Assemblée de la province sud du jeudi 11 septembre 2014
Monsieur le président,
Le projet de délibération qui nous est soumis tombe à
point nommé compte tenu de la situation de la tribu de St Louis avec
ses évènements
graves à répétition qui égrènement le quotidien de la population
tribale et du mont dore depuis quelques mois. Il suffit encore une fois
de se reporter aux nouvelles de ce jour pour s’en rendre
compte. Je saisis donc l’opportunité qui m’est donnée pour poser
brièvement, au nom de notre groupe, le cadre historique et sociologique
de ce projet.
Les actes de délinquance et d’incivilités, ne sont que la partie
émergée de l’iceberg, ils sont le révélateur d’un malaise profond de la
société kanak dans son ensemble, qui après avoir
affronté un système colonial violent et déstabilisant, se trouve
confrontée désormais à un système économique et politique dans lequel le
kanak en général et la jeunesse en particulier, et
notamment celle de St Louis, peine à trouver sa place pleine et
entière.
La tribu de St Louis à elle seule porte tous les stigmates d’une
histoire coloniale faite d’occupation foncière, de révoltes, de
répression et de déplacement de population contrainte à se
retrouver dans un espace occupée et dédiée à l’évangélisation.
L’Eglise catholique avait fait de cet espace après les grandes révoltes
kanakes du sud et la mort des deux grands chefs : Kandjo
(Mont Dore) et Kuindo(Païta) en 1859, une base arrière solide pour
l’expansion de la mission non seulement en Nouvelle Calédonie mais aussi
pour les diocèses voisins : Nouvelles Hébrides,
Salomon, Wallis etc. A tel point que St Louis avait été désigné
comme le « petit Vatican » du pacifique avec des écoles, une ferme, des
plantations de riz et de canne à sucre, une rhumerie,
un centre de formations des cadres de l’église : moniteurs,
catéchistes, séminaires, noviciat etc.
Sous l’autorité des missionnaires, les kanak ont été regroupés en
quatre quartiers suivant leur origine géographique et linguistique : St
Paul pour les clans et familles de Touho et Poindimiè,
arrivés avec les premiers missionnaires en 1856, St Jean pour les
clans expulsés de leur terre du mont dore, Dumbéa, Tiati et Nouméa, St
Thomas pour les clans de Païta, St Tarcisius pour les
clans de la région de La Foa exilés après la grande révolte d’Atai
en 1878. Il convient de même d’ ajouter les familles originaires de
l’Ile Ouen regroupés aussi à St Louis. A tour de rôle la
chefferie a été assurée par les responsables coutumiers de Touho, du
Mont Dore puis de Païta,et plus spécialement par le clan KAMBWA,
famille WAMYTAN, de 1892 à nos jours. Ce regroupement
hétéroclite mais sous une apparente cohésion, a même servi de modèle
pour l’église fière de sa méthode de réduction comme méthode
d’évangélisation constituant à couper la personne de sa
culture et de sa communauté d’origine pour en faire un bon chrétien
digne du salut éternel. Ces réductions ont d’ailleurs été aussi testées
par les jésuites en Californie et au Paraguay.
L’apparence tranquille et idyllique des kanak dits civilisés et
catéchisés sous la houlette des bons pères missionnaires qui réglaient
au millimètre prés la conscience des fidèles et leur
organisation sociale, cachaient en fait des refoulements et des
frustrations inimaginables qui allaient constituer au fil du temps, soit
de 1859 à l’aube des années 1980, un ensemble
d’ingrédients prêt à s’enflammer à la moindre étincelle. Dès que
l’étau de l’église s’est desserrée sur la tribu dans les années 1960 et
70, les forces de revendications nées du mal être profond,
des clans et des chefferies éparses regroupées là sous la
contrainte, se sont déchainées soit à petite dose, soit dans des
mouvements difficilement maitrisables à l’exemple du conflit de l’ave
maria. Ajoutant à la confusion une nouvelle chefferie, celle de
MOYATEA, même si la légitimité historique pouvait se comprendre, se
mettait en place dès 1983, participant à la division de la
tribu. En effet à l’instar des divisions de religions, deux
chefferies, deux chefs se partageaient l’autorité sur un même espace,
pour une même population, chacun presqu’à titre individuel était
tenu de se positionner pour ou contre WAMYTAN ou MOYATEA.
