Une précision terminologique préalable: le terme « émancipation »
emprunté à l’accord de Nouméa est utilisé ici dans le sens d’indépendance, conformément
à la déclaration 1514 des Nations-Unies. Une interprétation qui n’est
évidemment pas partagée par les partis de droite pour qui l’émancipation doit
être comprise « au sein de la
République française » et dont on peut se demander aujourd’hui… si elle
n’est pas non plus celle de certains dirigeants du FLNKS.
I)
Constat :
Nous sommes à la fin de l’accord de Nouméa et à six mois
d’une importante consultation sur le devenir de la Nouvelle-Calédonie. Le
mouvement indépendantiste est extrêmement divisé et de surcroît, le concept de mouvement de libération nationale est
désormais purement et simplement abandonné. Le FLNKS dont discours et pratique politiques sont caractérisés
par la confusion sur les objectif à atteindre, s’inscrit en effet de moins en
moins dans une logique de « libération » du peuple colonisé. Il
semblerait en effet qu’il s’aligne, sans le dire explicitement, sur la
doctrine qui conduit à abandonner la
logique d’indépendance au profit d’une simple reconnaissance d’une identité
kanak ouvrant des droits particuliers (statut coutumier) au sein d’un peuple
calédonien. Une approche qui conduit
évidemment à la marginalisation.
Si la droite est elle aussi divisée, elle l’est moins que le
FLNKS sur les fondamentaux, sans doute parce qu’elle a compris que son idéologie « franco-française » est
vitale pour maintenir ses avantages acquis. Malgré ces divisons, une seule composante parvient
quand même à faire descendre près de 10 000 personnes dans la rue un vendredi
midi à l’occasion de la visite du président de la République. Ils auraient été
au moins deux fois plus si C.E y avait participé. Le lendemain la « DUS » et le « comité
150 ans après » rassemblent à peine 25 « vieux militants » au Mwa
Ka pour rendre hommage aux 19 d’Ouvéa. Plus inquiétant cette manifestation « confidentielle »
se déroule dans l’indifférence totale des kanak qui passent devant les
banderoles sans même s’arrêter.
Que s’est-il passé pour
en arriver là ?
Après 165 ans de colonisation, lentement mais surement, la
dialectique « assimilation/émancipation » est mise à l’épreuve des
faits et le phénomène d’intégration fait son œuvre, notamment au travers des
valeurs inculquées par le système éducatif, le monde de l’entreprise et des
institutions, présentés comme un
« modèle » sociétal universel et implicitement accepté par bon nombre
de Kanak pour qui la promotion sociale semble désormais constituer l’alpha et
l’oméga d’un projet individuel. (Pour un
exemple caricatural exprimant ce courant de pensée : Jacques Wadrawane ou
Jules Hmaloko).
En outre un inévitable phénomène de lassitude d’entendre toujours les
mêmes slogans stéréotypés depuis les « top 84 » « top 88 »,
ou encore « top 98 »…qui ont
bercé toute une génération, pour en arriver trente-cinq ans après, à un incertain « 2018… c’est possible », pas très motivant pour les
militants !
Certains expliquent que le rééquilibrage a porté ses fruits,
que le pouvoir politique est désormais partagé (collégialité au gouvernement et deux provinces dirigées par les kanak
…) qu’il faut maintenant « accueillir
ceux qui arrivent car il s’agit de nos frères » (Elie Poigoune), que
l’indépendance serait un concept lié aux décolonisations des années soixante qui n’a plus lieu d’être puisque,
les Kanak ne représentant plus que 39% de la population et ne constituent donc qu’une
« communauté » parmi les autres au sein d’un « peuple calédonien »,
ils n’ont donc pas d’autre choix, que de s’intégrer « pour leur bien » (P.Gomès).
Ce raisonnement, qui ne semble pas être véritablement remis
en cause par les dirigeants du FLNKS (Cf : les déclarations de D.Goa ou de D.Poidialiwane ) est lourd de
conséquences puisque les kanak, sans consignes politiques claires, sont pour
bon nombre d’entre eux convaincus que cette évolution est inéluctable et qu’il faut, tant bien que mal, s’adapter à
cette réalité (Fatalisme ambiant dans les
tribus renforcé par un recours important au cannabis). Les mouvements indépendantistes qui ne sont
pas dans le FLNKS tente de maintenir
« la flamme » idéologique avec
une rhétorique militante qui ne semble pas susciter un grand enthousiasme dans
la population, davantage préoccupée par le quotidien (paiement du loyer, remboursement
des prêts, scolarisation des enfants…. ).
