Qui décide de quoi au sein de cette société ?
En pratique, ce sont les présidents des trois
provinces qui ont un pouvoir décisionnel. Le président suit leurs
directives. Il n’est là que pour gérer. Il ne peut décider de quoi que
ce soit.
Il
n’empêche que vous faites partie de ceux qui prônent une prise de
contrôle de la SLN par une participation majoritaire des collectivités à
travers la STCPI.
C’est vrai. Quand on voit ce qui se passe dans
le monde et en Europe, on se dit qu’il faut sécuriser notre ressource
minière et notre patrimoine industriel. Eramet, maison mère de la SLN,
est cotée en bourse. A ce titre, elle peut être
la cible d’une OPA comme ça a été le cas pour Arcelor ou Péchiney. Pour
Arcelor, ça a été une catastrophe : un des fleurons de l’industrie
française est passé sous contrôle d’une multinationale et a été saccagé.
Si un tel scénario se produisait avec Eramet,
ce serait un risque considérable pour la Calédonie et ses ressources
minières.
Mais l’Etat est actionnaire d’Eramet. C’est une sécurité ?
L’Etat dispose de 25 à 26 %. C’est insuffisant.
Le vrai pouvoir à Eramet est entre les mains de la famille Duval,
c’est-à-dire de privés. Ils peuvent être tentés par une offre très
alléchante. N’oublions pas que les ressources minières
sont très convoitées partout dans le monde par de grands prédateurs.
Si
la Calédonie prend un jour le contrôle de la SLN, il faudra qu’elle
assume les risques financiers propres à ce type d’activités. Il y a un
investissement énorme qui se profile
avec la nouvelle centrale.
Si la société est bien gérée, il n’y a aucun
risque financier. Lors de ses derniers exercices positifs, la SLN a
distribué près de 90 milliards de dividendes. Le projet de nouvelle
centrale était pourtant dans les cartons. Dans le nickel,
il y a toujours de bonnes et de mauvaises années. Si l’on fait la
moyenne, c’est très positif et la SLN a une valeur colossale, ce qui
ouvre grand la porte des banques. Regardez l’usine du Nord, la
collectivité n’a pas investi d’argent, mais l’attrait du gisement
a suffi à convaincre de grands industriels. Même chose avec l’usine de
Corée qui traite du petit minerai que nous ne pourrions pas valoriser
ici. Nous n’avons pas investi un franc. Mais pour en revenir à Eramet et
à la SLN, une telle transaction relèverait
des décideurs politiques et des grands actionnaires d’Eramet. Sûrement
pas de moi.
La SLN ne peut pas se passer d’Eramet ni pour l’ingénierie ni pour les circuits commerciaux…
Une montée au capital de la SLN ne signifie pas
un divorce avec Eramet. Je ne les vois pas abandonner la SLN. Il
suffirait de passer un pacte avec eux pour qu’ils continuent à gérer
l’outil avec un partage équitable des dividendes.
L’usine du Nord rencontre beaucoup plus de difficultés que prévu. Où en êtes-vous ?
Nous avons à peu près trois ans de retard sur notre programme, en grande partie à cause de malfaçons de la centrale électrique.
Et votre partenaire, Glencore-Xstrata, n’est pas content.
Naturellement puisque ce temps perdu représente un surcoût important pour eux. Donc les frais de construction augmentent.
Avec
ces surcoûts, Glencore-Xstrata ne risque-t-il pas de vouloir renégocier
la répartition de l’actionnariat où la SMSP est majoritaire ?
Non. Nos accords font qu’il n’y a pas
possibilité de dilution des actions. Glencore est conscient
qu’aujourd’hui l’usine est là et qu’il faut la faire fonctionner.
J’espère que fin 2015 ou début 2016 nous aurons atteint notre vitesse de
croisière.
Vous avez également des difficultés à fournir du minerai à votre partenaire Posco.
