requête de deux
questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) pour savoir si les
textes qui prévoient l’indemnisation des propriétaires d’esclaves sont
conformes à la Constitution. En droit français comme en droit
international, le criminel ne peut pas tirer bénéfice de son crime, il
est sanctionné et la victime est indemnisée. Mais un an et demi plus
tard, nous n’avons toujours pas la réponse.