Les appels à l’unité de la DUS, comme préalable à l’indépendance, constituent
un frein à l’émancipation car le réalisme s’impose, même si le peuple la désire
les appareils politiques qui participent aujourd’hui à l’exercice du pouvoir ne
conçoivent l’unité qu’à leur profit.
Il apparait en fait que le FLNKS a sacrifié le projet
d’indépendance kanak socialiste contre la gestion de deux provinces où il
exerce un pouvoir « sous perfusion »,
ceux
qui parviennent au gouvernement ou au congrès, sont du fait de leur divisions
soigneusement entretenues par l’Etat, dans l’incapacité d’influencer les choix faits au sein de ces
institutions, et succombent à un faux consensus, qu’ils acceptent d’ailleurs,
pour certains, avec une certaine complaisance.
Les exemples sont trop
nombreux pour être cités ici et je ne rappellerais donc que celui « emblématique » des transferts de
compétences.
Conséquence de cette situation, alors qu’une consultation des
électeurs concernés est organisée le 4 novembre prochain. Le « NON »
à l’indépendance est donné très largement
gagnant avec 60/65% des suffrages exprimés.
Que fait le
FLNKS ?
Il dit « mobiliser » son électorat mais
prépare en fait l’échéance suivante, celle des provinciales de 2019. Quel meilleur aveu
qu’il ne croit pas à l’hypothèse d’une « possible »
victoire et se résigne à une collaboration pour encore un mandat au moins,
repoussant une échéance qui, décidemment semble lui faire peur et espérant sans
doute poursuivre ainsi jusqu’à une troisième consultation…en 2024 !
La palme de la duplicité revient certainement au PALIKA
(UNI ?) qui évoque un « partenariat » avec la France, considérant-
comme la droite- que le peuple kanak n’est pas prêt à assumer seul un
indépendance, alors que cette préparation est plus ou moins engagée depuis 1988.
Ainsi il n’y aurait donc plus de situation coloniale mais une relation d’égal à
égal entre la Nouvelle-Calédonie et la
France (Washetine et Poigoune). Mais alors quid du peuple colonisé ?
Il apparait que les
contradictions du FLNKS entre sa
pratique institutionnelle et sa rhétorique indépendantiste sont telles que le discours est à usage purement interne, visant essentiellement à maintenir un électorat lui assurant une certaine pérennité
dans son pré carré des provinces Nord et Iles, sans autre réelle ambition.
Une absence évidente de
stratégie pour l’indépendance !
Alors que le PALIKA et
de l’UC sont empêtrés dans la « gestion publique », provinciale, font de la figuration au
gouvernement et gesticulent au congrès, existe-t-il une stratégie pour l’indépendance ?
on peut raisonnablement en douter.
Si le fait d’être dans les institutions constitue une
nécessité, cela ne peut constituer une fin en soi. Les institutions devraient
être utilisées pour relayer et appliquer les consignes politiques du parti.
Mais encore faut-il qu’elles existent ! En pratique rien de tel et il apparait,
notamment au gouvernement, que les élus
du FLNKS sont totalement phagocytés par
la pratique dite « consensuelle »
qui les conduit à valider les propositions de la majorité de droite.
De ce point de vue la pratique institutionnelle semble avoir purement
et simplement anesthésiée des élus qui se revendiquent du label FLNKS mais qui sont dépourvus de
convictions et poursuivent essentiellement des ambitions personnelles (Deux figure emblématiques parmi d’autres avec
Jean-Louis D’angleberme ou encore Postic).
Au bilan, un échec flagrant au regard de la recherche d’une
émancipation en visant à obtenir l’indépendance.
Plus grave à six mois de la consultation d’autodétermination,
le FLNKS évoque sans grande illusion, un
« OUI » c’est possible…. ! qui laisse perplexe et manque
singulièrement de conviction, laissant entrevoir la fatalité que le « NON » va l’emporter.
En outre aucune stratégie ne semble clairement élaborée pour
affronter l’après 4 novembre 2018, sinon les élections provinciales de 2019. Personne n’est dupe et les militants désabusés
comprennent que le 4 novembre étant
perdu, la seule perspective porte sur :
comment faire un score
honorable aux provinciales de 2019 ?
Mais le temps joue contre le peuple Kanak.
II)
Quelles perspectives ?