Nous leur avons expédié en trois ans assez de
minerai pour produire 61 000 tonnes de métal. 107 000 tonnes ont été
produites chez d’autres clients à partir de minerais exportés par
différents mineurs dont la SLN. Une deuxième ligne de production
est en construction en Corée, dont nous sommes aussi actionnaires
majoritaires. Quand elle sera opérationnelle, ce sera une plus-value de
20 milliards pour la Calédonie sur le minerai transporté.
Vous
semblez quand même manquer de minerai. Le PDG de la SLN a déclaré vous
avoir fait une offre de fourniture et ne pas avoir eu de réponse.
En effet. Parce que nous ne sommes pas prêts.
Nous devons tester ces minerais et un bateau. La deuxième ligne de
production en Corée n’est pas encore opérationnelle. Mais les choses se
mettront en place l’an prochain et nous demanderons
aux petits mineurs de nous aider. Car le retour de valeur ajoutée du
métal produit à Posco est très supérieur à la simple exportation de
minerai.
Vous n’exploitez pas tous vos gisements, notamment Boakaine. C’est en raison de votre mésentente avec Gilbert Tyuienon ?
Nous n’avons pas trouvé de possibilité d’entente
avec le maire de Canala. C’est lui qui délivre les autorisations sur sa
commune. C’est très regrettable car ça prive cette région d’environ 200
emplois. A l’échelle de la Calédonie, c’est
énorme. Je ne sais pas quelles sont ses raisons, peut-être que je ne
lui plais pas.
Quelle est votre vision de ce que pourrait être un schéma minier à l’échelle du pays ?
80 % du minerai extrait en Calédonie l’est dans
le Nord. Pour moi, il est inconcevable de continuer à brader notre
minerai en l’exportant sans valeur ajoutée sur la vente du métal. Notre
usine de Corée rapporte beaucoup plus que notre activité
d’extraction. C’est ce schéma qu’il faut généraliser. Faire en sorte
que les petits mineurs vendent pour nos usines, en Calédonie ou
offshore.
A propos d’usine offshore, que pensez-vous du projet du groupe Maï avec JinPei pour une installation au Vanuatu ?
Ce serait une usine de plus. Mais le partenaire
calédonien serait privé. Or un privé peut vendre quand il veut. Si les
Chinois font une très belle offre à M. Maï, qu’est-ce qui les empêchera
de mettre les pieds en Calédonie. Cette usine
qui ferait de la fonte de nickel viendrait concurrencer les usines
locales et serait susceptible de faire baisser les prix du marché.
Pourquoi la SMSP a-t-elle contesté l’opération Prony-Pernod ?
Prony-Pernod, c’est un trésor qu’il ne faut pas
brader. Le nickel n’est pas une ressource inépuisable. Rien ne sert de
trop produire. Les prix baissent et on accélère l’épuisement de la
ressource. Il vaut mieux vendre plus cher et plus
longtemps. J’ai la conviction qu’il y a beaucoup mieux à faire avec ce
gisement.
La SMSP a subi un très gros redressement fiscal. Elle a saisi le tribunal administratif et a perdu. Qu’allez-vous faire ?
Une partie du redressement est sans doute
justifiée, une autre est très discutable. La SMSP a une véritable
activité de recherche et d’études et on lui refuse les dégrèvements
fiscaux qui vont avec. Naturellement, nous ferons appel.
Bio express
André Dang est né en 1936 dans une famille
d’immigrés indochinois, au pied du massif du Koniambo dont il est
aujourd’hui le maître.
Il a travaillé auprès d’Edouard Pentecost avant de faire fortune dans la vente de voitures.
Dans les années 1970, il est devenu l’ami de Jean-Marie Tjibaou dont le portrait orne toujours les locaux de la SMSP.