De tout temps la population de St Louis s’est organisée et levée
pour défendre son identité, sa dignité et ses intérêts :à la création
de l’UICALO au lendemain de la seconde guerre
mondiale, aux évènements de 1958 pour défendre le gouvernement de
l’union calédonienne, durant les évènements de 1984 et 1988, pour le
combat de l’accès à la ressource pour l’usine du Nord en
1998, contre l’usine du sud au côté du comité Rhebu nu, au moment
des grèves d’Air Cal en 2009. Ces derniers mois la jeunesse s’est ainsi
mobilisée contre l’usine de Vale Inco à la suite des
fuites d’acide du 7 mai 2014. Cette mobilisation prenant parfois
une forme de délinquance avec un aspect particulier de rébellion contre
le système en place.
Si St Louis a été de tous les combats, cette situation particulière a
aussi fait l’objet de manipulation et d’instrumentalisation destinées à
discréditer des combats légitimes de sa population.
De même la délinquance au sens strict qui concerne une quarantaine
de jeunes sur près de 800 de moins de 25 ans que compte la tribu, s’est
parfois infiltrée dans les luttes politiques ou à but
économique ou de défense de l’environnement. Cela a alimenté la
confusion et participé au discrédit du combat contre l’usine de Vale
Inco par exemple.
Pour une population d’environ 1300 personnes, nous avons ainsi deux
chefferies, plus celle de l’Ile Ouen, donc trois autorités, une
jeunesse revendicative, qui peine à trouver sa place.
Tout cela baigne dans un processus de revendication politique
d’indépendance symbole d’une dignité et d’une liberté à reconquérir. Par
ailleurs il convient d’y ajouter des revendications d’ordre
économique et environnementale de même que des revendications
d’espace vitale nécessaire au bien-être et à sa propre survie afin
d’échapper à ce sentiment d’étouffement constitué par le
développement urbain du mont dore, développement inhérent à une
société calédonienne en pleine mutation. Comment alors se faire entendre
sous ces conditions et dans cet espace confiné
géographiquement et mentalement qui fait de St Louis une zone de non
droit et oublié, du genre « cote oubliée » ?
Une partie de la réponse a souvent été la route territoriale puis
provinciale qui traverse la tribu ! C’est le lieu de fixation de toutes
les frustrations, les refoulements et l’insatisfaction de
la population. Cette route est devenue au fil du temps un instrument
pour faire entendre sa voix inaudible autrement. A la moindre
revendication, les gens se précipitent sur cette route pour
manifester son mécontentement ou parfois sa joie. Toutes les
avancées significatives obtenues sont parties des manifestations et
barrages sur cette route. Mais hélas des drames sont aussi partis
de cette route et notamment le conflit de l’Ave Maria qui a débuté
lorsque cette route fut occupée non pas par les kanak de St Louis mais
par la communauté wallisienne et futunienne. Cette route
est aussi devenue le cauchemar des biens pensants mais hélas aussi
pour ceux qui habitent au mont dore. Certains prétendent qu’en
contournant cette route, le problème de la libre circulation sera
réglée, peut-être, mais en tout cas le problème de fond de St Louis
restera lui entier si c’était le cas.
L’autre réponse plus adéquate est bien sur le comité de pilotage
objet de la délibération que nous examinons, un comité de pilotage que
nous appelons de tous nos vœux depuis plusieurs
années. Aussi je saisis l’opportunité de cet examen pour remercier
au nom du groupe, l’initiative du président Philippe MICHEL ainsi que
son prédécesseur Philippe GOMES dans leur volonté de
réanimer un comité de pilotage mis en sommeil depuis presque quatre
ans pour des raisons que je peux comprendre mais que je ne partage pas.
Il s’agit avec ce comité de pilotage, de créer un espace de parole,
de concertation et d’initiative réunissant l’ensemble des parties
prenantes du dossier de St Louis. Nous espérons en tout cas
que compte tenu des graves problématiques relatives à la tribu de St
Louis, et plus particulièrement à sa jeunesse, ce comité de pilotage
poursuivra le travail de fond sur du long terme et non
plus de façon saccadée en fonction des intérêts du moment, ou
lorsque les caillassages reprennent et que les voitures brulent au bord
de la route.
Je vous remercie
R.WAMYTAN