Reconnaissance des «violences coloniales», nécessité ou piège mémoriel ?
Un
collectif appelle Macron à reconnaître la responsabilité de la France
«dans les guerres coloniales qu’elle a menées, en particulier la guerre
d’Algérie». Si ce conflit reste une page sombre de notre histoire,
est-ce le rôle de l’État et des associations de fixer la vérité
historique?
Emmanuel Macron
est-il rattrapé par ses propos polémiques sur la «vraie barbarie», les
«crimes contre l'humanité» qu'aurait commis la France en Algérie pendant
la colonisation ? Le Président est en tout cas sommé de condamner
officiellement les «crimes» commis par la France et de reconnaître «sa
responsabilité dans les guerres coloniales qu'elle a menées, en
particulier la guerre d'Algérie.»
La demande émane du Collectif du 17 octobre 1961, regroupant plusieurs associations de défense des droits de l'homme, dont notamment la Ligue des Droits de l'Homme (LDH), le Mouvement Contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples (MRAP) ou encore Sortir du colonialisme. Un collectif qui a signé une lettre ouverte, publiée dans la presse algérienne le 9 octobre et adressée à Emmanuel Macron, lui demandant à l'occasion du 56e anniversaire de la sanglante répression d'une manifestation d'Algériens à Paris d'y reconnaître «un crime d'État».
Pour Gilles Manceron, nul doute que la reconnaissance d'un tel
évènement, «symbolique, de la violence coloniale» est une «nécessité» et
pas uniquement au regard des seules relations diplomatiques avec Alger.
Le FLN a, depuis près de sept ans, infligé de lourdes pertes à la
police française lors de nombreux attentats en métropole. En Algérie,
les exactions de part et d'autre ne se comptent plus, ce que rappelle
l'essayiste Jean-Paul Brighelli, auteur de «Liberté- Égalité- Laïcité»
(Éd. Hugo & Cie, 2015):
Afin d'y pallier, les associatifs demandent ainsi au Président des «mesures significatives», à commencer par la création d'un «lieu de mémoire voué à cet évènement» ainsi que la déclassification des archives ainsi qu'une posture sans ambiguïté vis-à-vis des actions de «l'organisation criminelle» OAS. D'ailleurs, aux yeux de Jean-Paul Brighelli, les enjeux de cette reconnaissance des crimes passés de la France dépassent de loin les simples querelles historiques:
La demande émane du Collectif du 17 octobre 1961, regroupant plusieurs associations de défense des droits de l'homme, dont notamment la Ligue des Droits de l'Homme (LDH), le Mouvement Contre le Racisme et pour l'Amitié entre les Peuples (MRAP) ou encore Sortir du colonialisme. Un collectif qui a signé une lettre ouverte, publiée dans la presse algérienne le 9 octobre et adressée à Emmanuel Macron, lui demandant à l'occasion du 56e anniversaire de la sanglante répression d'une manifestation d'Algériens à Paris d'y reconnaître «un crime d'État».
«Cela a été un évènement extrêmement grave, qui
a été nié sur le moment et qu'on a continué à nier pendant des
décennies ensuite,»
déclare Gilles Manceron, membre du comité central de la Ligue des
Droits de l'homme (LDH), association cosignataire de l'appel. Il y a 56
ans, des dizaines, probablement même des centaines d'Algériens
trouvaient la mort sur les pavés parisiens. Le 17 octobre 1961, à
l'appel de la Fédération de France du FLN, entre 20 et 30.000 Algériens
manifestaient dans la capitale pour l'indépendance de leur pays et
contre le couvre-feu décrété à leur égard par les autorités françaises.
La réponse de la police est violente: en plus de 11.538 arrestations,
entre 80 et 325 manifestants trouveront la mort sous les tirs ou dans la
Seine, où certains seront jetés. À l'époque, les chiffres officiels
font état de 3 morts.
«Cela change aussi la conception de cette page
d'Histoire de la part les Institutions et c'est un message important à
adresser à l'ensemble de la population française et tout
particulièrement aux Français dont l'origine familiale les rattache à
cette histoire.»
Un massacre, certes, mais comment ne pas évoquer le contexte de ce
drame? Automne 1961, nous sommes alors en pleins pourparlers de paix,
qui aboutiront 5 mois plus tard aux accords d'Evian, signés le 19 mars
1962.
«S'il faut solder les guerres d'Indochine,
d'Algérie, à ce moment-là j'aimerai bien que les ex du FLN, demandent
pardon pour les 200.000 harkis qu'ils ont massacrés en 1962 […] il n'y a
pas deux poids deux mesures!»
Pour ce spécialiste des questions d'enseignement, il faut «raison
garder» et ne pas céder à la tentation de réécrire l'histoire suivant le
prisme de perception de notre société actuelle.