En 1999, à la mort de Raphaël Pidjot, il sort de sa retraite et reprend
la présidence de la SMSP qui vient d’être vendue par Jacques Lafleur à
la province Nord, dans le cadre du préalable minier. Avec Paul
Néaoutyine, il a concrétisé le vieux rêve de Jean-Marie
Tjibaou qui était de créer une usine de nickel dans le Nord.
Source
Publié le 4 novembre 2014
Comment
la logique financière s’introduit-elle sans décision expresse et de
manière insidieuse dans la gestion de la ressource minière? Comment, en
dépit des discours identitaires sur le contrôle de la ressource, les
« société pays » se trouvent-elles dépossédées de leur capital naturel
par la mainmise de la finance sur l’économie réelle? Comme écrivait Yves
Rambaud dans une lettre adressée aux calédoniens peu après avoir été
démis de ses fonctions par Alain Juppé, « on voit bien à qui profite
cette affaire et on voit clairement quelles en sont les victimes : la
province Nord et toute la Nouvelle-Calédonie, et la SLN dont le
territoire détient 30% ». Mais d’abord à qui la faute si, à termes, les
grands gagnants du nationalisme de la ressource calédonienne seront les
tenanciers des marchés du futur? La vraie question était-elle vraiment
de savoir si oui ou non la Société Le Nickel-SLN (SLN) allait
être dépossédée d’un actif minier vital pour son développement
puisqu’elle n’avait nulle intention de construire une usine pour traiter
le minerai du Koniambo? La vraie réponse ne résidait-elle pas plutôt
dans le fait que l’usine de Doniambo a depuis longtemps atteint ses
propres limites ? Que de combats inutiles!
Déception à la hauteur d’une ambition. Sûre de sa
puissance, il est un fait que la direction d’Eramet n’aura pas su
anticiper l’évolution de l’histoire et qu’à termes, les grands gagnants
qui tireront parti du fameux « trésor des kanaks » seront bien les
multinationales étrangères: Vale bien sûr avec la mainmise sur l’immense
plateau de Goro et ses vues sur Prony & Pernod, POSCO évidement
avec un déséquilibre savamment entretenu pour sécuriser
l’approvisionnent en minerai tout en développant ses propres
infrastructures en Corée, mais aussi et surtout Glencore qui, in fine,
aura financé la quasi-totalité des investissements de l’usine du Nord et
se paiera sur l’or vert tiré du massif du Koniambo avec des produits
financiers colossaux issus de la dette d’actionnaires contractée pour la
construction de l’usine. Durant la phase opérationnelle, tout comme
Vale, Glencore percevra des profits offshores tirés de la
commercialisation exclusive du métal. Ces deux entités auront eu recours
au financement internationaux et auront bénéficié d’une politique
fiscale généreuse pour attirer les liquidités internationales. En
revanche, malgré le pacte d’actionnaires prévoyant que la Société de
participation minière du sud calédonien (SPMSC) puisse porter sa
participation de 10 à 20%, cette dernière est aujourd’hui contrainte de
restructurer un endettement de plus de 30 milliards de francs et de
ramener sa participation à 5%. Malgré ses 51%, la Société minière du sud
pacifique (SMSP) également endettée à hauteur de 26,7 milliards de
francs, ne dispose pas de la capacité financière pour assumer le rôle
prépondérant qu’elle dit vouloir jouer au titre de ses 51% dans les
projets qu’elle a initiée. Aujourd’hui, ce n’est plus un secret pour
personne, la SPMSC tout comme la SMSP, font face à des difficultés
financières importantes, tandis que la STCPI n’est qu’une chambre
d’enregistrement de la politique de distribution de dividendes de la
SLN, laquelle est imposée par Eramet, lui même contrôlé par la famille
Duval et l’Etat français. Comment en sommes-nous arrivés-là alors que la
Nouvelle-Calédonie est censée détenir 25% de la ressource mondiale de
nickel avec cette fierté non dissimulée de se hisser au premier rang
mondial des producteurs? Pour le savoir, il convient de procéder par
étapes : poser d’abord les bases des montages financiers, démystifier
ensuite ce qui doit l’être en mettant en lumière les
instrumentalisations politiques en provenance du Sud comme du Nord,
avant de poser sereinement le fond du problème de la gouvernance
financière des multinationales.
