Le 18 novembre 1984, Eloi Machoro brisait
une urne à coups de tamioc. Trente ans plus tard, à Thio, des centaines
de militants indépendantistes se sont souvenus de ce geste, et surtout
de sa portée politique. Auteure hier d’un discours parfois musclé, la
famille pro-Kanaky veut combattre ses divisions.
Une vague de drapeaux Kanaky a submergé hier la
route de Thio. Pour Monique, « la période de violence est terminée, il y
a un combat politique, oui, mais pacifique ».
Le soleil tape fort et Juliette couvre, telle une ombrelle, la
tête de sa petite sœur du drapeau Kanaky. Les quatre cents marcheurs,
autour de la demoiselle, aimeraient voir eux l’étendard à la flèche
faîtière s’étendre sur tout le pays devenu nation.
Ce 18 novembre
est une date symbolique. Il y a trente ans, Eloi Machoro a brisé l’urne à
coups de tamioc lors des élections territoriales prévues par le statut
Lemoine. L’image a fait le tour du monde, la pression du FLNKS montait
face au « déni de légitimité du peuple kanak », et hier, à Thio, une des
premières places de siège en 1984, les militants se sont souvenus. « Et
la lutte continue ! » soufflent les enceintes dans le cortège, une fois
passé le pont. Hasard ou pied de nez du calendrier, cette mobilisation
indépendantiste se cale au lendemain de la marche « Restons Français »,
un message adressé au président de la République en visite. « Vous avez
tous entendu le discours de François Hollande : pour moi, la France
compte rester dans le Pacifique, a lancé Roch Wamytan de l’Union
calédonienne, à la tribune du champ de foire, site du regroupement. Elle
va s’asseoir sur vous, sur les morts kanak, sur les luttes de notre
peuple. Voilà le discours, la France restera, et nous ne pouvons pas
accepter ça ! »
Etat. En ce jour de
célébration, le verbe est musclé. Pas étonnant. Le signataire de
l’accord de Nouméa a même un pressentiment en poche, « l’Etat français
ne nous donnera pas l’indépendance. Hollande nous a dit que si nous la
voulions, c’est à nous de nous battre pour le faire. Alors nous allons
nous organiser et nous battre ! » Le micro avait déjà chauffé avec Louis
Kotra Uregei. « Les accords, on a donné. La confiance, on a donné, a
clamé le président du Parti travailliste. On en tire les conséquences :
la prochaine étape, c’est l’indépendance ! »
A Thio, toute la
famille pro-Kanaky a salué la portée du geste d’Eloi Machoro et
l’historique du combat. De Victor Tutugoro (UPM) à Louis Mapou (UNI) en
passant par Sylvain Pabouty (DUS). La dynamique des commémorations,
marquée notamment par les trente ans du FLNKS le 24 septembre, forge
l’unité de la mouvance indépendantiste. Toutefois, et plusieurs
personnalités politiques l’ont hier publiquement admis, « des
dissensions », « des malentendus », ou encore « des divergences »
secouent les liens entre formations de la sensibilité. Et des militants,
comme Thierry l’écharpe nouée dans les cheveux, le déplorent.
Arbre. Alors
que le repas du midi se prépare, Jean-Baptiste, la trentaine robuste,
en est sûr : « Les jeunes voient ces divisions, il faut les dépasser, il
y a parfois un langage politique qui ne convient pas. Il faut, à mon
sens repenser à l’histoire. Car l’histoire ramène à l’objectif ».
En
bas du champ de foire, un arbre est planté, symbole de la mémoire et du
maintien de la lutte. Pour faire taire les désaccords, « il faut
d’abord supprimer cette injustice sur le corps électoral, pointe Maryka.
Les autres font tout pour nous rendre minoritaires. L’Etat doit
retoiletter les listes » spéciales pour les provinciales. Une notion qui
renvoie au corps électoral pour le référendum. Aujourd’hui, pour la
dame d’Ouvéa, « il y a tricherie, des gens ne doivent pas être sur les
listes ». Le flot des militants se disperse sur le vaste terrain. Maryka
en est convaincue, « en 2014, 1984 continue ».