«Dans la série génuflexions, culpabilisations,
etc. on en assez vu, l'histoire ne repasse pas les plats, on ne va pas
la réécrire en permanence.»
Jean-Paul Brighelli qui évoque la position de deux historiens,
farouchement opposé à l'intervention de l'État dans la façon de
considérer l'histoire: Pierre Vidal-Naquet et Pierre Nora «qui étaient
l'un et l'autre des gens vraiment de Gauche, sont ceux qui se sont le
plus opposés aux lois mémorielles en expliquant que les lois c'était de
l'histoire d'État.»
«L'État est, si je puis dire, au-delà de
l'anecdote. L'État a des intérêts qui vont bien au-delà de la
culpabilisation ou de la repentance. L'État pense différemment. Je
renvoie tous ces imbéciles qui manquent quand même de références à un
livre de Gabriel Naudé, qu'ils trouveront sur le net, écrit en
1640 —Considérations politiques sur le coup d'État- dans lequel il
explique que l'État n'a pas à se soucier de la morale commune. En 1640! À
l'époque, l'État c'était Richelieu et j'appelle de mes vœux un nouveau
Richelieu qui remettrait tout ça sur les rails.»
Loin de ces considérations politiques, pour justifier sa demande, le
collectif s'appuie essentiellement sur des propos tenus par le candidat
d'En Marche lors de deux interventions dans les médias. L'une auprès de
la chaîne algérienne Echorouk TV en février, où l'ancien ministre de
l'Économie avait qualifié la colonisation de «crime contre l'humanité»
et de «vraie barbarie». L'autre, trois mois plus tard, où, devant la
rédaction de Mediapart, il aurait promis de prendre «des actes forts sur
cette période de notre histoire» s'il était élu.
Des propos qui constituent un «engagement» aux
yeux du collectif, qui invite donc le chef d'Etat à le «concrétiser».
Des propos, qui avaient provoqué la polémique, sur lesquels revient
Gilles Manceron, estimant qu'il y a encore «beaucoup à faire» et
espérant que le nouveau Président «honorera sa promesse sous les formes
qu'il décidera lui-même.»
«C'est une déclaration courageuse, compte tenu
de l'état de l'opinion et de l'absence de discours critique de la part
des Institutions et des forces politiques françaises depuis la fin de la
colonisation vis-à-vis de cette idéologie et de cette page d'Histoire.»
Car, entendons-nous bien, il n'est pas question que du seul 17
octobre. Dans son appel, le collectif dépeint ainsi comme une
«cicatrice» des guerres d'indépendance, avec un accent mis sur
l'Algérie, le «racisme, l'islamophobie, dont sont victimes aujourd'hui
nombre de citoyennes et citoyens, ressortissants d'origine maghrébine ou
des anciennes colonies, y compris sous la forme de violences policières
récurrentes, parfois meurtrières.»Afin d'y pallier, les associatifs demandent ainsi au Président des «mesures significatives», à commencer par la création d'un «lieu de mémoire voué à cet évènement» ainsi que la déclassification des archives ainsi qu'une posture sans ambiguïté vis-à-vis des actions de «l'organisation criminelle» OAS. D'ailleurs, aux yeux de Jean-Paul Brighelli, les enjeux de cette reconnaissance des crimes passés de la France dépassent de loin les simples querelles historiques:
«Ce que veulent ces gens-là, c'est réactualiser
encore et encore des douleurs anciennes de façon à ce que des gens qui
n'ont absolument connu cela se réclament de ces affrontements de jadis
pour se donner une légitimité que par ailleurs ils n'ont pas.»
Gilles Manceron reste, lui, sur le terrain historique. S'il convient
que c'est plus le domaine des spécialistes que des politiques, il estime
que ces derniers doivent prendre en compte les travaux des historiens:
«La recherche historique s'est considérablement
développée, depuis plusieurs décennies, sur la connaissance de la
violence coloniale, de l'injustice coloniale, et du caractère
contradictoire avec les droits de l'homme et les principes de la
République que la colonisation pouvait avoir. Donc aux hommes politiques
d'en prendre acte et cela paraît tout à fait nécessaire pour le
vivre-ensemble dans notre société.»
Un vivre-ensemble qui supposerait, selon Jean-Paul Brighelli, que ces
questions historiques soient traitées avec équité, pointant du doigt
les travers de mariage selon contre nature entre la politique et
l'histoire:
«Il faudrait déjà effacer les lois mémorielles
telles qu'elles ont été édictées. C'est une évidence. Parce que
reconnaître la traite atlantique sans reconnaître la traite saharienne,
d'un point de vue historique c'est une aberration.»