La flexibilité de l’endettement. Avant son rachat
par Glencore, Xstrata fut responsable de la construction de l’usine du
Nord et de la bonne fin d’exécution des travaux. Conformément aux
accords de partenariat existants et au nouveau montage qu’elle imposa
pour rémunérer la prise de risque supplémentaire due à l’augmentation du
coût du projet passant alors à 3,85, puis à 5,3 milliards de dollars,
la multinationale basée à Zoug finança la quasi-totalité du coût,
garantissant l’intégralité du plan de financement en contrepartie d’un
retour substantiel, notamment sur la dette junior. Xstrata apporta
donc la totalité du montant de la dette senior, une dette classique
adossée à la défiscalisation et dédiée au financement de la centrale
d’énergie, soit 413 millions de dollars remboursables par Koniambo
Nickel (KNS) sur 25 ans avec un différé de 4 ans à un taux fixe de 8%.
Xstrata apporta également la quasi-totalité de la dette junior ou dette
d’actionnaires portée en compte-courants d’associés inscrits au bilan de
la co-entreprise. Plus de 95% de cette dette junior pour le financement
du reste de la construction du complexe industriel fut apporté par la
multinationale, alors que la SMSP emprunta en tout et pour tout 26,7
milliards de francs pour le financement de l’usine du Nord pour un
projet dépassant aujourd’hui les 700 milliards de francs. Le service de
la dette est principalement assuré par le projet Koniambo qui fit appel à
une structure de financement innovante puisque la dette junior est
structurée de façon à absorber tous les surcoûts successifs du projet.
Une restructuration permanente des dettes. Ce qui
est vrai pour le Nord ne l’est pas forcément pour le Sud puisque le
recours au mécanisme d’ajustement de la dette junior permet aux
actionnaires de KNS de s’adapter aux surcoûts du projet et aux retards
dans la montée en production, tandis que si elle ne veut pas diluer sa
participation au capital de Vale Nouvelle-Calédonie (VNC) la SPMSC est
contrainte de financer sa quote-part des surcoûts et de rembourser ses
emprunts. C’est en 2005, après les élections provinciales perdues par
Jacques Lafleur, que l’industriel du Grand Sud fut contraint d’ouvrir
son capital aux trois provinces réunies au sein de la SPMSC. A la suite
du rachat par cette dernière des parts du Bureau de recherches
géologiques et minières (BRGM) et du pacte d’actionnaires en date du 18
février, la SPMSC obtint 10% du capital de Goro Nickel, ces 10% étant
détenus à 50% par la province Sud via Promosud, 25% pour le Nord et 25%
pour les Iles. L’entité ainsi créée s’engagea à acheter cette
participation de 10% du capital au côté du consortium japonais Sumic
Nickel Netherland détenant alors 21%. Pour ce faire, elle obtint un
crédit vendeur au taux de 2% pour une valeur nominale de 5,2 milliards
de francs (soit 62,4 millions d’euros en principal) pour acheter les
9,71% du capital de Goro Nickel détenu par le BRGM, le reste ayant été
directement racheté à l’opérateur. Le paiement correspondant aux 9,71%
est remboursable dans la limite de 40% des dividendes perçus et
est différé sur une période de 15 ans, conditionné au fait que l’usine
atteigne 80% de sa capacité de production nominale. Ce mécanisme possède
donc quelques moyens d’ajustement. Mais face à l’augmentation du coût
du projet et au titre d’un contrat de prêt en date du 8 septembre 2006,
la SPMSC dût emprunter 40 millions d’euros sur 15 ans avec 5 ans de
différé pour financer sa quote-part des avances en capital et ainsi
maintenir sa participation à hauteur de 5%. La mise en service de
l’usine était alors prévue pour 2009 tandis que les premiers
remboursements annuels d’environ 10 millions d’euros commençaient à
échoir en septembre 2012. Deux ans plus tard, pour faire face à une
nouvelle augmentation des coûts du projet portés à 3,8 milliards de
dollars, l’entité locale dût à nouveau emprunter 20 millions d’euros
supplémentaires dans les mêmes conditions ce qui porta l’engagement
incluant les intérêts intercalaires à 70 millions d’euros. Pour couvrir
les risques industriels et financiers liés aux retards de mise en
production, l’équipe en place dût négocier une ligne de crédit de 70
millions d’euros auprès de Vale.
