Monsieur le président, Mr le représentant de l’Etat, Mr le Maire
Mesdames et Messieurs
La chefferie WAMYTAN a répondu à votre invitation pour la réunion de cette après-midi car elle attend déjà depuis un moment que ce comité de pilotage de St Louis soit réactivé, c’est chose faite désormais et on vous en remercie.
La décision de participer à cette réunion, nous l’avons prise dimanche soir après un long débat, car certains des responsables coutumiers voulaient tout simplement boycotter cette réunion pour marquer notre désapprobation et notre colère face aux propos du commissaire délégué de la république française pour la province sud, lors des débats en assemblée de la province sud jeudi 11 septembre sur le rapport n° 1525-2014/APS portant création du comité de pilotage de St Louis. Ces responsables m’ont cependant chargé de venir vous faire connaitre notre état d’esprit après ce que nous avons entendu et qui a été relayé dans les médias et les réseaux sociaux et que nous considérons comme déplacées et irrespectueux tendant à jeter l’opprobre sur la chefferie WAMYTAN.
Ma chefferie a été, interloquée, choquée, et scandalisée par les propos du représentant de l’Etat lorsqu’il s’est autorisé à citer en pleine assemblée de province le nom de famille WAMYTAN que portent deux jeunes qui venaient pour l’un d’être condamné à 5 ans de prison et pour l’autre venant de faire l’objet d’une interpellation le matin même. Certes ce représentant de l’Etat répondait aux critiques d’un groupe politique qui se plaignait de l’inaction de l’Etat face aux actes de délinquance. Et loin de nous l’idée de défendre ces jeunes dans ce qu’ils ont commis comme répréhensible au regard de la loi. Mais pour quelles raisons ce haut représentant de l’Etat a-t-il cité nommément ces deux jeunes WAMYTAN alors que plus de 35 jeunes portant les noms de pratiquement toutes les grandes familles de St Louis avaient été interpellés ces derniers jours et ces dernières semaines. Et alors même que les médias relatant les faits et les interpellations souvent ne livrent pas les noms de famille.
Pour quelle raison sinon dans l’intention évidente de nuire à la réputation de la famille WAMYTAN, aux responsables coutumiers et au grand chef et élu de la province et du congrès et responsable indépendantiste que je suis. Le représentant de l’Etat a sciemment jeté en pâture à l’opinion publique la chefferie WAMYTAN, la désignant comme responsable de tous les actes de délinquance et d’incivilités qui se passent sur la tribu de St Louis et sa région, route provinciale traversant la tribu comprise. Et partant il a délibérément pointé les responsables indépendantistes comme responsables de la situation, discréditant par la même le combat politique indépendantiste.
La réaction ne s’est pas fait attendre lorsque dès la fin du week end le site de Calédosphère titrait : L’Etat recadre WAMYTAN sans le citer …… Les commentaires des internautes étaient en parfaite cohérence avec l’effet recherché en citant le nom de famille de ces deux jeunes. En effet ces commentaires affirmaient que le seul et unique responsable de la situation était le grand chef indépendantiste Roch WAMYTAN et la seule sanction qu’il méritait était le lynchage ou une balle dans la tête. En citant le nom que je partage avec ces deux jeunes, le représentant de l’Etat me désignait comme l’homme à abattre dans le droit fil du mot d’ordre de certains extrémistes : « éliminez le et il n’y aura plus de problème sur St Louis ». Au cours d’une longue discussion que j’ai eu avec ce commissaire délégué, j’ai eu l’occasion de lui dire qu’avec ce comportement, et les réactions qui s’y réfèrent il me mettait dans la ligne de mire des jusqu’au- boulistes du tout sécuritaire et donc en danger de mort. Est-ce la solution retenue par l’Etat français pour régler le problème d’ordre public face à la délinquance de la jeunesse kanak, c’est-à-dire l’élimination physique des leaders kanak ? La question mérite d’être posée après ce grave incident du 11 septembre dernier et après ce qu’on connait de l’histoire de notre pays et de l’élimination de nos leaders.