7 000
Le chiffre est à nouveau rappelé sur le communiqué distribué hier : « L’Etat français demeure sourd, entre autres, sur la question des 7 000 personnes indûment inscrites sur les listes électorales provinciales ».
Questions à... Marc Fifita-Néé, témoin du geste d’Eloi Machoro en 1984
« C’était l’urne de l’Etat français ! »
Les Nouvelles calédoniennes : Vous étiez avec Eloi Machoro dans la salle à Canala. Pourquoi ce geste sur l’urne est-il survenu ? Marc Fifita-Néé : Après la création du FLNKS en septembre, chaque responsable politique est retourné dans sa commune pour organiser des structures. Le vieux Eloi est revenu vers Nakéty, nous a rassemblés et a parlé du boycott actif (des élections territoriales du 18 novembre 1984, NDLR). Le dimanche, à Nakéty, on a attaché le responsable du bureau de vote et on l’a mis au presbytère. Vers 14 h 30-15 heures, Eloi a dit : « On va foncer vers Canala ». On est partis vers la mairie et la maison commune. On y est entrés ensemble, tout le monde. Direction l’urne. Le vieux a brandi le tamioc et a tapé la caisse. Une fois, mais elle n’a pas voulu casser. Un deuxième coup de tamioc, et là, la caisse a cassé. Et on a brûlé les bulletins de vote dans la salle.
Pensiez-vous assister à un acte historique ?
Oui, j’ai vu que c’était un acte historique. Parce que c’était l’urne de l’Etat français ! Briser l’urne avec un tamioc, c’est rare de voir ça dans le monde ! J’ai compris qu’Eloi faisait quelque chose de fort. Mais je ne savais pas ce qui allait se passer après... Et on est repartis vers Nakéty, pour préparer ce qu’on allait faire le lendemain.
Trente ans après, on en est où selon vous ?
J’avais trente ans à l’époque, je suis né en 1954. Aujourd’hui, en 2014, ce que je constate, c’est qu’il n’y a pas tellement de changement. Sur le plan politique, ça discute, mais ça ne va pas en bas, dans les tribus. Il faut que les politiques descendent dans les tribus pour voir et essayer de convaincre nos jeunes de se former, etc. Aussi, les mines tournent à fond, mais il est où l’argent de ces usines ? Il n’y a rien pour nous, pour construire notre pays !
Repères
Boycott, pourquoi ?« Le 18 novembre 1984, c’est la journée pour laquelle avait été décidé un boycott des élections, s’est souvenu Jean-Louis d’Anglebermes, de l’UC, hier à la tribune de Thio. Pourquoi ? Après l’élection du président de la République en mai 1981, François Mitterrand, qui s’était engagé à donner l’indépendance à la Nouvelle-Calédonie, des contacts avaient été pris à Paris pour poser deux problèmes : le corps électoral, déjà, et comment donner le pouvoir aux Kanak dans leur pays ? C’est la non-réponse du gouvernement socialiste de l’époque à travers le statut Lemoine - statut qui ne répondait pas à ces deux questions - qui a amené le FLNKS à un boycott ! »
Des couleurs absentes
Hier à Thio, sur le champ de foire, les drapeaux de la commune et du FLNKS ont été montés solennellement. Le troisième mât réservé aux couleurs tricolores est resté lui sans étendard. Un poteau seul. « A Thio, le drapeau de l’Etat français a été banni pendant les Evénements, explique Karl Toura, un des organisateurs de la mobilisation. C’est donc en souvenir, et seulement dans le contexte du 18 novembre 1984 qu’il faut replacer cela ».
Mon fils Eloi
Durant la coutume, Louis Kotra Uregei a salué la mémoire d’Eloi Machoro, un compagnon de lutte en 1984. Le combattant originaire de la tribu de Nakéty a marqué le futur président du Parti travailliste, lequel lui a rendu un hommage très personnel : « Mon deuxième fils s’appelle Eloi ».