Attelage financier et cavalerie industrielle. Les
veritables ennuies commencent bien évidemment lorsque les actionnaires
doivent faire face à une nouvelle augmentation du coût de construction
du projet dont le montant n’est pas communiqué en tant qu’investissement
puisque considéré comme coût d’exploitation. Or l’augmentation des
coûts opératoires du projet et les retards dans la montée en puissance
de l’usine du Sud font que VNC se trouva dans l’impossibilité de générer
des profits. Du même coup, ne pouvant percevoir des dividendes,
la SPMSC se trouva dans l’impossibilité de rembourser les prêts à
échéance fixe. Cette dernière fut donc contrainte de demander à
l’industriel de payer les échéances de septembre 2013 et 2014, soit
environ 20 millions d’euros. Aujourd’hui, aux termes de sa transaction
avec le BRGM pour le rachat des 9,71%, la SPMSC doit un montant de 73
millions d’euros représentant le principal initial plus les intérêts, et
ce malgré la dilution de la participation à hauteur de 5%. Au titre de
la convention de crédit auprès de la Financière Oceor et de la Bred
Banque populaire pour le financement de sa quote-part des avances en
capital, la SPMSC doit 51,8 millions d’euros. Au titre du financement de
couverture de Vale pour les retards d’exploitation l’entité locale doit
20 millions d’euros et pour les surcoûts un montant de 170 millions de
dollars. Aujourd’hui, et malgré un endettement de plus de 30 milliards
de francs de la part de l’actionnariat local, Vale détient 80,5% du
capital, le consortium japonais 14,5%, tandis que la SPMSC détient
seulement 5% avec un endettement considérable que seule l’attribution de
Prony & Pernod aurait peut-être permis de résorber. Ainsi, la
financiarisation de la ressource engendre la cavalerie industrielle!
Le prix du prestige et de la notoriété. Le profond
déséquilibre entre le financement apporté par Glencore et celui de la
SMSP a au moins le mérite de battre en brèche l’argument apparemment
plausible mais bien trop réducteur et politique de Pierre Bretegnier et
consorts selon lequel la SMSP se serait très fortement endettée, raison
pour laquelle André Dang aurait proposé d’ouvrir son capital à la
province Sud. Oui, il est un fait que la SMSP s’est fortement endettée
alors que paradoxalement elle n’y était pas obligée du fait qu’elle
disposait initialement d’un montage flexible et sécurisé bien qu’onéreux
pour le pays, lui permettant justement de ne pas participer directement
au financement et donc de ne pas prendre de risque dans le cadre des
appels de fonds. Selon ce montage, le financement des surcoûts du
projet était entièrement garanti par le partenaire industriel ayant
recours au financement international. Contrairement à l’usine du Sud,
les retards dans la mise en production de l’usine du Nord ne pouvaient
donc théoriquement pas avoir d’impacts négatifs sur la situation
financière de l’actionnaire local, tandis que le service de la dette
junior fut étalé sur 25 ans, ce qui devait en principe permettre de
dégager des dividendes dès les premières années. Or pour des raisons
d’affichage et de prestige, André Dang n’aura malheureusement pas su
profiter de ce processus de financiarisation puisque la SMSP a choisi
l’option de lever elle-même des fonds afin de participer directement au
financement de la dette junior. Au bout du compte, la SMSP a non
seulement pris des risques inutiles au travers du financement de cette
dette d’actionnaires mais du même coup, en faisant cela elle s’est
également privée de financements pour les investissements productifs
d’un montant nettement moins importants et pourtant nécessaires dans les
autres filiales Nickel Mining Company et Cotransmine. Vu les retards
pris dans la montée en puissance de l’usine du Nord et le
manque d’investissements productifs dans ses deux autres filiales, la
SMSP aura beaucoup de mal à faire face à ses propres échéances dans les
années à venir, d’autant que les dividendes en provenance de Corée ne
seront pas suffisants pour qu’elle puisse maintenir son équilibre
jusqu’à ce que l’usine du Nord atteigne sa capacité nominale et dégage
les profits escomptés.