Aussi la chefferie WAMYTAN demande aux responsables de l’Etat français de faire preuve de respect à la culture kanak de cette partie ci de la grande Mélanésie océanienne. La répression de la délinquance d’une partie de notre jeunesse ne peut justifier que les représentants de cet Etat qui colonise ce pays depuis 161 ans en ce 24 septembre 2014 se permettent d’agir de la sorte au moment où notre pays ferme lentement mais surement la parenthèse du colonialisme. Et dans la culture kanak le premier respect se doit à la personne et au nom qu’elle porte. Dans cette culture personne ne porte comme nom des sobriquets ou des surnoms issus du bagne, chacun de nous porte des noms qui symbolisent une histoire et un lignage. Le nom précise la fonction et la responsabilité de la personne au sein de la vie sociétale. Le nom a par ailleurs une portée spirituelle forte d’où la pratique ancestrale de ne pas dévoiler son nom à n’importe qui. A l’instar du monde hébraïque, dévoiler un nom publiquement c’est à la limite dépouiller la personne de son essence même du fait qu’elle est livrée à la personne qui l’entend. Il n’est pas possible de galvauder un nom kanak pour quelque raison que ce soit.
Ma chefferie demande aussi le respect, car la famille WAMYTAN a aussi fourni deux jeunes gens dans la force de l’âge partis pour la grande guerre de 14-18 et dont descendent d’ailleurs en ligne directe les deux jeunes cités par le représentant de l’Etat le 11 septembre dernier. Ils ont combattu en France et sont tous deux revenus sains et saufs mais l’un est mort très jeune à cause des gaz moutarde ou ypérite, inhalés lors des combats dans les tranchées laissant une veuve seule avec des enfants en bas âge. Ayant combattu pour une liberté qui n’était pas la leur et en ce centième anniversaire de leur sacrifice, tout cela doit inciter aux représentants de l’Etat à donner l’exemple en nous respectant.
En poursuivant dans le même ordre d’idée, on peut citer aussi les dizaines de jeunes de la famille WAMYTAN et des familles de la tribu de St Louis qui ont été enrôlés volontairement comme auxiliaires ou supplétifs dans l’armée américaine entre 1942 et 1946, servant spécialement comme chauffeurs, manœuvres ou guides, participant ainsi à l’effort de guerre alors que certains en Nouvelle Calédonie profitaient de l’aubaine due à la présence américaine pour s’enrichir. Après la victoire de 1945, personne ne s’est soucié de leur sort, ne pouvant bénéficier des avantages servis aux anciens combattants car ils servaient l’armée américaine en Nouvelle Calédonie sans avoir été affectés dans des unités combattantes.
Ainsi il n’est pas très fair play de venir nous chercher quand la liberté du monde français ou européen est en danger et de nous laisser tomber ou nous livrer en pâture à l’opinion quand cela dérange les bienpensant.
Enfin depuis qu’officiellement la tribu de St Louis a été créé par l’arrêté n°806 du 27 octobre 1897, et jusqu’à nos jours, la famille WAMYTAN avec ses 6 grands chefs successifs ont toujours servi avec fidélité et constante les intérêts et la cohésion de la population de St Louis. Cela malgré les difficultés inhérentes à une tribu fabriquée de toute pièce en 1859 par les missionnaires catholiques à partir d’un regroupement hétéroclite de clans divers venus soit sous la contrainte due à la répression coloniale ou pour les besoins de l’évangélisation. Ce n’est pas parce que notre histoire récente est ainsi faite, que certains doivent continuer de profiter de cette aubaine pour manipuler et instrumentaliser les gens de St Louis dans le but de diviser les familles, clans et chefferies.
Pour finir, la chefferie se réserve le droit de déposer plainte au pénal contre le commissaire délégué de la province sud car ses propos tendaient définitivement à nuire à la famille WAMYTAN, et ses représentants coutumiers et politiques. Et sur le plan politique ce qui s’est passé ce 11 septembre sera porté à la connaissance des autorités nationales françaises et de l’ONU. Par ailleurs la chefferie examine la question de savoir si les intrusions permanentes des forces de l’ordre dans la tribu, sans consultation ou autorisation des grands chefs ne contreviennent pas aux dispositions de la délibération relative au régime des réserves autochtones précisant que : « les terres coutumières sont la propriété incommutable, insaisissable et inaliénables des tribus auxquelles elles ont été affectées ». Dès lors les dispositions de l’article 3 & 1er de l’arrêté du gouverneur du 22 janvier 1868 relatif à la constitution de la propriété territoriales indigène qui précise que : « toutes les actions possessoires pétitoires ou autres que la tribu aurait à soutenir tant en demandant qu’en défendant seront portées devant le tribunal compétent » pourraient s’appliquer dans ce cas d’espèce.
Ceci dit, la chefferie WAMYTAN exercera sa responsabilité pleine et entière qu’elle exerce depuis près de 120 ans sur la tribu de St Louis en relation avec l’ensemble des autorités coutumières concernées. Pour terminer je rappelle ce principe qui nous anime : « respectez nous si vous voulez être respectés en retour »
Je vous remercie de votre attention
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