La venue du président Macron a séduit aussi bien les non indépendantistes, que les
indépendantistes du FLNKS. Pourtant qu’a-t-il annoncé ? Quel geste fort a
été fait envers le peuple Kanak ? Rien… L’imposture de la restitution
de l’acte de prise de possession ne peut
bien sûr pas être comprise comme l’accès à l’indépendance ainsi que le prétend Rock Wamytan.
Macron en professionnel du cynisme politique a reproduit-de
manière différente- le concept de l’Etat « équidistant »,
puisqu’il appartient aux calédoniens de décider de leur avenir. Une fausse
neutralité puisque dans le même temps, les messages du style « la France serait moins belles sans la
Nouvelle-Calédonie » sont suffisamment clairs pour indiquer aux
électeurs la préférence de l’Etat. En outre sur le terrain ses services mènent
ouvertement une propagande efficace en s’appuyant notamment sur la droite, mais
aussi sur les propos d’Elie Poigoune,
largement médiatisés pour convaincre les kanak
que l’indépendance serait une erreur.
Une telle posture, confortée par l’idée que le maintien du statu quo ante, avec l’évocation d’un
axe économique dans lequel la
Nouvelle-Calédonie joue le rôle de point d’appui géopolitique dans lequel elle
a tout à gagner, ainsi que promotion du « peuple
calédonien », font que tout est mis en œuvre faire pour basculer vers le « NON »
ou l’abstention les kanak qui hésitent encore.
Et après le 4
novembre ?
Chez les opposants à l’indépendance une tendance assez
marquée à vouloir radicaliser leur position une fois le NON acquis avec
65% des suffrages exprimés: descendre le drapeau kanak, faire enlever la NC de
la liste des pays à décoloniser, libérer le cops électoral gelé, empêcher la
tenue de deux autres consultations…. Et bien sûr profiter de ce nouvel élan
pour relancer l’économie et renforcer l’immigration
de métropole avec investisseurs et main d’œuvre afin d’accroître la marginalisation des Kanak.
Avec Backès une quasi départementalisation qui ne dit pas son
nom, d’ailleurs sournoisement engagée par le biais des très nombreuses
ordonnances adoptées par l’Etat pour étendre des lois en Nouvelle-Calédonie
sans avoir de débats à l’assemblée nationale et au Sénat, avec Gomès et Néaoutyne une sorte de libre
association « en trompe l’œil »
avec la France, chez Frogier…il doit encore réfléchir à la manière dont il
pourrait faire encore un mandat sans trop se mouiller! Pour les autres, comme
« Tous calédoniens » de
P.Vittori, ou encore les Brial et Yanno , ils sont à la remorque du plus
offrant, en clair ceux qui lui offriront une position éligible en 2019.
Quant au FLNKS… il est sur « off » et semble
s’acheminer tranquillement vers les provinciales de 2019, sans autres ambitions et perspectives.
Alors que le temps joue clairement contre le peuple Kanak
qui d’ici 2024, face à une immigration galopante
du fait des résultats de la consultation d’autodétermination et de la relance
économique qui va suivre (A.Descombel), ne va plus représenter que 30% de la
population.
Alors qu’il est déjà
très compliqué aujourd’hui pour les kanak de faire valoir leurs droits à
l’autodétermination, cela deviendra
impossible demain.
Des perspectives
inquiétantes ?
Ce n’est évidemment pas les élections de 2019 qui vont
fondamentalement changer la donne, car les grands équilibres qui existent
actuellement vont demeurer en s’aggravant, avec le risque d’une marginalisation
accrue des indépendantistes, qui
n’auront pas été capables de préserver leurs acquis.
Ainsi pour sauvegarder l’essentiel la France laissera deux
provinces aux mains du FLNKS, (sachant
toutefois que l’encadrement de la
province nord est aux mains de métropolitains) qui va continuer de jouer le
rôle de supplétif au congrès et au gouvernement. Impossible dans ces conditions
de gagner une quelconque indépendance qui, pour le coup, lorsque les kanak ne
représenteront plus que 30 % de la population. Paradoxalement, cette « indépendance association »,
refusée en 1985, risque d’être demandée dans vingt ans par les
européens pour rejoindre les rangs des pays colonisés où les autochtones,
ultras minoritaires, ont perdu toute possibilité de jouer un rôle
significatif. L’absence de mouvement de
libération nationale digne de ce nom conduira alors les Nations-Unies à valider
le peuple calédonien, sur un modèle de peuple Néo-zélandais ou australien.
Alors que faire…. ?