Voyage au bout du rêve. Un tel déséquilibre entre
l’affichage et l’engagement financier réel bat également en brèche
l’argument tout aussi plausible mais réducteur de Cynthia Ligeard selon
lequel la province Nord, à travers sa filiale, est endettée quasiment à
hauteur de 300 milliards de francs. Pour des raisons purement
politiques, la participation publique affichée des 51% au capital des
co-entreprises est inlassablement présentée par le Sud comme une prise
de risque inconsidérée pour la collectivité alors que la participation
effective de l’actionnaire local est néanmoins négligeable au regard des
montants investis par les partenaires étrangers, lesquels assurent la
bonne fin d’exécution de la construction, garantissent l’intégralité des
financements et supportent la totalité des risques associés à ces
investissements. Or la collectivité publique, en l’occurrence la
province Nord, n’a fourni en tout et pour tout qu’une garantie partielle
de 50% sur les engagements de la SMSP. Encore une fois, Glencore
garantit l’intégralité du plan de financement et en dehors de cette
garantie partielle, la province Nord ne s’est donc pas endettée auprès
des établissements de crédit. Même si les partenaires industriels et
financiers tirent bien évidemment leur épingle du jeu, pour le coup la
province Nord a démontré qu’il est parfaitement possible de sécuriser
les finances publiques de la collectivité tout en détenant une
participation majoritaire (toute emblématique bien que symbolique) dans
le capital des co-entreprises contrôlant la ressource minière et l’outil
industriel. En revanche, Paul Néaoutyine est quelque peu présomptueux
lorsqu’il parle d’un partenariat « gagnant-gagnant » et pour cela met en
avant les 51% du capital social de KNS, alors que la participation et
l’implication du partenaire local sont négligeables, pour ne pas dire
symboliques, et que l’actif financier de Glencore lui donne un droit
prioritaire sur les revenus futurs.
Forfaiture morale et politique. Même si en 2008 un
pacte d’actionnaires du Grand Sud vint consolider la participation des
provinces, contrairement au montage de l’usine du Nord, cette dernière
sera restée pour le moins chétive (avec ce que cela signifie en terme
d’affichage et de surenchère), tandis que du fait du retard du projet
Goro dans sa mise en production, les engagements financiers successifs
de la SPMSC se seront révélés onéreux pour la Nouvelle-Calédonie du fait
notamment de la non-valorisation de la ressource à l’origine et de la
nécessité d’emprunter pour financer les surcoûts du projet. Pour faire
face à ses échéances et pour ne pas être obligée de reconnaitre
publiquement les erreurs successives et donc collectives commises par le
camp non-indépendantiste, lors de la cession des droits miniers à Inco,
lors des tentatives de restructuration de la dette d’actionnaire, puis
avec la cession programmée de Prony & Pernod pour tenter de sortir
de l’impasse financière, la province Sud voulut restructurer les trois
dettes (BRGM, Syndicat bancaire et Vale) tout en attribuant les massifs
voisins pour épurer cette dernière. Elle tenta bien évidemment de le
faire au travers d’un protocole général d’accord ayant fait l’objet
d’aucune concertation, ni de mise en concurrence ou contre-expertise et à
l’appui d’une lettre d’intention occulte. Elle tenta de contourner en
urgence le principe selon lequel le territoire doit maîtriser sa
ressource et contrôler les outils industriels qui les valorisent. Aux
termes de cette lettre d’intention signée entre Vale Canada Limited et
la SPMSC, la multinationale s’engagea à prendre en charge directement
auprès de la Financière Oceor et de la Bred Banque Populaire la dette de
la SPMSC. En contrepartie de cet abandon de créance moyennant le
paiement de 75 millions de dollars, diminuant donc les dividendes que
l’entité locale aurait pu percevoir une fois que l’usine atteindra sa
capacité nominale et sera en mesure de dégager des profits, l’industriel
bloqua la montée de la participation de cette dernière dans le pacte
d’actionnaires. Cette transaction était censée être occulte, puisque que
la SPMSC détenue par les trois provinces s’engagea dans cette lettre
d’intention à limiter l’étendue de sa communication. Il ne s’agit donc
pas seulement d’irrégularités flagrantes et d’illégalités manifestes,
mais aussi est surtout d’une forfaiture morale et politique accablante
pour la Nouvelle-Calédonie, un scandale dépassant le paternalisme qui a
gouverné le nickel calédonien depuis plus d’un siècle, d’autant que la
contrepartie de l’attribution des gisements Prony & Pernod n’était
visiblement pas la construction d’une usine nouvelle opérant un procédé
hybride développé par l’équipe de Bertrand Berthomieu, mais bien
l’exonération de la redevance et l’appropriation pure et simple de la
ressource minière que constitue Prony & Pernod au profit des
multinationales Vale et Eramet.
La tyrannie de l’équidistance. A en croire la
représentante de l’Etat pour les grands projets qui, espérons-le,
n’était pas au courant des irrégularités et illégalités notoires du
protocole général d’accord tout autant que du contenu de la fameuse
lettre d’intention, le projet Prony & Pernod devait « rompre avec la
logique antérieure » en cela qu’il permettait selon elle de négocier un
accord de type nouveau avec les industriels. Depuis Paris, entre grâce
et pesanteur, Anne Duthilleul oublia de préciser aux journalistes qui
l’interrogeaient qu’il n’y avait pas eu de mise en concurrence, que
lesdites négociations avaient dû se faire en petit comité, qu’il n’y
avait pas de consultation du comité consultatif des mines, du conseil
des mines ou de l’autorité de tutelle. Même Pierre Bretegnier, pourtant
membre de la commission, avait regretté avoir été mis devant le fait
accompli, reprochant lors de la séance plénière « les délais trop
courts » et « l’absence de consultation et d’information des directions
ou experts qui auraient pu les éclairer sur le dispositif ». Comment
tenter alors de justifier l’injustifiable par une prise de participation
de 10% de la province Sud dans la future société susceptible
d’exploiter les gisements de Prony & Pernod pour alimenter les
unités existantes de Goro Nickel et Doniambo en prétextant que la
province Nord, à travers sa filiale, faisait courir un risque aux
finances publiques ainsi qu’aux contribuables ? A l’inverse, comment
Andre Dang peut-il décemment se prévaloir de l’affichage des 51% que la
SMSP détient dans KNS pour déclarer haut et fort que compte tenu de sa
notoriété et de son expérience, il est tout à fait capable de construire
une usine dans le Sud ? Quels sont les veritables fondements
économiques et financiers d’une telle prétention?
Au-delà de l’affichage une vraie logique. Loin de
la guerre de sécession que le Nord et le Sud se livrent pour la
paternité d’une Doctrine Nickel à l’échelle du pays, et quelque soit le
niveau de retombées économiques locales de ces projets menés par les
multinationales étrangères, les deux montages financiers sont la
démonstration que la structure du capital des co-entreprises et celle
des financements des projets industriels sont deux domaines bien
différents. La répartition du capital social d’une co-entreprise en
charge d’un projet est une indication statique ne tenant pas compte des
emplois et ressources financières de ce même projet. Cela veut aussi
dire deux choses extrêmement importantes qui démontrent également les
limites mêmes du montage financier de l’usine du Nord. D’une part, la
SMSP n’a pas payé ses 51%, ce qui lui confère un rôle plus que
subordonné dans la conduite du projet, donc la détermination des coûts
de construction, le délai d’exécution et les retours financiers. D’autre
part, en contrepartie de cette avance couvrant le coût de la
construction et de la mise en service du complexe, la multinationale
tire une grande partie des profits, essentiellement financiers. En
effet, une modélisation financière réalisée par Xstrata, depuis revue à
la baisse au grand dam du patron de Glencore, Ivan Glasenberg, fait
apparaître une contribution de 813 milliards de francs pour le
territoire pendant les 25 premières années. Ce calcul rendu public fut
effectué sur la base à long terme d’un cours moyen du nickel à 9 dollars
la livre, un dollar à 90 francs et un coût opératoire à 3,75 $ par
livre. Sur cette base, 473 milliards de francs devraient revenir aux
entreprises locales pour la construction et la maintenance, tandis que
les dividendes pour la SMSP s’élèveraient à quelques 128 milliards. Mais
poussons le raisonnement un peu plus loin puisque la logique financière
veut que le capital n’a plus à passer par le détour de la production
pour fructifier !
Gouvernance financière. Selon cette projection, le
chiffre d’affaires de KNS sur les 25 premières années de production
serait de 26,4 milliards de dollars dégageant un flux de trésorerie de
12,9 milliards de dollars, soit 1 161 milliards de francs. Or,
l’ensemble des dividendes versés aux deux actionnaires ne
représenteraient que 14% des revenus générés par KNS, montants répartis
selon la structure de son capital 51/49. Le reste des 86% estimés à 11,2
milliards de dollars serait dédié au service des deux dettes
remboursées par KNS à ses actionnaires dans le cadre de la construction
et de la mise en service. Autrement dit, sur la base de ces projections
et eu égard à ses apports, la SMSP est en effet en droit de percevoir
tout au plus 12% des flux sortant. Autrement dit, pendant que
l’actionnaire local percevra autour de 128 milliards de francs de
dividendes, coupons participatifs et intérêts, le bailleur de fonds
devrait encaisser la rondelette somme avoisinant les 1 041 milliards de
francs, dont 968 au seul titre des produits financiers. C’est ce pactole
(paktölos, une petite rivière qui selon la mythologie grecque charriait
des paillettes d’or) que Glencore percevra en ayant procédé au rachat
d’Xstrata dans lequel il détenait déjà 34%. Si la propriété légale de la
co-entreprise minière et industrielle ne générant que 14% des flux de
trésorerie disponibles au titre des dividendes est bien répartie selon
la règle 51/49 à l’avantage du partenaire local, ce qui représente 84,7
milliards de francs sur 25 ans, contre 81,5 pour la multinationale, en
revanche la propriété économique portant sur 86% de ces mêmes flux de
trésorerie l’est selon la clé 5/95 au profit de la multinationale, ce
qui représente 968 milliards de francs pour cette dernière contre
seulement 43 pour la SMSP. Au final, et compte tenu des surcoûts
financés intégralement par Glencore au titre de la dette junior, c’est
sans aucun doute bien moins de 10% du total des flux de trésorerie que
le partenaire local percevra, ce qui n’est en définitive pas si éloigné
des 5% du projet du Sud. Encore une fois, la Nouvelle-Calédonie aura
fait la démonstration que le monde de la finance n’est pas élu, ni
forcément majoritaire, mais qu’il gouverne effectivement. Demandez à
votre banquier ?